Une vision vécue de l’histoire récente de l’agriculture
Qu’on me permette de parler d’agriculture à partir d’une expérience vécue. De 1945 à 1961 j’ai bien connu une ferme située à un peu plus de cinquante kilomètres de Paris.
Trois champs d’un hectare environ. Un pré humide avec une grande mare à grenouilles. Dix vaches. Deux bœufs, pour le tombereau qui transportait les pommes, les betteraves et les épis de maïs. Deux chevaux, Black et Papillon, pour tirer différents instruments agraires, la charrette à foin et un cabriolet permettant d’aller à la ville. Des poules en pagaille et quelques canards. L’eau est au puits. Il n’y a pas d’électricité mais des lampes à pétrole. Un ouvrier agricole en permanent, George, et deux journaliers pour l’été, La Loupe, un noble tombé dans l’alcool à la suite d’une déception amoureuse, qui conservait des photos du château familial, façon Guermantes, et Le Méchant, un costaud râblé qui ne tenait pas l’alcool et devenait violent. Une seule chambre non chauffée. Les ouvriers agricoles dormaient dans le foin dans les granges et se lavaient au puits. Une cuisine avec une cuisinière à charbon. Deux coffres importants entre les granges pour stocker la pomme de terre au noir, et un autre pour le charbon.
Les instruments quotidiens sont le broc, les sabots, les ligatures de bottes, qui servent à tout et notamment de ceintures, le fouet et le papier tue-mouches. Les toilettes sont un cabanon en haut du clos qui sur un demi-hectare reçoit le fumier (non enfoui, d’où les mouches) et permet de cultiver un jardin potager d’importance. Des hirondelles et des moineaux partout.
Les recettes quotidiennes sont fournies par le ramassage du lait et des œufs. Une vache produit entre 2,000 kg et 2,500 kg de lait par an, soit soixante à quatre-vingts litres à traire tous les jours à la ferme. On retrouve une trentaine d’œufs tous les jours. De temps à autre un veau arrive après l’intervention d’un taureau qu’on a fait venir à cet effet. Il ne sera pas vendu et on récupérera sa viande le plus souvent, après l’avoir emmené chez l’équarrisseur du village (qui bientôt disparaîtra). Lorsqu’il s’agit d’une génisse, elle est envoyée à l’engraissement et revient en du temps pour remplacer une vache vieillissante. On achète peu de choses : le pain, le vin, les rouleaux de papier tue mouches, des produits de toilettes, du fil et des aiguilles. Parfois du tissu. Le fromage est fait maison. Mais les fruits, même les pommes, sont achetés au marché. Les pommes à cidre sont récoltées et le pressoir est loué une ou deux journées pour en faire du cidre (et un peu de gnôle sous l’œil vigilant du fisc).
On ne vit pas mal à la ferme, compte tenu de l’autoconsommation, mais le revenu monétaire ne dépasse pas l’équivalent de 200 euros par mois et par personne. Il n’y a pas de retraite. Pas de vacances. Pas de droits sociaux. De toute façon tout le monde meurt avant 60 ans. Dans la plaine riche des alentours, trois ou quatre exploitations dépassent à peine les quarante hectares.
Des exploitations de ce type il y en a des dizaines de mille en France
Il va se passer bien des choses :
La myxomatose qui va décimer les lapins qui ne reviendront jamais à leur volume précédent.
Le tracteur, qui va changer les conditions d’exploitation et l’engrais qui l’accompagne, car seule la productivité améliorée permet de le financer.
Le vélomoteur Motobécane qui va faire découvrir la ville aux filles qui vont alors déserter les campagnes.
En 20 ans toutes les petites exploitations vont fermer et les petites surfaces incommodes mises en jachère, En trente ans les surfaces correctes vont être cédées pour faire des lotissements. Les grandes fermes elles s’étendent et commencent à dépasser 80 hectares puis cent hectares, avec une forte mécanisation et beaucoup d’engrais. Les tracteurs deviennent des engins étonnants qui peuvent traiter 5 hectares par jour puis dix, en tractant des engins de plus en plus larges. Ils travaillent la nuit. Les rendements explosent.
Les élevages laitiers se spécialisent avec les meilleures espèces, la stabulation et les trayeuses, avec des productions de lait de plus 6 tonnes annuellement par vache avec trayeuses automatiques. La fée électricité et les adductions d’eau ont fait leur chemin. Le nombre d’exploitation est divisé par deux puis par quatre puis par dix. Le revenu monétaire des paysans devient plus important et la finance fait son entrée à la ferme.
L’exode rural vide littéralement les campagnes où la population vieillit et où on manque de femmes. On va les chercher à l’étranger, de plus en plus loin. On crée une retraite sans aucune cotisation, ce qui créera par solidarité un détournement de rentes très important qui pèsera sur la retraite des autres, qui cotisent, eux.
Tout le monde a compris que rester à la campagne, c’est accepter la paupérisation relative. Le revenu de ceux qui restent monte du fait de la productivité mais surtout par l’élargissement et la spécialisation des exploitations.
Comme disait mon ami Léon Chaix, spécialiste agricole s’il en fut : la vraie misère est agricole. La preuve est qu’on part pour la ville. Ceux qui idéalisent la petite exploitation agricole des années 1 880 et qui persistait encore en 1950, n’y vivraient pas.
De là : le changement d’ampleur et de ton du syndicalisme agricole et les grandes manifestations bretonnes parfois violentes menées par Alexis Gourvennec en 1961 et l’arrivée de Pisani et Chirac dans le décor pour mettre en place de nouvelles structures coopératives et des filières de ventes à l’étranger, allant jusqu’à creuser un port pour attaquer le marché britannique !
Pour l’état, très interventionniste dans le monde agricole depuis des siècles, la « politique agricole » devient un problème. Les systèmes de garantie de prix, genre ONIC, pour le blé, commencent à flancher : tous les silos sont pleins et les marchés extérieurs commencent à être également saturés. Ils ne permettent plus de se débarrasser des excédents à bon prix. En les bradant on fait grandir l’écart de prix entre le marché français et le marché mondial. Les producteurs étrangers se rebellent ! De Gaulle impose que l’agriculture ne soit pas laissée hors du marché commun et qu’on y mette les mêmes garanties de prix qu’en France.
Le plan Mansholt marque une première certitude : le revenu paysan ne rattrapera son retard que si on crée des exploitations optimales donc bien plus grandes. On veut créer des fermes à plusieurs pour atteindre des tailles critiques. Les petites exploitations sont condamnées. En même temps on suggère qu’il faut ramener les prix européens plus près des prix mondiaux et on cherche à augmentation la pression de concurrence en important plus, en particulier de la viande. C’est un choc culturel tant l’attachement à la petite ferme traditionnelle est grand.
Mais l’opération réussit, pas toujours par fusion des terrains et des fermes. Des cas d’associations entre deux familles se multiplient notamment dans le Sud-Ouest où l’enfant unique a déjà fait des ravages au XIXe siècle Cela ira assez loin, compte tenu des aides sociales qui se multiplient. Je connais un cas où deux exploitations familiales de 80 hectares sont mises en commun en attendant le mariage des deux enfants des paysans. On ne se marie pas tout de suite pour toucher la subvention de femme isolée, en plus pour chacun des enfants, du RMI de l’époque. Les enfants travaillent au noir en hiver comme moniteurs de ski pour des groupes anglais dans les Alpes et travaillent au noir en été au bord de la mer. Quand les parents cesseront leur activité il sera bien temps de se marier et de reprendre l’exploitation. Des scouts parcourent les campagnes pour les informer de leurs droits et protections.
Mai 1968 crée les conditions des évènements du Larzac qui fait apparaître les premiers contre-modèles gauchistes et anti productivistes violents.
En 1992 se produit le grand choc. L’Europe ne veut plus subventionner les produits mais les paysans. On passe de l’aide au prix à l’aide à la personne. Déjà des préoccupations environnementales pointent leur nez. Le paysan devient un assisté dont l’activité ne cessera plus d’être sous la surveillance des fonctionnaires et de Bruxelles, où la PAC est le premier budget. Sa production est limitée. Des obligations réglementaires commencent à pleuvoir avec le flicage qui va avec. La grogne ne cesse de monter. Mais le paysan n’a aucune chance d’échapper : son revenu ne dépend plus de lui.
En 2013, le cadre est affiné pour faire des économies avec plus de sélectivité dans les aides à la personne. Puis les écolos fascistes prennent le pouvoir en France et à Bruxelles. On impose de plus en plus de contraintes aux exploitants jusqu’à réduire leurs surfaces, en exigeant plus de jachères tout en ouvrant en grand la concurrence à des produits qui n’ont pas les mêmes règles restrictives de production. Les prix de ventes ne permettent plus de couvrir les coûts et la concurrence internationale emporte jusqu’à 50 % de la consommation, beaucoup via les hypermarchés, dont les centrales sont à l’étranger.
Le cumul de l’idéologie de la concurrence, de la volonté de réduire le coût de la PAC, de l’idéologie des écologistes punitifs et malthusiens, des défenseurs de la nature sacrée contre l’homme épouvantable et prédateur, et de la bureaucratie a fait exploser le système.
On demande de surcroît à la ruralité de déboiser pour mettre des panneaux voltaïques et de supporter l’implantation d’éoliennes géantes, tout en exigeant avec la loi ZAN que les bourgs cessent de s’étendre. Des sauvages protestent violemment et détruisent les semences modernes et les bassines de retenues d’eau après avoir interdit les OGM.
L’arrivée de populations délinquantes de l’est et du sud voit se développer le vol dans les champs et les attaques de fermes isolées.
Les campagnes deviennent folles. comment ne pas le comprendre ?
Sur les 53 milliards de la PAC, environ 10 milliards sont donnés à un monde paysan de 350 000 personnes, soit en moyenne 30 000 euros par exploitation. Il est difficile d’aller beaucoup plus loin.
La situation est inextricable. Au nom de la « restauration » de la nature et de la lutte contre le « dérèglement » climatique on veut tuer l’élevage et réduire la productivité, tout en important en masse des produits agricoles internationaux (sans préoccupations pour la nature et le climat), tout en paralysant tout le milieu rural par une supervision bureaucratique digne de l’URSS. Affirmer qu’en faisant cela, on lutte contre le « libéralisme » excessif des paysans est tout de même un peu gros.
L’avenir de toute façon est à des exploitations de types capitalistes avec des salariés agricoles travaillant avec les mêmes normes que dans tous les autres métiers, qui seront soit des permanents soit des saisonniers, capables de financer les rétentions d’eau et les matériels actuellement nécessaires dans un métier qui devient de plus en plus numérique et capital intensif.
La revendication de hippies alternatifs qui veulent faire du bio sur des petites surfaces prêtées sans frais avec des subventions intégrales européennes ou nationales est parfaitement ridicule.
En revanche la question de la fertilité des sols soumis à des intrants chimiques importants et potentiellement dévastateur est un vrai problème. C’est là que la recherche doit progresser et sur le diagnostic et sur les solutions, loin des paniques artificielles organisées par des ONG.
Pour l’agriculture française la solution existe. Elle a été mise en œuvre par la Nouvelle-Zélande confrontée à une poussée extravagante des subventions associées à des résultats désastreux pour les paysans soumis à d’infinies tracasseries. En quelques années les paysans sont redevenus riches et les subventions d’Etat ont été divisées par quatre. Qu’est-ce qui s’est passé ? On leur a dit : débrouillez-vous et faites ce que vous voulez mais sans l’aide de l’État !
Le plus simple aujourd’hui est de tenir le même langage au monde paysan. Supprimons la PAC, la loi Zan, la loi Egalim etc. Démantelons les obstacles à la vente des terrains agricoles et le malthusianisme du statut de paysans. Et demerden-sie sich ! Que les meilleurs gagnent. Et unifions toutes les normes de qualité des produits à l’entrée sur les marchés qu’ils soient alimentés de l’intérieur ou de l’extérieur de l’Union.
Rendez-vous dans 5 ans.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
La question est de savoir si les produits phytosanitaire et les modes de travail de la terre détruisent la qualité des sols exploités au point de les rendre infertiles. C'est à dire si les méthodes employées par l'exploitant tue son capital. En fait, il serait inconscient de le faire.
L'autre question est l'impact sur la santé publique des mêmes produits. Quand on compare la situation avec les drames alimentaires des années trente ou quarante on en est loin. Tout a été amélioré. Les informations alarmistes balancées par les ONG sont presque toujours excessives voire mensongères.
Reste l'impact sur les espèces naturelles qui cohabitent avec l'agriculture. Oui on a vu disparaître les insectes et les hirondelles se sont fait rares dans certains endroits.Oui on a eu une difficulté avec les abeilles. On a considéré les néonicotinoïdes comme responsables. Ils ont été interdits.en 2018. Quatre ans plus tard on ne voit pas de grandes modifications. On évoque des questions de pollinisation, mais dans la pratique les récoltes ne sont pas réellement affectées. Elles dépendent plus de la météo et des parasites !
L'arrivée des militants anti production dans toutes les instances a multiplié les interdictions et les moyens de contrôle. Il devient difficile de retrouver du rendement, donc des ressources pour amortir les installations et rembourser les emprunts. Les intrants eux ont vu leur prix exploser. Les prix ont été rapprochés des prix mondiaux. Le casse noisettes est en place. Le producteur ne sait plus quoi faire.
Ce que l'on appelle écologie politique et qu'on devrait appeler plutôt les récessionnistes a interdit au nom de la nature déifiée de toucher à quoi que ce soi dans la nature. On ne cure plus les rivières pour ne pas déranger. On n'organise plus les berges. Les rivières débordent.. On bloque l'aménagement des forêts et l’essartage est vu par certains comme une atteinte à la biodiversité. Tout brûle majestueusement ! On ne veut pas contrôler les meutes de sangliers qui se sont multipliées au point de dévaster des surfaces gigantesques et de provoquer des accidents fréquents. On ne veut pas contrôler la pullulation des bêtes sauvages réimplantées qui s'attaquent au cheptel (en tuant des milliers de bêtes) et à l'occasion aux passants. Qui sait que la Commission voulait limiter le nombre des loups et que M. Canfin (ancien cadre du WWF) mène campagne comme président de la commission du PE pour l'empêcher et que Macron laisse faire alors qu'il a un pouvoir de blocage pour conserver un vote écolo aux prochaines élections européennes. Dès qu'on laisse un militant écolo un peu de pouvoir il détruit et désorganise (Voynet, Hulot etc.).
Donc tout dérape. Il faut sortir les militants des processus et ne leur laisser qu'un rôle de lobbyiste. En revanche les études d'agronomie et d'impact des méthodes modernes doivent être poussées au maximum.
On notera que sur le WEB toute l'information donnée l'est par des associations et des ONG. Elle est le plus souvent outrancière et parfois totalement bidonnées pour faire peur.
Le terme de biodiversité est une arme. Comme le CO2 l'est dans le domaine climatique. Tout acte d'élevage et de plantation a un effet sur le vivant sauvage. Privilégier ce dernier conduit automatiquement à restreindre l'agriculture et l'élevage. Tout acte humain produit du CO2, donc la encore on arme par le vocabulaire la réduction des activités humaines.
Jusqu'à maintenant le progrès général s'accompagnait du souci de faire que chacun fasse mieux et évitant les actes négatifs. Avec des résultats spectaculaires. Maintenant on veut que chacun fasse moins et cultive sa culpabilité. Cette rébellion contre l'homme pousse à son extinction. Comme le montre le suicide démographique en cours.
Cette folie ne pourra pas durer très longtemps.
Excellent. Celui qui tient le vocabulaire tient l'opinion. Il faut déconsidérer le vocable de biodiversité comme celui de transition énergétique.
Ne plus appeler les Verts et autres militants des causes décroissantistes autrement que du terme de "naufrageurs verts". Oublier le terme écologiste.
Parler d'action constante pour une "croissance propre" au lieu de "transition"
Parler de qualité de l'environnement au lieu d'écologie.
Parler d'évolutions climatiques au lieu de dérèglement climatique.
Parler de réduction de la rançon pétrolière et gazière au lieu de transition énergétique.
Parler d'artificialisation massive du plateau littoral et pas d'éolien maritime.
Parler de flicage des comportements, d'attaques contre la propriété et de destruction des libertés comme actions répétées des naufrageurs.
Parler de diabolisation de l'homme au lieu de restauration de la nature.
Parler de lobbies verts et non d'ONG.
Parlons d'anticapitalistes primaires et non de défenseurs de la nature.
Cela simplifiera les débats publics.