Devises : un faux marché !

Combien de fois avons-nous entendu ou lu que le marché des devises, et a fortiori son résultat, les taux de changes, était le prototype d'un vrai "marché" où des millions de décisions venaient se confronter permettant aux libertés économiques de jouer pleinement et d'exercer leur pouvoir bienveillant, guidées par la "main invisible" de l'intérêt.

Les changes flottants, c'est-à-dire le cours des monnaies laissé à la libre appréciation des agents économiques "sans intervention" des Etats, sont désormais considérés dans la presse comme un état de nature, au-delà de toute critique. Aucune appréciation contraire n'est acceptée dans les médias de la PQN. Le sujet est non seulement peu vendeur mais tabou. Pas un "prix Nobel d'économie", pas un "grand économiste" qui s'écarte de cette idée : "nous ne sommes pas capables de définir à priori le cours d'une devise. Seul le marché a raison. Les Etats qui interviennent n'ont rien compris car on ne peut rien contre les marchés qui sont plus forts que tous les Etats, même le plus grand".

Ces doctrines tournent à la farce. Tout est faux, de A jusqu'à Z.

On le voit très bien en ce moment pour peu qu'on se donne la peine de regarder.

Il se trouve que les autorités de contrôle, un peu partout en Occident, ont fini par se rendre compte que tous les marchés monétaires et financiers avaient été largement manipulés. Ils ont enquêté et confirmé qu'il y avait bien eu manipulation. Tiens-donc : les "millions d'intervenants" pouvaient donc être  manipulés par quelques banques alors que les Etats seraient impuissants ?  Bizarre ? Non, pas bizarre. Car on s'est vite aperçu que le marché des changes était tenu par trois banques réalisant 50% des transactions et que 90% de leurs transactions étaient le fait d'ordinateurs et de progiciels de gestion instantanée des tendances. En un mot, trois gus avec leur ordinateurs réalisent 50% des transactions.

Là-dessus on a vu la BNS doubler ses encours d'émission de FS pour contrer la hausse de la devise, et la Banque du japon effondrer sa monnaie. On a vu qu'un seul propos de la FED pouvait amorcer une dégringolade des devises des pays émergents avec des chutes plus que significatives puisque dépassant 40% dans bien des cas comme la Roupie indonésienne ou le mois dernier le peso argentin, la banque centrale argentine intervenant pour mettre fin à la spirale descendante. On a vu qu'un discours de M. Draghi pouvait arrêter durablement un train de spéculation sur l'Euro. Une voix serait plus forte que "des milliards d'actes quotidiens".

Bref, on a vu que le marché des changes étaient tout sauf un marché parfait. C'est un marché de spéculateurs et de régulateurs où la manipulation est partout présente et qui ne correspond à rien sinon à donner l'exemple caricatural d'une instabilité chronique associée à des marchés purement spéculatifs et dotés d'instruments de spéculation concentrés entre quelques mains.

L'Europe a renoncé à utiliser le levier des changes et le change de l'Euro est la variable d'ajustement de toutes les spéculations et manipulations qu'elles proviennent des états ou des intervenants principaux.

Il s'agit d'une faute contre l'esprit autant qu'une sottise économique.

Certains ont affirmé que contrôler les grandes opérations contre les monnaies était impossible. Si la loi internationale  interdisait le "short" des monnaies à partir de fonds rassemblés à cet effet (en général des crédits bancaires atteignant des montants fous) avec des sanctions extrêmement lourdes pour tous les complices, il n'y aurait pas de nouveaux Soros se vantant d'avoir fait fortune sur le dos de la Livre anglaise.

L'examen de la réalité, et il n'y a pas besoin de microscopes, montre bien que toute la théorie qui fonde actuellement la gestion internationale des monnaie est substantiellement fausse et controuvée. Rappelons que la double hélice des crédits qui est à l'origine du gonflement maladif des dettes globales ans le monde, elles mêmes responsables du désastre économique actuel, est la fille des théories sur la nécessaire abstention des Etats dans la gestion des balances de comptes extérieurs.

C'est tout un pan du credo qui prévaut depuis 1971 qui est à démolir et à reconstruire sur des bases différentes.

Volcker vient de dire qu'il fallait une monnaie mondiale. C'est l'idée que nous avons exprimée dans notre article "en route vers le Mondio", il y a 5 ans maintenant. La monnaie unique montre bien que cette idée, pour être efficace, doit être complétée par des modes de gestion opérationnels permettant un pilotage au jour le jour. Les normes ne suffisent pas.

Malgré l'évidence, rien ne bouge sur ces sujets essentiels. La leçon fondamentale de la crise n'est pas tirée.

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
S du Jonchay's Gravatar C'est tellement évident ce que vous dites pour les 3 gus qui contrôlent le marché des changes... Et en plus, avec les ordinateurs c'est hyper-simple. Un seul petit ordinateur personnel fait le marché entre les trois opérateurs établis qui se sont ouverts réciproquement des lignes de crédit illimitées pour créer les positions de marché qui leurs sont avantageuses aux dépens de tous les autres. Aux dépens des autres puisque telle est la loi d'équilibre du marché fictif des changes.
Si les États, qui ne veulent plus exister dans la religion féroce du marché, s'avisaient de redevenir ce pour quoi ils sont faits, il suffit désormais que trois d'entre eux s'ouvrent des crédits budgétaires illimités dans leur monnaie respective pour tenir ensemble un équilibre des changes qui garantisse la solvabilité de tout État de droit respectueux de la démocratie. Trois États de droit démocratiques suffisent à créer la chambre de compensation en mondio calée sur le schéma du bancor de Keynes proposé en 1944.
Les trois États :
1) définissent leur monnaie comme l'unité de compte du prix du travail domestique qui rende toute dette interne ou externe remboursable par la production engagée et les exportations nettes qu'elle implique ;
2) introduisent dans leur budget public une ligne de crédit inter-étatique conditionnée à l'adoption constitutionnelle de la définition de la monnaie en prix du travail destiné au remboursement de toute dette ;
3) créent une société internationale des États démocratiques propriétaire de l'ordinateur de compensation où sont inscrites les lignes de crédit budgétaire en monnaie nationale finançant la masse monétaire internationale en mondio ; la somme des allocations budgétaires nationales est le capital nominal variable en mondio de la chambre de compensation internationale du droit national convertible des démocraties ;
4) mettent en commun dans la société internationale de compensation une fiscalité financière déléguée dont le taux s'applique à toute transaction selon la position que prend le pouvoir judiciaire de chaque État sur le prix de la légalité à terme de l'objet sous-jacent, c'est à dire le prix réel juste du nominal à l'échéance livrable en compensation.
La chambre de compensation en mondio est donc dépositaire de la définition juridique contractuelle dans tous les droits nationaux de tous les nominaux légalement garantis des objets sous-jacents aux transactions. Dans les trois États fondateurs du mondio, la garantie internationale d'un nominal signifie qu'une personne physique est caution de l'existence engagée d'un travail par quoi le bien déposé est effectivement livrable conformément à sa description juridique au prix compensé dans la chambre internationale.
Si trois pays souverains réellement démocratiques se portent mutuellement garants du remboursement de toutes leurs dettes collectivement et financièrement fiscalisées en effectivité de leur travail domestique, alors tout bien réellement livrable à des personnes physiques engagées et garanties en monnaie nationale, acquiert en mondio sont prix réel légal. Le prix nominal en monnaie nationale exclusivement convertible en mondio contient pour chaque échéance livrable trois primes réglées à trois catégories de garant de l'acheteur final débiteur du prix nominal net. Les 3 primes sont la prime de crédit (CDS), la prime de capital (marge sur prix de revient au propriétaire) et la prime de change qui est la taxe sur la valeur ajoutée répartie entre l’État national garant de la justice et la société internationale de compensation garante de la démocratie dans les transactions financières.
La chambre de compensation en mondio ne change strictement rien aux mécanismes financiers actuels ni aux algorithmes de prix en vigueur. Elle opère juste une transformation de la jungle en marché. Au lieu de négocier des fictions spéculatives hors des droits nationaux vérifiables, la compensation rattache tout nominal négociable en mondio à un Etat souverain garant de la légalité. La légalité financière est présumée ne pas exister si l'entreprise qui produit n'est pas identifiée dans la compensation en mondio avec un capital négociable en monnaie nationale pour assurer la réalité licite de tous les engagement à terme de vente et d'achat.
Enfin, un nominal domicilié sous un État assureur et une entreprise créditrice en capital reste non négociable si n'est pas identifiée et assurée, la personne physique qui travaille à la livraison effective à l'échéance du bien sous-jacent vendue en compensation. Le vrai marché qui n'est actuellement que fiction spéculative prédatrice, est donc un marché internationalement compensé des changes, du capital, du crédit et du travail. Un vrai marché ne peut être qu'un marché du droit du travail assuré par le travail de remboursement des dettes monétisées dans des lois nationales.
Depuis la révolution industrielle, le marché globalisé du libre échange est une anarchie politique pure et parfaite. Le monopole du dollar convertible en or instauré à Bretton Woods a périclité du fait que la justice étatsunienne était inapplicable aux dollars circulant hors des États-Unis. Les dettes internationales des Étatsuniens ont explosé hors de toute limite rationnelle. Les changes flottants depuis 1971 déconnectés de toute réalité tangible vérifiable sont juste une dogmatisation de l'économie de l'injustice nécessaire. Faut-il une troisième guerre mondiale ouverte pour revenir à une économie de la justice ?
# Posté par S du Jonchay | 25/01/14 13:14
DvD's Gravatar Que les principales banques mondiales manipulent les marchés financiers à leur profit me semble tout à fait plausible. Il est extrêmement tentant pour les desks de trading pour compte propre de pré-empter les ordres des clients.

Que les Etats / Banques Centrales manipulent le taux de change de leur devise semble certain : il suffit d'observer en ce moment même le nombre de dévaluations et la généralisation des politiques de quantitative easing à travers le monde dans un effort désespéré pour refiler le mistigri de la dette excédentaire aux voisins et partenaires commerciaux. Soros aurait bien du mal aujourd'hui a refaire son coup de la Livre Sterling, tous les Etats semblent maintenant vouloir faire baisser leur devise... Ils n'achètent pas leur devise pour en défendre le cours, ils en impriment des tombereaux pour la faire baisser.

Plusieurs choses cependant ne me semblent pas clair avec une monnaie mondiale (qui par ailleurs existe déjà avec les DTS du FMI) : comment se détermine les taux de change nationaux vis a vis de la monnaie mondiale ; comment s'ajuste dans le temps les déséquilibres de balance courante ; qui conduit la politique monétaire de la monnaie mondiale ?

Autant de questions qu'une monnaie régionale comme l'Euro a également soulevé avec son expérience quelque peu différente du scénario idyllique initialement envisagé.

Merci
# Posté par DvD | 26/01/14 10:30
DD's Gravatar Il en va des libertés comme de toutes les forces de la nature. L'eau est nécessaire à la vie mais elle peut inonder, tout emporter sur son passage ou …disparaître.Depuis les premiers efforts organisés des hommes elle a été canalisée pour servir durablement.

L'air est nécessaire à la vie, mais il peut être vicié ou souffler en tempête. Il a fallu autant que possible le domestiquer.

La terre est nourricière mais tremble à l'occasion et se fâche. 'agriculture est une des premières initiatives de l'homme, pour de bonnes raisons.

Les libertés proprement humaines sont tout aussi nécessaires à la vie mais doivent être également organisées pour qu'elles n'emportent pas tout.

En matière de monnaie, le meilleur système est celui qui canalise le mieux les flux de capitaux pour qu'ils servent l'intérêt général.

Au sein d'une nation on a généralement imposé la monnaie unique. On aurait pu laisser s'exercer le choix des consommateurs sur un panier de monnaies. Certains le pensent encore, en considérant le mauvais usage de la monnaie fait par les rois et les gouvernements : du rognage des pièces jusqu'aux diverses inflations plus récentes, les exemples ne manquent pas. On peut également préférer des monnaies "sociales" ou des Bitcoins.

Dans la pratique la messe est dite. Ce sera une monnaie unique mais pilotée par l'Etat, l'attention étant portée à la qualité du pilotage. La responsabilité de la banque centrale est complétée par l'action des différentes politiques notamment budgétaires pour que l'équilibre de la société reste sous contrôle et sa prospérité stimulée.

Créer une zone de monnaie unique dans un ensemble plurinational était un pari d'une autre importance. Car on ne peut pas tout laisser à la responsabilité d'une banque centrale commune (Une banque centrale, comme les psychanalystes, ne soigne que les problèmes qu'elle a créé). Il faut une coordination au jour le jour des politiques générales des états en même temps qu'une surveillance des relations extérieures. On a préféré par idéologie (et pour ne pas faire tout de suite un saut fédéraliste) un système de gestion par la norme en abandonnant toute coordination politique et en laissant à la dérive le taux de change. Ce système est calamiteux. Il a volé en éclat à la première récession décennale, forçant tous les États à se coordonner, tout en rendant coercitifs les normes.

L'ennui, c'est qu'en absence de régulation européenne, les ajustements se font par la récession dans le pays le plus faible. Cette méthode est barbare et destructrice. Il eut mieux valu un système de monnaie de référence avec des possibilités d'ajustement nationales, qui était notre proposition de choix à l'époque de Maastricht, mais qui a été écarté d'un revers négligent de la main par les européistes qui pensaient qu'en effet le système était provisoire mais que ses défauts mêmes permettraient de passer sans problème à la phase d'après. L'Europe paie durement cette erreur et cette intention.

La solution est soit de créer comme nous le proposons un poste de Chancelier de l'Euro mais dans un cadre démocratique et non celui de la Commission, soit de conserver l'Euro comme monnaie de référence avec des monnaies locales ajustables, soit d'abandonner l'Euro. Compte tenu du coût des deux dernières politiques, il vaut mieux, au moins dans un premier temps, essayer la première. La solution actuelle n'est pas tenable.

Pour les relations économiques et financières internationales, la meilleure solution est celle d'une monnaie de référence unique, ce que nous avons appelé le Mondio, qui n'est pas une monnaie circulante, mais une monnaie internationale permettant de donner le temps aux États qui dérivent de se recadrer sans récession grave ni effet d'entraînement vers le bas pour les autres.

Le cœur de l'affaire est d'éviter les énormes déficits et les énormes excédents qui, on l'a vu, entraînent par le jeu des doubles hélices de crédits, une hausse intolérable du taux global d'endettement qui, lui-même, nuit au trend et aggrave les récessions cycliques.

Le problème est toujours le même. Vous faites ce que vous voulez, puisque vous êtes des États libres et indépendants mais si vous voulez commercer librement il faut respecter une organisation et de bonnes pratiques, sinon vous êtes mis au banc du commerce mondial.

Laisser une monnaie nationale, gérée de plus exclusivement dans l'intérêt propre de la nation concernée, alimenter sans contrainte l'économie mondiale, est une erreur majeure dont on paie très cher les défauts depuis quarante ans. Chaque décennie voit une aggravation. Chaque crise majeure est plus grave. Un système de changes flottants qui justifie l'abstention des grands états face à leurs responsabilités et qui est même construit pour cela, est une erreur et une horreur économique dont ont devrait tirer les leçons.

C'est la source directe de l'économie-casino et de la transformation des banques de soutiens des occasions d'investissements productifs en soutiens des occasions de plus-values spéculatives.

Un système coopératif fondé sur les principes de la conférence de la Havane, supervisé par un FMI paritaire rénové et respectant ses statuts, qui exige des États qu'ils fassent attention à leurs équilibres extérieurs et qui permet des ajustements négociés lorsque c'est nécessaire, est le meilleur possible.

La liquidité internationale, lorsqu'elle est nécessaire, est gérée par un organisme extérieur aux nations.

Le but est d'éviter les ajustements par la récession.

Au total nous avons en Europe un système trop rigide et non piloté, dans le monde un système trop souple et non piloté. De surcroit ils cohabitent.

Pour des pays mal gérés au sein de la zone Euro c'est un marteau pilon. Et l’État national est incapable de le soulever, de le bloquer ou d'en parer les effets. D'où l'impuissance générale.

La coopération internationale est nécessaire. Elle doit respecter les souverainetés. Mais elle impose aux États une bonne gestion.

Les systèmes non régulés où chacun fait ce qu'il veut au détriment de tous, comme les systèmes fermés, normés de façon outrancière et non pilotée, où il n'y a plus de solutions monétaires, sont à proscrire.

Il faut que les forces nécessaires de la liberté s'exercent mais canalisées pour éviter débordements et sécheresses. Il faut irriguer et entretenir les digues. Alors la moisson de la croissance est possible.

L'expérience des trente glorieuses est tout de même parlante.
# Posté par DD | 27/01/14 11:51
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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