Deux lois bien intentionnées mais loin du compte : 1 – la pureté des Parlementaires

Le quinquennat du Président Macron s’ouvre sur deux lois présentées comme emblématiques : la purification des mœurs des députés et une nouvelle poussée de libéralisation du droit du travail. Elles sont présentées dans la presse comme deux lois enchanteresses qui vont tout changer. L’union des bonnes volontés de droite et de gauche va permettre de retrouver la confiance dans les hommes politiques et l’emploi va surgir comme une eau de source longtemps comprimée au milieu de nos déserts industriels.

Depuis l’origine, nous considérons ce blog comme un moyen de faire valoir des réflexions qui n’ont pas leur place dans la presse classique, qui propose un cadre prédéfini, en partie sclérosé, en partie acheté. Alors essayons quelques remarques sur ce que l’on connaît des deux lois proposées.

Apprécier la « loi de pureté » des Parlementaires demande de partir d’une sombre réalité : le député français n’a aucun rôle à jouer, sinon à valider les options de l’équipe au pouvoir. Le Parlement est croupion. Pour un salarié du privé, devenir député est une option impossible. On perd sa carrière et on se retrouve au chômage au premier revirement politique. Pour un entrepreneur ou un médecin libéral c’est également très difficile. Sans véritable statut de l’homme politique, la seule possibilité de se lancer dans cette activité est soit d’être une épouse sans travail qui a du temps libre et du goût pour la politique, soit d’être retraité, soit de faire une carrière en s’inscrivant dans une forme de professionnalisation (membre de parti, cumul des mandats, etc.), soit d’avoir un métier qui permet de cumuler les approches comme celui d’avocats. Quand les grandes familles avaient un rejeton un peu nul, mais sympathique on en faisait un homme politique et tout le monde s’y retrouvait. En vérité, seuls les hauts fonctionnaires et les enseignants sont à l’aise dans ce système qui leur permet de cumuler tous les avantages sans aucun risque. Cela explique que ces groupes soient surreprésentés massivement dans les instances élues.  

La question de la rémunération des députés ne peut être séparée de celle du financement de la politique. Dans beaucoup de partis il faut restituer une partie de son indemnité de mandat. Du coup les carrières individuelles politiques longues doivent être sponsorisées avec les moyens du bord. François Mitterrand avait ses bailleurs attitrés dont le premier était Eugène Schueller, le créateur de l’Oréal, solidarité de la Cagoule oblige, qui avait même fait de son poulain un directeur de Votre Beauté, pendant un moment de dèche électorale. Michel Rocard, le pur parmi les purs, s’est fait fournir ses matériels de campagne, lors de sa candidature présidentielle avortée, par Lorentz qui a mis Bull, dont il était le patron, à son service. Un parmi d’autres. Nicolas Sarkozy avait des contrats de « veille judiciaire » de la part de plusieurs grands groupes. Macron a ses sponsors. Plus vous êtes « présidentiable » plus vous êtes bancable. Plus vous avez d’amis et plus vous devez en avoir. Pour ceux qui ne sont pas bancables et qui n’ont pas une carrière de premier plan, les temps sont durs. La politique coûte cher et seul un ancrage local permet de s’en sortir dans la durée, accompagné de petites combines.

Tout cela n’a pas de réelle gravité. Les sommes sont modestes. La grande prévarication n’est pas au Parlement, mais dans les régions. Deferre fêtait publiquement l’élévation de sa fortune à chaque incrément d’un milliard. Les grandes villes se prêtent à des financements inattaquables, même quand ils sont abusifs. La plupart des grandes tables parisiennes sont subventionnées par les dîners et déjeuners de cadres de la Ville de Paris : les cartes bleues de la ville flambent en permanence. Les grosses cylindrées locales vivent pratiquement à l’œil, voyages touristiques inclus. Chaque grande ville gère des dizaines de sociétés d’économie mixte. Dans chacune d’entre elle il est possible de grappiller quelque chose, qui, à l'échelon de chaque entité paraît raisonnable, et dont le cumul est parfois phénoménal. Ici, vous disposez d’une voiture, là d’un chauffeur, plus loin d’un appartement de fonction dans un lieu de vacances en bord de mer et encore plus loin d’un autre appartement de fonction à la montagne (les centres aérés ont bon dos et il faut bien que le président puisse se loger sur place quand il vient présider !), ailleurs on fournit une secrétaire, ailleurs un bureau, ailleurs un garage, ailleurs une petite rémunération, de quelques centaines d’euros (pour trente sociétés, cela finit par faire un petit magot). Les sociétés d’économie mixte sont vraiment des bénédictions. Le grand commerce, les travaux routiers, les autorisations de permis de construire, les contrats de service, sont des sources de revenu importantes et régulières à l’échelon local. Il n’y a pas nécessité d’aller aussi loin que les Balkany (si on en croit les mises en examen), pour se faire une vie confortable.

En coupant le lien entre local et national et en réduisant le nombre de réélections, on limite effectivement les grandes tentations des élus nationaux. Mais le vrai désordre est à l’échelon local. Et là, rien ne bouge.

L’action politique nationale coûte cher et les hommes politiques de premier plan ne s’enrichissent pas. Que F. Fillon n’ait même pas réussi à finir une des plus belles carrières politiques en France avec plus d’un million d'Euros de patrimoine est plutôt la preuve d’une certaine austérité.

On en revient toujours à la même conclusion : seuls les fonctionnaires y trouvent leur compte. Ils peuvent pimenter leur carrière en politique sans prendre le moindre risque, faire quelques allers et retour juteux dans les entreprises liées à l’état, banques ou entreprises publiques, et cumuler toutes les retraites.

Une loi de moralisation dont les mesures phares seraient l’interdiction de cumuls, l’encadrement des attachés parlementaires et des vocations d’avocat avec en prime l’impossibilité d’être réélu plus de trois fois consécutivement serait une bonne blague.

Quels auraient pu être les axes d’une vraie réforme ?

D’abord édicter deux règles simples :

Nul ne peut toucher plus d’une rémunération publique.

Nul ne peut être élu dans une assemblée qui fixe les conditions de son emploi principal.

Aucun fonctionnaire ne pourrait être éligible au Parlement, comme c'est le cas pratiquement partout dans le monde et, notamment, au Parlement européen.

Ensuite, et là c’est prévu par Macron et ne peut être que recommandé, réduire le nombre des députés autour de 380 et des sénateurs autour de 220. Un parlement de 600 personnes pour une population de 66 millions d’âmes, paraît plus que raisonnable. Cela permettra non pas de faire des économies mais de payer bien les élus et effectivement leur donner des conditions d’action renforcées. Une circonscription électorale de 150 000 et 200 000 électeurs n’a strictement rien de choquant.

Enfin donner un rôle au Parlement

Il faudrait le diviser en cinq chambres.

- Chambre des affaires européenne et diplomatique

Pour discuter en même temps que les parlementaires européens des mesures en discussion dans le cadre européen.

Pour apprécier et contrôler l’action extérieure des organes diplomatiques français

- Chambre du contrôle de la dépense publiquAnalyse et Vote le budget

Dispose d’un large pouvoir d’investigation et peut exiger l’arrêt ou l réorientation de certaines dépenses déjà votées.

- Chambre du contrôle des collectivités locales et de l’équipemenDispose du pouvoir d’accorder dans certaines limites des crédits à des collectivités locales au-delà de normes annuelles impératives (à instituer).

Contrôle la politique des grands équipements nationaux.

- Chambre des lois

Étudie et vote les lois proposées par le gouvernement

- Chambre des affaires de sécurité intérieure et extérieure

Étudie toutes les politiques de sécurité

Supervise les armées

Contrôle la politique étrangère.

À l’intérieur de ces chambres, les parlementaires peuvent créer les commissions qu’ils veulent.

Actuellement rien de ce qui se passe en Europe n’est traité à l’Assemblée, sauf pour la mise dans le droit français des directives, c’est-à-dire trop tard et dans l'indifférence générale.

Actuellement les crédits votés sont hors des discussions parlementaires.

Actuellement rien de ce qui se fait en matière de grands équipements décidés par les collectivités territoriales ne vient à l’assemblée. De même les collectivités peuvent engager des dépenses somptuaires sans véritables contrôles et limites pourvu qu’elles les financent. L’impact sur l(endettement global du pays n’est pas apprécié.

Le gouvernement perdrait la tranquillité qui est la sienne sur les dépenses votées et sur son activité au sein du Conseil Européen. Les collectivités locales perdraient le pouvoir de faire n’importe quoi sans un accord de la représentation nationale dès lors que les budgets seraient conséquents.

Les députés seraient amenés à se construire une vraie compétence tout en ayant un rôle d’influence non pas sur la dépense mais sur l’empêchement de la dépense. Un département ministériel pourrait se trouver sur la sellette dans le cadre d’un examen multipartisan allant au fond des choses et non pas comme actuellement lors du vote rapide lors du budget des crédits nouveaux que le gouvernement exige. L’activité diplomatique dans un pays donné pourrait être revue de fond en comble. La justice et la police d’une zone quelconque pourraient être passées au crible. L’analyse détaillée de telle ou telle politique publique d’intérêt subalterne pourrait conduire à son démantèlement. On voit l’intérêt de ne pas avoir de fonctionnaires élus à l’assemblée. Le conflit d’intérêts serait immédiat.

Au passage on pourrait revenir sur le statut ridicule des fonctionnaires de l’Assemblée et du Sénat. Ils ne peuvent faire carrière que dans ces deux institutions ! Résultats : une armée mexicaine et un manque de renouvellement terrifiant. Là aussi, il faut remettre de la fluidité.

Les mesures prises ces dernières années pour tenter de redonner un peu de vie à l’Assemblée sont toutes problématiques :

Les questions au gouvernement sont un exercice pénible jusqu’au ridicule.

La coproduction législative est un mythe

Le budget à dépenser localement par chaque Député pousse automatiquement aux abus de dépenses et au clientélisme.

Le Parlement n’existe actuellement que dans la fronde.

Si on fait des parlementaires des élus hors sol sans autre fonction que ce qui existe actuellement, tout en les privant de ressources et en exigeant d’eux une pureté absolue, on ne trouvera bientôt plus que des fonctionnaires et des occasionnels opportunistes.

Les partis et les assemblées ont tout de même pour but essentiel de former de véritables hommes politiques capables de gouverner.

Si on en reste aux mesurettes actuelles, on aggravera le schéma caricatural actuel : l’énarchie compassionnelle dirige et des zombies font de la figuration plus ou moins intelligente. Le système Macron est la quintessence de cette évolution, avec des députés inconnus et sans expérience, à l’exception de quelque vieux chevaux de retour, et tous les postes clés tenus par les copains de promotion du président et du premier ministre, qui s’activent avec les hauts fonctionnaires des ministères.

Avec sa conséquence immédiate : un pays qui reste surfiscalisé au-delà de toutes limites acceptables, un gouvernement qui refuse de redimensionner autrement que dans les mots le champ d’action de l’État, et dont la seule mesure sérieuse est une hausse des impôts, une presse bananière qui illustre le communiqué.

Et une bande de marcheurs en sandalettes, ivres à l’Assemblée mais déprimés en région devant leur impuissance à participer à quoi que ce soit et qui se taisent, en commençant à s'inquiéter de la suite et notamment du jugement de la vox populi qui est de plus en plus tentée par les noms d’oiseaux depuis que la hausse des impôts est immédiate et le reste différé, sinon des lois d’apparence.

Au total les vrais risques sont ceux d’une déchéance démocratique, par capture de tous les pouvoirs par la Haute administration, par enracinement de la démagogie basée sur l’achat de votes périodique éhonté, et le vol aggravé des revenus et du capital des citoyens. En comparaison, les quelques « avancées » promises sont presqu’insignifiantes quand elles sont ponctuelles, et problématiques lorsqu’elles sont importantes, faute de s’inscrire dans un cadre  plus riche, mieux intentionné et plus rigoureux sur la représentativité des élus.  

 

Commentaire
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