Un article formidablement révélateur du Financial Times

L’actualité est sympathique pour ce blog. Elle nous permet d’aborder des thèmes fondamentaux qui ont été à l’origine de la formation du Cercle des économistes e-toile. Après le drame de la démographie française et les méfaits de l’énarchie compassionnelle, il est temps de commenter une réalité jamais traitée : la quasi-identité de destin économique déplorable de la France et du Royaume Uni qui souligne l’évidence d’une cause commune. Malgré les différences apparentes très fortes entre un pilier du néolibéralisme fortement anti syndical et rétif à l’assistanat et un pilier de la bureaucratie socialisante, entre un pays qui a choisi le Brexit et un pays aplati devant Bruxelles, entre un pays aligné sur Washington et un pays qui fait semblant de goûter les effluves résiduels du gaullisme diplomatique, l’évolution globale depuis 1971 est globalement la même. Les mouvements profonds l’emportent sur les apparences idéologiques ou les traditions nationales.

Vérifions que l’évolution économique et sociale a bien été la même. Le Financial Times nous apporte tous les éléments de réponse grâce à l’excellent article de Tim Harford, dans d’édition du 22 janvier 2023. Son titre dit déjà beaucoup : « Est-ce que la vie au Royaume-Uni est réellement aussi mauvaise que les chiffres le suggèrent ! Oui, absolument ! ».

Tim Harford a écrit trois livres absolument formidables, « The Undercover Economist » en 2007, « Freakonomics « en 2009, et « Why Nations fails », son chef-d’œuvre de connaissances et de réflexion en 2013.

Son approche est exactement celle qui nous a motivés à créer le Cercle des économistes e-toile : couvrir des domaines abandonnés, en montrant qu’on y trouve beaucoup de faits majeurs dont l’explication est indispensable et que les clés de l’avenir y sont présentes dans l’indifférence générale. La différence est qu’il le fait dans la presse et plus encore dans une presse anglo-saxonne où beaucoup de ses réflexions défient la pensée dominante.

Il a un peu dérivé vers le « spectacle » ces derniers temps avec :

Fifty Things That Made the Modern Economy (2 017). Little, Brown. ISBN 978-1408709115

The Next Fifty Things that Made the Modern Economy (2 020). The Bridge Street Press. ISBN 978-1408712665

How to Make the World Add Up : Ten Rules for Thinking Differently About Numbers (2 020). Little, Brown. ISBN 978-1408712245

Ces livres sont en fait des compilations de « podcasts » télévisés de 9 minutes sur une variété d’objets qui ont révolutionné notre vie courante et dont on n’imagine pas la puissance. C’est amusant et curieux, et correspond à l’humour anglais, un peu dans le style du patron qui candidate dans sa propre entreprise.

Le côté « Entertainment » n’est pas à négliger mais manque un peu de fond, ce qui n’est pas le cas de l’article dont nous parlons.

Après avoir cité une étude qui donne des prévisions peu amènes (la perte récente de 7 % du revenu moyen ne sera pas corrigée avant cinq ans), il démontre que ce qui devrait réellement nous épouvanter est moins le désordre circonstanciel actuel mais la longue descente aux enfers des dernières quinze années qui n’ont pas vu de croissance mais une longue stagnation qui contraste avec le quasi-doublement de 1978 à 2008 suivant le triplement entre 1948 et 1978. Au lieu de voir son revenu augmenter le travailleur britannique constate que depuis 15 ans il ne bouge plus, alors qu’il croissait de 40 % en moyenne tous les trente ans depuis l’après-guerre. En un mot : "Amis britanniques vous êtes entrés dans une phase longue de stagnation structurelle dont vous ne parlez pas alors que vous vous inquiétez pour des difficultés certes agaçantes mais momentanées".

Il souligne avec gourmandise qu’un bon gouvernement est celui qui propose d’excellents services publics, une pression fiscale basse et un endettement faible. Comme en France,  il est bien obligé de constater que c’est exactement l’inverse qui se passe depuis de longues années et qu’il est strictement impossible même de l’espérer. L’hôpital est par terre en France, comme l'est le NHS, le service national de santé. Le reste est à l’avenant. Là où on connaît une vraie différente, elle n’est pas de nature mais de proportion. Notre auteur signale que la dépense publique est plus haute de 4 points de PIB par rapport à la moyenne des périodes précédentes, mais le taux n’est que de 37 %. En France il est de 47 % ! On se souvient que le Général de Gaulle voulait dans les années soixante qu’il reste autour de 32 % et que ni Pompidou ni Giscard (surtout ce dernier), n’ont voulu respecter ce vœu. Et la situation est la même au Royaume Uni et en France pour l’école et les services sociaux.

Ne parlons pas de la dette. La situation est catastrophique dans les deux pays avec une dette qui monte inexorablement, des intérêts dont le service n’a jamais été aussi haut dans l’histoire et des déficits majeurs partout et jamais comblés.

Le résultat est le développement de la pauvreté à la base avec une partie croissante de la population qui a du mal à finir le mois. Une étude a montré qu’un quart de la population ne parvenait plus à mettre 10 livres de côté chaque mois, alors que la proportion était de 3 à 8 % il y a quelques années. Près de 10 % de la population déclare avoir eu faim à un moment ou un autre dans les trente jours précédant l’étude.

L’auteur remarque que des pays comme la Suisse, la Norvège et les États-Unis ont désormais un revenu très supérieur à celui des Britanniques qui a chuté de façon relative sinon en valeur absolue. Comme en France où la situation aux frontières est devenue caricaturale, comme nous l’avons prouvé ici dans de nombreux articles. Pour marquer l’opinion il montre que le revenu des dix pour cent les moins riches est plus bas qu’en... Slovénie !

Le paradoxe affirme Tim Harford est que nous ne sommes pas en récession que l’emploi est au plus haut et qu’il ne faut rien attendre d’un retournement conjoncturel formidable. L’affaire est bien structurelle et non conjoncturelle. Et le devoir des politiques est de l’acter et de la comprendre pour commencer à prendre les mesures structurelles qui s’imposent.

Tout le monde voit bien que c’est exactement la même situation en France alors que les dosages idéologiques médiatiques sont extrêmement différents dans les deux pays.

L’auteur n’ose pas aller jusqu’au diagnostic et aux suggestions de redressement. Mais un autre article dans le même journal quelques pages plus loin, fournit une clé d’interprétation.

Un premier graphique montre la baisse tendancielle du PIB depuis la crise de 2008, par rapport à la tendance 1990-2007 qui était déjà en baisse. Le Japon et l’Allemagne ont bien résisté avec une baisse inférieure à 15 %, la France est à 20 % de baisse et le Royaume Uni à 30 % comme l’Italie. La baisse de la productivité a été très forte en France dans les dix premières années du siècle, mais dans les dix suivantes, l’effondrement a surtout eu lieu aux États Unis, en Italie et au Royaume-Uni.

Regardons les choses avec un peu plus de hauteur :

La crise commence au tournant des années 1970 avec une forte baisse de la croissance qui s’accélère à partir des années quatre-vingt-dix qui s’effondre depuis 2008. La productivité devient structurellement problématique à partir du début du siècle. En fait cette réalité est vraie pour tout le monde avec des différences de situation mais autour d’un même mouvement général dans les pays développés.

La raison principale est l’introduction des changes flottants qui permet les énormes déficits et les excédents de même ampleur. Il s’est ensuivi une suite de récessions périodiques de plus en plus graves (73-74, 92-93, 2 008 2 009) avec des crises intercalaires moins sérieuses mais qui ont eu leurs conséquences. La crise de 2008 a particulièrement ravagé les pays les plus engagés dans la folie financière, les États-Unis et le Royaume-Uni, alors que l’introduction de l’Euro provoquait des crises structurelles dans les « pays du Club Med ». L’ouverture totale du commerce mondial à la concurrence de pays à très bas de revenu, sans obligation d’équilibre des balances extérieures, a détruit les classes moyennes dans les pays développés. Les pays sages et compétitifs ou jouant le rôle de havre fiscal, comme le Luxembourg, ont mieux résisté. Ceux qui ont joué à fond la carte démagogique de l'état providence, sont les plus atteints.

Nous retrouvons là le triptyque que nous dénonçons depuis 25 ans et dont l’évocation était strictement interdite dans les pays anglo-saxons. Il est bon que le Financial Times grâce à un de ses meilleurs journalistes fasse déjà le constat du désastre. Il ne reste qu’à donner les explications de fond. Quand le fait est acté il n’a pas rare que l’explication suive. Et on parvient généralement à écarter les explications creuses (Covid, riches qui ont fait sécession et autres tue l’esprit).

Rappelons que tout cela a été déjà été écrit dans notre livre l’Étrange Désastre, il y a maintenant huit ans !

Tout le système de « welfare » mis en place après-guerre n’est possible qu’à deux conditions : une bonne natalité et une croissance continue. Les forces qui à l’heure actuelle tuent à la fois la natalité et jusqu’à l’espoir d’une croissance militent en fait pour la destruction de l’État Providence. Ce qui se vérifie dans l’actualité française avec la question des retraites, dont le système de répartition est directement indexé sur la croissance et sur la pyramide des âges. Sans croissance et sans enfants, il saute et gare aux tâches !

Commentaire
Siem's Gravatar Je reste stupéfait par la constance qui se manifeste sur bien des sujets, sur ce site. Les faits sont têtus mais l'analyse des faits ne l'est pas moins pourvu qu'il y ait une plume pour le constater. Pratiquement personne ne connait Tim Harford en France qui serait inclassable entre les banquises idéologiques et politiques qui détruisent toute réflexion indépendante utile. Je suis d'accord que son meilleur livre est "Pourquoi les Nations échouent" qui démontre de façon extrêmement documentée et intelligente que ce sont les gouvernances de prédation qui détruisent la prospérité. En revanche tous les pays qui ont refusé d'entrer dans ce genre de système se portent mieux que les autres. Éviter les oligarchies, éviter les doctrines de prédation, éviter les soumissions sont les moteurs de la prospérité, ou en tout cas une assurance contre la désespérance économique.

Lorsqu'on voit en France, un pays où tous les nouveaux riches sont dans la mouvance de l’État en captant des marchés artificiels subventionnés, en liaison avec Élysées, que la quasi totalité des décisions qui tuent le pays sont prises à Bruxelles sans même une seule sollicitation de l'opinion du pays et sans un mot des dirigeants, on ne peut plus parler de souveraineté mais de capture du pouvoir national par un clan, auquel s’agrège une caste de hauts-fonctionnaires qui s'affranchissent des exigences nationales dont ils devient être les défenseurs, le tout s'alignant sur les Etats-Unis et ses différents mouvements idéologiques.

Du coup en effet nous sommes les victimes d'un système de prédation qui commence dans la mouvance des Etats-Unis , avec les changes flottants, l'OMC, l'Eurosystème, et s'amplifie en France par l'énarchie "compassionnelle" comme on dit sur ce blog, la fiscalité abyssale, l'excès de pouvoir de syndicats discrédités et sans adhérents, pour finir par l'effondrement identitaire et démographique et des pénuries partout.

Avoir choisi d'interpréter les effets délétères de malfaçons criantes dont témoigne l'actualité, alors que les élites gouvernementales s'acharnent à mettre les causes sous le tapis, et le faire pendant 25 ans, a quelque chose de rare et de stupéfiant. Surtout quand les faits confirment à répétition les analyses proposées.

Vraiment, bravo !
# Posté par Siem | 30/01/23 13:05
Smerch's Gravatar Il est dommage que l'on ne parle de démographie et de croissance du niveau de vie qu'à l'occasion d'une reforme des retraites... et pour la flinguer.

Les Français ont cru les démagogues qui leur ont fait croire qu'on pouvait affronter la concurrence mondiale en travaillant moins que les autres, et qu'ils s'en sortiraient toujours en volant l'argent d'autrui ou en empruntant. Et maintenant les voilà dans la rue pour dire : encore, encore encore, nous aimons les démagogues à la petite semaine, il n'y a qu'à prendre aux riches "qui se gavent". 3.000 milliards de dettes ? Pas de problème ! Record mondial des prélèvements ? Pas de problème !

Les 35 heures et la retraite à 60 ans ont été des cadeaux électoraux pour préparer la victoire électorale de Mitterrand et celle du leader d'une prétendue "dream team", le très bourgeois trotskiste Lionel Jospin. qui se plantera sans comprendre pourquoi ! Ajoutons "la gratuité de la vie" de la naissance à la mort, construite et améliorée par tous les gouvernements, pour tous ceux qui sont en France ou qui viendraient à s'y trouver, avec une perte d'enfants natifs de 500.000 selon les chiffres donnés sur ce blog et l'équivalent en immigration incontrôlée, et voilà le pays hagard.

Pour corser la situation voilà que nos élites abandonnent toute indépendance pour la confier à une Europe sous suzeraineté américaine, qu'il n'y a plus d'artistes, de savants, et d'intellectuels de valeur travaillant dans le pays, que la langue est abandonnée, que la Wokisme triomphe sans frein ni véritables réactions, que les grandes villes sont détruites par des cinglés qui ne se maintiennent que par une démagogie sans nom, le financement d'associations destructives qui enrichissent les amis, et la désertion du champ électoral par des Français déprimés qui n'y croient plus et qui laissent faire, en espérant se "barrer ailleurs" ou en l'ayant fait,

A ce peuple déprimé, on ne propose plus que des camisoles de force, sécuritaires, sanitaires, idéologiques, fiscales, avec des faux médecins qui le regarde se trémousser dans le jardin aux hauts murs comme un dément.

Il n'y a plus d'école, plus d'hôpitaux, plus de justice, à peine de police, un moignon d'armée, plus d'industrie, une agriculture en voie de destruction, même plus de partis dignes de ce nom. L’État est en faillite quasiment irrattrapable. Celui qui préside le pays n'est qu'un manipulateur à la petite semaine, qui ne suit que sa boussole personnelle au prix d'un chaos complet au coeur d'un pays qu'il méprise et qu'il voudrait dissoudre. Et les médias exaltent toutes les tares du pays pour encourager à ne rien faire et à faire chauffer la colle.

Il est certainement juste de penser que l'ampleur des mobilisations ne traduit pas une véritable envie de garder la retraite à soixante mais le dégoût pour l'effondrement français. Ceux qui ont déserté les urnes et qui se retrouvent dans les cortèges pensent dire la même chose : on ne veut plus de cette descente aux enfers.

Mais le dire en descendant l'escalier qui mène aux enfers n'est pas très malin.

On attend encore celui qui osera dire : Français, vous avez voulu le beurre et l'argent du beurre? Vous n'avez obtenu ni l'un ni l'autre. Si vous écoutez encore des démagogues et des pousse-au- crime, la situation qui est déjà fort compromise deviendra insaisissable et irrattrapable. L'ISF, les 35 h et la retraite à 60 ans, comme les avantages déments de certains régimes spéciaux voulus par des démagogues indécents ne voyant pas plus loin que leurs ambitions électorales, n'étaient pas des progrès sociaux. C'était des pilules mortelles avec un effet euphorisant à court terme.

Alors oui, la gouvernance actuelle est indigne et a tout compromis. Mais ce n'est pas en refaisant la guerre d'Espagne comme vous le propose la Nupes ou en ne faisant rien comme vous le propose le RN que le pays s'en sortira.

Mais si vous, Français, vous vous comportez comme des drogués en manque dans une salle de shoot nationale, craignez de devenir des loques !
# Posté par Smerch | 01/02/23 10:15
DD's Gravatar @ Smerch

Vous faites une description cruelle et qui correspond à ce que nous disons sur ce blog, mais nous serons en désaccord sur un point : mettre tout sur le dos des votants est trop facile. Justement l'article que nous commentons démontre la large parenté entre la situation anglaise et la situation française qui sont loin d'avoir la même structure sociale et électorale.

Les crises économiques internationales qui ont eu un rôle critique, ne sont pas causées par les électeurs. Cinq récessions dont trois majeures et la dernière catastrophique en 2008, ce n'est pas rien. On dira : les gouvernements successifs auraient pu condamner les systèmes foireux qui les ont provoquées. La France n'a plus le cran d'affronter les États-Unis et essayer de le faire dans une Union Européenne totalement alignée serait, disons, un défi.

Les effets de domination qui empêchent l'introduction dans le débat médiatique d'idées interdites sont plus responsables que l'opinion publique inattentive et grégaire qui se manifeste à chaque élection avec des réticences de plus en plus manifestes.
# Posté par DD | 01/02/23 17:18
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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