Sexe des anges bancaires européens et risques systèmiques
La zone Euro a unifié la création de la monnaie "banque centrale" de ses membres. La crise financière a conduit a l'idée en apparence rationelle d'une unification de la supervision de la création de la monnaie de crédit, qui est, en valeur, infiniment plus importante. On parle donc d'Union Bancaire Européenne, avec une supervision centralisée à la BCE et un mécanisme de résolution des difficultés bancaires.
La gestion de tous les types de monnaies serait donc totalement fédérale.
A l'occasion de cet effort fédéraliste, conduit totalement à l'abri du regard des peuples, une idée a surgi : les banques doivent financer elles-mêmes la survie du système bancaire en crachant régulièrement une forme de prime d'assurance tout en sachant que ce sont les actionnaires, les prêteurs obligataires et une partie des avoirs déposés qui seront impactés en cas de faillite.
On souhaite abonder un fonds de 50 Milliards d'euros à terme pour compléter le dispositif.
La bataille, essentialiste et non technique, oppose actuellement les Etats, et notamment l'Allemagne, qui souhaitent conserver un oeil sur l'avenir de ses banques et ne pas tout laisser à la BCE, sachant qu'in fine c'est le contribuable qui servira de financier de dernier ressort pour le système bancaire européen dans son ensemble, et les européistes qui veulent immédiatement un système totalement fédéral et mutualisé.
En un mot le Parlement crie "l'Europe, l'Europe, l'Europe" comme un cabri et comme un seul homme, alors que le Conseil est sur une ligne plus réaliste, compte tenu des enjeux.
Gardons quelques ordres de grandeur en tête :
- Le fonds de garantie vise à récolter ( à terme !) 50 milliards d'Euros.
- Les fonds d'Etat mobilisés depuis 2007 pour sauver le système bancaire européen : 1.600 milliards d'Euros.
- Sauver le système financier (banques, assurances, etc.) a mobilisé près de 15% du PIB européen et 20% du PIB marchand.
- Essayer de mettre fin aux conséquences de la crise de la dette aura mobilisé en pertes cumulées pour les ménages et les entreprises, sur la période 2007-2017, probablement l'équivalent global d'une année de PIB.
Ce qui veut dire que tout ce qui se discute en ce moment et qui mobilise les idéologues, n'a strictement aucun sens pratique et porte un risque systèmique colossal.
Croire qu'avec le dispositif en cours de discussion on pourra réellement éliminer pour les Etats le soucis du système bancaire et d'un éventuel nouveau sauvetage est un énorme leurre. Croire que ce dispositif apporte une solution pérenne est une idiotie.
On l'a bien vu : la source de la difficulté n'est pas dans la banque mais dans un système global qui provoque mécaniquement un accroissement irresponsable de la dette. Ce sont les défauts cumulés d'un système monétaire mondial trop souple, basé sur les changes flottants et les marchés, sans contrôle des déficits et des excédents monstrueux de balances de paiement, et d'un système trop rigide en Europe qui ne permet pas les ajustements interétatiques dans la zone Euro, qui posent problème.
Ces deux causes majeures ne sont pas traitées. Et on croit que les mesures envisagées sont à la hauteur des risques ?
Les pertes mondiales associées à l'effondrement da la pyramide de crédits dégagés de tout rapport avec la production ont excédé 10.000 milliards de dollars. Ce qui veut dire que tout le système bancaire a été et reste en faillite virtuelle. On évite par des procédés d'urgence que cette faillite soit actée. Mais le sousjacent est malheureusement fort clair.
Les risques associés à une nouvelle crise sont de même ampleur voire plus élevés.On a vu que les mécanismes d'assurances crédit mis en place, notamment les CDS, concentraient les risques chez les gros assureurs et les fonds de pension. Ce n'est pas la petite prime de risque envisagée, d'un niveau ridicule par rapport aux échelles de pertes potentielles, qui aura la moindre importance.
En revanche revenir sur la doctrine qui a été la base du FDIC aux Etats-Unis, à savoir que l'effondrement successif des banques est automatique si on ne garantit pas les dépôts, est extrêmement dangereux.
Considérons bien la situation :
- on ne traite pas les causes de la crise
- on met en place un cautère pour jambe de bois
- on supprime le traitement qui avait montré son efficacité.
En revanche on s'affronte sur le sexe des anges européens, entre Etats qui savent bien qu'au final ce sont les contribuables qui seront sollicités, notamment dans les grands pays, et européistes à tout crin qui veulent profiter de la crise pour créer un "fait accompli fédéral".
Cela rappelle facheusement tout le débat sur Maastricht. Pas une réflexion sur la manière dont une zone de monnaie unique peut créer des dangers supplémentaires et notamment comment on règle la question du change extérieur et des déséquilibres intérieurs. En revanche on livre farouchement une bataille essentialiste entre souverainistes et fédéralistes.
Naturellement, pas un vrai débat technique dans les média. Il ne faut pas ennuyer l'auditeur.
Disons le clairement : tout ce qui concerne l'Union Bancaire Européenne est pour le moment une énorme farce mais avec bombes à retardement incorporées.
Le seul vrai débat qui compte est de savoir comment on peut éviter à l'avenir qu'on se retrouve avec la valeur d'un PIB compromise par des défauts majeurs d'organisation des systèmes monétaires. Se concentrer sur l'amplificateur des crédits, les banques, ne suffit pas. Il faut s'attaquer aux sources d'émission primaire de la dette globale. Et on ne le fait pas. En revanche, on crée de nouveaux risques pour permettre un accord fédéraliste.
Tout faux.
Comme pour Maastricht, c'est 20 ans plus tard qu'on s'en rendra compte. 20 ans trop tard.
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
La disproportion radicale entre les engagements des banques et le crédit des Etats qui sont les assureurs du crédit en dernier ressort montre ce qui va se passer avec la prochaine méga-faillite. Imaginons que l'immobilier de la Chine continentale fasse tomber HSBC. Londres n'aura pas la capacité politique de racheter la part des pertes de HSBC qui lui revient. La livre chutera ainsi que le dollar par rapport à l'euro. Le commerce extérieur de la zone euro sera asphyxié et les banques en euro obligées d'extérioriser leur pertes latentes intra-euro. L'économie réelle mondiale s'effondrera à cause de la guerre des changes et de l'assèchement général du crédit international. Les gouvernements nationaux n'auront pas d'autre choix que de mettre en place un contrôle des changes sur des zones monétaires nationales afin de stopper la fuite de la matière fiscale dans les paradis étrangers. Survivrons les banques qui seront nationalisées par un seul Etat et adossées à l'assiette fiscale nationale. Pour en arriver là, il faudra concéder une perte de 30% du PIB mondial correspondant à l'abandon des créances internationales non adossables à des accords de commerce et d'investissement international.
A ce jeu-là, les pays créanciers nets du monde enregistreront des pertes supérieures à 50% de leur PIB. La Chine s'offrira une nouvelle révolution et une armée franco-allemande débarquera dans l'Europe du sud pour se saisir d'actifs publics en collatéral des dépôts bancaires garantis aux épargnants de l'Europe du Nord...