La lancinante question européenne
On peut justement critiquer l’opération de com’ menée sur le PNYX par Emmanuel Macron. Certains ont trouvé de mauvais goût de cautionner le gouvernement Tsipras, qui ruine consciencieusement les entrepreneurs et les PME familiales, tout en passant à la paille de fer la classe moyenne grecque qui est en train de disparaître corps et biens. Plaindre la malheureuse population grecque sans rien proposer pour la soulager a été considéré comme une moquerie par beaucoup de Grecs qui n’ont pas non plus aimé qu’on vienne avec des chefs d’entreprise chargés de faire leur marché à bas prix dans les ruines économiques de la Grèce. Venir sur la Pnyka, un lieu national sacré, pour faire l’apologie de l’Europe, alors qu’elle a très durement traité le pays, n’a pas été ressentie localement comme un hommage mais plutôt comme une profanation. Le lieu était celui du débat et la foule pouvait critiquer. Le Pnyx n’est pas le lieu des monologues. La symbolique était tentante mais fausse. Les médias grecs ont haussé les épaules comme d’ailleurs l’intégralité de la presse non française.
Le débat institutionnel européen est pourtant au cœur des préoccupations du moment, et notamment l’articulation entre les institutions de Bruxelles et les instances nécessaires pour faire sortir la zone euro de sa stagnation relative.
Le Président français a proposé une organisation spécifique à la zone Euro. Le président de la Commission a réfuté cette orientation et plaidé pour un renforcement des pouvoirs de l’organisme qu’il préside. Comme personne ne daigne débattre des fondements moraux et politiques des institutions de l’Union Européenne ni des raisons et modalités d’une gestion différente de la zone Euro, le conflit se réduit à une querelle d’attributions bureaucratiques particulièrement médiocre.
La conception qui a conduit à la création de la Commission est assez claire : chaque pays membre de la « communauté » renonçait à traiter les étrangers des autres membres du club différemment que ces citoyens et s’engageait à démanteler tous les dispositifs qui permettaient en fait de créer des barrières contre les autres. La Commission avait pour but de supprimer tous ces obstacles, d’abord en préparant les décisions nécessaires et ensuite en les faisant appliquer. Cette conception conduit la Commission à être à la fois un garde-chiourme et un promoteur. Mais ce sont les nations qui gèrent et finalement prennent les décisions.
On a donc vu la Commission rechercher avec attention tout ce qui pourrait être discriminant entre les nations de l’Union. Bien entendu, elle a été très loin dans le détail. Mais comment lui en faire le reproche puisqu’il s’agissait effectivement d’une traque et que le diable en ces affaires est justement dans les détails. Oui, il y a bien un disque pour stationnement automobile à la norme européenne, pour que les Européens puissent toujours répondre sans distinction d’origine aux demandes réglementaires locales. Oui, on a bien entendu ces derniers jours la Commission menacer de sanctions la France parce que les pâtres pyrénéens français tolèrent mal la destruction de milliers de brebis par des ours importés. Comme on le sait, les ours, comme les loups, ne reconnaissent pas les frontières. Il fallait donc une règle européenne vérifiée et sanctionnée par la bureaucratie bruxelloise.
La Commission est un gendarme mobilisé contre les États, dès lors que les règles sont violées. Que l’on ait voulu ajouter, pour faire beau, un Parlement élu de la même façon et le même jour par les populations des pays de l’Union, après tout pourquoi pas. Le poste de député européen est ennuyeux au possible. Car fixer la norme dans des tas de domaines techniques n’a rien de rigolo. C’est pour cela que les candidats sont presque toujours de type « alimentaires » ou des européistes fanatiques. Quand on sait comment se passent les débats et les votes à Luxembourg, on n’a pas trop envie de s’y investir, soyons clairs ! L’autre vocation de l’Assemblée est de permettre à des politiques de tous les pays membres de se connaître et d’échanger. Cela permet d’avoir quelques spécialistes des questions européennes. On aurait pu trouver d’autres moyens moins couteux.
Quelles sont les dérives du système ? La première est de dépasser le cadre des normes raisonnables et d'importance « régionale » pour s’enfoncer dans les microdétails en élargissant le champ d’action des ordonnances sans limite au prétexte que « tout est dans tout ». Oui un pays a le droit de fabriquer des fromages au lait cru, quoi qu’en pensent les autres. Oui le régime certaines chasses n’intéresse pas les autres pays. Une seconde dérive presque structurelle est la quasi-impossibilité de corriger les ordonnances. Il faut des années et des combats homériques pour changer une virgule. La troisième dérive est liée au monopole d’initiative de la commission. Si tous les ministres techniques de l’ensemble des pays de l’Union se sont mis d’accord pour une initiative commune, le Commissaire ad hoc peut empêcher toute discussion du projet. La Commission peut donc asphyxier des projets qui font l’unanimité : pourquoi ? Une dernière tentation nocive est d’outrepasser la mission de base, qui consiste à empêcher les règlements et lois nationalistes discriminatoires, et de vouloir unifier les législations. Comme tout est dans tout, il est facile, de « coups d’État en coups d’éclat », d’en venir à priver les Parlement nationaux de tout rôle, sinon la mise en conformité des lois nationales. L’unification générale des lois n’est pas un objectif de l’Union Européenne, sauf quand l’avantage est évident pour tout le monde, ce qui est rare.
Le système européen, si les abus que nous venons de citer étaient réglés, serait assez adapté à son objet : permettre à tout européen de contracter partout dans l’espace communautaire sans que son caractère « d’étranger » ne vienne se mettre en travers de ses projets. Cet objectif est une avancée formidable et recommandable. On le voit avec le Brexit, qui provoque déjà des attitudes hostiles et des interdictions de fait pour les continentaux en Grande Bretagne.
Une autre difficulté provient de la volonté de mettre en commun certaines politiques vues comme plus efficaces à l’échelon européen. Le nombre de ces politiques est remarquablement bas. La première est la politique agricole commune. Dans un premier temps, elle avait conduit à empiler des stocks invendables tout à fait remarquables, pour les liquider à bas prix sur le marché mondial, en cassant les agricultures locales des pays sous-développés. On conduit maintenant des politiques qui peuvent être contestées mais qui sont légitimement de la responsabilité européenne, car sinon les mesures discriminatoires peuvent venir très vite avec les agriculteurs. Méline rode toujours !
On aurait pu imaginer que cette politique commune soit gérée par un organisme ad hoc avec des moyens de contrôle démocratique spécifique. On a cru devoir l’attribuer à la Commission. Cela pousse malheureusement à l’idée d’un « gouvernement européen contrôlé par le Parlement européen, donc démocratique ». Du coup on constate une dépossession des États au profit du Président de-là Commission et de son commissaire qui devient le Tsar et peut n’en faire qu’à sa tête, alors qu’il n’est qu’un technocrate. La solution d’une agence agricole européenne est celle que nous aurions proposée.
Une autre politique commune s’applique à la concurrence. Elle est légitime, en ce sens que la proximité est grande entre concurrence libre et non faussée et non-discrimination.
De même, il est logique que les négociations portant sur les normes internationales en matière commerciale se fassent à l’échelon européen. Le pouvoir de négociation est évidemment plus fort. À condition qu’il soit exercé ! La suppression du tarif extérieur commun a été une grande erreur. On évoque la « naïveté » de la pratique bruxelloise. Quand on a pour rôle spécifique de négocier, on se lance dans des négociations et on se moque de savoir ce qu’en pensent les États avant la fin du processus quand plus rien ne peut être changé. Il est certainement important d’imposer de nouvelles règles de délégation qui permettent un meilleur suivi par les élus européens mais aussi par les gouvernements et les élus nationaux. Ici encore, on aurait pu imaginer que ces négociations soient menées par une instance ad hoc et non par la commission et raccorder aux autres difficultés internationales. Déconnecter le commerce et la finance internationale est une grave erreur.
La tension institutionnelle actuelle porte sur la nature de la Commission. Celle-ci se voit comme le gouvernement de l’Europe. Alors qu’elle n’est que le secrétariat de la conférence des chefs d’États et de gouvernement. Elle cherche constamment à renforcer ses pouvoirs et de fait, elle en vient en permanence à grignoter les légitimités politiques nationales, menant au clash entre souverainiste et européistes.
Les Européistes souhaitent donner plus d’apparence démocratique à la Commission qu’ils voient comme un gouvernement avec un premier ministre et un ministère élu par un Parlement. Élection au suffrage universel du président de la commission, scrutin de liste multinationale pour les députés, les suggestions ne manquent pas. Mais ces suggestions se heurtent au fait qu’on singe la démocratie plus qu’on ne l’organise, faute de peuple européen et de véritable critère européen de différenciation politique.
Le but de la Commission est de créer du consensus autour d’initiatives communes, pas de définir les options politiques clivantes et encore moins de choisir entre elles. C’est un secrétariat en même temps qu’un organe mandaté. Le président n’a pas besoin d’une onction transnationale. Il n’est là que pour coordonner et animer, pas pour trancher des options politiques qu’il imposerait aux autorités nationales en prétendant avoir une légitimité démocratique supérieure. Le départ des Britanniques s’explique certes par l’impossibilité de contenir des vagues migratoires considérées par leur nature et leur volume comme insupportables par les électeurs, mais aussi par le refus d’indiquer constamment lors de chaque projet qu’on vise un super gouvernement fédéral.
En voulant changer la nature actuelle de la Commission pour en faire un gouvernement fédéral, Juncker prend le risque d’une crispation anti-européenne encore plus forte que ce que l’on a vu dans les élections récentes. Rappelons qu’à chaque élection européenne on peut constater que les projets de la législature à venir sont constamment inconnus et que la critique des projets passés ne se fait pas. D’abord on ne parle pratiquement pas de la législation qui a été passée sauf au moment où elle entrera en vigueur souvent 10 ans plus tard, alors qu’on avait totalement oublié ces questions. Ce processus est déjà problématique s’agissant de normes. Il serait indécent s’il concernait des options politiques chaudes.
La véritable question aujourd’hui concerne la gouvernance économique de la zone Euro. On a le choix de gérer l’Euro en s’appuyant sur la méthode européenne classique : la production de normes. L’ordo-économie européenne, qui suppose qu’on sanctionne le manquement à des règles acceptées par traité, est tout ce qu’on veut sauf flexible et se montre bien incapable de piloter la conjoncture. La crise de 2008 puis celle plus spécifique de 2011 ont démontré que la règle de 60 % d’endettement public et de 3 % au plus de déficit budgétaire, n’avait aucun caractère ni prophylaxique ni curatif. Tous ces interdits ont été bafoués par tous, nécessités faisant loi. Le retour à la norme sous peine de sanction a été dépressionnaire. La seule chose dont a été capable l’Europe a été de laisser l’agence chargée de la gestion de la monnaie commune, la BCE, débonder totalement la politique monétaire jusqu’à créer de milliers de milliards d’euros et de provoquer l’apparition de taux d'intérêt négatifs. La Commission a, elle, créer le « six pack » qui est un dispositif répressif, la seule chose qu’elle sait faire.
La vérité est toute simple : il n’y a pas de communauté si on permet à des pays d’aligner d’énormes déficits et à d’autres d’effroyables excédents. Ces déséquilibres croisés entraînent des phénomènes d’endettement croisés intenables et des opérations de rachat du capital productif des pays en déficits totalement contraire à l’intérêt de ces pays. L’Allemagne a financé des bulles phénoménales en Italie, en Espagne, au Portugal, tout en permettant à des pays sans ressources de financer des équipements t disproportionnés, comme l’aéroport d’Athènes qui possède, bien inutilement, la plus grande piste du monde !
Les énormes déséquilibres internes de la zone Europe ne permettent pas aux pays membres d’avoir un taux de change réaliste vis-à-vis du reste du monde. Si l’Allemagne possède à la fois un énorme excédent interne à la zone Euro et le même vis-à-vis du monde entier, le cours de change de l’Euro sera automatiquement intenable pour l’ensemble des pays en déficit.
Une monnaie unique gérée uniquement par une banque centrale, appuyée sur des contraintes imposées aux États, est une incongruité qui montre tous les jours sa malfaisance. Avoir permis que la France se lance avec Jospin dans une politique totalement malthusienne, avec les 35 heures, la pénalisation agressive des relations du travail et une fiscalité punitive et délirante, en dépit de la prise de conscience tardive due à Fabius, pendant que l’Allemagne faisait exactement l’inverse a fait sauter tous les verrous juridiques. La valeur de la monnaie ne dépend pas seulement des déficits budgétaires. La compétitivité d’un pays est fonction de toute la politique sociale et économique.
La zone Euro a montré son incapacité à réduire les déséquilibres internes qui au contraire se sont amplifiés avec une politique de répression tournée uniquement vers les pays en déficit, ralentissant encore plus la correction des effets de la crise mondiale de 2008.
Juncker dit : « C’est vrai. Allons vers un véritablement gouvernement fédéral avec des moyens élargis. Mais comme personne ne le veut, allons-y sans faire de vagues, par petits pas ». En gros : « Donnez-moi le pouvoir sur les États et après on verra. Comme le supranational prendra des décisions politiques sensibles, mon élection au suffrage universel fera taire ceux qui s’opposent à l'euro au nom de la démocratie ». Macron de son côté affirme que cette approche n’est pas la bonne et qu’il faut une agence spécifique, avec un contrôle démocratique spécifique. C’est la doctrine que nous avons proposée dans notre livre « l’étrange désastre » mais avec plusieurs différences.
Emmanuel Macron veut transférer d’énormes ressources budgétaires vers ce nouvel organisme, conscient que le rééquilibrage social des économies en déficit de compétitivité exige des aides budgétaires considérables, même s’il s’agit, dans son esprit, plus de capacité de prêter que de financer de la dépense courante. Il suit les recommandations de Mundell qui, lors de la création de la zone Euro, avait pourtant expliqué que la monnaie unique permettrait de rééquilibrer les divergences de productivité grâce à la liberté totale des mouvements de capitaux et de personnes. Devant l’échec de ses idées, il corrige sa pensée en ajoutant une gestion budgétaire centrale, identique à celle pratiquée par les États Nationaux pour gérer les écarts de croissance interne. La Grèce devient à l’Europe ce qu’est la Lozère à la France…
Rien de tout cela n’est raisonnable. Bien sûr cela plaît aux fédéralistes à tous crins qui voient, avec régal et exaltation, les États encore plus dépossédés, au risque d’un démantèlement ultérieur des efforts européens du fait des réactions électorales des peuples.
La solution la meilleure serait de s’appuyer sur quelques principes forts :
- Il ne faut pas parler de pilotage mais de coordination.
- Le coordinateur de la zone euro que nous appelons Chancelier de la zone euro pour éviter le terme connoté de Ministre des finances ne doit pas dépendre de la Commission et de son environnement administratif, au même titre que la BCE, qui vit son indépendance de la Commission sans que cet aspect de duplication institutionnelle ne gêne personne.
- Il étudie en amont les politiques ayant un effet sur les équilibres internes et externes de la zone, et s’appuie sur une représentation démocratique issue des Parlements nationaux. Une forme de Sénat économique qui n’a pas d’élections propres mais qui est alimenté par des détachements des parlements nationaux.
- Il coordonne l’action des différentes agences économiques européennes : Eurostat, le MEF, la BCE et dispose du monopole des relations économiques externes de la zone Euro, notamment en vue de réformer le système monétaire international. C’est lui qui représente les pays de la zone Euro au FMI.
- Il faut créer un FMI européen chargé des questions de prévention et de cure des déséquilibres internes extrêmes de la zone, sans avoir à recourir au FMI dont la vocation n’est pas de s’ingérer dans les problèmes internes d’une zone monétaire. La base de ce fonds sera un mécanisme automatique de gestion des excédents de balance interne de capitaux. Comme nous l’avons expliqué dans trois articles avant l’été, les pays qui accumuleront des excédents seront automatiquement privés d’une partie d’entre eux qui seront gérés par le Fonds Monétaire Européens à des fins de rééquilibrage progressif. Ces appropriations auront deux effets : induire un changement de comportement des pays à forts excédents qui n’auront que des inconvénients à continuer dans cette voie, éviter les effets cumulatifs et prévenir les crises.
- Si la commission veut conserver, pour l'ensemble des pays de l’union les surveillances actuelles, qu’elle le fasse. Cela n’aura plus aucune importance.
Les Européistes ne veulent pas entendre parler de cette solution et souhaitent uniquement profiter de la crise pour conforter la dépossession des États. Cette ambition entraînera de façon certaine l’explosion du projet européen.
La sagesse est de réparer ce qui ne marche pas et de progresser en conservant le pivot démocratique national et en laissant à la Commission que l’étude des initiatives de convergence des législations dans la mesure où des accords peuvent être obtenus entre autant d’États souverains.
Le projet Juncker est trop évidemment européiste ; le projet Macron est, comme d’habitude, enchanté dans les mots mais contradictoire dans les termes.
Il faut aller au-delà de ces deux projets.
Didier Dufau pour le cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
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