Une leçon de la chute des prix du pétrole

Dans un système des changes flottants, la valeur respective des monnaies n'est pas seule à flotter. Toutes les valeurs "d'actifs" flottent également. Et les variations sont d'autant plus fortes que la création monétaire, par les banques centrales ou par les banques commerciales, a été plus massive. Dans une économie "baudruche", comme nous appelons la situation créée après l'abandon des disciplines de Bretton-Woods, toute "classe d'actifs" est alternativement à la veille d'une spéculation à la hausse ou à la baisse.

Dans le cas du prix du pétrole, qui viennent de s'effondrer, la conséquence sur les interprétations fréquemment avancées, est intéressante.

Première erreur : Parler d'un hausse perpétuelle du cours de l'or noir est un non sens. On peut invoquer une hausse tendancielle, guère plus. Nous aurons la charité de ne pas citer les bons auteurs qui voyaient le cours du Brent à 300 dollars le baril en 2014 avant la disparition du pétrole en 2020 (leurs prédécesseurs de 1970 voyaient cette disparition dans la décennie 1990 et au plus tard en 2000). La spéculation sur les cours du pétrole au milieu de la première décennie du siècle avait été tellement forcenée qu'une correction était quasiment obligatoire. Elle a été retardée par les achats chinois qui ne savaient plus quoi faire de leurs excédents de dollars. Et le krach spéculatif a fini par se produire. Cette règle est valable pour toutes les "commodities", y compris l'or qui n'est pas seulement une matière première.

Seconde erreur : croire que le pétrole fait la conjoncture. Les cours du pétrole sont dans la dépendance de la conjoncture pas l'inverse. Beaucoup de commentateurs ont cru devoir expliquer "la crise", depuis 1973, par l'évolution des cours du pétrole. La récession de 73-74 aurait été la conséquence de la guerre israélienne et de la hausse massive des cours du brut qui a suivi la défaite arabe. En vérité c'est la crise monétaire et de change provoquée par l'abandon de la référence à l'or par Nixon qui a provoqué les excès pétroliers pas l'inverse. Plus généralement, faire dépendre exclusivement de la rente pétrolière, qui s'est créée à ce moment là, le gonflement général du taux d'endettement de l'économie mondiale que l'on a constaté depuis 71, est une erreur de jugement.

La fin des "trente glorieuses" n'est pas expliquée par l'évolution du marché pétrolier, pas plus que cette période de forte croissance ne peut se réduire aux besoins de la reconstruction, ou à l'explosion d'un marché particulier. Combien de fois entend-on que la grande croissance a été uniquement le fruit de l'expansion du marché automobile associée à un pétrole pas cher ! Et que désormais tout cela est fini et qu'il faut songer simplement à organiser la baisse démographique  et économique pour songer à un bonheur brut dans l'abstinence.

La conjoncture est entièrement guidée par le crédit et l'investissement. Toutes les crises du cycle sont des crises de crédit, en particulier les phases de crises dures (74, 93, 2009). C'est parce que les mécanismes de régulation monétaire ont été détruits en 1971, que les crises périodiques sont de plus en plus graves. Le phénomène de la double pyramide de crédits, associé mécaniquement aux déficits et excédents monstrueux de balances de paiement,  a fait passer le taux d'endettement moyen à plus de 400%. Dès lors le dégonflement de la baudruche était impératif. Il se produit depuis 2008. Et il touche les marchés de biens, que ce soit l'immobilier, l'or ou le pétrole, en dépit des créations gigantesques de liquidité que les banques centrales ont impulsé (près de 10 mille milliards de dollars tout de même). Un autre mot pour la même chose : la déflation ! Seule une croissance forte dans une cadre plus que légèrement inflationniste et collaboratif permettrait d'éviter une phase de déflation désastreuse. Il n'y a plus de cadre ni de réel collaboration. La déflation est là : surprise, surprise !

La monnaie n'est pas un "voile" sans importance. Monnaie et crédit sont la base de la conjoncture. pas le pétrole.

Un système monétaire international nocif  fabrique des phénomènes conjoncturels désastreux. le système des changes flottants est une erreur calamiteuse.

Delenda est  !

L'effondrement du cours du pétrole, en effondrant en passant les théories absurdes qui font du pétrole la clé de tout, devrait ouvrir les yeux.

Devrait…

 Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

Commentaire
DvD's Gravatar Vous avez tout à fait raison. Dès lors que la politique monétaire n'est pas neutre, c'est à dire dès que la masse monétaire croit plus vite que la production, il faut être très vigilant sur l'interprétation des signaux de prix et sur les décisions d'investissement qui découlent éventuellement de ces interprétations.

Autant dans une économie monétairement neutre les prix résultent bien de la confrontation des offres et des demandes et des prix en hausse signalent bien une offre trop faible par rapport à la demande sur un marché donné et indiquent donc le besoin d'investissements dans ce marché pour accroitre l'offre, les prix élevés permettant d'assurer un retour sur investissement correct.

Autant dans ce que vous avez appelé l'économie baudruche, des prix en hausse peuvent simplement signifier que la création monétaire par les banques commerciales et / ou les banques centrales vient se placer à titre spéculatif sur ce marché indépendamment de toutes considérations d'offre et de demande. Le système des prix relatifs, véritable système d'aiguillage de l'économie de marché, est ainsi faussé.

Par exemple, la hausse des prix de l'immobilier résidentiel au milieu des années 2000 aux Etats-Unis ne résultait pas d'un rapport offre - demande tendu car la construction neuve était en forte croissance alors que l'évolution démographique conduisait à une croissance plus faible de la population. La hausse des prix reflétait simplement l'expansion monétaire décidée par la Fed d'Alan Greenspan pour "aider" l'économie américaine à se remettre de la récession de 2001-2002. Ceux qui se sont mépris sur l'interprétation de la hausse des prix de l'immobilier et se sont endettés pour investir sur ce marché ont fait faillite en 2008-2009.

De même pour le marché pétrolier. Le triplement du prix du pétrole entre début 2009 et le printemps 2011 ne reflétait pas un rapport offre - demande tendu alors que la demande mondiale restait atone du fait de la mollesse de la reprise économique et que l'exploitation de l'huile de schiste aux Etats-Unis conduisait à une augmentation de la production. La hausse des prix du pétrole ne signifiait rien d'autre que le fait qu'une partie de la création monétaire des banques centrales est allée se placer sur le pétrole en tant que classe d'actif. Ceux qui se sont mépris sur l'interprétation de cette hausse de prix et se sont endettés pour acquérir des gisements d'huile de schiste, des plateformes de forage en eaux profondes ou pour investir dans des nouvelles capacités de tubes de forage se trouvent aujourd'hui dans une situation très délicate. Certains feront faillite.

La morale est que, le signal des prix étant faussé, les décisions d'investissement le sont aussi et deviennent de ce fait spéculatives. Les pertes résultant d'investissements hasardeux (sans débouchés réels ou bien largement inférieurs aux estimations) se multiplient. Ce qui engendre une plus grande prudence de la part des chefs d'entreprise qui préfèrent dès lors limiter leurs investissement réels quitte à utiliser le cashflow excédentaire pour racheter les actions de leur société.

On voit bien l'action finalement destructrice des banques centrales qui en perturbant de plus en plus le système des prix relatifs conduit à une mauvaise allocation du capital et finalement à une destruction du capital suite à des investissements non judicieux. C'est en fait le même résultat que celui auquel a conduit il n'y a pas si longtemps un autre système de gestion centralisé de l'économie : le communisme.

On ne s'en aperçoit que très très lentement : il a ainsi fallu 3 générations pour que tout le monde réalise l'échec du communisme. La religion de la toute puissance des banques centrales date du milieu des années 1990. Peut être son échec ne sera-t-il patent que vers 2045 et son effondrement ne sera-t-il effectif que vers 2070. Qui sait ?

Merci en tout cas pour vos réflexions, malheureusement quelque peu solitaires dans le contexte actuel de confusion généralisée.
# Posté par DvD | 05/12/14 21:30
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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