Pour une chancellerie de la zone Euro

  1. Une réforme de la gouvernance de la zone euro est nécessaire.

Le premier inconvénient d’une zone de monnaie unique regroupant des pouvoirs nationaux indépendants est de ne permettre les ajustements de compétitivité que par la  déflation. Seule la baisse de la masse monétaire, des prix et des salaires  permet le retour aux équilibres nécessaires, dans la partie marchande de la société. Si de surcroît le pays a laissé se développer un secteur public dévorant,  la perte de recettes entraînée par la déflation implique une hausse cumulative des impôts et l’augmentation de la dette, au prix d’une défiance cumulative des prêteurs.  Au total, le pays victime de lui-même, en ayant laissé sa productivité et sa compétitive s’étioler, s’offre une crise nationale grave et remet en cause les fondements de la monnaie unique collective.

Ce schéma est exactement celui auquel l’humanité cherche à échapper depuis  la crise de 1929. De ce point de vue, la création d’une zone prétendument réglée par deux normes (3% de déficits publics par rapport au PIB et 60% d’endettement public par rapport au PIB) était une dramatique illusion.

Il faut, pour gérer une zone de monnaie unique multinationale, un coordinateur des politiques publiques qui permette d’éviter les décalages de compétitivité et qui organise le retour à l’équilibre si un décalage s’est produit malgré tout, du fait d’un évènement hors du contrôle des pouvoirs publics. 

Nous défendons ce point de vue inlassablement depuis le vote sur le traité de Maastricht. Jusqu’ici en vain, en attendant la pédagogie des faits. L’affaire grecque est tout de même éclairante.  Si, dans les années 90, les risques que nous évoquions pouvaient paraître théoriques et tirés par les cheveux, ils sont désormais manifestes.  La déflation plus ou moins organisée est la seule voie de réajustement des décalages de compétitivité.

Le second inconvénient d’une zone de monnaie unique sans organe commun de pilotage, est la déshérence dans laquelle se retrouvent les  différents instruments de politique monétaire que sont la gestion du cours du change, la politique des taux d’intérêt, l’intégration de la politique monétaire et des politiques budgétaire et sociale globale.  La zone  est dans la seule dépendance de la Banque centrale qui n’a, dans le cas de la BCE, qu’un objectif d’inflation  et qui ne pourra agir sur le change qu’en se livrant à des contorsions totalement ridicules, du genre « on dévalue pour lutter contre la déflation », alors que la zone euro est globalement excédentaire !

Une absence aussi évidente d’organisation ne permet d’agir ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Ce dernier aspect est d’autant plus dangereux que le système monétaire  extérieur est basé sur la flottaison des monnaies, l’acceptation de déficits et d’excédents monstrueux  et la construction d’une économie baudruche vouée à l’explosion.  Quand la baudruche explose, la zone Euro se retrouve privée de tout moyen organisé de faire face et doit improviser. Dans l’urgence et dans la panique, avec des risques graves de dissensions, de comportements nationaux incompatibles et finalement de destruction.

  1. L’option fédérale est au mieux une utopie, au pire une provocation, plus sûrement un leurre.

L’Europe communautaire, globalement,  ne parvient plus à séduire, du fait de sa lutte permanente contre les Etats pour arracher des pouvoirs politiciens nouveaux (parfois abusivement, comme le choix du président de la Commission par le PE), sur son incapacité à gérer bien et démocratiquement les domaines qui lui ont été attribués (comme l’agriculture), de la zizanie ou l’impuissance  permanente qui marque les fonctions confiées à un « Ministre Européen»  (comme la diplomatie : voir l’Ukraine). L’hostilité croissante des peuples vis-à-vis de certaines conséquences jugées déplaisantes ou négatives des libertés totales d’aller et venir au sein de l’Europe, ou de l’incapacité de bloquer l’immigration clandestine, motive un rejet assez vif de la part de certaines parties de la population.   L’inquiétude devant la continuation de négociation d’adhésion avec la Turquie, qui fait l’objet d’un rejet radical pratiquement partout en Europe, la perplexité devant le fait qu’on ait accepté l’entrée de la Grèce dans la zone Euro malgré des défauts structurels majeurs,  la colère devant le mépris et la dureté des mesures prises à l’encontre de la même Grèce, tout en noyant de dettes les autres Européens,  s’ajoutent au trouble provoqué par la volonté de certains gouvernements, comme celui du Royaume-Uni,  de tester la véritable adhésion de leur peuple à l’Union.  La négociation secrète  d’un traité nord atlantique par des atlantistes nord européens embusqués dans les instances de Bruxelles, inquiète.

Dans ce climat un saut fédéral, avec  la création d’un Sénat, la gestion d’un « budget européen » substitutif des budgets nationaux, d’un Ministre des finances européen, avec des pouvoirs exécutifs,  est tout simplement inconcevable.  Il n’est d’ailleurs pas souhaitable tant qu’on ne sait pas à quoi servirait ce nouveau poste et quels pouvoirs lui seraient  dévolus.

Le comité d’expert allemands qui s’est récemment exprimé sur le sujet  n’a pas mâché ses mots. C’est non ! Il a parfaitement raison.

  1. La seule perspective réaliste ouverte et nécessaire : la coordination.

Sauf à vouloir démanteler immédiatement la zone Euro, il faut mettre fin à ses déficiences structurelles.

Il faut un pilote de la zone euro avec une cabine de pilotage, des gouvernes, un moteur et un itinéraire.

Nous appelons chancellerie de la zone Euro ce dispositif. Autant éviter le terme de Ministre des finances qui le met immédiatement en compétition avec les ministres des finances  nationaux  et suggère un « gouvernement » européen parfaitement illusoire.

La chancellerie a une mission d ‘observation,  d’avertissement et de contrôle. Son seul pouvoir exécutif concerne la gestion de la politique monétaire notamment vis-à-vis  de l’extérieur.

L’objet de l’observation est de détecter les évolutions internes contraires à la stabilité de la zone euro, notamment les pertes de compétitivité,  les excès d’emprunt et les dérapages de finances publiques. 

Les avertissements ont pour objet de signaler les écarts de politiques qui conduisent automatiquement à des déséquilibres internes.

Le pouvoir de contrôle concerne des décisions prises par l’Eurogroupe ou le conseil des gouvernements de la zone euro.

Les décisions collectives restent du ressort de l’Eurogroupe. Elles sont éclairées et contrôlés par la chancellerie de la zone Euro.

La « troïka » disparait des radars. La Commission n’a pas à intervenir dans des affaires qui concernent seulement les membres de la zone Euro. Le FMI n’a rien à faire dans les affaires internes de la zone Euro.

Pour simplifier, la chancellerie est une sorte de FMI interne,  avec son pouvoir d’investigation et d’avertissement.  Et s’il le faut, son pouvoir d’intervention. 

  1. Les pouvoirs exécutifs spécifiques de la Chancellerie.

La Chancellerie dispose d’un champ d’action spécifique : la politique monétaire et financière de l’Eurosystème.

Dans toutes les structures démocratiques, les banques centrales, bien qu’indépendantes, ne dirigent pas la politique monétaire et financière, encore moins le taux de change.  L’indépendance permet de garantir que la valeur de la monnaie ne sera pas manipulée pour des considérations politiciennes.  Mais elle doit s’inscrire dans un cadre politique global qui est du ressort du politique. On a complètement oublié cette règle lors de la création de la zone Euro, sinon en considérant que l’Eurogroupe, une structure occasionnelle, lourde et difficile à manier, ferait vaguement office. Avec l’échec que l’on sait : monnaie surévaluée trop longtemps ; décisions prises en panique ;  absence de tout dialogue extérieur ; tensions vives en cas de décisions difficiles comme dans le cas grec.

Vis-à-vis de l’extérieur, la chancellerie doit avoir mandat permanent de stimuler tout effort en vue d’un retour à un système de changes fixes,  et modifiables par accord général, avec proscription des grands excédents et des grands déficits.  L entre les grands acteurs économiques du monde. La zone Euro ne peut que bénéficier d’un retour à un système de changes régulés et de politiques concertées.

Dans le cas où des difficultés importantes imposeraient des interventions lourdes dans un pays, c’est la chancellerie qui disposerait des pouvoirs correspondants et assurerait la  gestion du MEF. Ultérieurement, au fur et à mesure du renforcement de la confiance dans la bonne gestion commune, la chancellerie  gérerait de nouveaux instruments financiers communautaires comme des bons du trésor communs.

  1. Ce que la Chancellerie ne serait pas.

Les notions de budgets communs, politiques fiscales communes etc. ne relèvent pas structurellement du chancelier. Ce sont des politiques de l’Union et dépendent de l’Union. La chancellerie n’aura qu’à juger du caractère dangereux ou favorable du détail des mesures envisagées du point de sa responsabilité : la solidité de la zone euro.

Elle n’aura aucun pouvoir exécutif ou de proposition en matière fiscale, sociale, budgétaire. Les Etats sont souverains. Mais elle devra juger du caractère compatible avec la solidité de la zone euro des différentes approches suggérées.  Par exemple elle pourra alerter sur le caractère insoutenable d’un plan de type Jospin de réduction du temps de travail et d’un plan de type Schroeder d’amélioration de la compétitivité.

En cas de désaccord persistant, elle proposera des arbitrages à l’Eurogroupe qui reste seul  décideur, sous la direction définitive du conseil des chefs d’état.

  1. Comment régler le problème démocratique

Le chancelier étant un coordinateur et non pas un dirigeant  exécutif, le problème démocratique se pose moins  directement qu’en cas de création d’un gouvernement économique.

Néanmoins, il travaillera avec trois comités parlementaires, formé d’un délégué de chaque pays de l’Eurosystème, les grandes puissances (plus de 60 millions d’habitants)  bénéficiant de deux délégués. Le comité monétaire, le comité budgétaire et le comité social assureront le contrôle et la liaison des travaux de la chancellerie dans ces trois domaines. Ce ne sont pas des instances de décision mais d’information et de concertation avec les parlements nationaux.  

Comme on le constate, il ne s’agit aucunement d’un Sénat structurel et institutionnel, s’ajoutant aux instances constitutionnelles déjà  lourdes de l’Union Européenne. 

On peut imaginer que chaque parlement mettra en place une commission euro  dont les trois délégués de commission seront membres statutaires. Ils éclaireront les députés sur  les problématiques courantes au sein de la chancellerie.

  1. Un tel dispositif aurait-il été favorable entre 1998 et aujourd’hui ?

On est bien obligé de l’affirmer. Toutes les dérives qui ont mené à la crise aurait pu être mises au premier plan de l’actualité et probablement jugulées.  Les politiques sociales incompatibles entre l’Allemagne et la France auraient été dénoncées, ainsi que la légèreté grecque ou les dérives d’endettement de l’Irlande,  la folie immobilière espagnole et portugaise etc.

La folie des changes flottants et de l’accroissement global de la dette dans une économie mondiale baudruche  aurait été vertement critiquée  et une pression constante vers une réorganisation du système monétaire international aurait pu être assurée.

Après avoir lancé l’alerte pendant des années, l’Europe serait mieux à même d’exiger les corrections nécessaires.

On n’aurait pas eu besoin de faire appel au FMIpour régler le cas grec. Tout aurait été géré (diagnostic, plan, supervision, intervention, contrôle) par la chancellerie.

  1. La chancellerie : une institution évolutive

Il est possible d’envisager à terme des évolutions puissantes :

-          L’Europe devrait être représentée d’une seule voie par la chancellerie au FMI et obtenir des droits proportionnés à sa puissance économique. L’Eurosystem est le système mondial le plus puissant dans bien des domaines (production, PIB, épargne, commerce extérieur etc.). Il est clair que la gouvernance du FMI devrait en être changé. La direction générale  du FMI devrait être réservée à un membre  appartenant systématiquement à la  zone euro.

-          Certains instruments d’intervention sur les marchés financiers pourraient, à terme, être gérés  directement par la chancellerie comme des bons communautaires redistribués en fonction des nécessités budgétaires agréées des nations composantes.

-           

  1. La liaison avec le reste de l’UE n’est pas compliquée et plutôt saine et très évolutive. .

Bien sûr la Commission perdra le contrôle budgétaire qui lui est actuellement confié d’une façon totalement anormale. Les institutions de la zone Euro doivent être propres à la zone Euro.

De même la commission perd tout rôle monétaire, de fait ou de droit.

Eurostat devra composer avec le département statistique de la chancellerie.

Le parlement Européen a son mot à dire sur rien,. Ce n’est pas de son ressort, s’agissant d’une politique commune à une partie seulement de l’Union.

Si un jour, lointain, tous les pays de l’Union devaient rejoindre l’eurosystem, la chancellerie s’inscrirait facilement dans une structure fédérale élargie, avec un sénat européen, issu des parlements nationaux, complétant le Parlement Européen.

  1. La création d’une chancellerie ne demande pas de changements majeurs des traités.

Elle peut être décidée par l’Eurogroupe sans grosse difficulté. S’agissant d’une instance de coordination, les problèmes de souveraineté ne sont pas majeurs. Dans un premier temps les pouvoirs spécifiques sont modestes et ne remettent pas en cause la souveraineté de quiconque.

Les points de frottement institutionnel concernent la banque centrale et le contrôle budgétaire de la Commission. On peut très bien démarrer sans changer immédiatement les institutions et pratiques existantes.

Un accord entre Allemands et Français permettrait une initiative commune qui serait extrêmement difficile à contrer, d’autant plus que ces deux pays pourraient mettre en œuvre l’institution  entre eux sans attendre l’accord des autres, qui seraient obligés d’y venir assez rapidement, le chancelier, même réduit à sa double casquette franco-allemande, aurait du poids sur tous les problèmes en cours.

En fait, s’agissant d’une proposition logique (alors que toutes les autres sont contradictoires, controuvées ou impossibles)  qui s’inscrit dans la durée et la rationalité d’une zone de monnaie unique, et qui ne remet pas en cause de façon majeure la souveraineté des Etats membres (puisqu’il s’agit d’une instance de coordination, de suggestion et de contrôle, sans pouvoir exécutif sinon dans le champ de la politique monétaire et financière), elle ne créé aucune opposition doctrinale ou nationale forte. 

  1. La France s’honorerait de prendre l’initiative de la création d ‘une chancellerie.

Bien sûr, cela impliquera qu’elle devienne une nation proposant une politique économique sérieuse, ce qui n’est pas encore le cas. On peut craindre  que l’Allemagne et les autres candidats exigent quelques ajustements structurels avant d’accepter de jouer le jeu. Comme on doit de toute façon les faire, mieux vaudrait les lancer tout de suite et faire notre proposition.

Ce serait plus utile que de revenir à une politique de la demande après avoir annoncé une politique de l’offre et de reculer sans cesse devant les changements indispensables, tout en cédant à toutes les revendications catégorielles qui passent. Ce serait moins Jocrisse que de proposer des sauts fédéraux  intenables et par ailleurs contraires à la souveraineté élémentaire  des nations.

Commentaire
DvD's Gravatar Juppé est "le meilleur d'entre nous". Ce qui en l'occurrence veut dire qu'il est champion de saut de haies parmi ceux qui parviennent juste à sauter au dessus de leur règle posée par terre. Les électeurs français ont la chance de pouvoir choisir le capitaine de l'équipe de France parmi des champions de ce calibre. Ce que l'on appelle, par abus de langage, la démocratie.
# Posté par DvD | 07/08/15 16:20
DvD's Gravatar Parfaitement clair, convaincant et opérationnel.

Mon commentaire ci-dessus concernait bien sûr l'article sur les mémoires de Jacques Chirac, qui à l'époque m'avaient fait la même impression qu'à vous. Désolé de la méprise.
# Posté par DvD | 11/08/15 00:38
DvD's Gravatar S'agissant de la valeur externe de l'Euro, il ne va pas être facile au futur Chancelier de défendre le cours actuel de l'Euro qui n'a cessé de baisser ces 12 derniers mois alors même que la balance courante de la zone euro vis à vis du reste du monde devenait de plus en plus excédentaire (la France est désormais un des rares pays de la zone en déficit de balance courante). La zone euro qui est la zone économique au monde où le chômage est le plus élevé, autour de 12% de la population active, ne va pas pouvoir régler ce problème uniquement en l'exportant vers l'extérieur, sauf à générer des tensions géopolitiques importantes. C'est là un défaut essentiel de la stratégie allemande. De ce fait, la légitimité du Chancelier de la zone Euro à exiger un système mondial de taux de change fixes et ajustables visant à garder les balances courantes proches de l'équilibre me parait devoir être faible en l'état actuel des choses.

Par ailleurs, la Chine dévalue à son tour, bien qu'elle aussi en excédent courant important, pour tenter d'enrayer un crash boursier qui n'est que la conséquence d'une bulle financière voulue et encouragée par les autorités (allez comprendre...).

Que deux zones économiques majeures comme la Chine et la zone Euro dévaluent bien qu'en excédent courant important vis à vis du reste du monde ne peut que s'apparenter à un transfert de l'essentiel du poids de l'ajustement de l'excess debt mondiale vers les Etats-Unis. Loin de pouvoir remonter les taux d'intérêt et d'amorcer la normalisation de sa politique monétaire comme elle essaye de le faite croire pour préserver le peu de crédibilité qu'il lui reste après les médiocres résultats obtenus par sa politique ultra-accomodante, la banque centrale américaine ne va pas tarder à devoir répliquer et à reprendre ses émissions monétaires pour tenter de faite baisser le dollar.

Bref, le dérèglement monétaire mondial continue de plus belle, sans la moindre petite avancée depuis 2008.
# Posté par DvD | 12/08/15 22:59
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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