Les leçons des difficultés d’Uber

Le marché des opérations de particulier à particulier existe depuis le début de la Presse (comme la publicité, l’exploitation du sexe et les jeux concours bidons). Un medium met toujours en communication des individus. Organiser la rencontre de deux personnes qui peuvent interagir pour leur intérêt propre est un sport typiquement « médiatique ». Il a pris de l’ampleur avec  la radio, puis la télévision, puis Internet, puis le terminal portable. L’offre et la demande peuvent se confronter à une échelle inconnue jusqu’ici. La notion de « centrale de particuliers » a pris naturellement un essor considérable, un logiciel bien fait  permettant à un intermédiaire astucieux de trouver rapidement des milliers voire des millions de personnes intéressées. Le phénomène s’est développé d’autant plus que l’ubiquité d’Internet  et l’ambigüité des contrats permettaient d’échapper aux taxes et impôts, aux droits sociaux et aux législations contraignantes.

L’internet « disruptif », qui mettait en difficulté le commerce traditionnel, prétendait s’étendre en cassant tous les codes anciens et balayer des marchés entiers dans le monde des services à la personne. On a vu d’abord la destruction du droit d’auteur et la disparition du commerce traditionnel des œuvres musicales  et cinématographiques. Amazon était l’exemple dans le domaine de la distribution, mettant en cause des modèles bien établis comme celui des centres commerciaux. Ce modèle prétendait qu’on pouvait faire des pertes immenses tant que le nombre des clients croissait par millions. Facebook démontrait qu’on pouvait toucher des milliards de personnes, en cassant le marché de la publicité médiatique. Airb&b modifiait radicalement la location temporaire immobilière. Uber était annoncé comme la force qui allait tout changer dans celui des transports.

Et patatras, la fête commence à mal tourner. Non seulement Uber continue à consommer du capital à un rythme phénoménal, en perdant 50 cts à chaque euro de chiffre d’affaire (presqu’autant que la SNCF), mais le vide juridique et fiscal se comble progressivement. Le jugement de la Cour de Justice d’en faire une entreprise de transport comme les autres la soumet à la fiscalité et la réglementation du transport. Les chauffeurs deviennent des salariés. Les clients doivent payer les taxes. La répression pénale se met en place contre Uber, ses chauffeurs et aussi ses clients. L’avantage compétitif de la course Uber disparait s’il faut payer les charges sociales sur les chauffeurs, la TVA et respecter des règles de formation pour recruter les chauffeurs, et si les chauffeurs doivent être soumis à l’impôt sur le revenu, la CSG etc.

On sort toujours à son détriment de l’ambiguïté fiscale et réglementaire.  Internet a permis l’évasion fiscale et règlementaire à grande échelle, jusqu’à ce que les Etats se réveillent. Ce qu’ils font à leur rythme pachydermique. La disruption se retourne. L’avenir d’Uber n’est pas nécessairement compromis. Mais désormais la course au chiffre d’affaire est entravée et le sera de plus en plus dans les grands marchés solvables. La banalisation rendra le souci des pertes de plus en plus prégnant. Contrairement à Amazon, dont le modèle n’est pas uniquement fondé sur le contournement des lois et du fisc (encore que…), Uber manque de raisons fortes de s’étendre voire d’exister si ce niveau de pertes se maintient.  

Tous les pseudos penseurs et les gourous patentés qui faisaient de l’ « ubérification disruptive » de la société l’avenir du monde, en seront pour leurs frais. Ils se reconvertissent à toute vitesse dans le « big data » et l’intelligence artificielle, sans même se douter que l’IA a commencé son chemin dans les média dès les années soixante-dix (cinquante ans déjà) et a été la plus grande déception pour les investisseurs, même si l’ordinateur bat désormais l’homme aux échecs et aux dames.  Non pas que ces disciplines n’aient pas un énorme potentiel mais il est très difficile à faire naître et à développer. En tirer des prévisions à long terme est simplement impossible.

Rappelons qu’Internet a plus de quarante-cinq ans d’existence, associé à la norme TCP-IP,  et qu’il a explosé comme média commercial à partir des années 90 et l’introduction du World Wide WEB, il y a plus de 25 ans.

Quelle est la grande  leçon à tirer des mésaventures d’Uber ?

La première est l’immense dynamisme qui s’installe dès lors que le fisc et la réglementation ne sont pas présents. Dans les banlieues du nord de Paris, Uber a fourni plus d’emplois que toutes les autres industries réunies.  Il y existait un énorme potentiel d’emplois qui n’était pas exploité.  En France notamment, la fiscalité et la réglementation, qui empêchent pratiquement toutes les libertés et tout profit, stérilisent de façon inouïe le potentiel d’énergie, de travail et d’emplois qui est présent partout, y compris dans ce qu’on appelle les banlieues difficiles et les zones dites de non-droit.

Le malthusianisme intrinsèque à « l’Enarchie compassionnelle » qui ne survit que par l’impôt confiscatoire et la sur-réglementation, a des conséquences dramatiques sur l’emploi et le dynamisme de l’économie. Dès qu’une faille s’ouvre, la vie économique s’engouffre. Au lieu de s’emberlificoter dans des analyses internet foireuses et des prévisions aventurées, les journalistes devraient lancer leurs analyses dans cette réalité parfaitement claire « ici et maintenant » : la stérilisation du dynamisme,  par l’impôt et la réglementation, d’énormes possibilités latentes d’échanges et de travail. Et aussi d’intégration : comme le disaient les Otkazniks en URSS, le « socialismus », appuyé sur un culte de la violence issu de la révolution française de 1789, ne permet ni liberté, ni égalité et naturellement aucune fraternité.

C’est cette vérité fondamentale qui est à l’œuvre : bureaucratie et fiscalité (qui est une violence d’Etat)  ruinent la prospérité et interdisent toute liberté, toute égalité et toute fraternité.  Notamment en France, où l’extase macronienne fait oublier les hausses massives d’à peu près tout ce qui peut augmenter comme contraintes administratives, tarifs et taxes, « en même temps » qu’on étouffe les possibilités d’échanges de travail et de biens offertes par Internet dans le cadre de relations de particulier à particulier.

Commentaire
DvD's Gravatar Il faut dire que la situation devient inacceptable. Songez que des dizaines de milliers de personnes ont trouvé une occupation légitime tandis que - chose inconcevable - il devenait possible de trouver un “taxi” à Paris.

Heureusement, l’administration, garante de la pénurie générale (ne pas confondre avec l’intérêt général, qui est l’inverse), va mettre bon ordre à cette “régression sociale”. Le nombre d’emplois de chauffeurs Uber va donc pouvoir diminuer et il sera à nouveau impossible de trouver un taxi dans Paris. Ouf !

Une petite anecdote révélatrice : en 2010, à l’occasion du rapport de la commission Attali pour la libéralisation de la croissance française, un membre de cette commission - un certain Emmanuel Macron - s’était amusé qu’ils n’aient pas abordé la question des taxis. “On ne pourra donc pas saisir ce prétexte pour occulter les vrais sujets” avait-il dit (p. 231 du rapport à la documentation française).

Personne ne sera étonné de constater que, 8 ans après, aucun des “vrais sujets” identifiés par ladite commission n’ait avancé d’un iota. Bien au contraire. Pendant ce temps, Uber libéralisait en quelques trimestres le secteur des taxis, créant des dizaines de milliers d’emplois et répondant à une demande jusque là non satisfaite. De là à faire passer les apparatchiks de la commission pour des verbeux dépourvus de la moindre capacité opérationnelle, il y a un pas qui est bien sûr allègrement franchi depuis longtemps. Uber ayant fait seul en un temps record ce que tous les corps d’Etat représentés dans la commission n’ont pas commencé à faire en 8 ans, il est bien sûr tout à fait normal qu’il soit puni pour cette “libéralisation de la croissance” du plus mauvais goût.

Pour les “vrais sujets”, gageons que Macron va continuer à les identifier et à les solutionner avec tout le discernement et l’efficacité dont il a déjà fait preuve à la commission Attali.
# Posté par DvD | 05/01/18 22:29
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