Le livre de J. Généreux : la DéCONnomie

L'injure comme substitut à la réflexion économique ?

Le livre de J. Généreux aurait pu ne pas être inintéressant. Son mérite aurait pu être de donner à réfléchir sur ce que nous-mêmes appelons "la crise", définie comme un ensemble de trois phénomènes fondamentaux : la baisse de la croissance ; la montée constante de l'endettement et la gravité des crises décennales.

Le but du livren'est malheureusement pas de donner à comprendre. L'objet unique est de désosser les habitudes de pensées, les phrases type, les conceptions communes qui amènent à accepter le capitalisme. On n'est plus dans l'analyse économique mais plutôt dans le "comment se débarrasser des idées qui rendent tolérable pour le plus grand nombre un système intolérable". Cet a priori de combat idéologique marqué finit par tuer la bonne volonté du lecteur tant les concepts et les faits sont sollicités. L'auteur fait feu de tout bois et produit une chaleur qui n'échauffera que la haine des convaincus.

À chaque fois qu'une évolution est détectée, un phénomène entre-aperçu, on se dit : ça y est ! Il va donner une explication. Et non. Tout s'enchaîne sans raison ou avec des phrases chevilles qui n'apportent aucune lumière.

Donnons juste un exemple qui nous intéresse particulièrement. L'ère des trente glorieuses s'arrête. C'est vrai. Nous ne sommes plus en forte croissance en France comme dans la majorité pays développés, depuis longtemps. Pourquoi ? L'explication fuse : "parce que le modèle économique sous-jacent s'épuise". C'est tout ? C'est tout ! Comme souvent dans les récits d'histoire économique, les faits flottent comme les yeux dans le bouillon. L'animisme économique, cette tentation qui veut que les objets, les organisations et les systèmes aient une âme dont les états seraient la base du développement historique, est une déviation risible. Nous ne cessons de le dire et nous ne le cesserons pas. La notion de système qui s'épuise comme un rameur fatigué par sa course, cela ne correspond à rien. Cette approche conduit à définir des intentionnalités, qui sont évidemment aussi floues que collectives, donc politiques, que l'on ne peut contrer que par d'autres intentionnalités construites par le rassemblement des masses. On connaît bien la suite : Nuit Debout contre les Vilains et le Capitalisme. Sans aucune solution naturellement sinon la déconstruction du langage de l'ennemi.

Le refus de l'observation des mécanismes de détail, de leur explication minutieuse et de l'examen des corrections possibles conduit automatiquement aux approximations, au" complotisme", à l'animisme et à toutes les nuances du marxisme méthodologique.

Oui le système de Bretton Woods avait un gros défaut, très bien cité, mais pas explicité, par l'auteur : mettre une monnaie nationale comme pivot d'un système monétaire mondial suppose qu'il n'y ait pas de "benign neglect" de la part de son émetteur. Si le bénéficiaire du privilège monétaire se lance dans une course folle à la dépense, la valeur du pivot s'érode et les comportements de défiance apparaissent. Les Etats-Unis ont donc été sous pression en 70-71, jusqu'à faire sauter le système. Favorable à une dépense publique sans limite notre auteur ne peut pas avouer que ce laxisme est la cause de la fin des Accords.

Une fois que le système a sauté, il est clair qu'il a emporté les Trente Glorieuses avec lui. Mais il faut expliquer pourquoi et comment. La question de fond est l'impact du système monétaire sur l'économie, les jugements à porter sur le système non coopératif des changes flottants, dans un monde où les Etats sont les principaux agents économiques, les réformes à faire et les moyens de les obtenir.

Seulement voilà : l'auteur ne veut pas expliquer le désastre par les défauts du système monétaire international dont la correction impliquerait un simple réformisme.

Il faut démolir le capitalisme de façon intrinsèque, car il est toujours mauvais, malgré "l'illusion" des trente glorieuses. Le capitalisme est revenu dans son lit normal et c'est une diablerie normale. Il faut donc que les masses s'y mettent ! Les Trente Glorieuses étaient un accident de l'histoire. L'École libérale autrichienne de Hayek ? Rien qu'une bande de nullards. Le capitalisme est sauvage par nature. Le "néo" management est devenu une technique pour pousser tout le monde au suicide. Il a réussi comme un diable à sortir de la boîte et montre son vrai visage. Etc. On connaît !

Au lieu de traiter précisément de défauts majeurs, on attaque le mal à la racine capitaliste. Le contrat d'entreprise en lui-même est une horreur car il assimile l'entreprise, entité économique, aux propriétaires, beurk, qui ont rassemblé les moyens de la créer et de la développer et qui ne devraient pas avoir le droit à la parole. Le salariat, beurk, est une horreur aggravée du fait du néomanagement qui est le pendant du néolibéralisme. Bref le loup et le renard se sont ligués pour faire suer le burnous. C'est comme cela. Et ils ont pris le pouvoir en contournant les Etats et en imposant leur vocabulaire à des médias achetés. Quant à l'Europe des marchands n'en parlons pas.

Ce genre de livre agace. Les faits désastreux sont bien là. Il faut les observer, les analyser, les expliquer. Le jugement péremptoire à base idéologique et l'injure sont acceptables dans des manuels de combat pour groupuscules. Mais il n'apporte rien à la communauté des non croyants.

Le résultat de cette dérive bavochonne est qu'on n'a évidemment aucune solution au bout du chemin sinon un retour triomphal du keynésianisme militant et de la dépense publique sans limite. La dette ? Connais pas ! La compétitivité ? Une hystérie néolibérale imposée par les "marchéistes" ! La surfiscalité ? Quelle surfiscalité ? Tout ce qui a été arraché aux riches doit être conservé puis encore alourdi.

Le résultat : aucun diagnostic technique précis sur des aspects essentiels comme l'organisation du système monétaire international : aucune analyse par exemple du système des changes flottants et de ses conséquences. Donc aucune vraie réforme et surtout aucune diplomatie économique : on sait pourtant que la révolution dans un seul pays, cela ne marche pas.

Le constat des faits lamentables, indispensable, est gâché car détourné de solutions intelligentes et collectives pour un galimatias socialo marxiste militant qui ne conduit à aucune solution. Le dernier chapitre, qui devrait s'ouvrir sur de nouvelles perspectives et de nouvelles actions, ne propose rien sinon d'essayer de nous expliquer pourquoi les intelligents sont "des cons dans la dérive sectaire" et réciproquement.

On retrouve la stupide opposition, en France, entre économistes keynésiens et libéraux, la haine absurde qui les sépare, le révolutionnarisme de professeurs qui vivent de l'argent public et suivent une carrière sans danger, et le franco centrisme de combats de coqs idéologiques. C'est à rapprocher du livre de Cahuc contre les terroristes de gauche qui empêchent toute réflexion économique un peu soucieuse des faits et veulent une soumission collective à l'idéologie, l'engagement primant la science.

Généreux a écrit un bréviaire et, en Savonarole, l'injure vient en prime. Ceux qui ne sont pas d'accord sont des C… Le titre l'annonce, le texte le confirme. L'injure est l'argument des faibles. Le livre rejoint un autre bréviaire du même genre : "Un cauchemar qui n'en finit pas", de deux "philosophes" communistes, qui proposent, avec Toni Negri (on est sauvé), de "parier sur le communisme élémentaire de la multitude". J. Généreux devraient se méfier, car ils ont choisi aussi de se débarrasser des économistes soi-disant experts qu'ils verraient bien "en esclave de la communauté" comme au temps des Grecs classiques.

Quel triste spectacle donne la France des économistes officiels avec ses Patrick Artus ou les Jacques Généreux qui pensent que leurs opposants sont des nuls et des c…

Ces batailles de caniveau empêchent de voir et de comprendre, donc d'agir utilement pour le bien commun, qui n'est ni dans le maintien d'une économie baudruche ni dans la "dictature communiste de la multitude élémentaire".

PS Quelques remarques :

- L'épargne est par définition strictement égale à l'investissement. Il s'agit d'une identité, comme la dette et la créance. La production non vendue est soit détruite dans le processus de formation d'un bien d'équipement soit envoyée dans les stocks. Donc tous les raisonnements pseudo-keynésiens sur l'épargne qui dépasse l'investissement ou l'inverse sont totalement vides de sens. En revanche, un entrepreneur qui voit ses stocks s'accumuler réduit sa production… en même temps que le consommateur se retire du marché et stocke sa monnaie. Et l'épargne reste toujours égale à l'investissement.

- L'auteur retombe dans le contresens sur les zones monétaires optimales. Il n'a rien compris à la thèse de Mundell. Comme Eric Zemmour.

- L'auteur s'indigne que les professeurs d'économie nommés ne sont que, pour une poignée, "hétérodoxes". Qui est chargé de donner les brevets d'hétérodoxie dans une université ? Va-t-on instaurer la sélection par le délit d'opinion ?

Commentaire
Micromegas's Gravatar Le délire idéologique français est une des tares qui expliquent l'effondrement du pays et sa disparition comme "lieu où cela se passe". la France qui a été en tête de la plupart des combats de la science pendant plusieurs siècle s'effondre dans la soumission au n'importe quoi (dont l'archeo communisme du dégueulis). Et on se moque de Trump ! Pauvre pays !
# Posté par Micromegas | 29/01/17 12:53
DvD's Gravatar Micromegas a raison. Le caractère totalement stérile et inopérant du débat économique d'un pays pourtant enlisé dans la stagnation et le chômage de masse depuis plusieurs décennies est profondément affligeant. De fait, il n'y a pas que les élites économiques et politiques qui font l'objet d'un rejet. Les élites intellectuelles sont également concernées. En continuant à débiter une production dépourvue de la moindre valeur explicative et opérationnelle, et à vrai dire totalement déconnectée du réel, ces intellectuels sont en train d'achever de se discréditer.
# Posté par DvD | 29/01/17 13:36
Wauters's Gravatar Que le livre de Jacques Généreux soit polémique, c’est certain, mais je trouve un caractère bien plus injurieux dans le commentaire que vous en faites que dans le livre lui-même. J’ai lu ce livre parce que depuis plus de 40 ans je constate que les économistes, malgré leur prétention à pratiquer une science dure et donc incontestable, se révèlent incapables de prévoir des crises que mon simple bon-sens de non-économiste simple observateur de la société me permettait d’anticiper )plusieurs années à l’avance. À chaque fois qu’une crise s’est produite j’ai constaté que les « prescriptions » des économistes patentés avaient autant de sens pour les populations que les saignées pratiquées sur des patients anémiques.

L’analyse des mécanismes cognitifs qui nous amène tous à certaines erreurs de jugement (et je ne m’exclus pas plus que Jacques Généreux ne le fait dans son livre) n’a rien d’injurieux. Ce n’est que le constat que nous devrions avoir la modestie de prendre conscience des limites de notre intelligence. Votre réaction indique à mon sens que vous percevez l’ouvrage « La déconnomie » comme un blasphème, ce qui tend à démontrer la thèse de l’auteur : votre approche est plus de l’ordre de la foi ou de conviction politique que de la science. L’utilisation de modèles mathématiques sophistiqués ne garantit pas une approche réellement scientifique. S’ils sont alimentés par des données non pertinentes dans le monde réel, les résultats produits seront faux (garbage in - garbage out).

Je pense que plutôt que de se vouloir une approche scientifique pure et dure, l’économie devrait garder la modestie de ce qu’elle est : une science humaine, avec tous les impondérables, les imprécisions que cela comporte, mais aussi tout la grandeur qu’il y a à affronter une complexité qui touche à l’ensemble des connaissances plutôt que de prétendre réduire la réduire à des modélisations touchant à une seule discipline. Plutôt que de se référer à des modèles mathématiques permettant de justifier des options essentiellement politiques, les économistes seraient bien plus avisés et efficaces en se tournant vers les sciences sociales, l’approche sociocratique, la communication non violente et toutes les techniques permettant de faire émerger un peu d’intelligence collective, comme le montrent les progrès récents des recherches sur les mécanismes cognitifs.

J’ai pris la peine de lire ce livre jusqu’au bout, de même que vos commentaires. Je ne suis pas certain que vous en ayez fait autant. Dans le bouquin je trouve un raisonnement structuré, clair qui correspond à mon observation du monde et à mon bon-sens sans doute primaire. Dans vos commentaire je ne trouve aucune justification qui ait ne fût-ce qu’une apparence scientifique. L’économie est complexe, d’accord, c’est une raison de plus pour prendre le temps de l’expliquer clairement, jusqu’au moindre détail détail significatif, dans un langage intelligible pour tout personne moyennement cultivée. C’est très exactement ce que fait Généreux qui confirme langage clair ce qu’écrit Stiglitz (l’un des défenseurs les plus efficaces du capitalisme) en langage scientifiquement plus fouillé et donc un peu moins accessible. Je ne prétends pas qu’il ait totalement raison ou que vous ayez totalement tort.
Ce débat est purement politique - de part et d’autre. La politique ne fonctionne pas et ne peut structurellement pas fonctionner au profit de la majorité des citoyens dans un régime électif multipartite. Si vous avez encore quelques doutes à ce sujet, essayez de vous réveiller avant la (très) prochaine guerre ou révolution... Et pourtant une vraie démocratie au profit de tous est possible, mais elle ne doit pas se limiter au darwinisme d’origine (la sélection et donc la compétition permanente) elle doit aussi intégrer le hasard et la coopération, mécanismes primordiaux du vivant dont on n’avait pas imaginé l’importance lors de l’arrivée des premières démocraties modernes, contemporaines de « L’origine des espèces ».

Jean-Pierre Wauters

NB. Si vous deviez ne pas laisser ma réaction en ligne je devrais en conclure que Jacques Généreux a très largement raison et que vous êtes effectivement une organisation dogmatique, politique et irrationnelle totalement hermétique à toute critique scientifique.
# Posté par Wauters | 05/02/17 16:23
Admin's Gravatar Ce site a la particularité de ne pas censurer les interventions sauf naturellement quand elles tournent à l'obsessionnel agressif et injurieux.
# Posté par Admin | 08/02/17 13:36
DD's Gravatar @Wauters
"les économistes, malgré leur prétention à pratiquer une science dure et donc incontestable, se révèlent incapables de prévoir des crises"

Nous avons prévu cette crise avec une exactitude très grande (causes, modalités, importance catastrophique, année et mois).

"À chaque fois qu’une crise s’est produite j’ai constaté que les « prescriptions » des économistes patentés avaient autant de sens pour les populations que les saignées pratiquées sur des patients anémiques."

Nous critiquons depuis 1997 le "contractionniste". Mais nous ne sommes pas "patentés".

"nous devrions avoir la modestie de prendre conscience des limites de notre intelligence"

Certes. Merci de ce louable rappel.

"Dans vos commentaire je ne trouve aucune justification qui ait ne fût-ce qu’une apparence scientifique."

Lisez L'Etrange Désastre. 300 pages d'explications approfondies.

"La politique ne fonctionne pas et ne peut structurellement pas fonctionner au profit de la majorité des citoyens dans un régime électif multipartite."

Nous plaçons notre démarche dans une optique de démocratie et de liberté.

"L’économie est complexe, d’accord, c’est une raison de plus pour prendre le temps de l’expliquer clairement".

On ne cesse de faire des efforts pour lier faits et explication des faits.


"C’est très exactement ce que fait Généreux"

Non. Et l'article en donne quelques exemples significatifs. Il cherche à "déconstruire le discours de l'ennemi". Et malheureusement il pousse la déconstruction jusqu'à l'affirmation gratuite et en effet injurieuse.

Il est clair que le système qui s'est installé à partir de 1971 est dysfonctionnel et que l'examen de ce mauvais fonctionnement devrait être l'essentiel du travail des économistes. Comprendre pourquoi la majorité des économistes en poste officiel ne le fait pas est une vraie question. Mais Maurice Allais, après J. Rueff, a tout dit sur le caractère vicié du système mis en place. Aucun des deux n'a été écouté. C'est à, peine s'ils ont pu s'exprimer. Le système politico médiatique, dont on voit aujourd'hui le niveau, a refusé d'embrayer sur une réflexion constructive. Certains ont donné une explication un peu courte : les économistes faisant des ménages dans les banques ne pouvaient que mentir. D'autre comme Généreux ont poussé l'accusation jusqu'à l'insulte. Il n'est pas le seul. Nous avons donné quelques autres exemples d'économistes injurieux pour qui l'attribut du qualificatif de C... fait partie du langage normal. On peut préférer l'attitude d'Henri Guaino qui parle des "bons élèves". Le combat de vulgates simplificatrices est largement la règle. Les conflits annexes entre Keynésiens et Autrichiens, entre économistes croyant aux formules mathématiques et ceux qui s'attachent plus à la logique du commentaire, sont évidents et stériles.

Hirschmann a été le premier à considérer qu'il fallait préférer s'en prendre au discours des économistes qu'il n'aime pas plutôt que d'exposer des théories fondées et convaincantes de son propre cru. Généreux a voulu s'inscrire dans cette lignée. Nous la croyons stérile dès lors qu'on cherche la lumière et non la chaleur.

"essayez de vous réveiller avant la (très) prochaine guerre ou révolution"

Depuis 1997 nous ne cessons de répéter : "attention à la colère des peuples."

Si vous preniez le temps de lire ce blog vous verrez qu'on y défends une ligne très simple :

- comprendre comment le monde est passé des Trente Glorieuses à une économie baudruche.
- considérer la période 1971 à nos jours comme un tout.
- souligner le rôle critique du système monétaire international
- proposer des solutions alternatives
- refuser tout embrigadement idéologique, étant entendu que pour nous le socialisme violent est une option criminelle et le socialisme, à base de fiscalité et d'étouffements à la française, la voie de la pauvreté et de l'effacement de la France.
# Posté par DD | 08/02/17 17:42
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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