Le rapport sur la dette du cabinet McKinsey
Deux mots à Jean-Christophe Mieszala, patron de McKinsey France.
Le cabinet McKinsey est avec la Deutsche Bank un des rares organismes qui ont cherché à cerner la dette mondiale et son évolution.
Malheureusement dans un cas comme dans l'autre on ne sait rien de la méthodologie employée et les chiffres doivent être pris tels qu'ils sont avancés sans être trop sûr qu'ils correspondent à une réalité parfaitement analysable.
Une occasion de plus de dénoncer l'incurie des organismes officiels qui produisent des visions partielles et souvent contradictoires des dettes. On sait que la notion de dette est compliquée, que les définitions diffèrent d'un organisme à l'autre, que les risques de cumuls de données qui devraient se consolider sont nombreux. Il est dans l'ordre des choses que le concept de dette globale soit unifié officiellement à travers le monde, que la collecte des chiffres constituants soit organisée sur des bases comparables et rapides, et que ces chiffres clignotent sur le fronton de tous les édifices publics concernés par la dette.
La seule dette à peu près définie est celle contractée par les Etats. Elle seule attire l'attention des médias. Ils font avec ce qu'on leur donne !
Merci donc à ces organismes privés de faire l'effort statistique minimal, bien que de qualité incertaine.
Que nous dit le rapport de McKinsey.
«Il était largement attendu que les économies, à l'échelle mondiale, se désendettent. Cela ne s'est pas produit. Au contraire, la dette a continué d'augmenter presque partout, en valeur absolue, et en valeur relative au PIB».
Selon nos propres analyses, la crise de 2007-21xx est d'abord une crise de la dette, qui a dépassé presque partout 400% du PIB, chiffre dont nous avons démontré qu'il était intenable sans énormes cahots financiers. Sur cette masse de dettes dé-corrélées de la production, une perte de 12.000 milliards de dollars environ est apparue. Pour la colmater, on a choisi de créer de la dette nouvelle.
Le rapport McKinsey conforte nos analyses en chiffrant l'accroissement de la dette globale à 57 mille milliards de dollars, soit à peu près cinq fois la perte encourue, et un surcroit équivalent à 17% de PIB.
La structure de cette dette a changé.
L'endettement des ménages n'a crû «que» de 2,8 % par an, à un rythme beaucoup plus raisonnable que les 8,5% d'avant la crise.
Le rythme d'accroissement annuel des dettes du secteur financier est passé de 9.4% à 2,9 %.
Celui des entreprises a en revanche progressé, atteignant 5.9%, l'effet de levier entre taux d'intérêt et taux de profit constituant une aubaine remarquable. L'opération récente de Microsoft est significative : la société a lancé une souscription d'obligations massive alors que la société regorge de trésorerie, permettant le rachat d'actions pour obtenir un ratio bénéfice par action plus avantageux. La dette ne sert toujours pas à mieux se corréler avec l'investissement mais à créer et distribuer des plus-values financières. Nous avions déjà analyser exactement la même opération faite en 2009, donc il y a près de 6 ans ! Plus cela change , plus c'est la même chose.
(voir : http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/5/12/Que-penser-de-lemprunt-obligataire-de-Microsoft-)Si on ne fait aucune réforme, on ne change aucun comportement.
L'endettement des Etats, lui, a augmenté sans limite. «En fait la dette publique a explosé depuis 2007, au rythme d'une croissance de 9,3 % par an, contre 5,8 % avant la crise»,
Les Etats comptent pour 25 mille milliards dans l'augmentation de 57 mille milliards de dollars.
Le rapport fait une analyse géographique de ce chiffre qui montre des poussées de dettes notamment en Asie, mais surtout signale des pays développés qui sont en risque de ne plus contrôler la hausse cumulative de leur dette : l'Espagne, le Japon, le Portugal, la France, l'Italie et le Royaume-Uni.
En France, souligne le rapport, "Il faudrait, d'ici à 2019, réaliser un effort d'austérité budgétaire de 2,5 % de points de PIB, ou parvenir à engranger une croissance annuelle de… 4 %". Ce qui est jugé impossible, compte tenu que deux des leviers habituels (inflation et dévaluation) ne sont plus disponibles et que trop de pays doivent se désendetter en même temps".
En un mot, c'est l'impasse, comme la crise Grecque le démontre tous les jours.
Le rapport est incapable d'élaborer des plans de sortie de crise, parce que, s'il fait des constats, il n'en analyse pas les causes.
Il ne sait pas pourquoi les rythmes de croissance des dettes privées (ménages entreprises et institutions financières) augmentaient à des rythmes aussi décalés de la croissance du PIB avant 2007 (le rapport fait la césure en 2008 mais la crise commence en 2007 avec la blocage du marché interbancaire).
Cette absence totale de diagnostic est ravageuse. La conclusion est une divagation sur les éventuelles manipulations et jeux d'écritures magiques qui permettraient de gommer les dettes ou les rendre inactives. Ces martingales n'existent pas.
La vérité est beaucoup plus simple : il faut sinon stabiliser la dette du moins faire en sorte que l'ensemble des acteurs ne fassent pas grimper la dette de plus de 2 à 3%, avec un taux d'inflation globale de 2 à 3%. Il faut donc que les entreprises recommencent à investir et stoppent leurs manipulations purement financières et que les Etats cessent d'accroitre le rythme de croissance de leur dette pour revenir également à des taux inférieur à 3%.
Il faut dégonfler doucement l'économie baudruche et non pas souffler du vent dans le ballon crevé comme le font les banques centrales.
Le premier acte est de mettre fin à la machine infernale qu'est le système actuel de changes flottants et de revenir à un horizon monétaire stable et concerté à travers le monde, avec interdiction des excédents et des déficits majeurs. Il faut que les systèmes locaux dysfonctionnels soient réparés. C'est le cas de la zone Euro gérée uniquement avec des critères juridiques sans instances de pilotage. C'est aussi le cas des Etats qui ont gonflé au-delà de toute limite leur taux de prélèvements et de dépenses publiques comme la France.
Croire aux solutions magiques n'a pas de sens; Messieurs de McKinsey. Le chemin à prendre est celui emprunté en 1944 après les accords de Bretton Woods : créer les institutions et les méthodes permettant une forte croissance et un peu d'inflation pour éliminer un stock de dettes qui dépassait aussi à cette époque 400% du PIB.
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Il faut donc dire un grand merci aux "petites mains" de McKinsey qui vont farfouiller jusqu'à tard le soir dans les statistiques de très nombreux pays et organisations internationales et font un colossal travail de "number crunching" fastidieux mais nécessaire.
Pour ce qui est de l'analyse, en revanche, c'est plutôt décevant. Aucune mise en lumière des causes premières qui font exploser la dette globale relativement à la production depuis le début des années 1980. C'est dommage, après un tel effort fait pour quantifier l'ampleur du problème. Ainsi cette question faussement ingénue dans le rapport McKinsey page 20 : "Cela soulève des questions fondamentales sur pourquoi les économies modernes semblent avoir besoin de toujours plus de dette pour soutenir la croissance du PIB et comment cette croissance peut-elle être soutenable ?". Vu que le phénomène de la hausse exponentielle de la dette relative est observable depuis une trentaine d'années, on est tout de même un peu étonné que McKinsey ait eu besoin de tout ce temps pour simplement formuler la question. Car, bien sûr, pas de réponse. Peut être faudra-t-il patienter 30 années supplémentaires pour l'obtenir ? En fait, il est peu probable que la réponse vienne de consultants comme McKinsey. Non pas qu'ils n'aient pas la tête bien faite. C'est plus sûrement une question commerciale. Le risque d'indisposer des clients dans le portefeuille de multinationales, grandes institutions financières ou gouvernements qui utilisent les services de McKinsey est trop important. Alors, les moteurs de la hausse de l'endettement global sont pudiquement passés sous silence.
On se contente donc de faire des constats faussement étonnés. La dette mondiale continue de croître plus vite que le PIB mondial depuis le niveau déjà problématique de 2007 (+17 points de %). Ah ben ça alors ! On enfonce les portes ouvertes : puisque presque tout le monde est maintenant surendetté, la solution qui marchait bien quand un pays était tout seul à devoir se désendetter - dévaluer et exporter vers les pays qui n'avaient pas besoin de se désendetter - ne marche plus. Sans blague ? Il aurait peut être fallu y penser avant d'applaudir des deux mains au plan massif d'expansion du crédit par la Chine en 2009 (pour être honnête, je ne sais pas si McKinsey avait approuvé, l'immense majorité des économistes officiels et de marchés l'avait chaleureusement accueilli). Et comme il faut venir avec des solutions même quand on a occulté celle qui aurait naturellement découlé d'un diagnostic correct, on propose - comme d'habitude - des mesures destinées à traiter les symptômes sans s'attaquer aux causes : contrats de prêts immobiliers innovants ; meilleurs mécanismes de restructuration de dette, y compris pour les Etats ; supervision macro-prudentielle ; réduire les incitations fiscales en faveur de la dette (uniquement pour les particuliers, pas pour les entreprises, mais on ne sait pas trop pourquoi, peut être pour des raisons commerciales) ; améliorer les données statistiques relatives à la dette (condition nécessaire mais non suffisante comme on l'a vu aux Etats-Unis qui disposaient des meilleures statistiques en la matière) ; créer le bon mix d'institutions de crédit entre banques et non-banques ; promouvoir le développement financier dans les pays en développement.
Tout au plus, quelques coups de canif dans la montagne de dette mais pas de de vrai dégonflement relatif substantiel.
Au moins cela ménage une marge de progression pour le prochain rapport.