Pourquoi Nicolas Sarkozy n'a pas convaincu à Davos

On sait que Davos n'est rien d'autre que le grand festival des "m'as-tu vu". On y va pour voir et être vu. On y revient pour communier entre "importants". Les nouveaux "bourgeois gentilshommes" veulent se pénétrer de leur statut : ils ont de l'argent, de la bonne conscience, et se croient un rôle mondial.  Les organisateurs ont compris depuis longtemps qu'il fallait leur faire payer très cher le droit d'être là, mais qu'en contrepartie il fallait présenter du lourd, du connu.

Un important ne l'est que s'il côtoie de plus importants encore. Davos c'est Versailles mais avec un gros péage aux grilles. Le candidat grossium se console de la dépense en disant : cette sortie m'offrira des entrées. Comme Courbertin,  il répète : l'essentiel c'est de participer.

Qu'attend-il de sa présence ? D'être conforté dans l'idée qu'il se fait de lui même. N'est-il pas un homme d'élite et qui compte ? On le flattera donc. Indéfiniment. Des experts lui diront combien il est grand, combien il est généreux. Il façonne le monde ; rien de moins. Le voici au milieu des stars de la politiques et du commerce.

Parfois au détour d'un couloir on lui mettra devant les yeux une reine, une vraie ou une vedette plus vulgaire mais planétaire. Toujours au nom de la charité. Car à Davos les bons sentiments coulent comme les torrents locaux : sous la glace mais avec le bruit cristallin des pièces d'or utilement consacrées à forger l'image bienveillante du Mamamouchi. .

Alors il ne faut pas aller à Davos en croyant qu'un discours d'expert pointu pourra alerter les élites sur les difficultés du monde et les réformes nécessaires. Et il est encore moins sérieux d'y intervenir pour narguer vulgairement le grossium sûr de lui et de son portefeuille.

Le banquier veut qu'on lui dise : il y a eu des difficultés mais ce sont les mauvais, les idiots, les irresponsables qui ont fait dérailler un train merveilleux. En contrepartie il offrira son expertise pour réparer le monde un peu amoché dans l'accident. Sa phrase fétiche sera : il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.  Et il ajoutera : "Après tout regardez nous : nous sommes là, vivants parmi vous et nous gagnons des masses d'argent. Alors ? C'est bien que nous sommes indispensables. Et notre prospérité garantit la votre. car sans nous que feriez-vous ?"
 
Le pubeux viendra faire des arabesques pour démontrer que les premières positions mondiales ne peuvent être arrachées qu'avec son concours. Ah ! Etre numéro 1 mondial !

Et ainsi de suite.

Aux tables de restaurant on se gardera bien de la moindre originalité. On communiera dans la banalité bien pensante. Très bien l'écologie, mais cette taxe carbone quelle idiotie ! Greenspan, l'ancien Dieu ? On évoquera son nom avec un brin de condescendance : il nous a vraiment mis dans la m... celui là. Et on s'accrochera aux quelques phrases refuges complaisamment offertes par les organisateurs pour que tout le monde se sente bien. Les subprimes, ce sont les politiques, hein ! La crise ? Quelle crise ? Elle est déjà finie la crise. On méprisera un peu le vieux continent. Certes les Etats unis et leur mentalité "business orientated" ne brillent plus au firmament. Cet Obama, finalement c'est un socialiste, non ? Peut-être même un communiste.   La Chine et Lula, voilà les nouvelles vedettes.


Voici notre président Sarkozy en "keynote speaker".  Et qui croit malin de se transformer en "qui dénote" speaker. Ce qu'il dit est parfaitement exact : la question monétaire est essentielle ; oui, il faut réformer le système monétaire international ; un nouveau "Bretton Woods" est bien indispensable. Les déficits ou les excédents massifs sont au cœur des dérèglements.

Mais il ajoute : la question n'est pas technique mais politique. Voici donc qu'on défie les grands, les vrais grands. Cela les fait bien rire les auditeurs : la Chine et les Etats unis sont incontournables. Pas un des grands patrons dans la salle qui ne savent qu'il faut convaincre les analystes des grandes banques américaines et trouver des ouvertures pour capter une partie du marché chinois. Alors il décroche notre congressiste. Qu'est ce qu'il nous raconte ce freluquet arrogant et qui se croit drôle ?

Le discours sera accueilli froidement : "pfff".

Des idées indispensables, mal argumentées, dans le mauvais lieu et sous une forme inadéquate auront glissé dans le vide, comme un pet sur une toile cirée. Des cartouches importantes auront été tirées en vain.

Un discours plus technique, montrant avec précision les ressorts de la crise, le rôle d'institutions dangereuses, les effets pervers de certains mécanismes aurait-il eu plus de chances d'intéresser ? Oui s'il avait été un message d'espoir : la crise ce n'est pas vous ; vous vous êtes des types épatants ; mais vous êtes victimes de mécanismes qui vous échappent mais aussi qui vous écharpent. La responsabilité des gouvernements est de vous fournir de bonnes infrastructures. Alors vous pourrez foncer et tout le monde sera content.

Compétent au lieu d'être bravache ; solide au lieu d'être bêtement moralisateur, éclairant au lieu d'être culpabilisateur,  un discours sur les désordres du système monétaire international aurait eu sa chance.

Peut-être.

Après tout la Reine Noor, Mickael Jackson, Bill Gates et la Cicciolina n'étaient pas là.

A Davos les anges sont dans la salle. Leurs ailes sont fragiles. Il faut indéfiniment les caresser avec tout le tact nécessaire. On peut évidemment penser que ce faux paradis est de la foutaise et que ces anges font la bête comme il se doit. Alors on ne s'y produit pas. On méprise.

Y aller pour tendre un  miroir où l'ange se verra en démon rouge vif n'a aucun sens.
 
Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile



Commentaire
Micromegas's Gravatar Un texte bien tourné et fort drôle. Qui ne serait peut être pas non plus apprécié à Davos !
# Posté par Micromegas | 30/01/10 20:25
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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