Expédients

La Banque Centrale Européennes prend des mesures "non conventionnelles" nouvelles. Tous les bons esprits essaient avec plus ou moins de subtilité, de décrypter les mesures prises par le sphinx monétaire, sans trop s'interroger sur le saugrenu de la situation : pourquoi aurions-nous donc besoin d'un sphinx monétaire ? M. Draghi, président de la BCE, après avoir voulu dévaluer l'Euro pour des raisons de compétitivité européenne défaillante, chercherait maintenant à relancer l'activité bancaire en payant les banques pour qu'elles prêtent. L'activité suivra. Toujours en noyant son projet dans la litote et le non dit puisque l'objet social de la BCE est de maintenir la valeur de la monnaie et donc de contrôler l'inflation. Bref, les médias tentent d'expliquer les modalités d'un viol répété et constamment aggravé des principes gravés dans le marbre du traité de Maastricht. On avait le "vol de l'Aigle", nous avons "le viol du sphinx". La règle était formidable. La violation de la règle encore plus formidable.

Pourquoi ne pas se contenter d'avouer vérité et de dévoiler la réalité ?  La perte globale mondiale générée par l'éclatement de "l'économie baudruche" en 2007 et 2008 est d'environ 12 000 milliards d'euros. Pour donner du sens à ce nombre, il suffit de rappeler que la valeur ajoutée des entreprises françaises non financières de plus de une personne en France est d'un peu plus de 1 200 milliards. En un mot, notre merveilleux système monétaire international, de dérèglements en sauvetages façon pompier pyromane, a réussi à créer une perte égale à 10 fois la production française !

L'essentiel de la perte étant logé dans les banques, et le capital de celles-ci ne permettant pas d'absorber ces pertes, il a fallu sauver les banques par une série d'expédients. Les Etats et l'impôt ont été sollicités. Mais cela ne pouvait pas suffire. On a protégé les banques de mille façons, la dernière en imposant que toutes les transactions passent par les banques, avec le but avouer de faire disparaître la monnaie de poche. L'essentiel a tout de même été de donner du temps aux banques pour qu'elles puissent progressivement éliminer les pertes latentes des portefeuilles de prêts.

Comme nous l'avons dit il y a bien longtemps, on a adopté la technique du hanneton qui pousse sa boule de crottin devant lui. L'animal fatigue parfois. Il faut l'aider un peu plus à chaque faiblesse. La BCE intervient pour permettre de faire rouler encore un peu la boule de dettes à chaque fois qu'une incertitude grave vient toucher les banques. L'effondrement du cours des banques exigeait une réaction. Elle vient de se produire.

L'absence d'inflation rend l'opération d'élimination de la perte latente bancaire longue et aléatoire. Mais comment générer de l'inflation lorsque la perte latente pousse à une déflation phénoménale ?

Oui la BCE permet aux banques de faire des gains financiers sans cause réelle. Oui la BCE permet aux Etats de vivre malgré le poids démesuré d'une dette d'état qui s'est substituée en partie à la dette des banques. Oui la BCE entraîne la finance dans une zone inconnue où une part croissante de la dette porte des intérêts négatifs, c'est-à-dire subventionne l'emprunteur avec de l'argent banque centrale créé à partir de rien.

Aucune de ces mesures n'a de justification dans la théorie économique, ni ne correspond à aucun texte, ni ne répond à aucun des principes qui avaient conduit à la création du système de l'Euro.

Le but : survivre sans changer le système ; Maintenir un système de monnaie unique dans un monde de changes flottants ; Conserver la liberté absolue des mouvements de capitaux, de personnes et de marchandises sans rien organiser ni canaliser.

D'expédients en expédients jusqu'à la victoire finale !

Tout sauf s'interroger sur la perversité du système des changes flottants et la mauvaise gouvernance de la zone Euro.

Les Etats européens n'ont plus de responsabilité du tout dans l'efficience économique, sinon d'adapter les citoyens à la nouvelle donne. Les politiciens n'ont plus qu'un seul jeu : se faire réélire ou élire en finassant. François Hollande pratique ouvertement l'achat de vote. On le voit aujourd'hui même avec l'annonce de l'abandon du gel des rémunérations des fonctionnaires. La discussion porte sur le bon moment de la distribution, afin d'optimiser le gain électoral. Une hausse tout de suite pour créer l'ambiance puis une autre juste avant les élections pour amplifier le "feel good" électoral des fonctionnaires. Mais quand ? En octobre ou en janvier ? Dilemme fondamental ! En contrepartie, il faut faire semblant d'obéir à l'injonction bruxelloise de "réformer le marché du travail", qui, il est vrai, a été totalement étouffé en trois fois par les socialistes : mesures Auroux ; mesures Jospin-DSK-Aubry et mesures Ayrault. Mais l'injonction vaut pour tous les pays européens, avec comme objectif avoué de faire diminuer le coût salarial pour retrouver de la compétitivité mondiale, alors que la zone est… excédentaire ! Comprenne qui pourra.

La France est devenue un théâtre d'ombres. Plus d'intelligence. Plus d'intérêt général. Conserver des places et aider à survivre des systèmes bancals, voilà toute l'ambition. La presse prend bien garde à ne pas effrayer le Prince qui lui permet de survivre grâce à des subventions exorbitantes pourvu qu'elle ne dise rien qui fâche vraiment.

Il n'y a plus de réflexion économique publique. Il n'y a plus de politique économique de production. La science économique est à l'encan. Les mêmes économistes médiatiques qui n'avaient pas prévu la crise et même qui avaient nié qu'elle puisse survenir, expliquent que la déflation vient de "l'ubérisation" de la société. Quand on compare l'effet d'UBER aux 10 000 milliards de pertes latentes qui font stagner l'activité depuis 2007 malgré mille expédients, il y aurait de quoi mourir de rire.

Le pire : personne ne rit.

Il est vrai que plus personne ne pense.

 

Commentaire
DvD's Gravatar Les achats de titres de dette publiques et privées par les banques centrales étaient certainement justifiés en tant que mesure d'urgence au plus fort de la crise fin 2008 pour stopper la chute des cours qui menaçait d'emporter tout le système de crédit mondial.

L'énorme erreur des banques centrales fut de poursuivre ces mesures une fois l'urgence passée pour en faire des politiques structurelles qui durent encore 8 ans plus tard. A la Federal Reserve américaine, Bernanke a mis en pratique son fameux discours de Novembre 2002 "deflation, making sure it doesn't happen here". Toutes les mesures qui y étaient énoncées ont été mises en pratique. Et on a vu le résultat : après une brève résurgence en 2010-2011 alors que la liquidité nouvellement créée allait vers le pétrole et les matières premières, l'inflation est ensuite retombée durablement à ... 0%. La théorie de Bernanke a donné lieu à une expérimentation grandeur nature et les résultats ont ... démenti la théorie.

Pire encore, les injections de liquidité initiées par Bernanke et poursuivies par ses homologues un peu partout dans le monde (notamment en Chine) n'ont fait que préparer la vague déflationniste suivante.

En effet, en faussant les signaux de prix sur les marchés pétroliers et de matières premières, et en incitant ceux qui avaient encore des bilans sains en 2009 (dont beaucoup de marchés émergents) à emprunter, ces injections de liquidité ont conduit à une gigantesque vague d'investissements à credit. L'endettement mondial en USD hors Etats-Unis a augmenté de $9.500 milliards depuis 2009 d'après la BRI, pour l'essentiel dans les pays émergents. Aux États-Unis, le secteur du shale oil a connu une ruée vers l'or financée à credit. La Chine a vu sa dette augmenté à un rythme de près de 20% par an depuis 2009, environ deux fois plus rapide que sa croissance économique. De nombreux pays ont connu des bulles immobilières massives alimentée par le credit (Australie, Canada, Chine bien sûr, Suède, etc.). Face à la baisse des devises des pays émergents et face à la baisse des cours du pétrole et des matières premières, ces emprunteurs se retrouvent maintenant en mauvaise posture. La montée des risques de credit a fini par déclencher courant 2015 un début de contraction du credit mondial qui ravive la déflation, forçant les banques centrales à reprendre leurs interventions.

Le serpent se mord donc la queue : la création monétaire des banques centrales dopent la valeur des actifs et stimulent le credit qui va s'investir dans des projets où le niveau élevé des prix et des valeurs d'actifs suggère un besoin d'investissement pour accroître la production de façon rentable, ce qui conduit à des surcapacités dans les secteurs concernés car les signaux de prix étaient faussés par la création monétaire et il n'y avait en fait aucun besoin d'accroître la production étant donné l'état de la demande, ce qui conduit à des baisses de prix, ce qui met les emprunteurs concernés en risque, ce qui conduit à une contraction du crédit, ce qui déclenche un nouveau cycle de création monétaire par les banques centrales. Et ainsi de suite, la boucle est bouclée et se répète indéfiniment. Les banques centrales se sont mises toutes seules - sur la foi d'une théorie qui s'est avérée fausse - dans une impasse fort dangereuse. Comme d'habitude, le résultat est l'inverse de celui escompté : "deflation, making sure it happens everywhere". Elles sont maintenant coincées dans une fuite en avant sans issue et dans une dynamique conflictuelle de dévaluation compétitive pour tenter d'exporter les forces déflationnistes chez les voisins et partenaires commerciaux.

Tout ça pour avoir refusé - soit par ignorance, soit par biais idéologique, soit par conflit d'intérêt - de considérer l'origine du problème qui est un système commercial et monétaire international déséquilibré qui, n'équilibrant pas les balances commerciales par des taux de change fixés aux niveaux appropriés, permet l'arbitrage salarial mondial qui érode la demande et la duplication monétaire qui enfle la boule de neige de la dette mondiale, les deux se combinant pour former une gigantesque force déflationniste.

Les prétendus "sauveurs du monde" de 2008 sont en fait en train de le mener droit à la catastrophe, dans un climat de complaisance proprement sidérant.

Le moins qu'on puisse dire, en effet, est qu'il n'y a pas foule pour souligner les dangers de la fuite en avant actuelle et formuler une voie alternative consistant au rééquilibrage du système commercial et monétaire international pour une solution ordonnée et pacifique du problème.
# Posté par DvD | 12/03/16 18:06
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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