Retour sur ce que disait l'Express en septembre 2009 pour juguler la crise

Au moment où les illusions d’une reprise franche, massive et riche en emplois s’estompent, preuve que la crise n’a pas été totalement comprise et que les mesures prises n’ont pas eu les effets escomptées, il est intéressant de revenir sur ce que disait la presse à la rentrée de 2009, alors que la récession était à son maximum, après s’être développée depuis juillet 2007. 

Prenons par exemple l’Express n° 3038, qui annonce « Crise : plus jamais ça ». « Après deux ans de chaos,  la nécessité de repenser le capitalisme s’impose ». « Les idées neuves commencent à émerger ».  L’Express  a sollicité quatre intellectuels de renom pour esquisser la forme que pourrait prendre demain le capitalisme ».

Pour Philippe Aghion, membre du CAE et de la commission Attali, marques de renom s’il en est, « les pays comme la France […] ont mieux résisté que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis qui ne disposaient pas de stabilisateurs automatiques ».

On voit six ans plus tard où l’on en est. La France a le double de chômeurs, sa dette devient incontrôlable, et son taux de croissance est moitié moindre.

Il préconise une intervention massive de l’Etat dans la régulation bancaire et même dans les décisions au jour le jour comme les rémunérations. Il omet de signaler que toutes les banques sont en faillite virtuelle et ne cherche pas à savoir pourquoi. Ce sont finalement les banques centrales qui sauveront les banques en leur permettant d’emprunter à coût nul et de prêter aux Etats, le gain servant progressivement à amortir les pertes. Le processus est loin d’être terminé, comme on le voit avec les restructurations massives de nombreuses banques, contraintes de dégonfler rapidement et leurs en-cours et leurs effectifs. En revanche une législation incroyablement tatillonne a été mise en place qui est étouffante, sans que les restructurations majeures n’aient été faites (séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires ; arrêt des cotations en continu ; encadrement des mouvements de capitaux à court terme, stabilisation des changes, …).

Les autres suggestions sont d’une parfaite banalité (fiscalité punitive, avec la fusion de la CSG et de l’IR, surtaxe sur les très riches, formation et recherche, environnement, protection nationale des sources de croissance mais dans le cadre des règles du marché unique). On ne craint jamais les oxymores  et la résolution des contraires par le verbalisme.

Rendons hommage aux membres du CAE : ils ont eu suffisamment d’influence pour faire avancer leurs idées. Les banques sont corsetées ; les Français sont fiscalement pillés ; on ne parle que d’environnement source des progrès et de l’industrialisation future. Et nous sommes dans la situation où nous sommes.

Pourquoi ce contraste, tout de même un peu fâcheux ? La raison est simple : il n’y a aucun diagnostic des causes de la crise. Pas un mot sur le grand retournement de la dette globale à partir de 1971 et sa montée jusqu’au-delà de 400% du PIB presque partout. Pas un mot sur les défauts d’organisation de la zone Euro. Pas un mot sur les défauts d’organisation du système des changes. Pas un mot sur l’excès de dépenses publiques françaises.

Alors on glose sur des thèmes sans danger de carrière. Et on ne propose que des banalités sans effets sur la réalité tout en prétendant « réformer le capitalisme ». On voit que cette philosophie est encore de règle dans les milieux de l’économie officielle et qu’elle nourrit les politiques de tout bord.

L’Express en appelle alors à un certain Richard Senett, de la London School of Economics. « Le développement des idéaux de performance et d’autonomie fait que ces gens pensent ne pas avoir été à la hauteur ». Ces gens sont ceux qui ont vu leur carrière hoqueter à cause de la crise. Dans les années 70, nous avons personnellement réorganisé une société de gestion d ‘archives d’entreprises. Lourde réalité : divorces et suicides sont la conséquence des faillites dans beaucoup de ménages. Les femmes cherchent un protecteur. S’il flanche, elles partent. La grande nouvelle ! Après trois récessions destructrices les drames se sont succédé. La vraie question est d’éviter les graves dépressions économiques. Pas de « réhabiliter la notion de métier », ni de « concentrer l’action syndicale sur les questions de santé », pour que le salarié puisse acquérir de la « continuité narrative ».

Notons- le, un nouvelle fois : l’absence totale de diagnostic de la crise est criante. Les autorités ont bien compris le message de Senett. Nous voici avec la notion de dossier  professionnel continu du salarié, censé faire face à la discontinuité des carrières.  Au moment où le rêve de tous est de devenir fonctionnaire, un « métier » où la « continuité narrative » est assurée. Mais pas la valeur ajoutée.

Le périodique appelle alors à la barre le « Philosophe de service ». Depuis Platon, la corporation méprise l’activité commerciale et la production. Très bien payé comme professeur « travaillant » (horresco referens) très peu à l’université de Lausanne, ce curé des temps modernes (le prêche sans le sacrifice) nous assène : « il faut arrêter de penser que l’enrichissement matériel est une fin en soi ».  Faites l’expérience : proposez à ces olibrius un retour au niveau de vie moyen de l’URSS, pour ne pas remonter au XIXème siècle. L’œil devient vitreux, le discours se raidit :   « Il est scandaleux que les professeurs soient aussi peu reconnus dans la société de consommation : des sous, des sous ! ».

Mais force est de constater que ces discours moralistes portent et nous voilà à l’aube de la COB21. La croissance détruit la planète. "Salauds de capitalistes avec leurs économistes suppôts qui sont des génocidaires pires qu’Hitler."

La solution : « forcer les chambres hautes à se consacrer aux seuls enjeux de long terme avec une approche qualitative et non monétaire ». La monnaie, pouah, c’est sale et ça tâche.

Les désordres actuels sont liés à une organisation monétaire défaillante On voit la pertinence de tout cela. On imagine que ce brave garçon envisage d’être un des nouveaux sénateurs. Il pense si « politiquement correct » ! Et faire la morale, dans l’opulence, il n’y a que cela de vrai.

Voici pour finir la saga des penseurs de la refondation capitaliste un directeur de recherche au Centre d’études européennes de sciences-po. Que faire ? C’est tout simple. Permettre aux Brics de prendre toute leur place dans les institutions mondiales. L’Europe sera marginalisée et l’Occident aussi, mais ce n’est pas grave. Il faut supprimer le droit de veto à l’ONU. La gouvernance du FMI doit être réformée.

L’auteur remarque justement qu’ « il est anormal que le FMI n’ait pas pu jouer son rôle d’alerte » et qu’il n’a servi qu’à relayer les exigences américaines. Mais il ne dit pas que le FMI, créé pour réguler un système de changes fixes n’a pas de rôle autre que de sous-diplomatie américaine à trois balles,  dans un système de changes flottants.

La crise est une de fois de plus associée à une dérégulation excessive des marchés financiers, sans voir que cette dérégulation est consubstantielle à un système de changes flottants. Il faut bien que les marchés s’exercent pour fixer la valeur respective des monnaies. On a vu récemment Mme Lagarde se réjouir que la Chine libéralise un peu la gestion de sa monnaie dans la perspective de la mise sur le marché du Yuan.

Huit ans après, l’émancipation de la Chine, le retour de la Russie sur le plan international, rend tout ce verbiage inopérant. L’Occident est toujours de toutou des Américains qui détruisent allègrement leurs concurrents bancaires européens et s’emparent de la finance mondiale comme jamais (100% des grandes syndications sont pilotées par des banques américaines) ; Le soft power a montré son impuissance en Ukraine et au Moyen-Orient.  Les bruits de bottes deviennent un peu sonores et des millions de personnes déplacées viennent ajouter à la crise globale, sur fond de stagnation économique de longue durée.

Au total, la pertinence des quatre sauveurs du monde capitaliste se révèle totalement nulle et à côté de la plaque. Aucune réflexion sur les vrais problèmes :

-          Le dégel du monde communiste qui met sur le marché des centaines de millions de salariés au moment même où tous les marchés sont ouverts à la puissance américaine.

-          Les désordres monétaires internationaux liés aux changes flottants et à l’abandon des grandes disciplines de balances de paiement, avec notamment la montée d’un endettement incontrôlable.

On ne parle que normes aggravées, là où il faudrait engager le fer sur des questions d’organisation et de politique au jour le jour.

Pas un mot sur l’Europe et le feu qui couve dans les déficits associés à la politique de relance, à la crise, et à la garantie des pertes bancaires. Pas un mot sur la FED ou la BCE.

Bref,  une absence totale de  pertinence et une compréhension du monde d’une nullité abyssale.

On constatera que ces caractéristiques restent très actuelles. Ces quatre articles n’ont pris aucune ride et pourraient être resservis tel quel. La réflexion sur les causes de la crise et les vraies solutions est toujours à peu près inexistante dans les analyses présentées dans les médias et, plus grave, dans la littérature économique technique. Faire de la morale facile (à bas la finance, vive l’écologie, vive le travailleur qu’il faut protéger, vive les pays émergents) l’emporte aujourd’hui sur les préoccupations d’efficacité qui passent par la connaissance pertinente et l’action ciblée.

Le « triomphe de la volonté » n’est toujours pas à l’ordre du jour. La pénitence sous les anathèmes de pseudo-penseurs intéressés reste la règle.

Nous entrons dans la neuvième année de crise  avec pour la France, rappelons ces quelques chiffres :

- Un prélèvement public supérieur à la valeur ajoutée des entreprises du secteur industriel et commercial  de plus d’une personne.

- 7.5 millions de pauvres (près de 10 millions selon certains).

- 5.500.000 de chômeurs (certains disant 6 millions)

- Le plus faible taux d'occupation des femmes, des jeunes, des immigrés et des personnes âgées de tous les pays d'économie comparable

- Deux millions de personnes ne cherchant pas à travailler et à la gamelle publique.

- 2.200.000 milliards de dettes publiques et à peu près le même niveau  de dettes privées, soit quatre fois la valeur ajoutée des mêmes entreprises.

- 15 millions de retraités prévus pour 2016.

- 5.5 millions de fonctionnaires et on recrute.

- 15.5 millions de salariés.

- Un budget pour 2016 en hausse avec maintien du taux de prélèvement champion du monde. Une hausse massive des impositions locales.

- Une fuite continue des fortunes, des jeunes, des techniciens.

- Une baisse continue de la construction malgré la croissance de la population.

- Un investissement des entreprises historiquement mou.

- Un commerce international stagnant.

Globalement la guerre ravage le Moyen-Orient et les marges est de l’Europe. Le Japon réarme. La Chine devient exigeante. La Chine, le Brésil, la Russie sont en grave difficulté, comme la majorité des membres du Brics. La reprise américaine est la plus lente jamais vue depuis 120 ans.

Tout va très bien Madame la Marquise ! Le désastre économique est total mais puisqu’il est enveloppé de moraline facile, tout semble sous contrôle.

Il ne faudra pas 40 ans pour que nos enfants trouvent cette période particulièrement consternante.

Commentaire
Micromegas's Gravatar je viens de lire dans le Monde que les banques centrales ont émis plus de 13.000 milliards de dollars de monnaie depuis 2008. Vous indiquiez que le montant des dettes sans contrepartie se trouvait entre 8 et 12 millle milliards en 2009. Bien vu. Tout se passe comme si le trou dans les comptes des banques avaient été bouchée avec de la création de monnaie banque centrale. On n'a pas monétisé des dettes mais monétisé des pertes ! Compte tenu de la hauteur de cette création monétaire que peut valoir l'argent, que peut valoir les devises. Tout est faux dans ce nouveau théâtre. On ne créé plus d'argent en fonction d'une anticipation de supplément de production, mais pour compenser des pertes acquises. L'effondrement des pyramides de dettes est cependant si fort que cette création arrtificielle n'empêche pas une déflation rampante.

Toute la question économique tourne autour des mécanismes qui ont permis l'engendrement d'une dette colossale dont une partie également colossale s'est évaporée laissant les économies dans la misère.

Les journaux de l'époque n'ont jamais évoqué cette question,et préférer "caresser la banalité", comme disait Célmne. . Aujourd'hui on constate l'énormité des émissions monataires des banques centrales. Mais on ne se pose toujours pas les questions qui fâchent. Jusque quand !
# Posté par Micromegas | 23/10/15 14:59
Julien L.'s Gravatar Pourquoi le débat public est-il ainsi à côté de la plaque ?
# Posté par Julien L. | 26/10/15 21:18
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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