Le remaniement : l'expert et le politique

L'avantage des changements de gouvernement, c'est qu'il faut bien faire un bilan et annoncer une orientation. Il faut à la fois tirer les leçons du passé et donner un minimum d'espoir que les mesures prises ou à prendre auront un impact positif. Lorsqu'on vient de vivre trois ans de crise économique majeure, il est indispensable de donner une explication économique de la crise en même temps qu'il faut prouver que les mesures économiques que l'on va prendre sont pertinentes.

La grande difficulté aussi bien de l'intervention du Président de la République sur trois chaînes de télévision que de la déclaration de politique générale du premier ministre renouvelé, M. Fillon, tient toute entière dans leur carence sur ces deux sujets.

Aucun des deux n'a même tenté d'expliquer la crise. L'évènement  leur est tombé dessus à l'improviste dans un ciel bleu sans nuage  et il faut bien faire face. De toute façon, la  crise mondiale, ils n'y sont pour rien.

Quand on ne comprend pas un désastre, la solution pour en sortir devient problématique. Alors on n'en parle pas. Les orientations prises indiquent un calendrier politique. En aucune façon le calendrier économique n'est abordé. Le "quatrième risque", la dépendance, sera après le RSA l'occasion de prouver que la gauche n'a pas le monopole du cœur. Le bouclier fiscal étant le justificatif permanent de l'accusation de ploutocratie, il va falloir le supprimer, sans le supprimer tout en le supprimant. En un mot les politiques au pouvoir sont entrés en campagne électorale présidentielle, en nettoyant le décor des scories négatives et en plaçant quelques pots de fleurs.

L'opposition n'est guère plus brillante. On glose sur l'épatant président que ferait M. Strauss-Kahn, alors qu'il aurait été de son rôle d'apporter l'expertise sur les causes de la crise et les chemins de la reprise. Il ne l'a pas fait. On se prosterne devant un général putatif qui n'a gagné aucune bataille et dont tous les actes connus (les 35 heures, la surfiscalisation de 1997, le déflationnisme partout où le FMI intervient) ont été des erreurs majeures. Depuis le début de son mandat il suit le flot en prenant la pause alors que chaque année la preuve est faite plus complètement de l'inanité des politiques internationales menées. Près de trois ans et demi après le blocage du système bancaire international, nous en sommes à "la guerre des monnaies".

La secrétaire générale du PS, Mme Aubry bâtit un programme trompe couillons autour du concept infantile du "Care", la forme ultime de l'énarchisme compassionnel. Les candidats à la candidatures socialistes travaillent leur "look" mais pas leur programme. Voici M. Montebourg expliquant que le dépassement du capitalisme était à chercher dans la mutualité. Il est toujours important de "dépasser le capitalisme" chez les socialistes. Rocard en son temps avait bien fait rire avec l'autogestion à la Yougoslave. Cela ne l'a jamais découragé. Son dernier livre explique comme cette idée déjà débile dans les années 60 est toujours merveilleuse en 2010.  Que faire : s'il faut dépasser le capitalisme il faut bien annoncer un nouveau système.  M. Moscovici dont les prétentions à la présidentielle sont connues veut lui "matraquer les riches"  Il faut frapper lourdement les successions, rendre encore plus progressif l'impôt sur le revenu, et ne pas hésiter. Vive l'impôt ; vive la haine ; à mort les boucs émissaires, les hyper riches, ces koulaks modernes ; la Kalachnikov fiscale remplacera les violences physiques  comme moyens de changer "vraiment" le capitalisme. Il parait qu'il s'agit d'un socialiste modéré ! 

Dans les deux camps on glose sur un système social français qui serait magique et que tout le monde nous envierait. Qu'est ce que ce système ? Tous les problèmes doivent être réglés par l'Etat. La responsabilité individuelle ? Connais pas ! Ce système est par terre. Et alors ? Il ne fonctionne pas. Et alors?

Le résultat est que le gouvernement se met dans des contradictions insolubles : il ne faut pas augmenter les impôts  ni la dépense publique mais il faut couvrir le quatrième risque et c'est 40 milliards d'euros en perspective à prélever sur les  Français.  Pour le RSA déjà il ne fallait pas augmenter les impôts mais on a tout de même créé divers impôts pour trouver 1.5 milliards d'euros dans la poche des Français (dès qu'il y aura reprise on sera à 3 milliards).  Et que signifie ne pas augmenter les impôts quand on crée plus de quarante taxes (depuis le gouvernement Raffarin), quand on supprime ou gomme  les exonérations inventées en leur temps pour rendre tolérable de nouveaux impôts, quand les régions et les collectivités territoriales font danser l'anse du panier avec une irresponsabilité absolue, comme M. Delanoë à Paris ? Que signifie ne pas augmenter les impôts quand pour éviter la faillite de banques dont on nous dit qu'en France elles n'ont rien coûté à l'état,  on parle de financer à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d'Euros le sauvetage de certains pays ?  Les Français savent bien que tout cela ne sera pas gratuit. Ils voient que la réforme des retraites est provisoire. Il voit que les délocalisations continuent. Ils voient que l'inactivité ne baisse pas et que l'avenir se bouche.

Voici donc la France en panne, coincée dans une Europe où l'Allemagne a choisi l'optique de la déflation et qui est composée de pays qui sont à la limite de l'asphyxie financière, alors que dans le monde des états Moloch qui ne respectent aucune règle sinon la poursuite de  leur seul intérêt s'apprêtent à ne faire qu'une bouchée d'une région vieillissante et repliée sur la défense acharnée de ses avantages acquis.

Comme école de la désespérance on ne peut guère faire mieux. La France est au plus haut pour les prélèvements et la dépense publique, au plus bas pour l'emploi des jeunes, des vieux, des femmes, des immigrés. On s'étonne que la France soit le pays de la surconsommation des anxiolytiques !

Le spectacle des discussions sur ces sujets dans les télévisions est tout aussi désespérant. N'en retenons qu'une seule, l'émission de M. Taddei (ce soir ou jamais, sur Antenne 2 du 24 novembre 2010 (.http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/ ?page=emission&id_rubrique=1214) Le plateau n'était pas nul :  le chef du Conseil d'analyse économique, M. Lorenzi, professeur d'économie ; M. Emmanuel Todd, contempteur du Sarkozisme ; un illustre inconnu mais considéré comme "porte plume de Fillon" et présenté comme "connaissant le dessous des cartes", une journaliste de Elle et la très charmante Macha Méril connue pour ses positions sur le libertinage indispensable des séniores.

Qu'a dit M. Lorenzi : rien ! Pas un petit peu. Rien de rien. Sauf si on considère que son propos sur la nécessité de rassurer les marchés et de démontrer la sagesse du gouvernement en matière de dépenses et de volonté de ramener les déficits dans des limites acceptables est la marque d'une pensée structurée et majeure, à la hauteur de la situation. 

Qu'a dit le porte plume : rien. Plus diaphane on ne peut pas. Si c'est cela la source du discours politique de Mme Lagarde on comprend qu'elle n'ai jamais rien dit sur rien. Il est vrai que cet illustre inconnu est "philosophe".  Il nous a réécrit une page de  "l'être et le néant".

Passons sur le babil de ces dames. Macha a été charmante. C'est bien le principal. L'autre a parlé de son livre. C'était également le principal.

Reste Emmanuel Todd.  Au moins lui n'a pas parlé pour ne rien dire et l'a dit avec une violence dont il commence à faire sa signature télévisuelle.

On ne le remerciera jamais assez d'avoir tenté de démontrer qu'il y avait un blocage intrinsèque dans le système de pensée où les élites européennes se sont enfermées qui les empêchaient en même temps de formuler le vrai diagnostic et de prendre les mesures qui s'imposent. Les gouvernements de l'Europe sont "dans la seringue". Tant qu'on ne change pas de logiciel alors on aura les bugs, c'est-à-dire la destruction de l'emploi en France, le démontage de tout système social organisé et  un drame pour la jeunesse qu'on ne laisse pas entrer dans l'économie et à qui on propose désormais de financer non seulement les dettes de leurs aînés mais leur retraite et aussi leurs infirmités finales.

L'ennui c'est que M. Todd n'est pas économiste mais plutôt démographe et politologue. Et que du coup il se trompe.  Ce n'est pas en renforçant le protectionnisme qu'on sortira de la crise mondiale et ce n'est pas la liberté des échanges commerciaux  qui en est la source.

 Comme nous l'avons démontré ici la cause est dans le système monétaire des changes flottants habillant une monnaie de réserve nationale non gérée comme telle, le dollar.  Ce système ne résulte pas d'une forte pensée économique mais d'un état de fait qui s'est accompagné d'une vulgate complaisante, fournie pour l'essentiel par Milton Friedman et qui s'est révélée intégralement fausse.  Cette vulgate justifie des institutions insensée comme une Banque centrale Européenne n'ayant pour fonction que de gérer l'inflation dans la zone Euro et se retrouvant à faire tout et n'importe quoi, faute de toute institution unifiée dans la conduite économique de la zone.  Elle explique que l'on sacralise les changes flottants  et les mouvements de capitaux incontrôlables, et qu'on explique doctement qu'en les laissant encore plus et mieux flotter ils reflèteront encore mieux  "la santé d'une économie".   Les changes flottants sont la résultantes pour l'essentiel (80%) d'ordres d'achats et de ventes pilotés par des programmes informatiques qui ont leur propre logique et qui engendrent une instabilité profitable pour les propriétaires de ces outils et totalement débilitante pour tous les autres agents économiques.

S'il n'y a personne pour casser cette vulgate alors l'Europe et la France seront prisonniers d'une  déflation larvée,  permanente et destructrice.

Emmanuel Todd est bien conscient qu'il faut casser ce  qui emprisonne la pensée et l'action des décideurs.  Mais il ne casse pas à l'endroit où il faut.

Nous n'avons pas à craindre la prospérité de l'Inde, de la Chine ou du Brésil, pas plus que la France n'a eu à se plaindre de la prospérité des Etats unis et des succès économiques de l'Allemagne. Les marchés prospères ouvrent d'autres marchés prospères. Les entreprises françaises ont tout à gagner à l'expansion générale. Mais il faut que les produits s'échangent contre des produits et non pas contre des monnaies qui font le yoyo, des monnaies dévaluées artificiellement, des monnaies dont personne n'est responsable. On ne peut commercer équitablement qu'avec des pays qui équilibrent leurs échanges autour d'une valeur internationalement reconnue de leur monnaie. Equité et équilibre vont ensemble. Stabilité des changes et croissance générale aussi.

 Les états doivent donc avoir la responsabilité collective de défendre la valeur de la monnaie ce qui implique un contrôle bien plus étroit du crédit et des échanges purement financiers. 

Non il ne faut pas abandonner le capitalisme pour on ne sait quoi. Pas plus qu'il ne faut élever des murailles dans le commerce international des biens et des services. A une muraille correspondra une autre muraille et à la fin tout le monde sera pauvre.

En revanche il faut bien comprendre pourquoi l'organisation monétaire internationale ne fonctionne pas  et la réformer durablement.

Alors des états responsables pourront mettre l'emploi en tête de leurs objectifs  et les pays intelligents pourront sortir sans drame d'un "tout état " étouffant  et débilitant, en même temps que la jeunesse et la population émergeront de la désespérance actuelle. 

Didier Dufau, pour le Cercle des économistes e-toile. 



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