500.000 lectures sur ce blog
Nous avons créé ce blog en juin 2008, parce que nous étions lassés de voir que nos commentaires sur les forums principaux, notamment celui du Monde, étaient régulièrement purgés, ce qui rendait impossible ce à quoi nous tenions par-dessus tout : mettre les faits de notre côté alors qu'ils nous donnaient raison dans la durée.
Depuis 2006, sur ces forums et dans nos bulletins de conjoncture, nous annoncions l'arrivée d'une crise très sévère sur la base d'un raisonnement très simple : le cycle impose, tous les huit à dix ans, une crise qui est alternativement molle et sévère. Depuis l'abandon des disciplines de Bretton-Woods et l'installation d'un système de changes flottants, les crises ont tendance à être constamment plus fortes du fait du gonflement global de l'endettement. Avec des taux d'endettement supérieurs à 400% dans les pays de l'OCDE, taux intenables, les crises de crédit seraient nécessairement plus graves. La crise décennale du début des années 2000 avait été plutôt légère. Nous étions mûrs pour la crise sévère. Il n'était pas difficile d'annoncer, dès 2006, avec logique et confiance, que nous allions traverser la plus grave crise depuis 1929, et nous avons correctement prévue dès l'été 2007 le déclenchement de la crise ouverte pour l'automne 2008.
En juin 2008, les journaux s'interrogeaient enfin : allions-nous connaître une récession ? A tous nous avons écrit que "oui, nous allions avoir une récession", et qu'elle serait terrible. Auparavant nous avions écrit au candidat Sarkozy qu'il ne fallait pas annoncer une croissance accélérée pendant son quinquennat car sa mandature serait gâchée par la crise la plus sévère depuis la guerre.
Nous ne pensions pas à une crise de type 1929, mais plutôt à une crise de type 1992-93 aggravée. Ce n'est que si les Etats ne faisaient pas leur travail que nous risquions de voir revenir les années sombres de la décennie 1930.
Notre idée était qu'il fallait intervenir sur les trois causes majeures des difficultés :
- Mondialement, il fallait réformer le système des changes pour restaurer la responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs grands déficits ou excédents ce qui impliquait un abandon au moins partiel des changes flottants et de la liberté totale des mouvements de capitaux à court-terme.
- En Europe, il était urgent de créer une instance de gestion de la zone Euro, dans un cadre plus directement démocratique que celui de l'Union Européenne, avec la création d'un poste de Chancelier de l'Union Monétaire, situé à Paris, et disposant d'un pouvoir d'intervention sur les "trésors" nationaux et les marchés des changes, en même temps qu'il s'assurerait que les économies locales ne divergent pas trop.
- En France, il fallait réduire le Moloch administratif mis en place depuis des lustres au nom d'une "énarchie compassionnelle" promue et imposée par des hauts fonctionnaires disposant à la fois du contrôle médiatique, du pouvoir bancaire, du pouvoir administratif et du pouvoir politique. Leur étiquette politique n'avait pas de réelle importance. Les alternances n'étant jamais de vraies ruptures, la France avait fini par devenir une société coupée en deux entre les bénéficiaires de rentes publiques et les productifs.
Aucun élément de ce diagnostic n'a été retenu par les responsables politiques, à aucun des trois échelons. Et aucune action dans le sens de nos recommandations n'a été mise en œuvre. Avec au bout du compte, cinq ans de récession ou de stagnation, et de nombreux drames sociaux.
La doctrine des changes flottants de monnaies administratives gérées par des fonctionnaires et dont la valeur est étalonnée par les marchés reste la doctrine officielle, en dépit de sa responsabilité dans la survenue et la gravité de la crise.
Les Européistes ont profité des évènements pour dépouiller les pouvoirs de contrôle des banques anciennement exercés par les Etats membres au profit de la BCE. Etats membres ou Etats démembrés ? Rien n'a été fait pour empêcher la logique dépressive des réajustements intra-européens. Le change de l'Euro reste à la merci des initiatives des autres, sans réaction de l'Europe.
Les hauts-fonctionnaires se sont appuyés, en France, sur la crise, pour aggraver dramatiquement la fiscalité au point de quasiment tuer le secteur marchand qui a subi seul, comme d'habitude, les conséquences de la récession.
Les résultats globaux, européens et français sont dramatiques. L'échec des politiques menées n'a conduit à aucune remise en cause des comportements, des idées et des modes d'organisation responsables de la crise.
Pour autant qu'on la comprenne, car elle n'est jamais vraiment explicitée, la pensée des grands dirigeants mondiaux, européens et français est à peu près la suivante :
- Oui il faut un peu plus de coopération dans le monde. Les banquiers centraux se voient. Ils coordonnent leurs politiques en secret. Le G.20 permet des évolutions concertées. Le secret bancaire a été globalement levé. Les banques sont sous tutelle très étroite. Cela suffit pour que l'action des banques centrales soient seules nécessaires et efficaces. Donc ne changeons rien à notre chanson même si les paroles sont un peu décalées par rapport à la musique.
- Oui il faut un peu plus de coopération en Europe. Mais la discipline doit être la source du renouveau. D'où le traité "Merkozy". C'est la Commission qui fera régner un certain ordre dans les finances publiques des uns et des autres. Comme les banques sont ou seront sous tutelle de la Banque centrale, on peut désormais dormir tranquille. Il est parfaitement inutile de changer et de chanson et de musique.
- Oui il faut baisser les prélèvements en France. Les Vœux du Président, en ce début d'année 2014, sont explicites. Il y a trop d'impôts et qui pèsent trop sur les entreprises. La monnaie unique nous a "protégés". Nous n'avons plus à nous préoccuper de la défense de notre monnaie ni même de la défense de nos banques. Tout cela est parti vers les institutions européennes. L'énarchie pourra se perpétuer dans une certaine irresponsabilité pourvu qu'elle respecte grosso-modo le traité. Selon le clan au pouvoir on soulignera "l'efficacité économique" ou "la justice sociale", mais ce sera, comme depuis 1974, la même politique, d'abord "sociétaliste", pour faire semblant d'exister. Giscard avait commencé ; Hollande a porté l'exercice à des sommets difficilement égalables. Sur toutes les autres questions, et notamment le contrôle des effets pervers de la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, qui est hors de portée des "dirigeants" nationaux, l'action politique se résumera à de la com' et à la fiscalité.
Autant dire que rien n'a changé, sauf à la marge. Après six ans de crise sévère qui a vu des dizaines de millions de personnes perdre leur emploi et des centaines de millions d'autres perdre une partie de leur épargne et de leur revenu, avec des pays entiers envoyés au tapis comme la Grèce et le Portugal, le taux d'endettement global des pays de l'OCDE a cessé de grimper mais reste autour de 420% du PIB. C'est un taux intenable. Comme nous l'écrivions, "le hanneton pousse sa boule de crottin mais se fatigue". Ce taux intolérable, pèsera comme d'habitude depuis 1971, sur le taux de croissance (le Trend) et sur la gravité des crises à venir.
Le cycle décennal n'en sera pas supprimé pour autant. Nous entrons aujourd'hui dans la phase "haute" du cycle. Comme nous étions entré dans la phase haute du cycle en 97, après la crise de 92-93, et en 2006 après la crise de 2001. Nous ne nous en apercevons pas car la reprise est très faible et ses taux de croissance associés, ridicules. En 97 la reprise avait été très forte parce que les besoins avaient été comprimés très fortement et que le système avait réagi par une croissance délirante de l'endettement global. En 2006 la reprise avait été médiocre, avec des taux de croissance sinistres en Europe et en France. Nous pensons que le scénario sera plutôt de ce type là, car l'envol du crédit n'est plus possible lorsqu'on traine une dette globale de 420% du PIB. Ceux qui disposent d'avantages compétitifs marqués et les pays en rattrapage, en profiteront plus que les autres !
Le Baltic Index marque une reprise du commerce mondial. Cette reprise est encore à un niveau très bas mais l'orientation est sans équivoque.
On va donc vers trois ans de croissance globalement molle avec une atténuation des stigmates de la crise précédente.
Rien n'ayant été réglé sur le fond, ce n'est pas le schéma de 1945 qui va se mettre en place. Rappelons qu'on 1945 l'endettement global était partout supérieur à 400%, sauf aux Etats-Unis qui avaient concentré les créances et les actifs monétaires du monde. En 25 ans, le taux d'endettement avait été réduit à moins de 200%.
Evidemment, pendant cette période, nous n'avions pas de changes flottants mais des changes ajustables mais administrés, avec contrôle par le FMI, sauf pour les Etats-Unis qui faisaient déjà ce qu'ils voulaient et allaient finalement faire sauter le système. Une Europe supranationale gérée par des fonctionnaires non élus n'existait pas, non plus que la monnaie unique. La France bénéficiait d'un taux de prélèvement global inférieur à 35% du PIB ce qui permettait un dynamisme entrepreneurial réel et sérieux.
Toutes les leçons de cette période ont été oubliées.
Le capitalisme débridé mené par les Etats forts permettra une croissance mondiale faible et déséquilibrée mais réelle, bien que ponctuée de crises graves parfaitement inutiles et évitables. Les doctrines stupides et fausses sur la bonté naturelle des marchés monétaires et financiers resteront inentamées. Gare à ceux qui, dans l'économie officielle, prendraient le risque de s'y attaquer ! Fini les jolies carrières, les postes grassement rémunérés et les récompenses publiques !
L'Europe continuera son chemin un ton au dessous. A la remorque des autres et sans politique économique extérieure, sa croissance sera faible et ponctuée de crises locales. La bureaucratie européenne ne lâchera rien. Personne n'a le pouvoir de lui faire lâcher prise.
La France se félicitera de son "trip" à la Péron. On se souvient que cet abruti avait réussi l'exploit de transformer un des pays les plus riches du monde en cauchemar économique. La triste question est de savoir si nous vivrons un péronisme larvé façon Evita ou énervé façon Chavez. Les hauts-fonctionnaires français ne lâcheront rien. Personne n'a le pouvoir de leur faire lâcher prise.
La reprise, même insignifiante, gommera toutes les idées de réformes structurelles.
Paradoxalement, la crise n'a pas été assez forte pour que soient remis en cause les Credo les plus néfastes, à la différence de ce qui s'est passé après 1929. L'idéologie de base restera la même : "Vive les changes flottants ! Vive l'Europe supranationale ! Vive l'Euro ! Vive l'impôt ! "
Rendez-vous entre 2024 et 2027 pour la prochaine grande crise décennale ! 2008-2009 avait été pire que 1992-1993, qui avait été pire que 1973-1974. Il se peut que la sévérité radicale de ce qui se passera permette enfin un changement des doctrines et des organisations. Souhaitons le pour la fin de carrière de nos enfants, et pour l'avenir de nos petits enfants !
Mais nous aurions préféré que la pédagogie de la crise actuelle suffise enfin et que les modes d'organisation néfastes soient éliminées avant un autre désastre.
Nous espérons que ce blog, qui vient d'atteindre le nombre inespéré de 500.000 lectures, permettra aux économistes qui s'intéresseront à la période de découvrir que toute la séquence 2007-2014 était parfaitement prévisible et lisible, qu'elle porte des leçons importantes et qu'il serait bon d'en tirer parti.
Très modestement, nous pensons avoir eu constamment raison, parce qu'à chaque fois, sur toutes les questions clés, nous avons annoncé à l'avance des conséquences qui se sont effectivement développées selon les modalités et dans les délais que nous avions indiqués.
Nous avons voulu fournir des clés d'interprétation que la grande presse et la plupart des publications ou des économistes "autorisées" fuient comme la peste, soit parce qu'ils ne les comprennent pas (analyser les faits est très fatigant), soit parce que l'effort d'explication n'est pas danger pour des carrières ou des financements officiels.
Il est inutile d'avancer une quelconque théorie du complot. Il existe une pensée dominante, informe mais dominante. La crise est d'abord scientifique et intellectuelle avant d'être politique. Les erreurs sont souvent le fait de "chevaliers du bien" qui n'ont pas compris que l'enfer est pavé des meilleures intentions.
Oui les libertés économiques sont fondamentales. Mais il faut des écluses et des canaux pour éviter les débordements. Les mouvements de marchandises, de personnes et de capitaux doivent s'inscrire dans des processus contrôlables.
Oui l'Union Européenne est une idée généreuse et bien orientée, mais sa construction ne peut pas être fondée sur le démantèlement des Etats européens, et une pratique d'offuscation des peuples qui veut qu'on mette la charrue systématiquement avant les bœufs pour forcer des changements dont les peuples ne sont pas nécessairement friands. Au prix de désordres désastreux.
Oui la solidarité est nécessaire. Mais aboutir à l'asphyxie économique n'est pas une solution et prendre plus de 100% du revenu d'un citoyen est la mort de l'idée républicaine.
Il serait agréable de se dire qu'il suffit d'éclairer un camp politique et que sa victoire électorale permettra de passer de la connaissance à l'action. Le problème est que l'alternance est nécessaire et qu'il faut que les partis de gouvernement se convainquent, aussi bien l'un que l'autre, des remises en cause nécessaires. La pensée a fui aussi bien l'UMP que le PS. L'idée d'intérêt général s'est évaporée. Les carrières politiques sont devenues des affaires de clans appuyés sur des hommes de communication exaltant des postures et manipulant de l'opinion.
Le "sociétalisme" et les chasses à l'homme, pas plus que le "complexe de Zorro", ne font une politique.
Ce qui est vrai pour les élections présidentielles le reste pour les élections locales.
On le verra lors des prochaines élections municipales. Lors des dernières à Paris, la campagne avait parlé de tout …sauf de Paris. Il est facile de prévoir que le "débat" portera sur ces questions fondamentales : "NKM fait-elle trop la sucrée ?", à gauche, et "Hidalgo n'est-elle pas une ex-inspectrice du travail qui a choisi de se sucrer", à droite. Attention les diabétiques ! Le tout sur fond de boboïsme militant et d'affaire Dieudonné. Passionnant !
L'Europe n'est plus, et depuis longtemps, un foyer de réflexion transnationale permettant de dépasser les clivages politiciens. Le budget spécifiquement européen qui intéresse vraiment les européistes est celui de la propagande. Tenir l'opinion tout en exploitant les occasions pour arracher quelques pouvoirs aux Nations, voilà l'obsession. Quel intérêt pour les peuples ? Les élections européennes sont le plus souvent l'occasion de régler des comptes politiques nationaux, sur fond d'abstention record. Personne ne parle du bilan de la précédente législature et n'a la moindre idée du programme de la prochaine. La double question de l'organisation technique de la zone Euro et de la démocratie européenne devrait être au cœur des débats électoraux. Gageons qu'il n'en sera rien et que tout tournera autour de la question de savoir quel parti est le premier en France.
Quant aux cercles de discussion mondialisés, il sont entièrement dominés par les Etats-Unis d'un côté et de l'autre par les groupes de pression, sur le mode ONG, qui défendent leurs prés-carrés dans la mouvance des financements de l'ONU et/ou des lobbies. Introduire de la lumière dans ces sources de chaleur intenses mais intéressées est quasiment impossible. Il n'y a plus aucune réflexion économique collective désintéressée.
Alors que réflexion collective et coopération rationnelle seront toujours les mots-clés d'une humanité supérieure.
La crise économique que nous avons annoncée et que nous commentons depuis cinq ans et quelques mois est le témoin le plus direct de l'échec d'une approche mondiale non coopérative fondée sur des intérêts mal compris et laissant de côté toute observation économique un peu savante, pour se satisfaire du statu quo pervers que des idéologies molles ou infondées mais politiquement pratiques, appuyant des relations de force, ont créé depuis 1971. L'ineptie d'une telle démission morale, intellectuelle et politique est masquée par un activisme déplacé sur tout ce qui est facile, dérisoire et insignifiant.
Tout reste à faire.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Je n'arrive pas à trouver de post sur le néochartalisme. Je n'arrive pas à me faire une idée claire dessus, néo-charlatanisme ou nouveau paradigme ?
En tout cas leur explication donne du sens à l'absence d'inflation en periode de création monétaire massive (US, UK, Japon).
Un avis d'expert m'éclairerait grandement
Merci de votre encourageante appréciation et bonne année à vous.
Sur le chartalisme difficile de répondre en quelques lignes. Il se trouve que je suis de ceux qui contribuent à expliquer que la monnaie n'est pas née des inconvénients du troc mais au carrefour de palais et du Temple. En un mot la monnaie est le fruit incongru des relations du sabre et du goupillon et non pas des espérances marchandes.
La tradition classique que l'on retrouve encore dans l'enseignement est d'affirmer "qu'avant", dans les temps obscurs, le troc régnait et que soudain les marchands ont compris que la monnaie serait formidable et en ont exigé la création. Rien dans l'histoire ne justifie cette fable.
Moi-même, décidé à rédiger pour mes étudiants un opuscule sur la monnaie qui soit un peu plus juste, j'ai vite constaté qu'il fallait aller chercher la vérité loin des économistes mais dans l'histoire religieuse, l'histoire politique, la philosophie, les écrits savants des numismates, l'histoire de l'art et l'ethnographie.
On constate alors que le troc n'a jamais été le mode d'organisation d'une société. Le troc était un mode de relation entre étrangers, avec la volonté farouche de truander le voisin. Rien à voir avec une relation commerciale.
En revanche on constate que la notion de dette est d'abord religieuse et que la monnaie est la réification d'une créance vis-à-vis des Dieux, de l'humanité ou du prince comme on voudra. Les trésors sont dans les temples et les palais. Ils ne circulent pas. En revanche les dettes circulent. Et la première d'entre les dettes est l'impôt et la seconde, la créance de la victime demandant justice au Prince, qui demande évaluation.
Les premiers systèmes d'évaluation ont tous pour but de fixer la valeur relative des biens en vue du paiement soit du tribut, soit de l'impôt, soit d'une indemnité. La monnaie est d'abord un moyen de mesure des valeurs pouvant servir à éteindre une dette.
L'éthnographie est sur ce point indiscutable. La sanction d'un dommage doit être évaluée. Lorsqu'on parle de bœuf, de poulet, de tissu ou de quoi que ce soit d'autres, cela permet de fournir les équivalences nécessaires entre les différents moyens réels d'extinction de la dette, pour permettre au jeu social de perdurer.
Plus curieusement encore, la monnaie sert d'abord à l'offrande, soit sous forme de cadeau civil, soit sous forme de donation religieuse ou d'élément rituel. La pièce d'or glissée sous la langue du mort, ou les cauris apportés en grappe pour un mariage, n'ont aucune fonction marchande.
Ce sont des marques de considération.
Les rochers inamovibles de fond de lagons dont Milton Friedman parle dans un de ses livres ne sont pas une réserve de valeur au sens commercial mais une réserve de considération qui distingue la famille à qui on en donne possession. L'arrivée des européens dans toutes ces civilisations ne cassera pas un système monétaire mais un système de relations sociales.
Le commerce n'est en aucun cas la source de la monnaie. Les phéniciens, peuple le plus marchand de la méditerranée, n'accepteront le système que plusieurs siècles après son invention. Sparte méprisait l'Athènes de la monnaie.
Les rois Lyciens qui ont transformé le système de don en objet précieux, lors des cérémonies religieuses, en normalisant une pièce et en lui donnant un tampon officiel, ne visait pas l'expansion du commerce. Ils ont tout de suite compris l'intérêt pour payer la soldatesque. Et le soldat savait qu'il pourrait payer le temple ou la prostituée du temple avec ce moyen qu'il acceptait donc avec joie !
Toutes les citations de l'antiquité sont parfaitement explicites (de tête en m'excusant de ne pas aller chercher les textes exacts) : "ce n'est pas Philippe mais l'or de Philippe qui a fait la victoire" ; "l'or est le sang des dieux". Etc.
Un exemple plus proche de nous est donner par la cabosse de chocolat qui était le système d'évaluation chez les peuples amérindiens. Elle ne se mettra à "circuler" qu'avec l'arrivée des européens, justement parce qu'ils exigeront des tributs.
Tout cela ne veut pas dire que la monnaie n'a pas de rapport avec les marchés. La monnaie estampillée par l'Etat, qui dépends donc de la Charte, doit être possédée pour permettre les différents paiements publics. Donc il faut la rechercher. Donc il faut monétiser sa production et ses services. La "marchandisation" commence bien avec la monnaie.
Mais c'est loin d'être un inconvénient, notamment dans le domaine de la rédemption des dettes. Le débiteur n'est plus obligé de fournir sa fille en esclavage à son créditeur, ou son fils comme soldat au prince. On peut étager les peines et éviter les sujétions les plus graves. L'avantage de la monnaie est immédiat pour la Justice, et pour l'armée et pour les sacrifices religieux. On ne tue plus dans les temples lorsque la monnaie s'impose. Mais on tue dans la rue au son des "la bourse ou la vie". La monnaie impose la gendarmerie.
L'histoire de la monnaie de papier est similaire. Les banquiers fournissent au roi l'or nécessaire à ses conquêtes intérieures ou extérieures, en contrepartie d'une émission de monnaie circulante, témoin d'une dette qui ne sera jamais remboursée.
Aujourd'hui les banques centrales émettent autant de monnaie qu'elles le veulent sans réelles contraintes. Les banques qui émettent de la monnaie dérivée sous contrainte, étaient jusqu'ici contrôlées étroitement par les Etats.
Ce qui se passe en ce moment est des plus intéressants : c'est l'éviction finale du sabre, après celle du goupillon, dans la gestion de la monnaie qui ne serait affaire que de marchands. Le dernier traité européen donne à la BCE le contrôle des banques. Les Etats se dégagent de la gestion de la monnaie sous toutes ses formes, après avoir abandonné la maîtrise des changes.
Le triomphe des "marchands" est total.
Inutile de dire que la partie difficile du traité porte sur le "back stop". Depuis le FDIC, la garantie fédérale sur les dépôts qui a permis de mettre fin à l'écroulement du château de cartes bancaire en 1933-34, on sait que si on laisse le système bancaire s'effondrer, on effondre également l'économie. La garantie est nécessairement d'Etat. Les Allemands ne veulent pas payer pour les autres. On constate le caractère éminemment politique de la monnaie au moment même où on essaie de "libérer" la monnaie de l'influence des Etats.
Comme la vulgate économique classique était difficile à contester (contester l'étalon or était passible de sanction dans le monde universitaire), les penseurs opposés à la vision "classique" de la monnaie ont un petit peu sombré dans l'excès et le fondamentalisme. Les théories de la dette primordiale sont un peu tirées par les cheveux et "l'anti-système" est devenu un système de pensée un peu trop fermé.
Pour notre part nous sommes sûrs de plusieurs choses :
- Les banques centrales ne peuvent soigner, comme les psychanalystes, que les maladies qu'ells ont eux-mêmes créées
- Le change et la monnaie sont des prérogatives d'Etat et il est impossible que l'Etat s'en désintéresse.
- L'Europe en abandonnant à des instances non élues de fonctionnaires transnationaux la gestion complète de la monnaie banque centrale et de la monnaie de crédit, crée un monstre inefficace et dangereux.
- La crise que nous connaissons est fille directe du système de changes flottants qui postule que les Etats ne sont plus responsables de rien en matière de déséquilibres financiers et de change.
- La fragilité européenne est fille directe de l'impossibilité pour les Etats d'ajuster les niveaux de prix de devise en fonction des réalités nationales, ce qui implique un gestion des rééquilibrages uniquement par la récession, si tant est qu'on y parvienne.
L'abandon de la monnaie aux seules forces du marché, avec un encadrement par une norme coercitive à l'échelon européen, et rien à l'échelon mondial, est une faute intellectuelle, politique et économique qui prouve qu'on n'a rien compris aux causes du ralentissement du trend depuis 1971, rien compris à la violence constamment aggravée des crises périodiques, rien compris à la crise en cours.
On s'enfonce dans l'erreur et, périodiquement, dans l'horreur économique.
La monnaie est une chose trop importante pour la confier à des gnomes, des banquiers et des marchands.