L’Euro : le mistigri de la campagne présidentielle
Qui l’eût cru ? La campagne a basculé sur une question technique monétaire. Tous les commentateurs et les hommes politiques l’avaient répété à l’envi : marre de l’économie et de l’économisme. On n’élit pas un roi républicain sur une question ménagère. Surtout ne pas parler du quinquennat désastreux, notamment ses deux premières années, de F. Hollande. Déplorer le chômage à chaudes larmes, surtout quand il augmente de plusieurs dizaines de milliers d’unités la semaine décisive de la campagne. Mais s’élever au-dessus de ces tristes contingences. Oublier aussi la dette !
Et voilà que M. Dupont Aignan rejoint Mme Le Pen et qu’il demande qu’on revienne sur la sortie de l’Euro, article pivot du plan de la candidate pour sortir du marasme. Il est vrai que les Français (les journalistes disent : les retraités, cela fait plus jeunes, car on sait que la jeunesse n’a peur de rien) avaient la crainte de l’exemple grec : la BCE perdant confiance dans les banques françaises et ne les alimentant, après une fuite des capitaux hors de France, qu’à hauteur de quelques dizaines d’euros par jour et par déposants.
Il fallait donc que la candidate s’explique sur les méfaits de l’euro et les moyens de les juguler sans sortir de l’euro tout en en sortant. Un chewing-gum politique et économique assez difficile à mâcher en public qui a naturellement fait la joie de son adversaire qui, lui, pouvait, selon sa technique de positivité européenne assumée, s’exonérer de toute réflexion sur le sujet.
On a vu le résultat lors de la crise d'épilepsie mutuelle qu’on a appelé « débat », entre les deux candidats sélectionnés lors du premier tour de l’élection censément présidentielle.
Le plus consternant tient tout entier dans le fait que cette question est effectivement fondamentale et que l’indigence des deux clowns tristes dont on parle n’a pas permis qu’on l’aborde comme il aurait fallu.
L’organisation de la zone Euro est effectivement dysfonctionnelle. Elle doit être absolument corrigée si on ne veut pas que tout explose un jour ou l’autre au détriment de tous. Le fonctionnement actuel pèse effectivement lourdement sur la situation économique de la France.
L’indigence du débat et la malignité des combattants n’ont pas permis de comprendre pourquoi ni d’envisager les options qui s’offraient. Le nihilisme du combat de rue l’a emporté sur une réflexion qui est très nécessaire et qui va se révéler pendant les années qui viennent une des clés d’analyse des difficultés qui s’annoncent.
Mme Le Pen a raison : l’Euro pose problème. M. Macron aurait été bien venu de le reconnaître. Elle n’a pas su dire pourquoi. Il n’a pas cru devoir dire pourquoi. La méconnaissance et la tactique politicienne ont étouffé la vérité.
Le traité de Maastricht a mis la charrue avant les bœufs, et les bœufs ont démoli la charrue. Créer une monnaie unique avec comme seul garde-fou deux règles ne concernant que les États (3 % de déficit et 60 % de dette publique par rapport au PIB) était se lancer dans un pari impossible. Le faire alors que le système mondial est fondé sur les changes flottants et l’absence de coopération institutionnelle en matière d’échange et de monnaie, était un autre pari. Ces deux paris ont été perdus.
Le système mondial s’est étouffé en 2007 et a sauté en 2008. La crise européenne a suivi, avec pour conséquence le traité « Merkozy », toujours en activité et une ambiance déflationniste pesante jusqu’à l’insupportable, avec une extension drastique du contrôle européen sur les systèmes bancaires et les budgets. Il est clair que pour beaucoup de pays, la double peine est sévère : perte de souveraineté et perte de prospérité, sous la férule de la Commission Européenne et de la BCE.
Il n’y a qu’Emmanuel Macron pour feindre de croire que tout cela n’a pas d’importance et que « l’euro nous protège ». On sait que sa solution est un nouveau saut dans le fédéralisme absolu. Créer un gouvernement véritablement européen avec un budget européen et une répartition des mannes par le Parlement européen vers les régions des anciens états souverains européens, voilà la solution. C’est celle des milieux européistes et de certains groupes de pression dominants dans les sphères dirigeantes. Ceux qui ont créé l’Euro avec le traité de Maastricht le savaient bien : on créait un truc bancal mais il permettrait de détruire finalement la résistance des nations en rendant nécessaire un nouveau pas dans l’intégration politique. Ce calcul a été vu et dénoncé. L’affaire s’est jouée à peu. Dès 2005, les peuples ont commencé à dire NON, notamment celui de la France qui a refusé la pseudo-constitution européenne.
L’Euro est donc une affaire d’abord politique avant d’être économique. C’était le levier pour aller vers le fédéralisme européen alors que personne n’en voulait vraiment.
Mais c’est aussi une réalité économique particulièrement vicieuse. Une monnaie unique pluri nationale ne peut fonctionner que si les économies restent en équilibre chacune vis-à-vis de l’autre. Dans des régimes où les États ont pris une place déraisonnable de la dépense, la microéconomie ne donne aucune garantie que cette harmonie se produira ou se maintiendra, même si les États renoncent aux gros déficits budgétaires et à l’endettement massif. Supprimer tous les obstacles à la libre circulation des personnes, des produits et des capitaux ne pouvait suffire. Le croire est d’une grande naïveté. Refuser d’organiser ces trois libertés et sanctionner toutes les tentatives partielles en ce sens ne pouvait qu’aggraver la situation : « non seulement cela ne marche pas mais on ne peut rien faire ». Défaillance et impuissance sont les mamelles de la colère des peuples.
La question était déjà rendue difficile par l’intégration dans l’Union de pays soumis au joug socialiste pendant des décennies et en très gros retard économique. Elle st devenue insoluble dès le départ quand on a vu les deux États principaux, L’Allemagne et la France, choisir deux voies totalement incompatibles. Le plan Jospin d’étouffement des relations sociales et de passage aux trente-cinq heures était rigoureusement contradictoire avec le plan Schroeder de compétitivité renforcée.
Le résultat n’a pas tardé : il n’y a eu aucune convergence des économies et le développement d’un excédent phénoménal en Allemagne et d’un déficit phénoménal en France.
Lorsqu’un pays est victime d’une attaque mercantiliste après avoir étouffé son économie par des mesures politiciennes démagogiques et déplorables, les conséquences sont évidentes :
- Des centaines de milliards de capitaux sont aspirées hors du pays déficitaire et le plongent dans la déflation et la dette. Donc dans les pressions salariales, le sous-investissement, et le chômage.
- Des centaines de milliards aboutissent dans les caisses du pays mercantiliste qui ne sait rien en faire en local puisqu’il est déjà sur compétitif. Alors il le prête, et se lance dans des spéculations dangereuses. Au premier revers conjoncturel ces banques se trouvent très mal. Le système bancaire allemand est en ruine. Réciproquement les pays emprunteurs se trouvent dans l’impossibilité de rembourser. Voir le cas Grec.
Les pays en faillite sont obligés de se retourner vers le pays dominant pour quémander « une petite seconde M. le bourreau ». Il y met des conditions. Et on a le traité Merkozy et une ambiance contractionnisme délétère.
Bien sûr les banquiers, façon Macron, peuvent faire des produits gigantesques en faisant circuler les excédents vers les pays déficitaires, et en jouant sur les peurs qui provoquent des mouvements de capitaux moutonniers et finalement captifs.
Affirmer qu’on va faire ce qu’il faut en interne comme dans le plan Fillon et dans une moindre mesure dans le plan Macron laisse entendre que la solution est toujours dans le pays déficitaire. Ce qui est faux.
La vraie solution est de rétablir les équilibres. Cela ne peut se faire qu’à deux conditions :
- Des mécanismes institutionnels qui poussent à la convergence
- Une gestion commune de la convergence qui ne dépend ni des trois libertés ni des deux seules conditions de gestion publique du traité de Maastricht.
Il appartenait aux deux candidats de s’appuyer sur ces deux réalités.
Emmanuel Macron n’en a rien fait pour masquer son tropisme européiste. Sortir d’une certaine ambiguïté aurait été dangereux pour son élection.
Marine le Pen n’avait pas la compétence pour comprendre et exprimer clairement les alternatives.
Le silence est désormais retombé sur la question de l’Euro. Et pourtant elle continue de se poser et pèsera lourd dans les prochaines années. M. Trump a décidé d'attaquer l’Allemagne sur ses excédents en s’appuyant sur la législation TFTEA passée par Obama. L’Allemagne se cache derrière l’Euro. La situation est intenable au sein même du camp occidental. Quant à la France elle n’atteindra pas 8 millions de chômeurs sans casse politique définitive. Et rien ne dit que dans les 18 mois qui viennent il n’y aura pas un nouveau ressac économique international.
L’Euro et ses dysfonctionnements sont un sparadrap collant dont on ne se débarrassera pas comme cela.
Sottise et dissimulation ne sont pas une solution. Une fois de plus : attention à la colère des peuples.
Didier Dufau pour le Cercle des Économistes E-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
En dehors d'une sortie de l'Euro, je ne vois pas vraiment comment on peut faire. Toute autre solution aboutirait à faire payer les Allemands et pour les connaitre, ce n'est pas dans leur culture. Il suffit de voir les jobs à un euro dans un pays ultra excédentaire commercialement pour se rendre compte de la culture outre Rhin. C'est leur choix, grand bien leur fasse.
En attendant, TARGET2 permet à la tuyauterie de fonctionner et ce tant que la BCE fournit des liquidités aux banques en échange d'une rigueur de facade comme en Grêce.
Mon petit doigt me dit que ce n'est pas près de s'arrêter. En cas de crise bancaire, la BCE recapitalisera et arrosera de liquidités tout le système.
D'un point de vue strictement opérationnel, ça marche assez bien, d'un point de vue sociétal aussi, les riches conservent leur position et les pauvres ne crèvent pas de faim et peuvent même se payer des loisirs (TV essentiellement). Comme cette situation est assez déprimante, on leur fournira des anti depresseurs gratuits !
J'ai revu dernièrement une vidéo de JM Daniel, où celui-ci faisait l'apologie du pouvoir d'achat comme pierre angulaire de l'homo economicus et objectif politique ultime. Poussé à l'extrême, cela revient à dire qu'il vaut mieux être au chômage et avoir un pouvoir d'achat significatif que travailler pour des clopinettes.
Finalement c'est assez humainement compatible. Le seul truc qui me gêne la dedans c'est que c'est difficile de se construire individuellement et collectivement. En outre, ça maintient des gens valides au crochet d'un bastringue étatique mais n'est-ce pas le corollaire de l'époque moderne et ce dans le monde entier ?
Par extension, je me demande si ce mode de régulation des conflits n'est pas le bon, il n'y a plus de guerre entre états (les guerres ont toujours des raisons économiques, les idéologies autour ne sont que de la fumée). Comme dans toute guerre, les élites ne connaissent et les pauvres trinquent. Aujourd'hui l'Allemagne gagne mais rien ne dit que ça durera. A suivre
Le caractère présidentiel du régime français donne une orientation forte mais un président finalement faible : sur 52 millions d'adultes en âge de voter, seul un peu plus de 20 ont voté Macron, soit moins de 40%.