Taxe Tobin : la double méprise.

On se souvient qu’une association constituée d’anciens communistes, venant soit du PC, soit de la CGT, soit du tiers-mondisme marxiste,  ATTAC,  l’exemple même du « faux nez »  dont la mouvance communiste aime à s’affubler pour essayer d’attirer des âmes simples pour lesquelles le mot « communiste » a un effet répulsif majeur,  avait fait de la taxe Tobin son cheval de bataille.  


Surmédiatisée, cette association  qui avait fini par mordre sur le parti socialiste et ses militants,  a finalement explosé en vol quand l’opacité de ses méthodes  (une malhonnêteté très bolchevique) a fait tomber une partie du masque  et surtout quand les socialistes ont soudain découvert qu’ATTAC avait largement provoqué le « non de gauche à l’Europe libérale » et que même le Traité de Rome n’aurait pas trouver grâce  si on avait accepté tout ce corpus idéologique : la régression terrorisa .  Fabius qui avait cru relancer sa carrière en  épousant l’esprit du temps créé par Attac fut  marginalisé ainsi qu’ATTAC, dont le côté mascarade (l’éducation populaire !) et la nocivité globale ne pouvaient plus être cachés.

Pendant toute la montée médiatique d’ATTAC, on avait vu des artistes et des politiciens s’adonner au petit jeu du : « une si petite taxe qui permettrait de dégager des centaines de milliards pour lutter contre la pauvreté ». Il fallait être un cœur bien dur  pour s’opposer à une mesure si simple et  si efficace.  L’acteur Pierre Arditi, un économiste de l’école spontanéiste, toujours très soucieux de son positionnement à gauche, s’était ainsi ridiculisé à la télévision,  en joignant le geste à la parole : il fit claquer ses doigts   et « comme çà ! » les flots impurs de la finance mondiale auraient en quelques instants irrigué les nécessiteux du monde entier, résolvant enfin un problème qui tarabuste la société depuis plusieurs millénaires.

Il fallut que Tobin, prix « Nobel » d’économie, si tant est que cette expression soit juste, déclare qu’il avait horreur des idéologues d’Attac et ne se reconnaissait en rien dans les travestissements de sa pensée pratiquée par ce groupuscule politique communiste.  Se cacher derrière des sommités reconnues est en effet une des astuces habituelles de la propagande communiste.  Toute la presse soviétique pendant des décennies a utilisé ce stratagème simple qui consiste à affirmer que  « cela doit être vrai puisque nos ennemis eux-mêmes le disent ».   Sous entendu : nous on sait bien que vous savez qu’on ment tout le temps !

Et voilà qu’un régulateur britannique s’intéresse ouvertement à  la nécessité  de la taxe Tobin. La City semble tout à coup donner la main aux nostalgiques du marxisme léninisme.  Aussitôt  on retrouve toute la folie médiatiques des années Attac : M. Kouchner redécouvre les vertus de cette taxe magique et avec lui toute une partie de la gauche socialiste.  C’est à peine si la droite n’a pas un peu honte de n’avoir pas adhéré pleinement  et plus tôt à cette idée fantastique.

Du coup le cœur tobinien  de la presse enchantée du socialisme se remet à battre  avec vigueur. Le délire recommence à s’installer sur ce thème à France Inter qui ce matin, vendredi 25 septembre,  reprend ses vaticinations à l’occasion de l’interview du directeur de la bourse de Londres, un Français.  Et voilà M. Bernard Guetta chevrotant à nouveau la belle chanson de la taxe magique que seuls des âmes déplorables peuvent  tourner en dérision,  pendant que tous les petits bras qui l’entourent essaient de cerner la bête avant l’hallali : la démocratie doit imposer la taxe Tobin, c’est évident.  On a failli retrouver le langage des « séminaires » Attac : celui qui est contre la taxe Tobin est « un fasciste », un « salaud au sens sartrien ».  

En revanche on n’a pas évité les ambiguïtés habituelles sur le taux de la taxe : 0.5, 0.05, 0.005, 0.0005 pour cent ! C’est selon ! De toute façon c’est si petit que cela n’a pas d’importance…

En dehors de ces palinodies idéologiques, il reste une vraie question, technique et économique celle là, qui est de savoir si la taxe de Tobin aurait été de nature à éviter la crise financière actuelle ou non, et si on tient là une piste sérieuse de rénovation de notre système économique mondial.

Première remarque : la proposition de Tobin nait au début des années 70 avec l’introduction du système des changes flottants après l’annonce de l’inconvertibilité du dollar en or.  Au passage notons l’importance de ce fait : on sent bien que la source des maux  vient de là, même si on ne l’avoue pas directement !   Que disait Tobin : que le danger des mouvements de capitaux à court terme était réel et qu’il fallait tenter de brider ces mouvements.  Traduisons : les monnaies flottantes créent tellement d’occasion de spéculer que bientôt tout  le système sera un casino incontrôlable !  Des capitaux peuvent se déverser en masse sur des marchés financiers à partir de l’extérieur puis s’en retirer en provoquant des catastrophes.  Tobin a bien mérité son prix Nobel !  Car le pronostic était  exact.

Deuxième remarque : le taux de la taxe pour être efficace doit être fort, sans cela il n’y aura aucun effet de frein.  En fait il s’agit de faire très mal aux opérateurs pour qu’ils s’abstiennent.  Le taux qu’il a  proposé était de 0.05 %. Le chiffre parait faible : il est gigantesque !  Le montrer n’est pas difficile. Prenons un « day trader » qui spécule sur les variations de devises cotées en continu.  Il va faire des dizaines d’allers et retours quotidiens, en se couvrant qui plus est par des opérations annexes.  Imaginons qu’il en fasse 10 : la taxe va être de 0.5% par jour, soit grossièrement 365 x 0.5% = 180% par an !  Alors que l’argent qui sert à spéculer est emprunté à  2 ou 3% par an !   La Taxe Tobin au taux qu’il a lui-même proposé est donc un gigantesque coup de massue visant de fait à interdire les allers et retours financiers.  La conséquence est qu’on en reviendrait à des placements longs qui certes devraient payer l’impôt  mais s’il n’y a pas plus d’un mouvement par an, la pénalisation n’est pas importante.  Tobin ajoutait : faites de cette taxe mondiale la première recette mondialisée et utilisez là aux fins générales de l’humanité et pas seulement des états nationaux.

Imaginons que vous souhaitiez qu’une porte reste fermée et que vous préleviez 1 euros à chaque ouverture.  Un euro c’est rien. Mais si vous aviez l’habitude de faire une dizaine d’allers et retours par jour par la porte, voyez ce que cela coûte à la fin de l’année :  3.650 Euros par personne ! Largement plus que le coût de la porte.  Et quel embarras si on ne dispose pas des moyens de faire payer tout le monde !


James Tobin était un économiste très fin, comme souvent le sont les vrais spécialistes des systèmes monétaires internationaux (ils sont rarissimes !).
Il a été contré par Milton  Friedmann  et ses troupes qui ont expliqué que la monnaie étant un produit comme les autres, son prix devait s’établir sur un marché,  et non par décision administrative, et que les transactions à court terme permettraient de stabiliser et le taux d’intérêt et les changes eux-mêmes, car si les taux sont harmonisés alors il n’y a guère de raison que les changes varient, sauf si un pays utilise sa souveraineté pour faire n’importe quoi.  Si la banque centrale est indépendante et a pour but de maintenir la valeur locale de la monnaie, le système sera stable.


Milton l’a emporté sur James  et le système ainsi mis en place n’a pas arrêté d’hoqueter de crise financière en crise financière jusqu’à la crise dramatique actuelle.  La vérité : Milton avait tort ! On le constate tous les jours mais la dictature de l’existant est telle qu’il serait terrible de la reconnaître. 

On ne le fait généralement que lorsqu’on n’a plus le pouvoir et qu’on soigne sa posture pour l’éternité :  Edouard Balladur le fait dans son dernier livre, quasiment à la dernière page, où il déclare être resté en politique pour faire valoir des idées fondamentales comme par exemples la nécessaire réforme du système monétaire international, source de tous les maux.  « Je ne fus pas entendu. J’assistais, désolé,  au spectacle d’un monde déchiré par le désordre et l’anarchie, enivré par un richesse factice due au dérèglement du système monétaire international ».  L’ennui est que jamais il n’a prononcé la phrase clé : le système des changes flottants, à l’instar du socialisme, cela ne marche pas !


On retrouve cette même critique ouatée qui ne descend jamais dans les détails qui font mal  dans bien des interventions actuelles.


La véritable question est de savoir s’il faut conserver les changes flottants avec un correctif de type Tobin, aussi violent soit-il, ou s’il ne faut pas résoudre le problème à la base, c'est-à-dire en finir avec les changes flottants.


Nous sommes de ce dernier avis.  Les changes flottants on introduit trop d’occasions de spéculer sur tout et sont à la source de tous les maux que l’on a constaté depuis   1971, sans aucune exception.  Corriger par des taxes un système faussé structurellement ne peut être la bonne solution.  Tobin le savait fort bien. Il pensait simplement que la volonté hégémonique des Etats-Unis et leur souci de tirer un avantage absolu de leur domination économique et monétaire, interdisaient tout autre système que les changes flottants.

Le pire pour lui est que son remède de cheval a été pris pour une médication homéopathique  et détourné sans scrupule par des mouvements idéologiques qu’il exécrait.  
Une double méprise.  

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile

Commentaire
cédommage's Gravatar Démonstration qui pourrait être intéressante si vous n'y mêliez pas des considérations sur le communisme et le socialisme qui n'apportent rien au débat si ce n'est de mettre en avant votre propre étroitesse d'esprit.
# Posté par cédommage | 25/09/09 15:39
DD's Gravatar Ces considérations sont nécessaires car seules elles expliquent pourquoi il y a eu focalisation sur la taxe Tobin au début des années 2000.

Sans Attac pas de publicité autour du concept. Mais Attac s'est tué en essayant de tuer l'Europe. Du coup elle a perdu son poids médiatique. Les politiques français avaient été assez loin dans le portage du mécanisme de Tobin pour faire pièce au succès d'Attac puis s'étaient mollement écrasées lorsque Chirac avec la Taxe sur les voyages en avion avait donné un contenu au concept "une petite obole sur les riches pour une grosse ressource pour les besoins internationaux portés par les ONG".

Politiquement la montée du front "anticapitaliste" sans le PS a marqué la fin de la manoeuvre organisée autour d'Attac qui n'est plus soutenu par les hiérarques socialistes, alors qu'à un moment la double appartenance était sinon de règle du moins valorisée.

Les idées sont souvent bonnes ou mauvaises selon celui qui les portent. Venant de la City la taxe Tobin prend de la légitimité bourgeoise.

L'important est de considérer les questions techniques posées indépendamment des considérations politiques mais tout en comprenant ce qu'elles sont.

Rappeler que les postures politiques tiennent un rôle fondamental en économie est indispensable.

Nous ne voyons pas ce qui vous gêne, sinon le fait que nous n'appartenons à aucun camp et contredisons quand nous le jugeons aussi bien des idées de la droite de l'échiquier que des idées venant des ténors du camp adverse.

Il faut dé-crypt-ter ! Et ne pas prendre des vessies pour des lanternes.
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# Posté par DD | 25/09/09 16:44
micromegas's Gravatar Il y a tout de même un côté farce à voir M; Sarkozy chaussant les bottes de M. Chirac (où est passée la rupture ?) et celle de l'altermondialisme (l'influence de carlita ?) !
# Posté par micromegas | 26/09/09 19:24
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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