Monnaie et commerce : quand l’ignorance effondre le débat public !

LCI a organisé un « débat » sur l’Europe. Très bien ! Au bout d’une heure d’invectives plus ou moins ridicules, les organisateurs, en saucissonnant les questions, ont fini par obtenir des consensus :

-          Le libre-échange c’est mal et cela doit être remis en cause, en particulier la directive Bolkenstein

-          L’Euro c’est intouchable, il faut juste créer de l’argent pour sauver autre chose que les banques.

L’ennui, c’est que la monnaie et les échanges sont les deux faces du même phénomène. Pas de bon commerce sans bon système monétaire.

Si des pays sont déficitaires, il leur faut trouver le moyen de payer leurs importations non couvertes par les exportations.

Si des pays sont excédentaires, ils accumulent des moyens de paiement dont ils n’ont pas l’usage commercial et qu’ils replacent dans la spéculation, provoquant des bulles et des récessions.

Les bons systèmes de paiements permettent de maintenir les échanges en contraignant les pays trop excédentaires à refréner leur surcompétitivité et les pays déficitaires à retrouver une compétitivité externe.

L’Eurosystème, cette combinaison de monnaies nationales de même nom et de même étalon, chapeautée par un fonds de compensation et associée aux trois libertés fondamentales de circulation des marchandises, des hommes et des capitaux, ne permet pas la convergence des économies et dans la pratique trois pays seulement représentent près de 70 % des flux monétaires, l’Allemagne en représentant à elle seule près de 60 %. Comme tel, le système monétaire permet des échanges totalement déséquilibrés et ne pousse à aucune correction. Il faut toucher à la fois l’organisation des échanges et l’organisation monétaire, si on veut régler le problème. Crier haro sur le libre-échange et OK pour l’Euro n’a exactement aucun sens.

Si on avait par exemple conservé un système de changes fixes et ajustables, la trop grande compétitivité globale des pays à bas salaires aurait été corrigée par le change, en tant que de besoin. Là, on est obligé de mettre au chômage des millions de gens et de faire pression à la baisse sur les salaires. Au lieu d’avoir un rattrapage homothétique, on a une croissance par substitution dans les pays de l’EST, et nous n’avons aucun moyen de faire face facilement à la situation.

L’Allemagne privée de sa montagne d’excédents n’aurait pas pu investir à mort dans les subprimes et dans l’immobilier espagnol, grec ou portugais. Ses banques ne seraient pas ruinées. Et elles n’auraient pas imposé qu’on ruine les pays du sud de l’Europe pour que les pays prêteurs puissent retrouver un peu de leurs fonds gaspillés dans des prêts grotesques.

La coexistence de l’Eurosystème et de la liberté intégrale de mouvements crée une situation incohérente et dangereuse.

En fait on ne parle plus de l’Euro parce que les gens ont peur pour leur avoir. C’est la peur qui clôt les bouches. Sur le commerce, les exécrations sont plus faciles. Mme Loiseau a expliqué qu’elle ne voulait pas que son poupon soit concurrencé dans son travail par des salariés de pays pauvres. Mais elle n’a pas expliqué comment on faisait avec l’Eurosystème et les trois libertés constitutionnelles de l’Europe. Tout le monde est contre la directive Bolkenstein, sans se rendre compte que les productions faites dans les pays de l’est ne supportent pas les mêmes charges sociales que celles de la France. Que l’Est exporte le travailleur ou le produit, cela revient presque au même. L’important est que les échanges soient équilibrés. Et cela, dans le système monétaire existant, rien ne le garantit.

De toute façon les excédents allemands ont eu des conséquences beaucoup plus graves pour la France que les travailleurs Bolkenstein.

Pour quiconque a un minimum de connaissances en économie monétaires, c’est évident. Mais l’ignorance des politiques sur les questions monétaires est tellement crasse et ils ont pris tellement l’habitude de sortir les questions monétaires de la diplomatie économique, qu’on peut craindre que rien ne bouge.

Rappelons qu’à Bretton Woods on parlait et des échanges et de la monnaie. Un demi-siècle plus tard, quelle régression !

Quand la pensée est paralysée, l’action devient des plus aléatoires.

Commentaire
DvD's Gravatar A propos de monnaie et commerce, il est symbolique de voir l’énarque Jean-Charles Naouri, directeur de cabinet du ministre de l’économie et artisan de la libéralisation des marchés financiers dans les années 1980 avant de devenir commerçant à la tête de Casino, en quasi faillite ce soir.
# Posté par DvD | 23/05/19 20:54
DD's Gravatar La correspondance entre micro et macroéconomie est souvent symbolique !
La distribution depuis plus de 150 ans est le secteur qui encaisse le plus de mutations. En 1970 je me suis retrouvé dans le bureau d’Etienne Moulin, qui dirigeait le groupe Galeries Lafayette – Monoprix, avec comme mission de trouver des solutions urgentes alors que le cabinet McKinsey avait annoncé la mort des grands magasins et des magasins populaires, des mains de la grande distribution. Trente ans après, c’est la grande distribution qui toussait, alors que les grands magasins marchaient très bien tout comme les Monoprix. Aujourd’hui c’est l’ensemble de la distribution qui tousse, à cause de Amazon et des nouvelles formes du commerce. Dans le grand commerce la fortune d’aujourd’hui est la faillite de demain. Le couple « étal virtuel-logistique » casse le modèle « voiture particulière-hypermagasin avec prix et choix » aussi bien que le couple « grand magasin – choix et luxe de grande ville ». Vous pouvez acheter une petite robe mode en Corée pour 15 euros, avec changement de modèles tous les 15 jours. Et livraison en deux jours ! Tout en allant changer un bracelet en caoutchouc chez sterling pour 200 heures ! Très grand luxe exclusif cohabite avec une économie à 100 sous. Et tout cela se déplie à la vitesse de la lumière.
Plus personne ne sait plus où sont les origines, les destinations. Plus personne ne contrôle les flux.
Trois variables encaissent les déséquilibres :
-   Le bilan carbone
-   La monnaie.
Il est intéressant de noter le contraste entre ce que les débats européens révèlent du champ des mentalités politiques et la réalité.
Le bilan carbone est en plein centre des débats. Au moment même où la logistique mondialisée et largement défiscalisée explose. Les Orientaux se marient à Paris avec photo sur le pont de Bir Hakeim et importent les voitures allemandes les plus polluantes. Les Occidentaux partent au loin et les croisières sont en plein essor, tout en migrant de la berline économe en consommation au quatre-quatre qui pollue 50 % de plus !
Le modèle « mondialisé » du commerce est condamné presque par tous, alors qu’il triomphe, mais la guerre des monnaies est passée sous silence, alors qu’elle sévit de plus en plus gravement et qu’on souffre encore des conséquences de la crise de 2008 dont l'origine est 100 % monétaires. La « finance serre les fesses », comme le disait récemment un directeur de grande banque européenne, alors que les taux n’ont jamais été si bas et le déversement d’argent par les banques centrales pluies délirants.
En un mot les consommateurs regardent résolument ailleurs que les politiques.
Les politiques regardent résolument ailleurs quand il faudrait parler un peu de monnaie.
Le strabisme est la caractéristique propre de cet épisode électoral européen, en France comme dans l’ensemble de l’Union Européenne.
# Posté par DD | 24/05/19 10:34
DvD's Gravatar Laché par des camarades inspecteurs des finances d’une grande banque française, à ce qu’on dit. L’esprit de corps se perdrait-il ?

Ces gens là, tous intelligents et diplômés qu’ils sont, ont semble-t-il un peu plus de difficulté que la moyenne à comprendre que les investissements faiblement rentables financés par des montagnes de dette sont un peu dangereux dès qu’on ne bénéficie plus de la garantie obligatoire et de moins consentie du contribuable français. Le poids des mauvaises habitudes prises à l’inspection sans doute ...
# Posté par DvD | 24/05/19 22:05
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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