Un anniversaire saumâtre : le déclenchement de la Grande Récession
Une crise encore largement incomprise.Au fur et à mesure que l’on se rapproche du 15 septembre, dixième anniversaire du déclenchement spectaculaire de l’effondrement bancaire international de 2008, avec la faillite acceptée par Paulson de Lehman-Brothers, la presse revient de plus en plus largement sur son déroulement et sur le comportement des uns et des autres des dirigeants aux manettes à ce moment décisif.
Il est intéressant de constater combien les causes de la crise restent appréciées avec courte vue et légèreté.
« C’est une crise des « subprimes » américaines et de la finance mondialisée et dérégulée. Un incident grave mais finalement bien cerné. Maintenant qu’on a étouffé les banques sous les réglementations diverses, les causes sont sous contrôle et il ne reste qu’à éliminer progressivement les conséquences de ce choc violent. On est sur la bonne voie mais il faut faire attention car les mêmes forces financières peuvent à nouveau se déchaîner, si on relâche la garde ».
Tel est le mantra de pratiquement tous les articles écrits sur le sujet, que ce soit les propos tenus par les personnes interviewées ou les commentaires des journalistes.
Nous pensons que cette analyse est trop partielle. Elle fait l’impasse sur trois faits majeurs :
- Les crises de 73-74, 92-93, et 2008 sont de même nature et ont les mêmes causes
- Le taux de croissance n’a cessé de baisser depuis 1971 de décennie en décennie
- Le taux de dettes n’a cessé de monter depuis 1971.
D’autre-part, on ne comprend pas pourquoi les banquiers se seraient mis tout soudain à faire n’importe quoi, même si la dérégulation bancaire et l’acceptation d’innovations financières dangereuses accélérèrent les difficultés à partir de la seconde partie des années 90.
Dans notre livre « l’Etrange Désastre » nous avons tenté de montrer que ces crises à répétition provenaient des énormes excédents et déficits de balances de paiement acceptés après l’abandon des disciplines des accords de Bretton Woods. Le recyclage d’excédents aussi massifs a créé une liquidité internationale délirante qui a transformé l’économie monde en économie baudruche. A chaque mini explosion, les banques centrales ont alimenté la machine pour qu’elle ne sombre pas et tout a recommencé un peu plus tard en plus grave, avec un gonflement de valeur d’actifs spéculatifs tout à fait artificiel. Les « subprimes » sont bien l’allumette qui a fait sauter la bombe, mais la bombe était constituée par une accumulation de dettes spéculatives autrement plus massives.
Le trou sur les « subprimes » était en 2008 de près de 600 milliards de dollars et d’après des estimations (dont on ne sait trop comment elles ont été faites et qui varient) la perte finale serait située entre 200 et 300 milliards de dollars. Et il a fallu que les banques centrales créent près de 16 mille milliards de dollars de monnaie et au total c’est environ 60 mille milliards de dettes nouvelles qui ont été générées pour passer le cap ! La perte instantanée était en septembre 2008 probablement proche de 10 mille milliards de dollars, vingt à quarante fois les pertes potentielles sur les « subprimes ».
Dans son interview au Figaro (29 août 2018), Nicolas Sarkozy indique « qu’il fallait avoir une cécité complète pour ne pas s’alarmer » des incidents financiers de l’été 2007, en particulier le blocage des trois fonds de la BNP. Mais lors de la campagne de 2006, il ne voyait rien venir. Nous avons écrit à son équipe de campagne de « ne pas annoncer qu’il allait redresser spectaculairement la croissance, alors qu’une crise majeure allait frapper son quinquennat ». Sans réaction de sa part. Nous avons publié une version allégée sur le site du forum du Monde pour bien marquer que la crise arrivait et qu’il fallait s’y préparer.
On sait que Mme Merkel, au moment de l’effondrement, était totalement larguée et continuait de raisonner en gardien du coffre-fort allemand. « La crise est la faute des autres qui ne devaient pas compter sur l’Allemagne pour payer les pots cassés ». Sarkozy a raison de le rappeler. Mais ce que ni lui ni Merkel n’avait vu, c’est que les banques allemandes étaient automatiquement les plus atteintes puisque c’est elles qui recyclaient les prodigieux excédents allemands. Ce n’est pas seulement HRE qui est en faillite virtuelle en septembre 2008, mais toutes les landesbanken, la Dresdner et la Deutsche Bank, comme la suite le montrera. Merkel n’avait rien vu venir. « Les excédents c’est bien, c’est fort et les banques allemandes sont bonnes et fortes ». En fait elles étaient le moteur du recyclage des excédents et sont largement responsables des investissements douteux dans les pays du Club Med et surtout aux Etats-Unis, dans les subprimes et divers autres marchés spéculatifs.
La corrélation entre trop gros excédents et fragilité bancaire n’est toujours pas faite par les autorités. Dans la même édition du Figaro, Olaf Scholz (vice chancelier SPD de Merkel) considère que l’excédent du commerce extérieur allemand de 265 milliards de dollars, qui a déclenché la crise récente avec les Etats-Unis, ne sont pas un problème. Pour lui, l’Etat allemand n’est pas en cause. C’est juste le résultat de la bonne santé des entreprises allemandes qui sont bien intégrées dans la mondialisation. « La croissance et la réussite d’un pays sont bonnes pour tous ». Quant au change, il n’est pas sous la direction de l’Etat allemand. Circulez, il n’y a rien à voir, surtout que nous menons une « politique social-démocrate intelligente ».
Nicolas Sarkozy, dans son interview, considère qu’il n’est pas nécessaire de connaître Ricardo, Keynes et Milton Friedmann, pour gérer une crise financière. C’était sans doute vrai au moment de l’explosion du système bancaire et son action en faveur d’une « bombe atomique » lancée contre la spéculation par la BCE a été salutaire, alors que Trichet était dépassé. Mais il devrait tout de même lire le discours aux communes de Keynes expliquant le lien entre désordre monétaire, crise et trop gros excédents commerciaux. Du coup il comprendrait pourquoi la crise est survenue et surtout pourquoi elle risque de revenir. Car s’il craint le retour de la crise il ne dit pas pourquoi les mesures prises ne suffisent pas à l’empêcher. Ricardo a aussi quelques très bonnes pages sur la confusion entre mercantilisme accumulant de l’or et création de richesses. Quant à Milton Friedman, une bonne partie des critiques faites à l’organisation de l’Euro était pertinente. Ce qu’on a vu en 2011.
Il se trouve qu’Emmanuel macron vient d’annoncer et son plan économique interne et son orientation européenne. En route pour une diplomatie économique ! Elle n’est conçue que comme une aide aux exportations. Si le pays n’est pas compétitif, c’est un leurre. Le premier acte d’une diplomatie de la prospérité est d’abord de restaurer la compétitivité du pays et redresser ses comptes. Ce que jusqu’ici, il n’a pas osé faire. Ensuite de bien comprendre ce qui ne va pas en Europe et dans le monde. Dans une ambiance qui a vu la croissance baisser chaque décennie, ponctuée à chaque fois par une crise toujours plus grave, il importe d’avoir compris pourquoi. Le président n’a jamais énoncé de diagnostic précis sur cette question. Voici que justement Donald Trump frappe la France à cause des énormes excédents allemands. Et que le FMI rappelle que les gros excédents posent un problème. Il serait donc temps d’avoir une vision claire de ces questions. D’autant que Mme Merkel veut imposer un candidat allemand à la présidence de Commission Européenne.
Une diplomatie de la prospérité passe obligatoirement par une stratégie pour mettre fin aux dysfonctionnements globaux du système monétaire international et à ceux de la zone Euro. Sur ces deux questions le silence est total aussi bien dans les propos du Premier Ministre que dans ceux du Président.
Nous sortons en loques d’une crise internationale d’une rare violence et d’une période où l’Europe a fait pire que tout le monde ; les Etats-Unis nous agressent ; les Chinois utilisent leurs excédents colossaux pour acheter notre capital et des entreprises stratégiques dans l’énergie. Et nous n’avons rien à dire, rien à faire et aucun but diplomatique ?
Nous sommes de ceux qui pensent que c’est une honte française. On peut être en difficulté. On n’a pas le droit de ne rien comprendre et de ne rien faire de véritablement efficace par crainte des réactions syndicales et électorales. Surtout quand tous les mécanismes de la crise ont été explicités par des économistes français de grand talent : Jacques Rueff et Maurice Allais que nos Présidents seraient bien inspirés de relire.
Une de fois de plus les économistes ne facilitent pas la conversion des politiques. Un rapport dont toute la presse s’extasie une fois de plus explique la crise par des éléments non significatifs : la prétendue baisse structurelle de la productivité avec des innovations qui ne créent pas d’emplois, ou même, comme les développements récents de l’intelligence artificielle, en supprimeraient l’essentiel, le vieillissement de la population, les écarts de rémunérations. Ce qui est déclaré comme des causes sont pour la plupart des conséquences. Dans une économie baudruche les actifs sont grossièrement surévalués et donc les possédants paraissent avoir une part augmentée. Mais c’est toujours la même maison et toujours le même portefeuille boursier. L’échelle de mesure a changé ( la valeur réelle des principales monnaies a chuté de plus de 95% depuis 1971 ), mais les biens eux-mêmes sont quasiment les mêmes. L’innovation ne produit de productivité et ne crée de l’emploi que si la conjoncture est bonne. Elle ne l’est que de façon artificielle dans une économie baudruche.
Si on restaurait des institutions économiques et financières correctes dans le monde et en Europe, on verrait que la croissance est possible avec une régularisation de bien des excès actuels. La vraie question apparaîtrait alors : le caractère fini des ressources naturelles consommées et les effets globaux des déchets de production et de consommation. Ces deux questions ne peuvent trouver de solution que dans un cadre économique global sain.
Sortir le monde de l’économie baudruche est actuellement le seul combat économique qui vaille. Il faut bien reconnaître que, malgré des progrès, le monde regarde ailleurs.
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Cette situation est très flippante pour un particulier qui se sent prisonnier du système.
La question est de savoir s’il faut corriger les gigantesques déséquilibres commerciaux internationaux et la déformation de répartition de la valeur ajoutée qui en découlent, à la fois entre pays (pays en excédent extérieur qui y gagnent, au premier rang desquels la chine en phase de (re)-développement économique après qu’elle fut ruinée par les guerres de l’opium puis le communisme vs. pays en déficit extérieur qui y perdent, au premier desquels les Etats-Unis démocratique, capitaliste et développé) et à l’intérieur de chaque pays (actionnaires, dirigeants et cadres sup des entreprises multinationales dont les profits bénéficient de l’arbitrage salarial international vs. travailleurs ordinaires des pays développés, et particulièrement travailleurs peu qualifiés, qui y perdent sous forme de stagnation des salaires, de sous-emploi ou de chômage).
La question est faut-il, oui ou non, ré-équilibrer et, si oui, comment et par qui, à la fois entre pays et entre classes sociales à l’intérieur de chaque pays ?
C’est une bataille aux enjeux énormes. On parle de faire bouger environ 4pts de valeur ajoutée mondiale par an, soit environ 3000 milliards de dollars par an. 3000 milliards de dollars par an représente une valeur capitalisée (valeur d’actif) d’environ 16000 milliards de dollars, à répartir éventuellement différemment. Inutile de dire que c’est une bataille féroce entre bénéficiaires et perdants de la répartition actuelle. Le montant de 16000 milliards de dollars est parfaitement concordant avec le montant de nouvelles liquidités injectées par les principales banques centrales de la planète ces 10 dernières. Tout semble s’être passé comme si les banques centrales avaient voulu faciliter la réallocation de 16000 milliards de dollars en injectant ce montant là dans le système. Malheureusement, les 16000 milliards de dollars nouvellement créés ont principalement atteint les mêmes poches que les 16000 milliards excédentaires à reprendre et on peut craindre que les banques centrales n’aient fait qu’augmenter l’ampleur du problème. A cet égard, le fait que la valeur du stock de capital américain relativement à la valeur de la production atteigne le pic historique de 1929 laisse quelque peu perplexe.
L’élection de Trump est la conséquence du malaise économique engendré aux Etats-Unis par ces déséquilibres, les Etats-Unis étant le principal pays déficitaire au monde et donc le principal pourvoyeur de demande et donc de croissance économique au reste du monde, et notamment aux pays excédentaires. Ainsi, Trump n’est pas une cause mais une conséquence du problème. Il n’aurait pas été élu si les travailleurs américains étaient en situation de plein emploi et de progression salariale et ne croulaient pas sous les dettes.
Les réactions à la fois externes et internes depuis l’élection de Trump suggèrent fortement que ce ré-équilibrage ne va pas se faire de façon coopérative et ordonnée (ce qui est possible même si difficile) mais de façon conflictuelle et dans le désordre, voire la violence. Le style de Trump n’aide pas sans doute, même si on peut être certain qu’une approche « enfant de cœur » n’aurait pas eu la moindre chance. Bref, on est dans une dynamique toxique entre grandes puissances, à laquelle s’ajoute de très fortes tensions internes aux Etats-Unis (et dans beaucoup d’autres pays). Cette double dynamique est hautement malsaine et instable. On ne saurait prévoir ce qui va se passer.
Dans cette affaire, les médias n’ont pas la moindre once de compréhension de ce qui se joue et sont entièrement engagés, plus ou moins à leur insu, dans la guerre médiatique et la propagande tous azimuts d’un camp contre l’autre. Comme d’habitude dans ces cas là, les vrais amis des puissants et des gens ordinaires ne sont pas forcément ceux qui sont présentés comme tels. Dire que la crédibilité des médias, comme celle des économistes, s’est effondrée est un doux euphémisme.