La croissance en (faux) procès
Après que plusieurs indicateurs ont marqué définitivement la fin de l’espoir d’une croissance en France au premier semestre 2014, la presse ne désemplit pas d’hymnes aux théories de la décroissance heureuse. Comme si le moral des Français devait être préservé malgré les pires nouvelles, en cette période estivale caniculaire à Paris. « C’est moins grave que si c’était pire. Une croissance stoppée peut-être un bienfait ! ».
« Le 1 », le curieux journal de Fottorino, est allé le plus loin dans l’exercice en consacrant sa dernière livraison à la « Croissance, pourquoi il ne faut pas y croire ». Dans Le Point, ce sont les opus de Zygmunt Bauman, « Le coût humain de la mondialisation », « La vie liquide », « La société assiégée » et le dernier « Les riches font-ils le bonheur de tous » qui sont mis en vitrine.
Il est amusant de se pencher sur les arguments avancés contre l’idée même de croissance.
- La religiosité : la croissance serait une religion.
« La croissance. Mot fétiche qui résonne comme une incantation ».
« Ne pas troubler la communion des fidèles ».
« On se trouve face à une forme de religion ».
La croissance devrait « guérir tous les maux de la société ».
« La croissance fait office de panacée »
« La croyance en la croissance est plus forte que le savoir »
« Un faux Dieu »
« Elle a tout d’un dogme »
« Un mot magique »
« Il faut dénoncer le culte de la croissance pour la croissance »
- L’atteinte aux libertés et au vivre ensemble
« Parler de décroissance serait obscène », comme il l’était de parler de certains sujets au XIXème siècle pudibond.
« Il faut transformer en marchandise la nature et les relations sociales » pour obtenir de la croissance.
« Il faut oublier nos griefs, nos particularismes ». La croissance nous dépossède de nous-mêmes.
L’usine ou le bureau : « Un lieu carcéral »
« …dans le jeu sans fin du désir d’être au-dessus des autres, un jeu où se tenir les mains et se passer les menottes, où l’étreinte amicale et l’incarcération, tendent à se confondre ».
La croissance crée « des besoins qui nous asservissent ».
Il faut « défier une féodalité ».
« Elle traite le monde et tous ses objets animés ou inanimés comme autant d’objets de consommation ».
- L’illusion
Une augmentation du PIB n’entraîne aucune amélioration du « bien être subjectif moyen », « alors à quoi bon ».
« La décroissance des ressources naturelles va faire décroître les productions qui entretiennent l’illusion d’un avenir meilleur ».
La croissance « a un coût exorbitant ».
Le goût de la croissance n’existait pendant les « 30 Glorieuses » que parce que « les privations de la guerre l’avaient exacerbé ».
« On ne peut croître à l’infini sur une planète aux ressources finies ».
En rajoutant dans le concept du PIB la prostitution et autres activités déplorables, on aura « 10% de PIB supplémentaire ». C’est bien la preuve d’une amoralité consternante du PIB, non ?
Si la croissance revenait, aurait-elle le même effet que celle des trente glorieuses : « certainement pas ».
« J’ai compris que nous menions un mauvais combat en chevauchant les illusions de la croissance ».
La croissance est « un alibi ».
- La course à l’abîme
« Je suis un objecteur de croissance ».
« Vivre mieux avec moins ».
En arrière-plan de la croissance : « des injustices sociales dont l’ampleur s’étend, au milieu d’une nature amochée, de déchets à foison, de pollutions multiples ».
« La croissance des plus riches est au prix de la relégation humaine, du chômage et de l’exclusion »
« La grogne sociale et la mise en danger de nos écosystèmes seront accompagnées d’effets encore plus dramatiques » [famines, guerres].
« Avant le chaos qui s’annonce ». Il faut faire en sorte que « les gens cessent de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas pour des choses dont ils n’ont pas besoin ».
« La frénésie suicidaire du productivisme ».
« L’autre défi est la menace de devenir un déchet ».
Comme on le constate, nous ne sommes pas dans l’analyse rationnelle mais dans la disqualification.
Les tenants de la croissance sont des agents du mal.
On utilise les ressorts de l’anticléricalisme pour les interdire de paroles et surtout isoler le bon peuple des mauvais prêtres. Pertinence ? Zéro.
On utilise le réflexe révolutionnaire contre l’Ancien Régime. Pertinence ? Zéro.
On utilise la crainte de l’apocalypse, ce qui est un outil habituel des religions, pour terroriser les craintifs. Pertinence ? Zéro.
En qualifiant d’illusionnistes les tenants de la croissance, on les assimile à des charlatans et on les prive de crédibilité tout argument qu’ils pourraient présenter. C’était traditionnellement le rôle des imprécateurs. Pertinence ? Zéro.
En plus ce sont des « salauds » au sens sartrien du terme (voyez les inégalités) comme au sens propre : voyez les atteintes à l’essentiel de la vie. Pertinence ? Zéro.
En un mot tout économiste qui souhaite la croissance est un dévot, un pudibond, un antirépublicain, de surcroît antisocial, mal intentionné et stupide jusqu’à l’idiotie, et qui nous conduit tout droit en enfer.
Si ce genre de propos nourrissait la réflexion et la recherche de bonnes solutions, tous les lecteurs de ces articles anti-croissance seraient déjà au Paradis depuis longtemps.
Lancer des anathèmes, disqualifier des adversaires mythiques, les vilipender sans retenue, sont de ces méthodes qui visent l’émotion plutôt que la raison, et animent la guerre idéologique et psychologique.
Mais comment pourraient-elles convaincre ?
Tous les anathèmes se retournent comme des crêpes.
Religion ? Ce sont les religions qui ont toujours prôné la sobriété et les vertus dont l’abstinence. Jusqu’ici, c’était des prêtres ayant fait des vœux d’abstinence qui prêchaient, en mettant en avant leur exemplarité. Désormais ce sont des laïcs qui jouent les Savonarole.
Atteinte aux libertés : la décroissance organisée porte nécessairement atteinte aux libertés et notamment à tous les droits issus de la révolution française.
L’illusion : celle de croire que les problèmes de l’humanité se résoudront en réduisant la production et la richesse est sérieuse.
Course à l’abîme : engager le monde dans une décroissance volontaire est le faire retomber dans les abîmes d’où il a émergé. Le paradis perdu n’existe pas.
Faut-il répliquer comme dans les cours de récrés : « c’est celui qui le dit qui l’est ! ».
Les contradictions internes sont tellement nombreuses qu’on n’en citera qu’une poignée. Tous ces gens crient haro sur les riches qu’il faut naturellement tondre à zéro. Mais pourquoi si la richesse est un malheur ? Qu’on les laisse dans leur géhenne ! Et pourquoi donner aux moins riches, contraints à l’emballante sobriété qu’on nous prêche et qui ne connaissent pas leur bonheur ? A partir de quel revenu s’embrasse-t-on sans se passer les menottes ? Et pourquoi diable une monnaie dite « locale » serait-elle meilleure pour l’humanité qu’une monnaie légale ? C’est l’émetteur de la monnaie qui construit le bonheur ou le malheur ? Ce n’est pas le bien qu’on acquiert et le service dont on bénéficie ? Qui est empêché de vivre en phalanstère ou en anachorète ? Pourquoi faut-il libérer la femme de sa condition de mère au foyer, alors que la vie familiale, le gynécée, était le dernier berceau d’une économie du don et de la gratuité ? Oui ou non faut-il « marchandiser » la vie de la femme en la versant dans le circuit économique de production de richesses supplémentaires ?
Naturellement, tous les lanceurs d’alerte sont bienvenus. Personne ne défend la destruction des sols et des insectes à une échelle telle que la vie peut s’en trouver altérer. La surexploitation des océans est un scandale que nous-mêmes dénonçons depuis…1974 et les premiers ratissages des fosses profondes. La pollution de l’air et de l’eau sont des sujets sérieux. La société doit être observée et critiquée. Nous-mêmes ne manquons pas de contribuer à cet exercice. Toute pièce a toujours son revers et chaque étape du développement amène son lot de difficultés.
Reposer inlassablement la question des valeurs, du bien et du mal, de la nature et du destin de l’homme est parfaitement légitime. Comme l’écrit feu Dominique Venner, Homère nous « a légué à l’état de condensé ce que la Grèce antique a offert par la suite à la postérité, le respect de la nature sacrée, l’excellence comme idéal de vie, la beauté comme horizon ».
L’homme doit se méfier de l’Hubris.
Mais qui parle aujourd’hui de détourner le cours des rivières à la bombe atomique, de multiplier les cités dortoirs, d’enlaidir le monde ?
Le développement, c’est-à-dire la capacité d’aller aussi loin que possible dans le progrès matériel et l’accès au plein emploi des capacités individuelles et collectives n’est ni une illusion ni une religion. Simplement une application légitime du génie humain.
Chaque homme, chaque collectivité, chaque nation et l’humanité toute entière est à son tour confronté à des défis qui demandent de lourds investissements. Etudes, travail, développement des capacités de relations humaines exigent des efforts. Construire une collectivité demande du temps et des ressources. Pensons à l’âge et aux maladies. Assurer un destin à l’humanité n’est pas sans frais. Qu’on pense aux activités spatiales. La paix coûte cher.
Sans développement, sans tension créatrice, rien n’est possible. Bien sûr il faut les asservir à un projet de civilisation. Mais pourquoi les diaboliser ?
Plus prosaïquement, il est impossible pour le monde de sortir de son sur- endettement actuel sans croissance.
La promotion des populations des blocs communistes réduites à la misère pendant 75 ans est nécessaire, en Bulgarie comme en Chine, en Ukraine comme en Pologne.
La démographie de certains pays, comme le Nigéria, qui sera plus gros que la Chine quelque part dans ce siècle, entraîne de lourdes difficultés ainsi que la croissance démographique globale.
La défense contre certaines entreprises mondiales contestables, comme l’hégémonisme américain, le nationalisme Han ou le goût de certains musulmans pour le califat et sa violence coutumière, se traduit par de multiples combats dont aucun n’est gratuit.
Alors oui, le PIB est une notion compliquée à manier (nous l’avons expliqué ici cent fois : voir « la parabole de l’esquimau »), certains modes d’organisation sont délétères, certaines attitudes compliquent tout.
Mais la croissance est nécessaire, pour longtemps encore. Que ce soit une croissance « maîtrisée », « durable », « sociale », ou soumise à tout qualificatif utile, d’accord. Mais pourquoi vouloir absolument tout arrêter en multipliant les anathèmes et les propos à l’emporte-pièce ?
Réfléchir, oui. Invectiver et dénigrer, non !
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |