"Plus cela change, plus c'est la même chose"
Deux mots sur l'état du pays.A un moment où une sorte d’extase s’empare des médias français, il est intéressant de se poser quelques questions sur l’état réel du pays.
On connaît le livre de Robert Escarpit, le Littératron, Flammarion, 1964, chef d’œuvre méconnu de la littérature politique dont l’actualité ne saurait être trop soulignée.
Un ordinateur est gorgé des phrases que les Français adorent entendre. On choisit un individu à peu près débile et on le présente à une élection. Il se contente de débiter les phrases creuses recombinées par l’ordinateur. Il est élu haut la main.
Toute ressemblance avec la campagne d’Emmanuel Macron et le vote massif pour les inconnus de LREM ne saurait être qu'accidentelle.
L’ère des bons sentiments intéressés, la bienveillance obligatoire, le politiquement correct, le ressassement médiatique des mêmes slogans jusqu’à l’indigestion par des journalistes-perroquets, le resserrement de la richesse autour des obligés du pouvoir, la confiscation du dit-pouvoir par la noblesse étatique, ont pris une extension telle qu’il est presqu’interdit aujourd’hui de ne pas chanter les louanges du jeune Dieu qu’un destin heureux a mis à la tête de la France en le nimbant d’une vertu essentielle, la Baraka. En deux coups de serre cuillère et en un coup de Trump, il a restauré l’image de la France, enchanté l’Europe, réglé la question du Liban et recréé une dynamique économique basée sur l’optimisme et la confiance, en dépit des croassements des Insoumis déprimés par l’effondrement des mobilisations syndicales abusives et de quelques retraités grognons échaudés par la hausse massive de la CSG.
Quelle est réalité de la situation, telle qu’on peut la voir quand on s’affranchit de considérations politiques, des transports psychologiques et des manipulations médiatiques ?
Elle est d’abord dans le ralliement presque total au « macronisme » de toute la communauté politique fermée des hauts fonctionnaires. Celui d’Alain Juppé, après celui de son protégé, Philippe, clôt la série. Symétriquement, la diabolisation de l’Enarque Wauquier, qui a le mauvais goût de ne pas se rallier, va bon train. La France vit l’acmé de l’Enarchie Compassionnelle.
Cela veut dire des impôts. En masse. 26% d’augmentation de la CSG, ce n’est pas un grignotement. Mais un coup de massue. Une hausse minimisée comme d’habitude en ne parlant que de la hausse des taux sans parler des montants globaux concernés. Regarder ma main droite : 1.7%. Ne regarder pas ma main gauche, encore des dizaines de milliards de prélèvements de plus. Et dans les municipalités, privées des recettes de la taxe d’habitation du plus grand nombre ? Hausse de 2% dans beaucoup d’entre elles « pour compenser ». 2% ? Non, bien sûr ! Cela c’est l’augmentation du taux. Mais quel est le taux qui s'accroît ainsi : ah il était à 14% ? 2/14 = 14,28% d’augmentation. Pour ceux qui conserveront l’impôt. Merci pour eux. Pas un mot de protestation. Les retraités concernés n’ont droit qu’au silence. Ils ne sont pas représentés. « Ce sont des privilégiés qui se sont gavés tout en tuant la planète et en endettant leur progéniture», énoncera doctement sur les antennes une jeune sotte de LREM particulièrement inspirée. Qu’ils ne se plaignent pas !
Cela veut dire du chômage. En masse. L’Insee a donné les chiffres. Ils sont malheureusement sans complaisance. Depuis l’élection de Mitterrand, la France a perdu 2.8 millions d’emplois dans le secteur marchand, principalement dans l’industrie. Et a recruté 2.7 millions de fonctionnaires sans productivité. Les hauts fonctionnaires qui dirigent la France ont fait face aux crises internationales et aux mesures prises par les socialistes élus par réaction à ces crises, les deux tares majeures de l’époque pour la France, en recrutant des fonctionnaires et en taxant. Dans la pratique les faits sont plus graves que cela. Compte tenu de l’augmentation de la population, le manque à gagner en termes d’emplois privés se situe quelque part entre 5 et 10 millions. Comment s’étonner que nous ayons 7 millions de pauvres et 5 millions de chômeurs ? Les chiffres publiés sur le chômage du troisième trimestre montrent …une augmentation. Quant aux prélèvements, ils atteindront un record en 2017 et égaleront le niveau de la valeur ajoutée du secteur marchand non financier. 100% de prélèvements ! Et ne parlons pas de la dette qui a encore augmenté massivement.
Pour faire passer la pilule on recourt aux mêmes astuces qu’en 2012 : l’injure et la mise en accusations des « riches ». Pas un instant de répit sur tous les médias. Il faut détacher l’infâme étiquette que la gauche tente de coller sur le dos du Président-gourou : Président des riches ! Vous vous rendez compte ! Macron fait du Hollande sans vergogne. Mais sans injurier nominalement tel ou tel. Sacré progrès ! Alors qu’une des causes du Brexit est l’indignation du gouvernement anglais devant la prétention des instances judiciaires européennes de l’empêcher de supprimer les droits civiques aux condamnés aux plus lourdes peines, on voit des députés LREM, sortis tout droit du Littératron, variante 2017, proposer de supprimer les droits civiques des fraudeurs fiscaux. C’est qu’il ne s’agit pas de voleurs de pommes, M’sieurs-dames, mais des plus grands délinquants de l’époque. Qu’on se le dise et qu’on lise les Panama’s papers !
De tous les bords, lors de la campagne, les candidats, tous les candidats, y compris Emmanuel Macron, ont répété qu’ils avaient compris que les Français étaient accablés de normes, de règles, d’obligations ruineuses ou étouffantes. A peine élus, le discours change. L’isolation des appartements ne sera plus seulement encouragée mais imposée, car « les propriétaires n’ont pas à faire subir des frais de chauffage exorbitants aux locataires », comme l’affirme sur tous les antennes une ancienne socialiste ralliée à LREM et bien décidée à améliorer l’image sociale du chef. Satané propriétaire, « tu vas voir ta gueule à la récrée ». Quant à la bagnole, ce symbole infect du beauf petit bourgeois, nécessairement petit bourgeois, acharné à défendre son surmoi mécanique, fini le diesel. « N’espère pas revendre la voiture que tu as mis tant de temps à t’acheter ». Retour au prolback à vélo, gapette et pinces de pantalon incluses, pendant que les bobos qui le peuvent rouleront en voiture électrique coûteuse. « Les jeunes ne sont pas attachés à la propriété mais à l’usage ». Fini l’esprit de propriété bourgeoise. On va pouvoir fêter dignement les 50 ans de mai 68 ! Mais quelqu’un possède bien ce dont on fait usage et il n’entend pas y perdre…
Le nouveau mal français, aux Editions de l’observatoire, par Sophie Coignard et Romain Gubert, fait le même constat. Entre les observations de Peyrefitte d’il y a près de 50 ans, et la réalité d’aujourd’hui, il n’y a eu ni prise de conscience ni changement. Les exemples s’accumulent chapitre après chapitres. Des livres déprimants de ce type, les divers éditeurs en ont produit des milliers depuis Giscard. Pour rien. Ils ne servent à rien. Les élus, une fois en place, veulent avoir la paix avec leurs subordonnés. Alors ils lâchent tout et n’importe quoi. Ne pas compromettre la réélection ! Incapables d’agir sur quoi que ce soit, ils multiplient les petits avantages. Le Point de cette semaine faisait le recensement des avantages grotesques accordés par des municipalités à leurs salariés. On y travaille peu et pas souvent, tout en bénéficiant de mille petits avantages et de quelques gros privilèges.
La seule solution envisageable, pour un politicien français, c’est d’arracher aux propriétaires et aux riches les conditions de sa réélection. Vive l’impôt ! Si on essaie de revenir à la normale : on prend aux pauvres. Il faut dire qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux. Pour le reste, rien ne compte. Plus rien ne marche en France. Tout le secteur public est à peu près effondré. Le j’menfoutisme est partout. Pas moyen d’espérer qu’un transport public fonctionne correctement. La banque est devenue un champ de ruines, pourri de formulaires et d’exactions contre le déposant. Plus personne ne parvient à faire travailler correctement des salariés de plus en plus souvent étrangers, mal formés, sans éducation et rétifs. Les ascensoristes ne gèrent plus que des incidents. Les garagistes ne savent plus réparer les voitures. Les sociétés informatiques sont noyées sous les bogues. On vole et on agresse partout, généralement sans aucune sanction. Les rues sont immondes. La compétence part à l’étranger. Une « décivilisation » s’est mise en place.
Et inlassablement le même cri retentit : « salauds de riches ; salauds de propriétaires ; vive l’impôt ; il faut savoir la société que l’on veut et nous voulons une antisociété ». La séquence budgétaire en France de septembre à décembre, est le moment à la fois le pire, tant l’espace médiatique est polluée par la propagande fiscaliste, et le plus révélateur de ce que ce pays est devenu : un vagissement indigne, sur fond de déréliction économique désormais probablement irrattrapable.
L’Enarchie Compassionnelle a ruiné le pays. Le triomphe de la manœuvre Macron lui permet de survivre en s’exaltant : jamais le pays n’est à ce point entre les mains des hauts fonctionnaires. Jamais la désinformation du grand public n’a été plus totale. Jamais la paralysie n’a été plus grande. Jamais les vrais problèmes n’ont été moins évoqués. Sous le joug des Enarques, la France « dénonce ses porcs » et accueille, les bras ouverts et la bouche close les centaines de djihadistes de retour d’exactions et de crimes abjects en Syrie et en Irak. Des victimes, parait-il ! Qui elles aussi dénoncent le porc.
L’Europe, à la suite du monde, connait une petite reprise. La France est incapable d’en profiter. Impossible de recruter malgré les millions de chômeurs. Impossible d’exporter. Et cela justifie de ne rien réformer sérieusement. Alors les déficits se creuseront, alors que mécaniquement ils sont censés se réduire.
Pour finir, nous publions ci-dessous une photo qui résume parfaitement l’état de la France. Elle a été prise au musée Pompidou, dans le local des toilettes hommes. On y voit trois portes. La première porte est celle qui donne accès aux toilettes des fonctionnaires, car en France, les fonctionnaires ont le droit à des toilettes spéciales, comme pour les régimes de retraite. Pas question de se mélanger, culotte baissée, avec le vulgaire. Pas question d’attendre. La seconde porte concerne les handicapés. La compassion par les toilettes, il n’y a que cela de vrai. La troisième est destinée au vulgum (lotus) pecus. Mais les toilettes ne fonctionnent pas. Et cela fait plusieurs semaines que cela durent. Et tout le monde s’en fout.
A quelle heure le musée Pompidou ouvre-t-il ses portes un samedi lors d’un grand Week-End où Paris est plein d’étrangers ? A 11 heures. On suppose que l’on est en train de négocier 14 heures, avec une fermeture à 16 heures…
Rien ne presse. Si on ose dire. De toute façon, les musées se mettent en grève lors des périodes de pointes touristiques. Alors …
Ainsi va l’Enarchie Compassionnelle triomphante en France et ainsi meurt un grand pays.
Le « macronisme » sera-t-il une nouvelle perte de temps ? L’automne 2017 en France ressemble un peu trop à l’automne 2012 pour qu’on ne s’inquiéte pas.
« Plus cela change, plus c’est la même chose » énonçait doctement le Littératron.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Quel changement ?
Macron Président, la contradiction fondamentale entre "modèle social et fiscal français" d'une part et participation à des systèmes commerciaux et monétaires européens et internationaux dysfonctionnels et déséquilibrés d'autre part, source de chômage de masse, d'envolée de la dette et d’inégalités de revenu croissantes en France, est laissée totalement inchangée.
C'est d'ailleurs normal que la contradiction fondamentale demeure car, si les échecs persistants de ces dernières décennies sont maintenant communément admis, Macron (ni aucun des autres candidats) n’a pas été capable d'en dégager les causes ni formuler une alternative crédible pour amorcer le redressement. Pas de diagnostic. Pas de solutions. La campagne fut d’une nullité pitoyable, justement sanctionnée par une abstention record.
La contradiction perdure mais le visage qui l'incarne désormais était suffisamment nouveau pour faire passer la pilule électorale, Macron esquivant toutes les questions lourdes telle une anguille sauce technocrate, gagnant par défaut au prix d’une abstention record. Comment une nouvelle génération pourra résoudre la contradiction fondamentale sur laquelle s'est fracassée les générations politiques précédentes n'a jamais été dit. Le renouvellement des dirigeants politiques, peut être nécessaire, semble paraître en lui même suffisant. Certes, depuis l’élection, on peut avoir l’impression que la France a « dépassé les vieux clivages » politiciens. Mais on ne voit nullement que ce soit « pour mettre en place les solutions qui marchent ». On se contente de demi-mesures à portée purement symbolique, ne résolvant en rien la situation.
La contradiction fondamentale entre modèle social et fiscal français et participation à des systèmes commerciaux et monétaires dysfonctionnels et déséquilibrés est la cause première des échecs répétés des dirigeants politiques de tous bords ces dernières décennies. Cette même contradiction fondamentale laissée intacte à toutes les chances de causer l'échec de Macron.
On en est à proposer de supprimer la propriété du sol et à ne donner qu'une concession aux habitants qui veulent se loger.
On en est à condamner un fraudeur fiscal à plus de prison qu'un assassin, en imaginant qu'une tricherie fiscale suppose deux crimes atroces, la fraude et le recel de la fraude, chacune condamnable à plus de 5 ans de prison ferme, soit dix ans, alors que la majorité des meurtres n'entraîne pas de peine de prison supérieure à 7 ans !
Le gémissement des professions publiques ou parapubliques emplit tout le Landerneau médiatique. On va même chercher les suicidés. On a jamais atteint de tels niveaux de prélèvements mais personne n'est heureux, on se tue, et on en veut encore plus !
Plus cela change, plus c'est effectivement la même chose mais en pire.