Quelles leçons de l'échec d'Eric Zemmour ?
Que penser de l’aventure Zemmour ? Et où va-t-elle ?
Éric Zemmour a monté une opération politique à la hussarde qui a été très bien menée avec des résultats spectaculaires : montée initiale très haute dans les sondages démontrant un intérêt indiscutable des Français, création d’un parti sérieux en quelques semaines, avec des dizaines de milliers d’adhérents, souvent jeunes, campagne à l’ancienne de très belle qualité avec ancrage dans de belles images symboliques, quatrième place finale dans la course présidentielle, coiffée par trois démagogues bien installés dans le décor politique depuis des années. En passant il a démonté en partie le politiquement correct qui interdisait tout débat sur l’immigration, la construction européenne, les gaspillages de la politique de la ville, le gouvernement des juges, le Wokisme, donnant de l’ampleur à son travail idéologique permanent depuis des lustres.
Beaucoup se contenteraient d’un tel bilan. Philippot, Asselineau, Dupont-Aignan, Lassalle et quelques autres auraient été ravis de faire aussi bien.
Néanmoins tout le monde analyse les résultats comme un échec cinglant et quasiment définitif. Il est vrai que les élections à venir desservent un parti naissant lorsqu’il a échoué à tenir la présidence de la République. Depuis l’élection du Président au suffrage universel, c’est la présidence ou rien. Reconquête s’apprête à une longue marche dans le désert car toutes les élections à venir sont structurellement défavorables à un parti naissant. Aux législatives, en l’absence d’alliances permettant d’aller à 50 % dans de nombreuses circonscriptions, c’est la mort assurée. Les municipales et régionales offrent une prime aux sortants importante. Les Européennes sont biaisées par leur caractère de messe européiste qui ne permet pas d’exprimer une position nationale.
La justification de l’échec est usuellement le déclenchement de la guerre en Ukraine, phénomène conjoncturel qui aurait cassé la belle mécanique. Cette interprétation est un peu courte et on peut percevoir des causes structurelles fortes dans les résultats du scrutin par départements.
La base des élections est toujours sociologique. Ce sont bien des individus autonomes et pensants par eux-mêmes qui votent, mais ils se regroupent généralement en cohortes sociologiques assez marquées. Le scrutin a découpé la France en trois zones. La zone des grandes villes qui a voté en masse Macron. La zone des départements en difficulté parce que frappés par la désindustrialisation qui a voté le Pen. La France des banlieues et des implantations musulmanes qui a voté Mélenchon. Chaque ensemble avait un chef indiscuté, et des thèmes adaptés. La congruence de l’ensemble a fait le vote. Trois blocs massifs, à côté d’un autre bloc, celui de ceux qui ne veulent pas manger de ce pain-là, avec ces gens-là, compte tenu de la médiocrité de leur inspiration et du caractère catastrophique de leur gestion ou de leur projet.
On voit que le projet d’Éric Zemmour ne s’inscrit dans aucun des trois blocs. Son ambition est transversale. Sauver la France, c’est censé en appeler à la conscience de tous. Sauver la France en virant les Musulmans, c’est toutefois gravement réduire la portée de ce « tous ».
Pouvait-il trouver une stratégie gagnante face à ceux qui vont désormais dominer le champ politique pour plusieurs années : populisme électoraliste et narcissique appuyé sur le n’importe quoi énarco-atlantico-européo-centriste, populisme national et socialiste d’extrême-droite, et populisme islamo-gauchiste-woke ?
Les prochaines années seront très difficiles, à cause des conséquences de la guerre en Ukraine, de la montée des dictatures, de la remise en cause des échanges internationaux, du coût délirant de la prétendue transition énergétique, des dangers pour les libertés de l'écolo-fascisme et des passes-CO2 (voir la folie du ZAN et des décrets liberticides du jour !), des risques d’effondrement économique. Tout cela va certes créer des ouvertures pour les opposants aux élites en place. Mais le caractère radical et stupide des mouvements stimulés par ces difficultés va rameuter les affolés autour du pouvoir. Bienvenue dans la nef des fous de rage et des fous de trouille.
Dans un tel contexte, pouvait-on imposer un projet transversal, c’est-à-dire traversant toutes les strates sociologiques ? Sauver la France, c’est censé en appeler à la conscience de tous, sans distinction de classes, de religions et de races. Sauver la France en virant les Musulmans, c’est toutefois gravement réduire la portée de ce « tous ». Une première contradiction. Et les Français ont choisi de se concentrer sur la fin de mois plutôt que sur la fin du monde ou sur celle d’une France traditionnelle.
Zemmour s’est heurtée à cette réalité fondamentale, qui a été rendue encore plus présente et solide par les menaces sur le pouvoir d’achat en provenance de l’Est. Il a également commis des erreurs : il ne faut suivre qu’un seul objectif. Si c’est sauver la France, ce n’est pas unir les trois droites du moment mais rassembler tous les Français ! De Gaulle l’avait bien compris. L’UNR visait l’union autour de la nouvelle République après la faillite de la quatrième. Si c’est sauver la France, le programme ne peut pas être seulement identitaire. Le grand déclassement suppose une ampleur dans les réformes qui ne s’est pas manifestée. Il faut en particulier sortir du socialisme, de l’étatisme et limiter certaines conséquences délétères de l’Union Européenne et de l’organisation monétaire et commerciale mondiale.
Si c’est sauver la France, on ne peut pas rigoler à tout propos et multiplier les gloussements. Une certaine gravité s’impose. Une paire de lunettes ne suffit pas !
Et pourtant, Zemmour avait vu juste : l’idéal serait bien qu’un mouvement se lève pour « sauver la France ». Tout le monde a compris que ni Le Pen, ni Mélenchon, ni Macron, ne peuvent ni ne veulent sauver la France du grand remplacement et du grand déclassement. La question était de savoir si les Français le veulent. Si on en croit ce scrutin, c’est loin d’être certain. De plus en plus de commentateurs constatent qu’ils acceptent leur sort. Féminisme outrancier, promotion des transgenres, inégalité positive, écologie délirante avec destruction des activités dans les grandes villes, surimposition, dettes à gogos, durée de travail faible, retraites abusives, dépenses de santé incontrôlées, quoi qu’il en coûte, bureaucratie étouffante, « cela ne coûte pas cher, c’est l’état qui paie », européisme et perte d'indépendance, décroissance, envahissement africain, rien de tout cela ne les gêne vraiment. Du moment que cela ne touche pas trop le pouvoir d’achat et le confort de vie.
Il faudrait que cela pète vraiment pour que soudainement les masses électorales s’avisent qu’il faut reconstruire le pays d’urgence en refusant les évolutions délétères et les demi-mesures.
En attendant Macron ne fera jamais croire à son mouvement de « renaissance ». Il est amusant de théoriser qu'après cinq ans de mandat macroniste, il lui faille faire « renaître » le pays. On nous a tués et on ne nous en a rien dit ? La famille le Pen est sans importance et Mélenchon n’est un danger que si la France s’effondre radicalement. Donc il n’y a pas de solution pour la France dans les trois mouvances qui ont dominé l’élection présidentielle ! Il va bien falloir sortir de cette impasse un jour ou l’autre ?
Zemmour a eu le grand mérite de casser des blocages majeurs du politiquement correct. Ses idées ont frappé les esprits mais pas encore le paysage électoral. Réussir à créer un parti qui devienne majoritaire électoralement sur les bases de départ de Reconquête seul paraît utopique mais aurait sa logique si l’approche initiale était corrigée et densifiée.
Le seul conseil que l’on peut donner à Zemmour est de chercher une alliance avec ceux qui dans LR cherchent à bâtir une alternative au néant « attrape-tout » et « règle-rien » du macronisme et pas seulement des places. Du côté de Le Pen, il ne trouvera que du chardon et un effondrement d’image définitif comme idiot utile du lepénisme.
La suite va certainement montrer la nécessité que se lève un mouvement qui ait enfin sur les dix grands sujets nationaux critiques une position forte et comprise du grand public. Bâtir cette adhésion avec d’autres est la seule raison de survivre de son aventure politique. Mais le préalable est d’oublier le Pen et d’essayer d’unir le maximum de Français. Entouré comme il l’est uniquement de transfuges du RN, on peut douter qu’il en prenne le risque.
Dommage.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Quels sont selon vous les dix grands sujets nationaux critiques ?
Merci
Question intimidante mais qui devrait avoir fait le fond des élections présidentielles et qui ont été évacuées avec une formidable dextérité par toutes les parties en présence, sinon, à l'automne pour deux ou trois d'entre elles par Eric Zemmour. Je vais y répondre directement dans le prochain billet.