Une brève histoire du temps…perdu (en matière monétaire).

« Depuis quand vous intéressez-vous aux changes flottants »  me demande un lecteur de ce blog. Nous évitons généralement les sujets trop personnels mais nous ferons une petite exception pour cette question qui est en fait très éclairante des aspérités du domaine.  

A partir de 1969 je rédigeais sous la haute autorité et la barbichette de Bertrand de Jouvenel une thèse de doctorat d’Etat d’économie sur « la prévision économique  à long terme », un sujet à la mode à cette époque.  Nous vivions dans un système de changes fixes mais déjà on sentait que les Etats-Unis, embarqués dans des guerres lointaines, ne voulaient pas en jouer le jeu.  Et il y avait déjà eu de multiples crises de changes avec dévaluation à la clé. Un chapitre s’imposait sur « les changes et l’horizon économique ».  

Première découverte : les relations économiques internationales et particulièrement les systèmes monétaires internationaux  étaient une terre quasiment vierge dans ma faculté d’économie (Paris I aujourd’hui).  Le cours existait mais était  tenu par un crétin absolu qui pour masquer ses lacunes avait choisi d’utiliser un langage d’une complexité et d’un hermétisme  infranchissables dont on ne pouvait absolument rien tirer.  A l’âge où j’étais  on a toutes les audaces : j’ai demandé un rendez vous. Il refusa catégoriquement !   Pour donner une idée quantitative de l’intérêt pour les changes flottants la chose occupait 8 lignes dans le Dalloz sur la monnaie de l’époque (près de 1000 pages).  La littérature correcte sur les systèmes de changes était entièrement descriptive,  avec des commentaires normatifs du genre « grâce aux accords de Bretton Woods nous sommes entrés dans un monde de croissance perpétuelle sans risque de dépression ».  La banque c’était l’affaire des banquiers pas des économistes. La banque internationale : quelle banque internationale ?

Seconde découverte : la littérature américaine était nettement plus développée mais traitait de la monnaie comme quelque chose d’étrange  qu’il fallait constamment démystifier dans une ambiance de combat.  Il faut dire que la bataille entre les orthodoxes de l’étalon or, les monétaristes autrichiens et les keynésiens battait son plein.   Le contentieux était lourd et les invectives toujours proches.  En gros les tenants de l’étalon or étaient pour leurs contradicteurs  des fétichistes et, disons le, des crétins, qui proposaient de creuser des trous dans la montagne pour sauver le monde.  Leurs adversaires étaient des « aventuriers » aux idées farfelues qui mettraient vite le monde à genoux.   Participer au débat était difficile parce que les idées et les réflexions étaient peu claires et les coups à prendre certains.

Troisième découverte : il existait bien des tenants des changes flottants. A la vérité UN tenant …et un seul.  Pour Milton Friedman, les devises étaient de la marchandise comme les autres  et son prix devait être libre. Les forces du marché fixeraient les prix.  Il était aussi vain de chercher à les fixer qu’il était vain de fixer le prix du pain.   Si des Etats mal embouchés voulaient faire de la mauvaise monnaie, elle serait aussitôt boudée. La liberté de mouvements des capitaux  aurait tôt fait de faire comprendre aux dirigeants les nécessités d’une monnaie saine et bientôt dans la joie et l’allégresse les  taux de change se stabiliseraient et les taux d’intérêt convergeraient.

 Pour ma thèse  de doctorat, la question de la prévisibilité des taux de changes  et donc de l’horizon économique des exportateurs et des importateurs était à l’évidence cruciale.  Cette idée de flottement des monnaies n’allait pas vraiment dans le sens d’une plus grande prévisibilité.  Je m’acharnais à trouver tous les articles  et ouvrages, en dehors de ceux de M. Friedman, proposant  le flottement des monnaies.   

Quatrième découverte : il n’y en avait pas !  Les ceusses qui osaient aborder cette question étaient toujours de l’avis que les changes flottants, cela ne pouvait pas marcher.  Ils s’appuyaient sur l’expérience de l’immédiat après guerre de 1914 où les désordres monétaires avaient été importants.  Les changes flottants étaient déstabilisants : ils aggravaient la volatilité  les cours de changes et amplifiaient les mouvements.    C’était dit en passant, en quelques lignes. On n’a pas déforesté le monde pour traiter des changes flottants !

Pour résumer : à la veille de l’abandon des accords de Bretton Woods,  la question des systèmes de change était l’enfant malingre de la science économique et un seul auteur, pour des raisons plutôt idéologiques, Milton Friedman, en était l’avocat militant et belliqueux : mettre les vilains Etats sous la pression des marchés lui paraissait une excellente discipline. Tous les autres intervenants dans le débat n’étaient pas des économistes mais des banquiers. En France, des Inspecteurs de Finances comme J. Rueff.  C’est la particularité française : le seul fait d’avoir fait l’Inspection des Finances vous donne l’onction de la connaissance et de la respectabilité nécessaire pour aspirer aux plus hautes fonctions de la banque et notamment de la banque centrale.   Pour eux,  les « économistes » ce sont des statisticiens !

Cet abus a été parfaitement vu par Michel Audiard qui dans les « tontons flingueurs », cette œuvre majeure d’observation,  fait du tonton à monocle, administrateur au FMI,  un élégant  repreneur des entreprises plus que légèrement louches du papa de la nièce orpheline.

Là-dessus les Allemands, de l’ouest, légèrement agacés d’avoir à créer des DM en masse du fait de son excédent de balance des paiements avec les Etats-Unis et un peu traumatisés par le souvenir de l’hyper inflation du pays en 1923,  bloque le système de Bretton Woods (mais oui ce sont les Allemands qui ont cassé le vase de Soissons monétaire !).  Les Américains répliquent en « suspendant » la convertibilité   en or du dollar. 

Notons au passage que les accords de Bretton Woods n’empêchaient pas les Etats-Unis d’inonder le monde de leur monnaie à partir de leurs déficits abyssaux.  La réforme du système monétaire international,  si un jour on imagine qu’elle doive se faire, ne pourra pas être un retour pur et simple aux anciens accords de Bretton-Woods. Note : inutile de chercher, personne n’aborde jamais cette question.

On est alors entré dans 10 ans de désordres absolus sur les marchés des changes aboutissant à la fameuse stagflation qui était l’énigme de l’époque.  La relance keynésienne à la papa ne marchait plus. Giscard et Chirac en feront les premiers l’expérience en 1974.  Et bien non : la relance en système de changes flottants ne marchent pas !  Une leçon qui comme on le voit à été très bien retenue…

Ce qu’on a appelé à l’époque la crise du pétrole n’était qu’une crise du dollar. Le dollar est à 3.75 Francs quand les pétroliers prenant le prétexte de la guerre israélo-arabe  décident  leurs hausses massives…

La situation globale devenant explosive les Etats-Unis finissent, par le moyen de Volker, par réduire leurs déficits, au prix d’une forte récession.  C’est à ce moment là qu’il aurait fallu mettre fin aux changes flottants. Mais il n’y eût AUCUN DEBAT.    La mort du « serpent monétaire »  mis en place par les européens  les réduit au silence : ils feront l’Ecu puis l’Euro  dans leur coin sans plus jamais reparler de réforme du système monétaire international.  Le Royaume Uni durement touché doit faire appel au FMI ! La puissance de la spéculation qui parvient à faire sauter toute tentative de fixité des changes achève de bloquer les cerveaux.  Le seul Soros avec une spéculation gagnante contre la Livre britannique aura suffi à mettre un bœuf sur toutes les langues.

Les changes flottants ? On n’y peut rien alors on se tait. Quand on cherche à en sortir, on est matraqué, alors laissons flotter en silence.

Le résultat on le connaît : des déficits américains perpétuels et perpétuellement aggravés après la remise en ordre de Volcker ; le gonflement de l’endettement américain dans des proportions démesurées ; des crises de plus en plus graves corrigées en inondant le monde de dollars ;   l’éclatement final.

Relire le texte de Milton Friedman aujourd’hui fait sourire tant il est marqué par une fraîcheur d’illusion ahurissante sur les bontés théoriques du système des changes flottants.

Commentaire
Sarton du Jonchay's Gravatar Cher Monsieur,
Votre démonstration est confondante de clarté et de réalisme. Mais que faut-il conclure ? Le débat est et sera impossible ? Allons-nous subir cette crise indéfiniment en feignant de n'y rien comprendre ? Le progrès ne vient-il que des révolutions où l'on coupe les têtes qui ne veulent pas comprendre ? Comment économiser la vie et la souffrance ?
# Posté par Sarton du Jonchay | 21/05/09 09:51
DD's Gravatar Il est clair que l'on tombe avec la foi chevillée au corps que l'on a rien d'autre à faire qu'à attendre car "la reprise frémit" (Lagarde), "La récession ralentit" (Trichet), alors qu'à chaque sortie de statistiques on bat un record historique. On se moquait de ce président américain qui racontait en 29 que la reprise était "round the corner" et on fait exactement pareil. Jusqu'à ce qu'un accident arrive (bancaire, monétaire, de marché) et là toutes les illusions tombent. Et on repart pour un tour de panique. A la fin on fait n'importe quoi pour calmer l'impatience des peuples.
# Posté par DD | 24/05/09 11:22
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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