Choc à Chypre !
La nouvelle est tombée et a mis en émoi la planète finance : Les banques chypriotes, exsangues après avoir déprécié d'énormes quantités d'actifs grecs, et autres, ne verraient pas les dépôts de leurs clients garantis. Ceux-ci perdraient jusqu'à 10% de leurs avoirs. Les déposants se sont rués aux guichets de leurs banques qu'ils ont trouvées closes.
Du jour au lendemain, sans que leur responsabilité soit le moins du monde engagée, ils sont passés de créanciers de leur banque à débiteurs de l'état chypriote. Bien sûr la démagogie ambiante a voulu qu'on évoque un traitement différent entre "riches" et "pauvres". Mais pour la première fois depuis des lustres, un système bancaire organisé sur l'engagement implicite que les dépôts sont peu ou prou garantis, affirme : je m'assoies sur le principe de base qui me fonde. Et c'est l'Europe qui s'y colle.
Naturellement pour masquer la trahison des déposants, les communicants ont bien travaillé. Ce ne sont pas de gentils déposants qu'on a dépouillé au coin d'un bois. Mais de vilains oligarques russes, fraudeurs, nécessairement fraudeurs. Voler un voleur n'est pas du vol. On n'a d'ailleurs pas appelé cela un vol ; juste une taxe. Si on ne peut plus taxer le capital !
Même les Argentins avaient mis des formes avant de voler les déposants. Ils avaient eu la gentillesse de bloquer les comptes de dépôt mais en créant un "corralito", un sous dépôt en accès libre. On pouvait sortir l'argent de ce sous compte. Au compte goutte. Ensuite on avait converti tous les avoirs en dollars en pesos sur la base d'un cours fictif. C'était du vol et il avait ruiné de nombreux usagers des banques argentines, notamment les entreprises françaises. Mais les principes avaient été respectés : la valeur faciale des dépôts était respectée.
Ici on ne ruse pas. On prend et on empêche le client de se retourner contre sa banque : ce n'est pas elle qui a pris ou perdu l'argent déposé. Mais l'Etat qui a taxé. La réputation de place de Chypre est en même temps sauvée (momentanément) et anéantie (durablement). Ce qui entraînera à terme la faillite de toutes les banques qui y travaillent et il faudra soutenir l'île à nouveau !
L'affaire éclaire plusieurs aspects importants de notre système financier.
- D'abord, on a laissé les banques chypriotes engager des actifs qui représentent 8 à 9 fois la valeur du PIB de Chypre. C'est la même histoire qu'en Islande ou en Irlande. L'Etat est dans l'incapacité de garantir quoi que ce soit. Normalement le capital des banques aurait du servir d'amortisseur pour les pertes éventuelles, avant que l'on s'en prenne aux dépôts. Les pertes ont été tellement énormes que même les nouvelles règles prudentielles de Bâle III n'auraient pas permis de faire face. Aucune garantie implicite ou explicite n'aurait permis de faire face. Ruiner les Chypriotes pour qu'ils couvrent les dettes des banques aurait été vain. Les Islandais et les Irlandais doivent ruminer leur haine, puisqu'eux y sont tenus, du moins en partie. De même que les citoyens qui contribuent partout par leurs impôts à sauver leurs banques nationales. Il serait normal que dès que les actifs des banques d'un Etat représentent plus de deux fois le PIB du pays, une procédure d'alerte soit mise en place. On s'est attaqué aux banques dites systémiques. On voit bien que même les banques chypriotes inconnues le sont.
- L'affaire relance l'idée de banques de paiements se substituant aux banques de faux-dépôts. Actuellement un dépôt bancaire n'est pas un dépôt. Mais un prêt fait à la banque de façon implicite. La banque utilise pratiquement comme elle veut cette liquidité. En général elle profite d'un dépôt pour multiplier les prêts et recréer de la monnaie de crédit, ou pour investir dans des actifs dont elles espèrent une plus value. Ou elles créent de la monnaie ou elles spéculent. Si le portefeuille de prêts est non performant ou si les actifs perdent de la valeur, les dépôts de la banque sont en danger.
On fait une distinction théorique entre crise de liquidité et crise de rentabilité. Dans la pratique les deux mécanismes jouent ensemble.
Pour limiter les risques de panique et de ruées sur les guichets, les Etats se sont organisés. On a créé des banques centrales étatisées qui doivent faire face aux crises de liquidités. La loi a imposé le recours aux comptes de dépôts et aux paiements bancaires pour pratiquement toutes les dépenses un peu importantes (versement des salaires, gros achats, etc.). Le fisc ne vous rembourse que par virement. Il est désormais quasi impossible de vider un compte en monnaie banque centrale : on exige de faire un virement dans une autre banque. Les banques, aux limites de la loi, imposent de retirer du liquide à leurs guichets automatiques. Les sommes sont limitées. Les ruées sont rendues impossibles. De toutes façons, il est interdit de se promener avec de grosses sommes : 10 mille euros maximum.
Les Etats ont donc créé le besoin de passer par une banque et l'obligation de déposer. En laissant entendre que le dépôt était sûr. Si un mouton noir venait à ternir la place, la solidarité des autres acteurs joueraient à plein. Et l'Etat serait là !
"Soyez confiants !" ont dit les Etats Européens : vos dépôts ne risquent rien. Et voilà que cyniquement on en prélève le dixième à Chypre !
Lorsque la confiance dans un système aussi trompeur et branlant est ébranlée, les conséquences peuvent être rapidement dramatiques.
Nous réitérons pour notre part notre suggestion de banques de paiements.
Une banque de paiements reçoit vos dépôts, mais ce sont de vrais dépôts. L'argent est consigné et vous appartient. Vous l'utilisez comme bon vous semble. Vous pouvez le laisser là : c'est la thésaurisation en espace protégé ; vous pouvez l'utiliser, la banque de paiement offrant tous les services correspondants (chèques, virements, retraits d'espèces, etc.). Vous pouvez le placer et investir. Les produits financiers sont achetés à ceux qui les proposent qui statutairement ne peuvent pas être des banques de paiement mais des établissements financiers et qui travaillent sans filet public. Si vous avez mal investi c'est pour votre pomme. A vous de choisir l'établissement et le produit financier qui vous convient. En cas de problème vous perdrez tout ou partie de vos placements. Pas vos dépôts. Il y a plus qu'une nuance.
Il y a aura compétition sur le service et son coût entre banques de paiements qui deviennent des sociétés de service comme les autres. On veillera à ce qu'aucune banque de paiement ne dépasse 5% de la collecte pour éviter oligopoles et monopoles.
Les institutions de placement seront en concurrence pour séduire l'épargnant et proposeront une gamme de produits plus ou moins longs plus ou moins risqués. A cette épargne ciblée correspondront des activités de prêts et de spéculations également ciblées, avec un rapprochement des durées d'immobilisation des ressources et des emplois. Le système financier sera beaucoup plus stable et plus honnête.
- Troisième aspect de l'affaire chypriote : la crise bancaire n'est pas terminée. Le hanneton continue à pousser devant lui sa boule de crottin. Des milliards de dettes irrécouvrables sont recyclées jusqu'au jour où le recyclage ne marche plus. La pyramide de dettes continue à s'effondrer mais de ci de là par petits paquets. Il en reste pour 10 à 15.000 milliards de dollars.
Seulement.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
"Chypre, donc. Encore un ultimatum. Une date fatidique. Une heure après laquelle pourrait régner le chaos. Comment nier que cette dramaturgie de la crise économique et de l’action politique, déjà vieille, ne tétanise plus nos esprits de citoyens européens rompus aux mauvaises nouvelles et aux situations totalement imprévues mais qui pourtant adviennent.
Ce qui nous sidère désormais, c’est la durée de la crise et son extension, la lenteur des réponses, l’inefficacité et peut-être même le non-sens des théories économiques mises en œuvre pour la juguler."