La farce du "Ségur de la santé"

Combattre furieusement l'idée d'agences départementales de santé

Lorsqu’une réforme de l’Etat est rendue nécessaire par un constat affligeant de carence ou d’abus administratifs, on confie le travail à ceux-là mêmes qui ont créé la situation. Il devient certain que rien ne changera vraiment et que, pire, le résultat sera une aggravation bureaucratique. Il faut toujours chercher dans les plans proposés, dont malheureusement la presse n’est saisie que de la partie émergée, la mesure clé qui permettra le tour de passe-passe. Elle est en général noyée dans un flot de bonnes intentions et conforme à l’idée de manœuvre qui plaît sur le moment. Quelques années plus tard seulement on découvre que la réforme a aggravé sensiblement la bureaucratie.

Les ARH puis les ARS avaient témoigné de ce mécanisme. Comme on l’a vu le Ministère de la santé cumule désormais près de 10 000 fonctionnaires, à 80% femmes catégorie A, ET à l’échelon central ET à l’échelon régional. Les hauts fonctionnaires avec le plan Juppé avaient réussi à détruire définitivement le pouvoir médical, liquider les « Mandarins » au nom d’une bonne gestion des « soignants », et à créer des milliers de postes de fonctionnaires très bien rémunérés à s’agiter et contraindre, sans aucune capacité médicale.

La grande question du Ségur était de savoir si on allait s’attaquer réellement à ce détournement de pouvoir, d’argent, de temps, d’efficacité. Nous avons la réponse. Non seulement on ne touche à rien mais on pense à tripler le système en créant des ADS, des agences départementales de la santé, « plus proche des réalités et répondant à la demande de plus de décentralisation ». Tous les ministres des finances savent qu’il faut éviter absolument de départementaliser une administration, parce que le multiplicateur est effarant : il y a 101 départements. Il faut un chef, et des sous-chefs par secteurs, des locaux, des ordinateurs, des employés, etc. Un foyer parkinsonien effarant et incontrôlable, chaque budget complétant la dotation départementale.

Comme pour la décentralisation régionale, qui n’a pas vu de baisse significative des effectifs centraux, mais une simple stagnation, la décentralisation départementale ne fera en rien baisser les effectifs des ARS. Mais on va recruter 5.000, puis X.000 personnes de plus pour doter les départements ! Pour les évaluations, prendre l’exemple du ministère de l’environnement dont la départementalisation a conduit à la création de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires locaux. Les effectifs totaux doivent aujourd’hui frôler les 57.000, partant de zéro, auxquels il faut ajouter ceux des dépendances directes des régions et des municipalités, des personnels de l’administration du littoral etc.

Dans 20 ans, à la prochaine crise, on se demandera comment on a pu laisser faire une pareille sottise. Mais ce sera trop tard : les fonctionnaires ne peuvent pas être licenciés. L’emploi à vie signifie l’erreur d’organisation administrative à vie.

Il faut donc s’élever furieusement contre les projets de d’agences départementales de la santé et exiger que l’on démantèle les ARS en supprimant les textes qui ont imposé de créer tellement de postes de bureaucrates, et en reclassant les fonctionnaires ailleurs ou en leur proposant une prime pour quitter la fonction publique.   

Comme la représentation nationale est peuplée de fonctionnaires et l’Etat dirigé par un Président et un Premier Ministre énarques que la presse dépend des subventions d’Etat, que les journalistes se veulent « de gauche » donc pro-fonctionnaire, que les partis d’opposition n’ont plus de têtes et encore moins d’opinions fermes, ce « combat furieux » n’aura pas lieu et le pays sera couillonné comme devant, dans le silence total des médias. Et son système de santé finira ruiné un peu plus. Et les finances nationales ruinées un peu plus. La santé n’a pas de prix mais les fonctionnaires inutiles en ont un. Inutile ? Mais oui. Il faut savoir qu’une ARS, comme la majorité des services de la fonction publique,  travaille largement pour elle-même, en cycle fermé. Si le lecteur veut s’en convaincre, qu’il lise le compte-rendu des réunions avec les syndicats. Il sera édifié. Il n’y a aucun « populisme » à ce constat. Juste un peu de lecture !

Lorsqu’un débat aura lieu et qu’une personne raisonnable pensera qu’il faut réduire la dépense publique de santé,  le pseudo journaliste perroquet chargé de l’interview dira : « Vous voulez encore vous en prendre aux infirmières. La leçon du Covid ne vous a pas éclairé ? ». Cette personne raisonnable ne saura rien répondre comme d’habitude parce qu’elle ne connait pas la réalité administrative qui est généralement sinon cachée du moins assez difficile à reconstituer. S’il vient à éructer : « mais nous avons autant de fonctionnaires au ministère de la santé, de fonctionnaires dans les ARS, de fonctionnaires dans le ADS que de médecins généralistes, ce n’est pas possible », le journaliste détournera le débat en protestant qu’il devient trop technique et que cette manie de mettre en cause les fonctionnaires est du pur populisme.

C’est comme cela que fonctionne la France, sous domination de la haute fonction publique depuis 1974 et le couple Giscard-Chirac. La première réforme du système de santé français à mettre en œuvre, c’est la séparation entre la haute fonction publique et la politique,  interdisant toute carrière politique à un Enarque sauf s’il a démissionné de son statut, et en ôtant les réformes organisationnelles des mains des bénéficiaires eux-mêmes de l’organisation fautive.  

Commentaire
Doctissimo's Gravatar Pourquoi excluez-vous qu'ils reventilent les effectifs régionaux et centraux dans les départements ?
# Posté par Doctissimo | 23/07/20 14:49
DD's Gravatar On verra mais l'expérience ne plaide pas en la faveur de cette thèse. Ni la mentalité du milieu. Les postes sont toujours justifiés par l'application de textes de loi ou leurs décrets d'application. Si les textes et décrets ne sont pas modifiés ou abrogés l'Administration se sent obligée continuer à les appliquer et maintient les postes. C'est ce qui a tué toutes les tentatives de RGPP et d'opérations similaires ultérieures.

On a vu que les gains de productivité ont toujours été ridicules. Les fonctionnaires ont leur conjoint dans les villes concernés et ne peuvent être déplacés facilement. Comme ils ne peuvent pas être virés non plus et que partout c'est le trop plein sauf pour des postes de technicienne (greffe etc.), la motivation de se mettre à dos des dizaines de milliers de collègues est des plus faibles, surtout que le gain global est nul. On réduit seulement au moment d'un départ (à la retraite, au cimetière, en promotion ailleurs, pour suivre son conjoint nommé ailleurs etc.). les syndicats jouent un rôle de freins puissants. Le contrôle de l'application des réductions d'effectif est inexistant. Le seul vrai moyen de baisser les effectifs est de supprimer un service entier ou le déménager entièrement.

C'est extrêmement rare parce que beaucoup de services ont des liens avec plusieurs ministères et en fait chacun donne du travail à l'autre. Interrompre ces relations provoque l'intervention de tous les ministres concernés qui, cachés derrière les missions prévues dans les lois, éructent, se scandalisent, etc.
# Posté par DD | 23/07/20 17:30
Doctissimo's Gravatar Il y a déjà un échelon départemental. Non ?
# Posté par Doctissimo | 23/07/20 22:53
DD's Gravatar Oui. Mais presque toujours défini par la loi. "il faudra prévoir un délégué départemental". Il est rattaché aux ARS et à une multitude d'agences. En fait chaque administratif donne du travail à d'autres administratifs. Le maillage est tellement complexe qu'il devient indémaillable. La loi va Ségur encore renforcer ce défaut au lieu de sabrer dans les lois ineptes. C'est exactement la mécanique bureaucratique que je signale qui fera qu'une réforme vue comme fondamentale sera convertie en fait en plus de bureaucratie. Quand j'ai été amené à me pencher sur la réforme de l'AP-HP, dans les années 70, la loi fixait la manière dont les livres de comptes devaient être tenus, avec du rouge pour les déficits et les imprimantes de l'époque n'imprimaient pas en rouge. Drame et plus de six ans de combat jusqu'à ce qu'une loi...
# Posté par DD | 24/07/20 12:01
Pierre Thérot's Gravatar Bravo d'insister sur le fait que le législateur est la cause première du développement des services bureaucratiques. On crée des lois nouvelles sans se préoccuper toujours des précédentes. L'écheveau finit par être délirant. Les chambres n'ont pas réellement le moyen d'une étude d'impact des mesures nouvelles sur toutes celles qui précèdent. C'est largement laissé à la diligence des fonctionnaires qui sont rarement motivés pour supprimer des services associés aux lois anciennes. A cela s'ajoute qu'il y a trois lois : l'ancienne, celle qui est censée être en cours et la prochaine en cours d'élaboration. L'ancienne a créé des situations qui ne peuvent pas facilement se défaire. La nouvelle crée des obligations mais dont on sait que la prochaine ne veut pas. Tout cela pousse à la confusion et à l'immobilisme. Ajoutons les décrets d'application souvent retardés indéfiniment une fois qu'une loi d'affichage et de circonstances perd de son opportunité politicienne momentanée. La loi de Parkinson fait le reste. La seule manière de réformer c'est de supprimer. Après on voit. Les commissions de la hache doivent être présidées et animées par des députés, pas par des fonctionnaires. De ce fait, comme vous l'écrivez, il faut éviter que les élus soient des fonctionnaires...
# Posté par Pierre Thérot | 25/07/20 15:38
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

Association loi 1901

  
BlogCFC was created by Raymond Camden. This blog is running version 5.9.002. Contact Blog Owner