Quelles leçons tirer de la crise pour les Agences régionales de santé ?
Bureaucratie contre médecineCritique de l’article publié le 14 mai 2020 sur Figarovox. Par Xavier Patier, énarque, haut fonctionnaire, écrivain et ancien directeur d’agence régionale d’hospitalisation (ARH).
Un des rares consensus français né à l’occasion de la crise du coronavirus a été la critique des agences régionales de santé : des élus, des directeurs d’hôpital, des médecins, des associations de patients, et même des préfets, ont mis en cause ces institutions. Cette unanimité sonne comme une revanche.
-Non la critique des ARS ne relève pas du revanchisme mais d’un constat de carence de longue durée.
D’où cela vient-il ? Regardons quelques années en arrière.
L’objectif assigné aux ARH par Alain Juppé était simple : restructurer pour faire des économies.
- Oui réduire l’offre de soins dans la foulée de la crise de 92-93. C’est tout ce que savent faire les bureaucrates : réduire, empêcher, répartir la pénurie. C’est bien cela qui est la cause du malaise. Les énarques ne savent pas soigner. Mais ils peuvent entraver la médecine.
Au point de départ des agences régionales de santé (ARS), on trouve les agences régionales d’hospitalisation (ARH) créées en 1996 par le gouvernement Juppé.
- Mais oui : l’énarchie n’a pas de frontière politique. On le verra avec Macron.
Les ARH avaient été mises en place avec l’objectif explicite d’écarter les préfets - et donc les élus locaux - de la gestion sanitaire afin de dépolitiser les arbitrages sur l’hôpital pour s’attaquer sans compromis à un système marqué par un déficit abyssal.
- Il s’agit bien de créer un monopole de pouvoir de caractère soviétique : tout le pouvoir à la nomenklatura d’état en évitant l’intervention des autres.
À la tête des ARH, le gouvernement mit en selle des patrons nommés en conseil des ministres, dotés de pouvoirs étendus, chargés, selon les termes de l’ordonnance d’avril 1996 de «déterminer et mettre en œuvre la politique hospitalière dans la région». L’ordonnance reprenait, pour les directeurs d’ARH, la formule fameuse que l’article 20 de la Constitution appliquait au gouvernement. La presse ne s’y trompa pas: elle qualifia les directeurs d’ARH de «super-préfets sanitaires». Ce fut l’acte de déconcentration le plus radical que connut alors la réforme de l’État, un jacobinisme de proximité. L’objectif assigné aux agences par Alain Juppé était simple : restructurer pour faire des économies.
- Parfaitement décrit : on a créé de petits gouvernements gérés comme tels et dont les effectifs vont gonfler avec le temps de façon totalement déraisonnable. Mais ces « gouvernements » pléthoriques ne savent pas soigner !
Notre hôpital a été désorganisé et démoralisé par une réforme visionnaire dégradée en impuissance technocratique.
- Cela se comprend non ? Les effectifs administratifs se sont mis à gonfler pendant que les bureaucrates diminuaient l’offre de soins. Tout le monde sait désormais qu’il y a 40% de plus de bureaucrates dans le système de santé qu’en Allemagne. On voit ici une des raisons.
Mais en même temps qu’elle se technocratisait au niveau local, la santé se politisait au niveau national : la même ordonnance instituait une «loi de financement de la sécurité sociale» débattue chaque année par le Parlement, qui fixerait désormais le cadre dans lequel les ARH conduiraient leurs restructurations.
- Voter le budget de la sécurité sociale n’a jamais soigné qui que ce soit. Cette mesure avait uniquement pour but de dédouaner l’Etat et ses dirigeants en faisant passer leur décision comme venant du peuple. Le débat parlementaire sur le budget de la santé est toujours ridicule, escamoté et totalement inutile.
Cette «nationalisation-déconcentration» inédite produisit des effets incontestablement positifs, au moins au début. Je me souviens de Midi-Pyrénées: en créant l’ARH, j’avais fait le pari de recruter une équipe limitée à une dizaine de collaborateurs proches du terrain, dont l’âge moyen ne dépassait pas trente-cinq ans, à profils complémentaires et techniques ( médecin , polytechnicien, juriste, gestionnaire,...) ayant tous la passion du service public et des choses à prouver. En peu de temps, le travail acharné de cette équipe commando avait permis d’économiser en base budgétaire 230 millions de francs (35 millions d’euros) de dépenses d’assurance maladie par rapport à la tendance, tout en améliorant les indicateurs sanitaires de la région, et aussi - malgré d’inévitables mouvements sociaux - sans mettre le feu aux institutions.
- Il n’y a aucun doute qu’une bande de hauts fonctionnaires peuvent réduire la dépense…des autres. Mais le bilan médical n’est pas explicité. On ne parle que des « réactions ».
L’arrivée de Martine Aubry au ministère de la Santé cassa l’élan.
- Elle cassa l’élan de certains mais cet élan était déjà parfaitement marginal et largement imaginaire.
La nouvelle ministre ne concevait pas l’autonomie des agences.
- Voilà la vraie critique lorsqu’on est un haut fonctionnaire. Elle concerne les jeux de pouvoirs mais pas la médecine.
Par des largesses nationales, elle fit redévaler la pente budgétaire difficilement gravie dans les régions. Elle convoqua des «états généraux de la santé» qui eurent pour sinon pour ambition, du moins pour résultat de rendre le pouvoir aux administrations parisiennes.
- Le pouvoir administratif, dont tout le monde se fout car il n’apporte rien aux soins.
La mise en œuvre chaotique des 35 heures dans l’hôpital public ajouta au désordre. On subventionna les hôpitaux les plus mal gérés plutôt que les plus innovants. Tous les pères-fondateurs des ARH finirent par changer de métier. Plus tard, en instituant la tarification à l’activité ( T2A) le ministre Mattéi acheva la recentralisation de la politique budgétaire. La machine sanitaire française se dérégla pour de bon.
- Là encore, il ne s’agit que de guerre de pouvoirs administratifs. Pour le reste la démagogue Aubry a tout aggravé y compris dans le domaine de la santé.
À la fin des années 1990 , la France des ARH avait obtenu, selon le classement de l’OMS, le titre de «meilleur système de santé du monde».
- Les bureaucrates parlent aux bureaucrates.
Quelques années plus tard elle avait régressé au quinzième rang. L’hôpital, fleuron de notre système, était désorganisé et démoralisé. Bel exemple d’une réforme visionnaire dégradée en impuissance technocratique.
- Ce n’était pas une réforme visionnaire. L’impuissance technocratique est structurelle.
Les ARH avaient maltraité la politique locale, la politique locale allait pouvoir se venger sur les ARS.
- Toujours le thème de la revanche, là où il n’est question que de bureaucratisation excessive.
Telle est la base sur laquelle ont été instituées, en 2010, les agences régionales de santé. Lorsqu’on avait créé les ARH, la question s’est posée de savoir si on leur confiait la gestion du secteur médico-social, et notamment des maisons de retraite. La réponse avait été négative, car le secteur médico-social était très intriqué avec les dispositifs dépendants des conseils généraux et finalement sans grande synergie avec le sujet budgétairement le plus lourd, et de loin, qui était celui de l’hôpital public. Le choix avait été fait de l’agilité.
En 2010, on avait oublié les réflexions de 1996.
- Non. La loi HPST du 21 juillet 2009 suit la récession de 2008-2009 et applique les mêmes principes que la loi Juppé avec le même souci de gérer tout de façon totalement bureaucratique, afin de réduire les coûts. Le motif avancé : « décloisonnement ». Pour décloisonner des silos en France on crée d’autres silos chargés de coordonner les silos préexistants sans vraiment y toucher.
On confia la responsabilité des établissements médico-sociaux aux ARH , devenues «ARS», et on ajouta à ces dernières la gestion des services déconcentrés de l’État dans le domaine de la santé et du social. L’administration de mission était devenue une administration de gestion. Les nouvelles ARS, empêtrées dans leurs procédures internes, devinrent des sortes d’administrations centrales régionales. On remit les préfets de région dans leur gouvernance : la boucle était bouclée. Les ARH avaient maltraité la politique locale, la politique locale allait pouvoir se venger sur les ARS. L’épidémie du coronavirus en donna l’occasion. Ce fut un haro sur les agences régionales de santé.
- Toujours le thème de la vengeance. En vérité la médecine passe sous tutelle et les médecins sous l’œil de Moscou. La médecine s’effondre progressivement. On en a des milliers d’exemple. Les « mandarins » ont été dépossédés au profit de la bureaucratie, qui rappelons le, ne soigne pas.
Cependant la politique locale, pas plus que la technocratie parisienne, n’est infaillible. Les élus locaux et les experts, les médecins et les gestionnaires, ont intérêt à se connaître, et d’abord à se parler. Plutôt que de décrier les agences de santé qui n’ont nullement démérité dans la gestion, notamment logistique, du coronavirus, il convient de regarder ce qui pourrait leur rendre leur force initiale, tout en impliquant davantage les acteurs de proximité.
- Toujours l’illusion technocratique. Les ARS ont démérité et gravement. L’absence de masques, de prévisions, de réflexes, de lits d’urgence, de « soignants », bref de tout ce qu’il aurait fallu, était de sa responsabilité totale.
Il n’est pas extravagant d’avoir l’ambition que la France retrouve le fameux « meilleur système de santé du monde ».
- Espérons-le, mais pas avec une organisation de type soviétique.
Les enjeux à venir de notre système de santé s’appellent désertification médicale
- Organisée par les ARS
, paupérisation hospitalière et retard des politiques de prévention.
- Organisés par les ARS
Pour y répondre, il convient de disposer d’un outil à la fois solide techniquement et légitime politiquement. Les agences régionales de santé ne doivent pas être supprimées, mais elles ont besoin d’être réformées pour embarquer dans leur gouvernance les collectivités élues.
- Toujours la même illusion bureaucratique : donner un vernis démocratique et tout ira bien pour éviter les contestations. Mais il s’agit de créer une meilleure offre de soins. Pourquoi ne pas faire voter leur budget par les Régions pendant qu’on y est.
Un succès des lois de décentralisation a été le transfert des locaux des lycées aux régions, des collèges aux départements et des écoles aux communes. L’Éducation Nationale n’y a rien perdu, au contraire. L’immobilier de l’hôpital de la même façon pourrait être transféré aux départements, qui géreraient à ce titre une fraction de l’enveloppe de l’assurance maladie. On peut être assuré qu’ils le feront bien, car ils ont l’expérience de la proximité.
- Et voilà : on y est. La gestion des techniciens de surface aux départements, cela changera tout. Simplement un échelon bureaucratique de plus avec une découpe complexe des pouvoirs rendant la cohérence des décisions impossibles. Si l’ARS interdit à un hôpital de créer une nouvelle salle de radiologie avec des équipements modernes, le fait qu’elle ne soit pas construite ni entretenue par le département n’a strictement aucun intérêt.
En contrepartie de la maîtrise de l’investissement hospitalier, les présidents de conseils départementaux recevraient une place dans les commissions exécutives des agences régionales de santé. Si les différents acteurs se décident enfin à tirer dans le même sens, il n’est pas extravagant d’avoir l’ambition que la France retrouve le fameux « meilleur système de santé du monde» dont elle pouvait se flatter il n’y a pas si longtemps.
- Monsieur l’Enarque aura peut-être réduit les récriminations politiques, et le « revanchisme » qui semble l’accabler, mais cela n’a exactement aucune incidence médicale, le pouvoir des chefs de service étant toujours entravé voire réduit à néant par la bureaucratie.
- Il ne faut JAMAIS confier à une énarque la réforme d’une sottise créée par d’autres énarques. L’échec de la défunte RGPP l’avait bien montré. La solution passe par la suppression radicale des ARS et le licenciement de tous les bureaucrates qui y travaillent. Qu’il faille des organes de coordination et d’appui, de contrôle de gestion et d’évaluation médicale, de prévision et de recherche, est une chose. Il ne faut certainement pas maintenir un système de petits dictateurs administratifs dictant à la médecine ce qu’elle doit faire.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Un symbole : avant on donnait à un hôpital le nom d'un grand médecin (Bichat, Tenon, etc. ou de généreux donateurs comme Lariboisière, etc. ). Maintenant c'est celui d'un président de la République comme Pompidou.
Les ARS, c'est autour de 10.000 personnes, dont près de 70% de femmes et dont 80% sont des fonctionnaires. Environ 44% sont en catégorie A (la plus haute). Un très grand nombre de personnes ont leur poste rattaché aux ARS mais ne travaillent pas dans les ARS. Les effectifs ne croissent pas. Au contraire ils ont tendance à baisser avec de moins en moins d'inspecteurs. Les ARS représentent entre 1/4 et 1/3 des 35% d'effectifs non soignants du système de santé. L'absentéisme dans les ARS est fort, en dépit du fait que la majorité des femmes y aient plus de 45 ans et donc que les absences pour naissance y est faible. Le syndicalisme, dominé par la CFDT est fort. On travaille peu. La créativité est nulle. On empêche, on embête, on contrôle, on édicte. On ne soigne pas. Il faudrait ajouter les effectifs du ministère de la santé qui s'occupe aussi du système de santé. L'essentiel du temps se passe en palabres avec Paris et concerne surtout la gestion du personnel (primes, etc.). Vis à vis des hôpitaux le travail consiste à palabrer avec mille instances pour savoir si on bloque ou on accorde quelque chose. Le blocage est la règle. Compte tenu du nombre des instances qui ont leur mot à dire, plus personne n'est responsable de rien. Le temps passé en colloques, réunions blablas divers est considérable. Une grosse partie de l'énergie est passée par les employés pour des questions qui ne concernent qu'eux mêmes.
Supprimer les ARS n'aurait strictement aucun effet négatif, à condition de réduire l'emprise des réglementations administratives et les services centraux du Ministère. Il faudrait aussi que l'informatisation des tâches administratives soit meilleure. C'est pour l'essentiel un désastre qui explique la multiplication des gens qui passent plus de temps sur Excel que devant des malades. Le Ministère de la santé compte lui aussi près de 10.000 fonctionnaires. Les effectifs sont du même ordre que les ARS, soit 20.000 personnes en tout.
Il est à noter que le nombre de généralistes de moins de 60 ans est d'environ 30.000 et gagnent moins en moyenne que les effectifs de l'ARS.
Il vaudrait mieux pour la santé publique augmenter de 15.000 le nombre de jeunes médecins plutôt que de conserver ce monstre de 20.000 administratifs vautrés dans la bureaucratie, sous la coupe de politiciens socialistes carriéristes qui tiennent tous les rouages, sauf quelques héros, naturellement, qui ont un rôle positif et conciliant et qui cherchent à aider.
Bien à vous
On a déjà retrouvé 20.000 bureaucrates. Il est frappant de noter qu'il s'agit essentiellement de femmes fonctionnaires de catégorie A, c'est à dire le plus haut échelon. Il est curieux que la réclamation féministe ne se soit pas saisi d'un système aussi genrée et aussi richement doté et protégé, pour une rémunération sans rapport avec l'utilité des fonctions. Il est sûr que Mme Shiappa ne pas venir faire une scène. Ni vérifier l'absentéisme et le peu de temps effectivement travaillé, ni l'importance des syndicats abusifs, ni le caractère nuisible de ces machines à normer et à emmerder les gens qui savent et qui produisent de la santé.
Il faudrait rajouter tout le travail administratif imposé aux médecins et toute la phalange administrative des hôpitaux.
N'oublions pas non plus que tout ce petit monde vote à gauche, réclame souvent des logements particuliers et que les femmes fonctionnaires ont le plus souvent des maris fonctionnaires. Une partie de l'élite de ces fonctionnaires modèles participent à des associations, comités etc. Beaucoup ont pris des responsabilités municipales (elles ont du temps libres).
Les légions d'honneur et ordre du mérite sont toujours proches. De si bonnes gens.
C'est à un système qu'on a affaire, indépendamment des personnes. Certains diront : un cluster infectieux. Avec des métastases : beaucoup des personnes qui sont censées travailler là sont en disponibilité ailleurs. On va faire un tour et on revient dans la planque.
Il est à noter qu'une boîte privée dans l'industrie, pour nourrir 20.000 personnes, doit faire trois milliards d'euros de CA.
La mentalité française a admis qu'on perde 3 milliards d'euros pour pratiquement rien. Rappelons que le système bureaucratique français, unique au monde par sa taille, représente 5 millions de personnes, et là c'est 750 milliards qui est perdu chaque année. Rappelons que la valeur ajoutée marchande n'est guère supérieure à 1.250 milliards. Si on n'avait pas baissé l'âge de la retraite, réduit la durée de travail et fait exploser les emplois publics, tout en conservant une administration régalienne dans la norme, nous serions à 1.800-2.000 milliards d'euros de création marchande.
Seulement voilà, les manques à gagner ne sont jamais pris en compte. Et comme la "production" des fonctionnaires est comptée à son coût dans le PIB, c'est à dire sans vrai critère d'utilité ressentie par les consommateurs, on masque les phénomènes. Il faut des phénomènes comme le coronavirus pour que cette vérité essentielle sourde un peu. Mais pas dans les médias importants.