Les Frac et les lois de Parkinson

Tout le monde connait les lois de Parkinson qui régissent l'accroissement continue des effectifs administratifs, même si l'objet du travail en question  a disparu.  

Il était parti d'un constat simple : les effectifs administratifs de l'Amirauté britannique avait cru notablement alors même que le tonnage géré avait été réduit des deux tiers. De même le département colonial qui ne comprenait que 372 personnes en 1932 au moment de la plus grande extension de l'Empire Britannique faisait travailler 1661 personnes quelques années après la fin de la colonisation.

Ses observations avaient montré que l'expansion administrative n'était pas liée à un besoin quelconque., légitime ou non, et à son évolution, mais à des forces internes qui agissaient d'une façon telle qu'on pouvait prévoir une croissance automatique des effectifs. Les études mathématiques ultérieures semblent avoir montré, par application de la formule x= (2Km+p)/n, que le taux de croissance se situait quelque part entre 5 et 6%, ou, pour simplifier encore, doubler tous les 15 ans.

Ces lois ont eu de nombreuses confirmations françaises. Le Ministère de l'agriculture voit ses effectifs augmenter indéfiniment alors que le nombre de paysans baissent chaque année.  Le Ministère des anciens combattants ne suit pas le diminution du nombre d'anciens combattants. L'EPAD, à la Défense est un autre magnifique exemple d'une administration qui a survécu à la disparition de son objet par mutation spontanée de son rôle.

Dès qu'on parle de restrictions de la dépense publique aussitôt mille voix s'élèvent contre le risque de diminution des policiers, des professeurs et des infirmières. Jamais  personnes ne pensent à ces dizaines de milliers de postes totalement inutiles qui  ont été créés que par la routine parkinsonnienne.

Nous avions déjà annoncé que la RGPP était une plaisanterie, car on ne peut pas "rationaliser" un phénomène qui est parfaitement scientifique et rationnel : la pression parkinsonnienne. La RGPP a été un échec. Les socialistes ont voulu  changer le nom de l'exercice en le modifiant au moins verbalement. Il sera tout aussi vain.   

Il ne faut pas rationnaliser. Il faut revenir à la source même de la politique publique menée et si elle n'est pas absolument nécessaire, il faut supprimer les services concernés. A la hache.  Sinon la volonté des cadres de multiplier leurs subordonnés (et pas leurs rivaux)  et leur capacité de se donner mutuellement du travail l'emporteront toujours.  Ajoutez le pouvoir syndical, et la règle qui veut que le travail occupe tout le temps qu'on veut bien lui accorder s'exprimera sans limite.

La curiosité du phénomène est qu'il est pratiquement insensible à la conjoncture. La crise la pire pourra bien frapper un pays sans que le petit monde protégé de l'administration publique ne se sente le moins du monde concerné. Au contraire il se mobilisera pour démontrer que son rôle est encore plus crucial que jamais et …exigera des hausses d'effectifs et de budgets

La confirmation des lois de Parkinson est particulièrement évidente lorsqu'on se penche sur ce cas admirablement symptomatique : les FRAC !  

Pour qu'un centre de dépense publique puisse inlassablement perdurer dans son être et dans se croissance budgétaire, il faut lui donner des objectifs tellement élevés que les remettre en cause serait du plus mauvais esprit. Bien sûr, des objectifs élevés on peut en trouver des millions. Le plus dure est de l'accrocher dans le décor budgétaire. Après,  cela va tout seul.

L'inénarrable Jack Lang, chargé de faire passer la culture de la nuit à la lumière en doublant le phare budgétaire, et en associant étroitement les cultureux subventionnés à l'électoralisme du PS, sera naturellement à l'origine du projet.  Arroser "l'art contemporain" d'une manne bienfaitrice, donc des artistes contemporains,  d'une recette sympathique, tel était le projet.  L'Etat se substituant à l'infâme bourgeois et aux condottiere allait montrer toute sa capacité à "créer un riche terreau de créateurs". Lla Genèse avec nous !

Qu'on était loin de Maurice Druon se moquant des pseudos artistes   faisant chanter l'Etat avec d'une main une grenade dégoupillée et l'autre une sébile ! L'argent allait couler à flot sans même qu'on menace qui que ce soit.

Pour éviter les complexités et rigidités des schémas publics traditionnels , les astucieux promoteurs choisirent la voie la plus simple : des associations, qui ont pratiquement le droit de tout faire sans aucun contrôle, alimentées de façon croisée par les Régions et  L'Etat.

La mode était à la "décentralisation culturelle". L'intérêt aussi. La régionalisation permettait d'obtenir tout de suite une vingtaine de sites et de mettre à l'abri les rigolos qui seraient nommés à la tête des nouveaux machins,  de la surveillance trop aigues des superviseurs parisiens.  Une association peut nommer directrice la femme d'un fonctionnaire dans le besoin ; pas une administration en règle. Ou le petit copain homosexuel d'un conservateur de musée bien implanté.  La souplesse procédurale et le statut d'association permettaient tous les abus. Qui irait jamais mettre le nez dans toutes ces planques ?

L'argent se mit à couler à flot. Les places se firent de plus en plus nombreuses.  Partout on investit  dans des installations coûteuses. Il fallait ce qu'il fallait pour l'ART. Interdit naturellement de concurrencer les musées. Attention : des gardiens du temple administratif de la culture veillait courageusement à éviter toute interférence avec leur boulot.

Au musée d'acheter les trésors immémoriaux de l'art, même contemporains.  Alors quelles acquisitions pour les Frac ? Euh ! Euh !  On trouva vite : ce n'était pas l'œuvre qui compterait mais l'artiste local. On lui permettrait de s'épanouir et de voir son œuvre connue et reconnue. N'était-ce pas là le rôle du privé : les galeries d'art ne sont pas fait pour les chiens ?  Les promoteurs  privés prennent le risque de leur sélection.  Elle rencontre ou non le succès. En quoi l'Etat devait-il mettre son nez dans ce marché fort actif en France ? Personne ne répondra jamais à cette question.  On achètera aux galeristes une partie de leur production : l'argent public suppléera  l'indifférence du public. Tout le monde serait content.

Tous les intérêts étant bien bordés de toute part, la machine se mit en route avec un indicateur de "succès" très particulier : le nombre d'œuvres acquises et le nombre d'auteurs aidés.

Dès 1986 on achetait 5.438 œuvres de 1327 artistes. on est aujourd'hui autour de 25.000 œuvres et de 4200 artistes. En trente ans, on a bien vu l'application presque mathématique de la loi de Parkinson du quadruplement.

En même temps que se constituait  cet invraisemblable fatras, les difficultés de stockage et de manipulation devenaient gigantesques.  Qu'en faire et comment le faire "vivre".  D'abord en multipliant les budgets et les subventions. Opportunément les Régions  ont multiplié les impôts. L'argent était là. On l'a dépensé sans compter et sans même chercher à savoir si on contribuait le moins du monde à la richesse artistique du pays.

Comment surtout juger de la valeur de ce stock imbécile ? Le seul moyen serait de le vendre. Mais là les galeristes ne sont pas d'accord.  Tout le marché de l'art contemporain en serait perturbé.  Quant à la mettre à la poubelle !  Pourquoi ne pas le restituer aux "artistes" qui ont tapiné avec les Frac  ?

Tout le monde le constate : la France n'a plus de grands artistes internationaux comme on en a connu pendant la majorité du XXème siècle.  Et ceux qui restent ne connaissent pas les Frac.  Lorsqu'on pose la question : citer 10 peintres Français contemporains importants, votre interlocuteur aura du mal à trouver deux noms.  De même que les budgets du ministère des colonies augmentait quand les colonies disparaissaient, le budget des Frac augmente alors que le nombre de peintres français célèbres diminuent, si on en croit les spécialistes.

Même la place de Paris, comme plateforme central  de l'art contemporain,  est en train de craquer.

 Les Frac ne connaissent pas la crise. Pensez : il faut fêter dignement les trente ans de l'institution. Des budgets énormes se sont donc déversés sur de multiples "évènements", avec des opérateurs publics comme la SNCF, les régions, les Centres d'art contemporains . On allait voir ce qu'on allait voir et surtout ce qu'il fallait voir.

On reste toujours ahuri par la nature de la prose de ces organismes.  Selon la règle parkinsonnienne qu'il faut qu'on décentralise avant de centraliser, pour coordonner bien sûr, les Fracs se sont unis autour d'un machin chose appelé "platform", un barbarisme en Français mais qui fait tendance.  Ce merveilleux texte nous dit tout :

"Structures légères et réactives, les FRAC sont résolument un dispositif d'aménagement culturel du territoire. Ils ont su répondre tant aux mutations de la création contemporaine et aux projets des artistes qu'aux attentes et besoins de chaque contexte régional en inventant des manières efficaces et uniques de «conquérir les territoires». Postulant dès le début des années 1980 une articulation entre le local et le global, signe distinctif d'une scène artistique mondialisée, les FRAC ont permis la constitution de collections singulières d'envergure internationale. Elles témoignent de leur activité artistique propre et aussi de celles des centres d'art et des musées avec qui les FRAC entretiennent des relations soutenues. En retour, leurs œuvres ont nourri les programmations de chacun et les regards de tous. Si les FRAC participent de l'écriture d'une histoire mondiale de l'art de ces trente dernières années, ces collections sont les premiers outils d'actions dans des établissements scolaires, universitaires, des communes rurales, des prisons ou encore des hôpitaux. En 30 ans, les 23 Fonds régionaux d'art contemporain ont acquis plus de 26  000 œuvres réalisées par 4 200 artistes (dont 56,5% français) et chaque année, l'ensemble de leurs projets (environ 600) atteint plus d'un million de personnes.

On notera le vocabulaire : "dispositif d'aménagement", "conquérant de territoire", "articulant le local et le global", nourriture du regard de chacun et de tous", "participant à l'écriture de l'histoire mondiale", "outils d'action".

Tout cela pour "atteindre" un million de personnes.

Ce verbiage ne correspond naturellement qu'à un exercice de narcissique intéressé.  Aucun critère de qualité dans tout cela. Seul la quantité compte et les ambitions politiquement correctes.

D'autre documents nous apprennent que des évolutions sont en cours pour 'atteindre les créateurs de la "diversité" et "mettre fin à la relative sous représentation des femmes".

L'Europe, l'international, les échanges avec les autres pays, sont  au cœur des nouveaux développements. Justifiant de nouveaux budgets. En même temps qu'on veut de nouveaux temples pour permettre  "aux masses" d'être "en contact"  avec les projets des principaux artistes contemporains exerçant en région,  et  l'évolution de leur projets, parfois très pointus".

Un projet est dit pointu quand il est totalement abscons et ridicule.  Faire acheter un échafaudage pour le montrer  quelques heures avant de le remballer et de le mettre "dans les collections", est une "approche pointue et événementielle" qui plairait beaucoup dans les prisons :" le prisonnier a le droit à la culture , quoi merde !"  (propos entendu lors d'une conférence dans un "évènement" Frac.)

Bref ! Tout un monde grouille dans le mépris le plus total du "bourgeois" avec de l'argent public dépensé sans contrôle à des fins incertaines et sans véritables résultats, sinon de faire vivre sans des cloportes, comme disait Alphonse Boudard, des copains et des coquins. La présence d'art ne serait être que strictement accidentelle et une coïncidence qu'on imagine heureuse (sans en être plus très sûr). A ajouter à ces amusants gestionnaires de Maison de la Culture qui voulaient supprimer la scène pour que la création des artistes de théâtre  ne soient pas gênés par le public (authentique).

La RGPP n'a évidemment pas touché les quelques milliers de braillards et de rigolos qui vivent de cette escroquerie. La Modernisation des politique Publique ne fera pas mieux. On ne va pas revenir aux ténèbres pré-djack. Fichons en l'air la politique familiale, dégommons les riches (tiens un de mes voisins déménage pour Genève pendant l'écriture de ce texte). Mais ne touchons pas au Frac.

Au fric-frac à coloration culturelle.

Laissons donc la parole aux triomphateurs de notre porte monnaie, qui font des jeunes Roms parisiens des amateurs un peu médiocrtes :

"Un anniversaire prospectif" (très bien ce prospectif !)

"Sous l'intitulé Les Pléiades, un titre en écho à l'idée de collection et d'un regroupement d'éléments autonomes lisibles par la force d'une même dynamique, cet anniversaire prend comme principe fondateur le regard des artistes sur les collections des FRAC. Cette référence stellaire et littéraire exprime l'unité dans la diversité qui est la nature profonde des FRAC."

Ah ce " regroupement d'éléments autonomes lisibles par la force d'une même dynamique" et cette "nature profonde" des Frac  . Edgar Faure aurait ajouté que l'indépendance des Frac dans leur interdépendance  était la garantie d'un succès pérenne. Mais il n'aurait pas su lire "des éléments autonomes".  Comme quoi même les experts les mieux cotés en verbiage amusant ne tiennent pas la route comparés à nos frac-tionnaires.

Et on voudrait des infirmières et des policiers !

Ce texte est un hommage à M. Moscovici qui a déclaré qu'en matière d'économie, désormais,  on avait atteint l'os, alors qu'on n'a même pas commencé à épousseter là où le gaspillage était le plus évident et qu'on n'envisage pas du tout de le faire.

Nous fêterons dans 30 ans un nouvel anniversaire des Frac, qui auront acheté 80.000 œuvres à 6.500 "artistes".  Mme Taubira aura sans doute vider les prisons mais la politique d'animation culturelle des Frac n'y aura pas cessé : on y aura surement des salles d'expositions permanentes, à côté de la salle de shoot.    Et pourquoi ne pas mettre en œuvre des Fdac, les fonds départementaux d'action culturelle ? Tout en créant un Fonds Européen  d'action culturelle avec des agences dans tous les pays du monde ?

Ce n'est pas un million de pauvres Français qu'il faut "atteindre" mais un milliard d'humains privés d'accès à la culture et aux tendances récentes des meilleurs créateurs.

 

PS : dites à l'agence de ménage de ne pas utiliser le seau peint en bleu  ni de laver la serpillière dégoutante  qui l'accompagne à l'entrée à gauche de la nouvelle salle d'exposition : c'est une acquisition qui doit atteindre son public et qu'on stockera dès que le nouveau palais sera fini de construire.  

Commentaire
# Posté par Jean-Marc | 11/06/13 19:39
fautpaspousser's Gravatar " tiens un de mes voisins déménage pour Genève pendant l'écriture de ce texte"
Tant mieux pour lui : cela veut dire qu'il a les moyens de le faire.
Vous deviez le suivre, ça vous calmerait un brin.
# Posté par fautpaspousser | 14/06/13 14:51
DvD's Gravatar Genève est effectivement une ville chère mais son dynamisme économique ne se dément pas avec un taux de chômage d'à peine 3% et des salaires élevés (comme dans l'ensemble de la Suisse d'ailleurs). L'industrie bancaire genevoise en particulier doit son essor initial à la Révolution Française et à l'exode des fortunes qu'elle a entraîné. Ainsi la Banque Lombard Odier naît en 1796 et les autres banques privées genevoises dans les années suivantes. De nos jours, il arrive encore parfois que quelque ministre français vienne faire un petit dépôt à Genève, tout en proclamant sa détermination à lutter contre la fraude fiscale bien sûr...
# Posté par DvD | 15/06/13 20:57
Micromegas's Gravatar Article fort intéressant.
Il n'y a pas trente six solutions.

Soit on dit que la politique est régionale et on supprime budget et fonctionnaires nationaux. Il est douteux qu'on perçoive un changement quelconque dans les résultats (d'ailleurs impossible à évaluer). Aux Régions ne savoir ce qu'elles veulent faire.

Soit on dit que l'art est l'affaire des intervenants privés ( galeries et amateurs) et pas de l'Etat. Et on supprime la totalité des budgets. Cela aurait ma préférence.

Laissez les choses en l'état est en effet absurde.
# Posté par Micromegas | 17/06/13 19:02
Frapouille's Gravatar Votre analyse rejoint celle d'une étude de l'IFRAP qui montre que toute la politique culturelle est basée sur des relations de mille-feuilles avec doublons, superpositiions, etc. Pas seulement les Frac. Un grand coup de balais s'impose.
# Posté par Frapouille | 30/06/13 12:53
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