Quelle organisation nouvelle pour la zone Euro ?

Pour répondre à cette question il faut lever deux préalables :

-          Déterminer les objectifs de cette organisation

-          Savoir si elle doit être gérée dans le cadre de la Commission ou de façon autonome vis-à-vis des institutions de Bruxelles.

Une zone de monnaie unique impose une gestion politique centralisée forte.

Cette réalité a été entièrement gommée lors des discussions qui ont mené au vote de Maastricht. On pensait qu’il suffisait de créer des normes que devraient respecter les Etats.  Tout se passerait au mieux.  La monnaie unique comme par magie nous « protégerait ».  L’union faisant la force, comme chacun sait, l’union monétaire ferait la force des pays membres de la zone euro.

Le résultat on le connait :

-          Devenus libérés de la contraintes de change, les états traditionnellement irresponsables se mirent à emprunter sans limite : ce n’était pas cher.

-          Aucune coordination des politiques économiques et sociales n’ayant été prévue, on a vu l’économie des pays membres diverger  et d’énormes déséquilibres internes apparaître.

-          Les autres pays gèrent le cours de change de leur monnaie. Pas l’Europe. Une monnaie unique dans un ensemble flottant était une gageure. Finalement l’Euro sera presque toujours trop fort pour la majorité des pays de la zone Euro, aggravant leurs difficultés récurrentes.

Lors que la crise de la dette mondiale a éclaté, dette qui n’était pas fondamentalement de la responsabilité de l’Europe, la zone Euro et ses faiblesses se sont trouvées en première ligne.

L’impossibilité de dévaluer  ne laissait la place qu’à des politiques déflationnistes désastreuses, sauf à laisser la dette de chaque état en face d’une spéculation acharnée sur les taux d’intérêt qui ne pouvait qu’aboutir à la destruction de l’Euro.

Cette analyse conduit obligatoirement à la conclusion qu’il faut soit abandonner l’Euro soit créer une gestion centralisée des grands déterminants de la compétitivité : politique budgétaire, politique économique et sociale générale, politique monétaire et de change, politique de crédit, politique de redistribution interétatique.

Certains ont cru qu’on pouvait limiter la coordination aux seuls aspects monétaires. C’est une grave erreur. On ne peut pas laisser un pays passer aux 35 heures et maintenir une retraite à 60 ans avec des exceptions à 50 ans, pendant que d’autres passent à 65 voire 67 ans, en maintenant une durée de travail importante.  Les législations sociales comptent autant que le budget.

Les Européistes le savaient parfaitement. La mise en place de l’Euro devait tôt ou tard provoquer cette prise de conscience et forcer le passage vers un centralisme européen supplémentaire.  Ce sont les mêmes qui  affirment maintenant  que la crise est formidable parce qu’elle fait avancer la construction européenne.  Qu’importe si le système bancal mis en place a fait des dégâts colossaux. L’important est dans le fédéralisme européen arraché à la mauvaise volonté des Etats et des peuples.

Eh oui ! L’Euro suppose plus d’Europe institutionnelle.  On a mis exprès la charrue devant les bœufs. Certes ils ont piétiné et cassé la charrue mais il suffit de réparer et de la mettre à nouveau à sa place. C’est comme cela que l’Europe avance !

La position est cynique mais efficace : si on ne détruit pas l’Euro, il faut créer des institutions de gestion de la zone euro.

Par calcul et devant la résistance de certains états, on ne parle que de coordination budgétaire avec une sorte de Ministre des finances de l’Union européenne. En fait il faut aller beaucoup plus loin. Tout le monde le sait et fait semblant de ne rien voir.

Nous nous préférons dire qu’il faut un Chancelier de la zone Euro avec des pouvoirs dans trois domaines :

-          La coordination budgétaire

-          La coordination économique et sociale

-          La politique monétaire et de change.

Commençons par cette dernière :

-          Il n’ya pas actuellement de responsable du niveau de l’Euro sur le marché des changes. La BCE, qui dispose des principaux leviers pour agir sur les changes n’a pas dans ses statuts d’autre mission que de conserver, à l’échelon de la zone,  la stabilité relative des prix d’un échantillon de produits de consommation.  L’Eurogroupe était censé s’occuper des changes. Il ne l’a jamais fait.  La raison en est simple : les Européens croient, à l’échelon mondial,  à la justesse de la théorie des changes flottants  qu’ils ont récusée  à l’intérieur de leur zone.  Cette contradiction est insurmontable. Elle consiste à affirmer que les marchés fixent le cours de l’Euro  mais ne doivent en aucune façon fixer le cours respectif des monnaies nationales.

-          Le résultat est connu : les autres pays manipulent TOUS leur monnaie et l’Europe est la seule zone où on accepte de prendre tous les coups sans réagir.

Il est clair que le nouveau Chancelier doit :

-          Conduire la politique de change

-          Conduire la politique monétaire

-          Conduire la politique de crédit intra-européen.

Les statuts de la Banque centrale doivent être modifiés pour d’une part compléter l’objectif de stabilité des prix par un objectif de croissance et d’autre part l’associer fortement à la politique générale du chancelier.

On voit l’énormité du saut conceptuel qu’il faut faire.

Le Chancelier aura également comme mission de proposer une réforme du système monétaire international afin de revenir à un système de changes fixes et ajustables raccordées à un étalon extérieur à la monnaie d’un seul pays.

 

La seule existence de ce poste avec cette mission provoquerait une immense vague de fond dans le monde de la finance et des états. L’Europe serait là comme joueur et non plus comme ballon crevé dans lequel tout le monde peut frapper à loisir !  

Le Chancelier aurait naturellement en charge le soin des dettes globales des états et de la coordination des budgets.  Fini le mercantilisme des uns et le laxisme des autres. Il lui faudra s’assurer que les déficits structurels internes à la zone soient corrigés.  Associée à la politique monétaire cette politique pourra ne pas être purement déflationniste.

N’allons pas plus loin. L’essentiel est dit même si dans le détail, il y a de quoi écrire un livre entier sur la nouvelle institution.

La seconde question se pose aussitôt. A qui doit être rattaché le chancelier nouveau ?  L’Allemagne, on le voit bien, comme beaucoup de fédéralistes européens, veut renforcer la Commission Européenne qui est devenue avec le temps l’organisme gestionnaire d’une simple zone de libre échange, à l’exception notable de l’agriculture, en même temps qu’une machine à casser et sanctionner les nations composantes.

Le nouveau traité lui donne un pouvoir de sanction et d’intervention sur les budgets.  On fixe des normes drastiques et on donne à La Commission les moyens par des amendes gigantesques de les faire respecter.  On aggrave le système défaillant précédent tout en aggravant également la perte de moyen d’action au jour le jour. La gestion par la norme est une catastrophe. La crise l’a bien montré.

Faut-il que le chancelier soit une émanation de la Commission et fonctionne en liaison avec les Parlement Européen ?

Nous pensons que non.  Le Chancelier doit être une émanation  du conseil des gouvernements des pays de la zone Euro, avec des organes consultatifs et délibératifs propres, associés largement  aux parlements nationaux des seuls pays membres. Sans cela le déficit démocratique serait béant et de toute façon on ne voit pas pourquoi des institutions qui concernent des pays hors zone Euro devraient s’occuper de questions relatives à  cette zone.

Angela Merkel en proposant un saut  fédéral à l’échelon de l’Union Européenne tout en imposant une gestion par la norme confiée aux flics de la Commission fait une fausse proposition.

La réponse de la France devrait être :

-          Nous voulons des organes de gestion de la zone euro qui soient propres aux pays de la zone avec un pouvoir exécutif permettant une action au jour le jour sur le change, l’émission de monnaie, la gestion de la dette.

Une telle proposition, détaillée et construite sur des bases logiques et appropriées au problème à résoudre, aurait un énorme impact en Europe comme à l’international.

C’est la meilleure initiative qui peut être aujourd’hui envisagée.  Ce serait un véritable pavé dans la mare.

Elle ferait apparaître pour ce qu’elle est l’hypocrisie américaine, l’abus chinois, coréen et japonais et le désordre intellectuel mondial en matière de change.

Elle ferait apparaître le déficit démocratique de la commission et des institutions de Bruxelles.

Elle permettrait d’envisager autre chose que des politiques de déflation pour rééquilibrer les finances et la compétitivité des pays au sein de l’Union.

Il faut au monde un choc financier et à l’Europe un choc démocratique. 

On aurait les deux !

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
job's Gravatar "On ne peut pas laisser un pays passer aux 35 heures et maintenir une retraite à 60 ans avec des exceptions à 50 ans" :
Il y a belle lurette que, dans les faits, nous n'en sommes plus aux 35 h ; la retraite à 60 ans, c'est fini aussi, voyez la durée de cotisation.
# Posté par job | 21/02/13 15:56
Julien L.'s Gravatar Vous ne comprenez décidemment rien à rien.

On vous explique qu'une zone monétaire unifiée suppose une coordination de toutes les conditions qui touchent la compétitivité et pas seulement la monnaie. Et notamment des éléments de la politiques sociale comme les durées légales de travail.

Si on a d'un côté un plan Jospin qui réduit le temps de travail et augmente de 11% les coûts du travail et de l'autre un plan Shroeder qui va dans le sens inverse, il ne peut qu'y avoir des tensions dans une zone monétaire unifiée. Les échanges se sont totalement déséquilibrés entre l'Allemagne et la France et le rétablissement des équilibres est désormais très difficile, puisqu'on ne peut pas dévaluer la monnaie du laxiste.

La question n'est pas de savoir qui de Jospin ou de Shroeder a raison.
# Posté par Julien L. | 23/02/13 21:14
DvD's Gravatar Peugeot nous explique que le coût total du travail dans une usine de la région parisienne est de 36 euros de l'heure (peut être le site d'Aulnay dont la fermeture paraît hélas programmée) alors qu'il est de 6 euros de l'heure en Slovénie, autre pays membre de la zone euro située à quelques heures de là. Certes, la région parisienne n'a sans doute pas les coûts les plus compétitifs de France. Certes, le gouvernement prend des mesures pour faire baisser un peu le coût du travail en France. Certes, il existe éventuellement un différentiel de productivité en faveur des travailleurs français par rapport aux travailleurs slovènes, compte tenu de leur plus longue expérience à produire des voitures. Mais, même en tenant compte de ces éléments, il parait difficile d'imaginer qu'avec un rapport de 1 à 6 pour le coût du travail à l'intérieur d'une zone monétaire et commerciale commune, le pays le plus cher va être destinataire de relativement plus d'investissements productifs que le pays le moins cher. Donc, tout à fait d'accord que la zone euro doit se munir d'une véritable politique économique commune en interne et vis à vis de l'extérieur. Mais, n'y a t-il pas également un problème de périmètre de la zone euro qui a été trop élargie pour maintenant inclure des pays dont les écarts de coûts salariaux paraissent incompatibles avec le développement de l'activité et des emplois dans les pays les plus développés donc les plus chers? Car, si les haineux et les profiteurs ne sont j'espère qu'une infime minorité parmi les capitalistes, il faut s'attendre à ce qu'une majorité agissent dans un sens conforme à leurs intérêts dans le cadre imparti (et peut être dans un sens conforme à leur survie dans le cas de Peugeot). Si le cadre imparti permet d'arbitrer le travail en France et le travail en Slovénie voisine avec un différentiel de coût de 1 à 6 au sein d'une même zone monétaire et commerciale, il y a malheureusement peu de doute sur le sens des mouvements d'investissements. De quoi parlent donc le ministre du redressement productif qui cherche à localiser l'investissement et l'emploi en France et le ministre des affaires européennes qui négocie pour le compte de la France l'adhésion de nouveaux pays d'Europe de l'Est à la zone euro ?
# Posté par DvD | 24/02/13 23:16
SD's Gravatar Lorsqu'un pays, et c'est le cas des pays dits de l'est, a été maintenu dans la pauvreté par un régime anti-économique et se trouve en confrontation directe avec des pays puissants, beaucoup plus développés que lui, il est risible de penser qu'il est un danger pour les plus riches.

Les pays pauvres ne vont pas absorber la substance des pays riches. Cela ne se passe pas du tout comme celà.

Comme le chemin vers un niveau économique supérieur a été parcouru par les autres, il n'y a pas besoin de le réinventer. On copie et on applique. Cela va très vite si on ne crée pas d'obstacles artificiels. Le niveau de vie dans pratiquement tous les pays de l'est a beaucoup cru. Alors qu'ils trainaient autour de 200 Euros de salaires moyens, ils sont désormais autour de 750-800. Le rattrapage se fait et la différence de salaires s'estompent. Un informaticien que l'on recrutait à 300 euros en 2000 est à 1500 aujourd'hui !

En 20 ans ces ont multiplié par quatre leur revenu par tête. Et c'est très bien. Parce qu'évidemment ils importent énormément de biens d'investissement et de consommation des pays développés. Zbig Brataniec a raison, dans un article récent, de signaler que si les pays de l'est avaient échappé à la malédiction des régimes socialistes l'industrie française serait nettement plus grosse et puissante.

Les difficultés de la France ne viennent pas des pays de l'est. La France a fait le choix fou de la dette et de la surfiscalisation. Avec une dépense publique qui dépasse la valeur ajoutée des entreprises privées, des prélèvements qui désormais les dépassent aussi, et une dette qui représente deux années de cette même valeur ajoutée, elle s'est asphyxiée toute seule.

Les pays de l'est européen sont une chance pour elle depuis qu'ils ont échappé au socialisme. Encore faut-il la saisir et ne pas laisser l'Allemagne le faire seule.

Cela fait 20 ans maintenant que des aventureux ont été, pour l'un créer des agences de pub, pour l'autre des centres commerciaux, pour le troisième des boutiques de luxe, pour le quatrième des fermes rentables, pour le cinquième des supermarchés etc. LVMH, Danone, Publicis, et des milliers d'entreprises françaises en profient tous les jours, de l'ouverture de ces marchés là.

Dire aux Polonais qu'on a peur de leurs ouvriers les fait franchement rigoler. Affirmer aux Roumains qu'ils nous font trembler et c'est eux qui sont secoués de rire.

On a oublié que les américains avaient eu la même crainte au début des années soixante vis à vis de l'Europe de l'Ouest : leur taux de croissance était inférieur aux notres.

Ce qui est vrai est qu'il fallait absolument éviter de les intégrer dans la zone Euro. Il n'est jamais bon, lorsque les écarts de potentiel sont importants, de supprimer les coupe circuits.

L'exemple de la Pologne montre qu'on peut avec une économie bien gérée et un change intelligent, croitre régulièrement. La Pologne est un excellent marché pour la France.

Ce n'est pas le libre échange qui est en cause mais pour l'Europe et le monde, l'organisation monétaire et pour la France, le délire fiscal et réglementaire qui étouffe tout. Lorsque le droit de propriété et le droit d'entreprendre sont à ce point détruit, il ne faut être très intelligent pour comprendre que le désastre est au bout. C'est parceque nous avons choisi de devenir quelque chose qui commence à ressembler à un pays de l'est socialiste des années 60 que nous sommes en train de sombrer.

Pas parceque les autres ont fait le chemin salvateur inverse.




Sylvain
# Posté par SD | 25/02/13 11:40
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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