Le TSCG : nécessaire mais insuffisant !

Le TSCG : nécessaire mais insuffisant !

Que penser du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) appelé usuellement Pacte budgétaire européen ?

Si on considère que la zone Euro est non viable par nature, la réponse est simple : à rien sinon à aggraver l’état du malade.

On sait qu’une partie des économistes se fondent sur l’idée des zones monétaires optimales pour bannir jusqu’à l’idée qu’une zone de monnaie unique entre nations ne respectant pas ces règles optimales soient tenables.

Milton Friedman avait annoncé de son côté l’éclatement de la zone Euro pour une raison différente : seuls les changes flottants fonctionnent.

Nous-mêmes, comme nous l’avons répété ici dans plusieurs articles considérons ces deux thèses comme fausses.

La théorie des zones monétaires optimales est tautologique.  Elle revient à dire : si la zone est possible alors elle est possible. Et aucune des zones monétaires uniques, comme les Etats-Unis ou celle du Franc CFA ne sont « optimales » au sens de cette théorie. Ce qui revient à dire : même impossibles, elles sont possibles.

Quant aux prévisions de Milton Friedman, elles ont toutes été démenties. Les changes flottants devaient :

-          Unifier les taux d’intérêt et réduire les spreads : ils n’ont jamais été plus divergents

-          Réduire les besoins de réserves : ils n’ont jamais été si importants

-          Adoucir les transitions de change : jamais elles n’ont été si explosives.

La théorie des changes flottants de Milton Friedman est simplement fausse, et a été infirmée par les faits constatés. Il ne peut y avoir de bonne théorie qui dise le contraire de la réalité observée.

On peut donc écarter ces deux théories et revenir à l’idée qu’une zone monétaire unifiée comme l’Euro est possible.

Nous même ne la pensions pas souhaitable mais possible à certaines conditions.

Le traité de Maastricht et le pacte de Stabilité et de Croissance de 1997 n’ont pas prévu ces conditions, ce qui explique que nous avons été à l’époque extrêmement critiques sur les modalités prévues. Aujourd’hui le débat n’est plus sur l’opportunité de la zone Euro qui est un fait accompli, mais sur les conditions de son bon fonctionnement après qu’une crise sévère ait montré ses faiblesses.

Pour prendre une analogie, il ne serait pas souhaitable qu’un individu se coupe une jambe. Mais maintenant qu’elle est coupée et que la gangrène s’est mise dans le moignon, l’urgence n’est plus de revenir sur la décision initiale mais de sauver le malade. On peut vivre avec une jambe coupée mais pas sans hygiène et seulement après avoir guéri l’infection.

Le TSCG doit s’apprécier dans cette double perspective :

-          Permet-il d’enrayer l’infection ?

-          Est-il capable une fois la survie assurée de garantir un bon fonctionnement de la zone Euro ?

Pour répondre à ces deux questions il faut au préalable avoir compris les causes de la crise actuelle.

-          Cause interne : quel que soit le système monétaire, un système de libre échange ne fonctionne durablement que si les grands équilibres financiers et commerciaux sont préservés.  Dans un système de monnaie unique, il importe qu’il y ait une gouvernance centrale qui évite les divergences entre les membres ou qui les compense. Rien de tout cela n’a été prévu. Chaque pays a donc géré son économie de façon divergente et on a abouti aux écarts insurmontables de compétitivité actuels. Si la France réduit son temps de travail et aggrave ses coûts de production pendant que l’Allemagne prend des mesures strictes de compétitivité, on va au-devant de graves distorsions. On les a.

-          Cause externe : la zone de monnaie unique est baignée dans un système global de changes flottants avec liberté des mouvements de capitaux. La crise économique globale actuelle a été provoquée par le système monétaire international vicieux, , pas par les défauts de la zone Euro. Mais elle a révélé les défauts de la zone Euro, confrontée aux endettements différentiels de ses membres, qui sont exploités sans scrupules par la spéculation internationale, ou disons plus clairement, par la finance anglo-saxonne.

Les pays de la zone Euro, comme tous les autres, se sont retrouvés avec un double fardeau : le transfert sur le budget de la dette aventurée des banques surexposées aux différentes bulles monétaires ou immobilières,  le financement des conséquences de la crise. Que leur système bancaire ait enflé de façon excessive comme en Irlande ou en Espagne ou au Portugal, ou qu’ils aient adoré la dépense publique comme la Grèce, la France et l’Italie, le taux d’endettement public est devenu insoutenable.

Toutes les bornes du Pacte de Stabilité et de croissance de 1997 ont sauté en même temps, exposant toute la zone Euro.

Comme la Banque centrale européenne n’a d’autre objectif que de maintenir l’inflation à moins de 2%, globalement, ce qui n’a qu’un sens très relatif, et qu’elle ne doit pas financer les Etats en dernier ressort, l’application stricte des traités rendaient la sortie de crise impossible.

Gérer une zone de monnaie unique dans un système global de changes flottants avec une banque centrale indépendante et corsetée dans des règles absurdes, le tout  par l’intermédiaire de normes fixées dans des traités sans aucun organe de pilotage sinon le fantomatique Ecofin du non moins fantomatique Juncker, était une gageure. Cette gageure n’a pas été tenue. Elle ne pouvait pas l’être.

Il a fallu agir. Cette action a été entièrement conduite par la panique et l’urgence de tenir en respect « les marchés ».   

La Banque centrale européenne l’a fait en violant toutes les règles qui la corsètent et prévoit d’agir encore plus loin des règles en question en cas de besoin. Les « marchés » ont apprécié.

Son bilan boursouflé d’une façon jamais vue commençant à prendre mauvaise mine, elle a exigé des garanties des Etats. Comme ils sont à peu près tous insolvables, sauf l’Allemagne,  on a créé des organes communs de riposte aux  spéculateurs, mais l’Allemagne a posé ses conditions.  « Je paie mais vous devenez vertueux ».

Le TSCG n’est donc pas une réforme de fond mais un acte politique transitoire ayant pour but de calmer les marchés et de décoincer les libéralités allemandes. Cet acte était-il évitable ? La réponse est clairement non.

Sans le TSCG la zone Euro éclatait. En ce sens la déclaration des « 140 économistes contre la TSCG » n’aurait de sens que si ces économistes étaient pour la dissolution de la zone Euro. Le paradoxe est qu’ils sont pour !

Quand on voit des glorificateurs du traité de Maastricht comme un certain Pr. Aglietta, qui cumule un amour immodéré pour la zone Euro, avec une justification des changes flottants et une passion inextinguible pour la dépense publique,  et qui condamne le TSCG parce qu’il contraint cette dernière, on croit rêver. Dire tout et son contraire pour des raisons de postures idéologiques, politiques et de prospérité personelle (ce Monsieur est membre du CAE et d’autres cénacles) fait partie du décor général, ces derniers temps.   Disons que le spectacle est consternant.

Au-delà de l’urgence politique, le TSCG est-il durablement efficace ?

La réponse est non.

Rappelons encore une fois que la gestion d’une zone monétaire unique est une affaire politique qui exige qu’il y ait une instance de pilotage dotée des moyens ad hoc.  Le TSCG le prévoit de façon beaucoup trop embryonnaire. Ce n’est qu’un durcissement du PSC.

Les défauts du PSC restent : comme nous l’avons répété sur ce blog il existe un cycle économique ; le budget doit jouer un rôle contra cyclique. Il aurait mieux valu organiser cette souplesse plutôt que de fixer une règle fixe  inapplicable dans la durée.  On comprend l’effet d’affichage. Il faudra évoluer.

D’autre part, une zone de monnaie unique n’a pas comme contrainte uniquement l’harmonisation des budgets. C’est l’ensemble des politiques sociales, fiscales et économiques qui sont en jeu.

Enfin, une zone de monnaie unique doit avoir une action extérieure et un pilotage de son change, même et surtout  dans un système nocif de changes flottants. Cette action doit englober celle de la BCE qui ne peut garder comme seul objectif la stabilité des prix.  

Il faudra sortir de la gestion par la norme et par des zombis non démocratiques. Le TSCG en s’appuyant sur l’inter-gouvernementalité et non sur un super-fédéralisme  bruxellois va dans la bonne direction.

Reste pour la zone Euro à créer une cabine de pilotage, nommer le pilote et doter le véhicule de moteurs puissants.

Le TSCG est une étape.  

Une étape nécessaire et insuffisante.

On a passé les Pyrénées, il reste les Alpes !

Le choix du vélo, du dérailleur et du plateau sera critique.

Rien n’est fait.

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile 

Commentaire
stéphane's Gravatar Je ne suis pas d'accord avec vous sur la fausseté de la théorie des changes flottants de Friedman.

Certes, nous n'avons pas vu ce que Friedman prévoyait, mais pas parce que sa théorie est fausse, plutôt parce qu'elle n'a pas été respectée dans tous ses paramètres dont le plus important : la non intervention des banques centrales, ou plutôt la disparition des banques centrales et de tout contrôle étatique des monnaies.

Le monétarisme quoi (avec un taux de croissance de la masse monétaire indépendant des gouvernements)

si cette condition avait été remplie, les USA comme la Chine ne joueraient pas avec leur monnaie, la double pyramide de crédit n'aurait pas été possible car les monnaies s'ajusteraient continuement entre elles avec des oscillations très faibles, et les balances de paiements et commerciales se rééquilibreraient sans cesse et en douceur.

Ce que prônait Friedman n'est en fait pas très éloigné de ce que vous prônez, cad des changes administrés avec des réajustements périodiques, mais il faisait plus confiance au marché qu'aux fonctionnaires pour réaliser au mieux ces ajustements.

Merci encore pour vos analyses.

Très cordialement,
# Posté par stéphane | 04/10/12 17:52
DD's Gravatar @Stéphane
Votre commentaire appelle les précisions suivantes.

Ce qu'on appelle système de "changes fixes" est en vérité un abus de mots. Il reste toujours un marché des devises et le cours varie constamment. Dans le cas d'un change à valeur
conventionnelle garantie auprès d'instances internationales, les pouvoirs publics agissent pour maintenir cette valeur. Dans le cas des changes dits "flottants", ils ne font rien,… en apparence. En fait tout le monde fait ce qu'il veut. C'est cette fausse abstention qui fait problème, car peuvent se créer des phénomènes parasites qui rendent inopérantes les effets attendus d'un libre marché.
Milton Friedman vaut beaucoup mieux que les caricatures qui ont été faites et son œuvre majeure avec Swartz reste le livre maître de ceux qui veulent comprendre les mécanismes monétaires. En tant que chantre d'une liberté presqu'absolue, dans presque tous les domaines, il dépasse le cadre de ce blog.

En revanche nous maintenons que son assertion que la monnaie est une marchandise "comme une autre" est partiellement fausse. Ce n'est pas la même chose qu'un kilo de tomates. Nous constatons l'échec de ses prévisions mais comme vous le dites, dans ce genre de cas, les promoteurs peuvent toujours avancer que leur modèle était imparfaitement réalisé et que ces sont ces imperfections qui expliquent la déception.

Lors de l'explosion du "currency board" argentin, les promoteurs américains de cette idée saugrenue ont expliqué que ce sont les interstices laissés dans leur système qui expliquent l'explosion, ignorant la cause principale qui était qu'on ne pouvait pas avoir durablement une monnaie argentine dé corrélée de son principal voisin le Réal du Brésil, et un lien fixe avec une monnaie qui, du fait des variations astronomiques et contradictoires liées aux changes flottants, s'est mise soudain à monter en flèche. Si le Peso avait été flottant, il se serait dévalué avec le Real ; si on avait été en système de changes concertés, le dollar n'aurait pas monté en flèche ni le Réal dévalué sans négociations.

La politique de gestion friedmanienne du dollar a été essayée un temps par la FED au début des années 80 et a été abandonnée du fait de ses effets pervers. Cette partie de la doctrine de Friedman n'est plus considérée par les banques centrales.

La vérité toute simple tient à ce que la monnaie depuis ses débuts est une affaire d'état et sert la politique des états. Les Rois lyciens avaient cru que leur or leur donnerait la victoire mais les autres avaient aussi de l'or. Raté ! C'est l'or de Philippe qui vaut à Alexandre ses victoires. Les Romains ont démolis les montagnes espagnoles pour trouver l'or de leurs campagnes militaires. Charlemagne réunifie l'Europe à partir d'une réforme monétaire centrale. Les banques centrales européennes sont toutes créées sauf celle d'Ecosse puis du Canada pour financer des opérations de prise de pouvoir ou de renflouement des états. On connait l'affaire Law et sa faillite. Etc. Etc.
On peut rêver à une monnaie marchandise librement émise par des émetteurs privés risquant leur fortune en cas d'excès et arbitrée par les particuliers. Mais c'est du rêve. La seule vraie solution est une monnaie internationale conventionnelle indépendante d'un seul pays, à laquelle sont rattachées les monnaies nationales. Les états s'engagent à en respecter la valeur avec en cas de difficulté, un réajustement concerté. C'est la seule possibilité pour que les produits finissent par s'échanger contre des produits, pour que la notion de "réserve de valeur" ait un sens, et pour qu'on échappe aux rigidités excessives d'un système de pur étalon or ou de monnaie unique.
La critique que MF faisait des changes concertés, et qui est juste, est la facilité d'attaquer des monnaies alors qu'on sait d'avance ce que sera la stratégie de l'adversaire. La situation est clairement "di-symétrique" entre l'attaquant et le défenseur. Il en concluait que pour se défendre vraiment les états n'avaient d'autres solutions que d'instituer des contraintes. Son penchant pour la liberté absolue le conduisait à refuser ces contraintes. Mais il ne niait pas que certaines contraintes seraient efficaces. L'interdiction de "shorter" une monnaie avec de terribles sanctions à la clé serait parfaitement efficaces et faciles à mettre en œuvre. Si les intermédiaires qui accepteraient des ordres de se genre se voyaient menacer de sortir du jeu et de payer d'énormes indemnités, il n'y aurait pas d'attaques spéculatives concertées avec rassemblement de plusieurs fonds empruntant pour spéculer d'immenses sommes d'argent avec un levier infernal pour faire sauter une monnaie. Toutes les parties à cet acte serait ruiné et en grande menace de prison là vie…en cas de succès !

Quand on a interdit de shorter les cours des banques il n'y a pas eu de contournements de l'interdiction. Aucun opérateur ne veut perdre ses licences.

Il est vrai qu'il faut un vrai arbitre donc un FMI qui ne soit pas soumis au veto d'un des membres dont la monnaie est considérée comme pivot du système. En change flottant un FMI ne sert à rien (comme le répétait Milton Friedman) sinon à tenter de ramasser les morts quand il est trop tard et que les déséquilibres devenus monstrueux déclenchent leur venin.

Finalement c'est à cause du système de changes flottants que les banques centrales ont pris un rôle totalement excessifs et finalement délétères, où les consommateurs n'ont pas pu réellement faire d'arbitrage rationnel sur les monnaies qu'on leur propose.
# Posté par DD | 09/10/12 15:20
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