Quand Obama dérape.
Obama a une formation de prédicateur religieux, pas d'économiste. On peut lui pardonner d'avoir assez peu de connaissances dans une matière qui échappe en général à ce cursus particulier. Le voici donc qui exige de la Chine qu'elle fasse flotter sa monnaie. Pour lui, comme pour d'autres, hélas, le flottement serait la source d'un prix "naturel" des devises correspondant à la vérité des marchés et comme tel inattaquable.
On comprend qu'avec son passé il ait fait sien cette antienne. Elle sent la sacristie : c'est un article quasiment religieux de la bible friedmanienne. Mais c'est un des contresens les plus majestueux que l'on puisse trouver sur le marché mondial des pensées toutes faites malfaisantes.
Observons un point tout de même fondamental. Les Etats-Unis, en renonçant sous la pression de l'Allemagne au système de Bretton Woods, ont dit au monde : débrouillez-vous, nous renonçons à un monde monétaire organisé et que le meilleur gagne. Il n'y a plus d'accords intergouvernementaux ou supranationaux pour guider et canaliser les marchés de devises. Nous vivons depuis 1971 sous la règle du chacun pour soi. Depuis des décennies maintenant les Etats Unis ont expliqué que le dollar était leur monnaie et que s'il faisait problème, c'était aux autres de s'adapter. Nous vivons dans un "non système monétaire international" sans aucune obligation pourquiconque. Alors chacun fait ce qu'il veut ou ce qu'il peut. La Chine a développé une politique mercantiliste de Yuan bas et aligné sur le dollar. Depuis 20 ans cela fausse totalement les règles du commerce international et vide notamment l'Europe de son industrie et de ses emplois. Bravo ! Mais comment parler organisation quand on défend l'inorganisation ?
Il était absurde d'ouvrir totalement le commerce mondial et d'abaisser toutes les frontières économiques dans un non-système. Voilà qu'une taxe douanière de 3% devient un drame alors qu'un effondrement monétaire de 50% n'en serait pas un ! Cette contradiction est insurmontable. Ou on organise les monnaies en imposant que les excédents et les déficits soient corrigés par une action économique globale des pays en cause, et alors on peut mondialiser les échanges. Ou on ne le fait pas et la mondialisation devient automatiquement déséquilibrée et dommageable.
Une fois les déséquilibres installés il ne reste plus que les rapports de force politiques. Avec l'Allemagne et le Japon, les Etats-Unis étaient en situation de force. Pas avec la Chine. Le seul pouvoir des Etats Unis vis à vis de la Chine c'est sa faiblesse de débiteur. La Chine craint que la valeur de ses réserves libellées en dollar ne s'effondrent ! En revanche l'Europe est totalement désarmée. Elle est victime et du dollar bas et du Yuan bas. Et se tait. Avec des institutions aussi volontairement faibles l'autisme est la seule solution. Pendant que son industrie disparait et que les déséquilibres intra européens la ravagent.
Espérer qu'on puisse créer une solide organisation du commerce mondial dans le chaos monétaire fait partie de ces paris fous qui naissent de l'impuissance intellectuelle et politique et qui deviennent des articles de foi malheureusement tabous, car les dénoncer revient à démontrer cette impuissance intellectuelle et politique.
L'idée sous jacente, développée par Friedmann et constamment démentie par les faits, est que la liberté totale des changes, laissés à la libre appréciation des marchés, apporterait la stabilité des changes, l'unification des taux d'intérêt, l'atténuation des "chocs" éventuels, et l'optimisation de l'allocation des ressources. Cette théorie n'a aucun fondement théorique réel et confrontée depuis 40 ans maintenant à la réalité a démontré sa nocivité. Non seulement les changes ne se stabilisent pas mais les variations s'amplifient. Rappelons tout de même que depuis 71 le rapport entre Dollar et Euro (ou panier de monnaie correspondant) a varié deux fois du simple au double et ne s'est jamais stabilisé. Celui qui prétendrait que les "spreads" se soient réduits entre les nations ferait rire tout le monde : parlez en aux Grecs ! Quand aux marchés ils ont été ravagés périodiquement pas des épisodes de paniques qui ont désorganisé et partiellement ruiné bien des pays.
Comme nous l'avons mille fois démontré la conjonction d'une monnaie mondiale de facto, le dollar et d'un non système monétaire international aura été la source des déficits monstrueux et continus aux Etats Unis et les excédents ailleurs, principalement en Chine aujourd'hui, au Japon et en Allemagne hier. Le mécanisme de la double pyramide de crédits a entraîné une hausse vertigineuse de la création monétaire et le gonflement de bulles d'endettement phénoménales. L'effondrement périodique de ces pyramides de dettes a aggravé l'importance des crises cycliques en ralentissant le trend de la croissance mondiale. Nous en vivons un épisode particulièrement sinistre.
Le déficit des Etats Unis est structurel et volontaire. Il ne dépends qu'à la marge des politiques des autres pays. Le Japon a accepté le flottement de sa monnaie (enfin, presque). Cela ne l'a pas empêché d'accumuler de la créance en dollar et d'être périodiquement ruiné quand ces avoirs ont été dévalués par un mécanisme ou un autre. Le secteur bancaire nippon est en ruine et l'endettement public du Japon, un des pires du monde, peut lui être directement associé. Dire à la Chine : suivez cet exemple est d'un cynisme parfait.
Depuis au moins deux décennies les Etats Unis jouent à plein du bénéfice que le dollar, monnaie de facto mondiale, lui apporte : ils paient leur dette dans leur monnaie. Vive la planche à billets verts. Et ils accumulent sans vergogne et sans frein les déficits de balance de paiements et de balance commerciale. Périodiquement ils expliquent que c'est aux pays créanciers de diminuer leurs excédents. Mais leur déficit étant structurel les excédents des autres le sont aussi. Ces tensions ne peuvent pas déboucher sur autre chose que des psychodrames nationalistes.
La seule solution est de revenir à un système de changes stables et coordonnés, où il n'y a pas de monnaie mondiale nationale, ou toutes les nations sont à parfaite égalité de droits et de devoirs, et ou les gouvernements sont responsables du respect des grands équilibres. C'est la condition sine qua non d'un commerce mondial entièrement libéré des contraintes étatiques défensives ou offensives.
L'OMC n'est possible qu'avec un système organisé des changes. La doctrine : liberté totale des changes et des mouvements de capitaux plus liberté totale des échanges commerciaux a été essayée. Elle a donné des résultats désastreux. Les monnaies ne sont pas des "marchandises comme les autres". Ce sont des biens publics administrés. Laisser leur valeur à la merci de mouvements financiers à court terme totalement erratiques n'a créé que des difficultés pour aucun bénéfice réel.
Bien sûr que le Yuan est grossièrement sous évalué et que la politique de la Chine est ridiculement mercantiliste ! Bien sûr que la politique d'Euro fort a tué la croissance et l'emploi dans la zone Euro ! Bien sûr que le "benign neglect" des Etats Unis vis à vis du dollar est à la source du gonflement démesuré de l'endettement privé et public de ce pays, de la création d'un secteur bancaire monstrueusement disproportionné et dont l'explosion n'était qu'une question de temps ! Bien sûr que le Yen stratosphérique pose au Japon des problèmes non désirés et insurmontables !
Quand tous les acteurs sont ainsi contraints à vivre des situations inacceptables c'est qu'un défaut structurel gâche le fonctionnement de l'économie mondiale. Le flottement généralisé ne serait aucunement une solution mais au contraire aggraverait la situation. Certes le Yuan exploserait à la hausse, comme au Japon et en Allemagne. Mais est-ce que la hausse du Mark et du Yen a empêché l'Allemagne et le Japon de continuer à engranger des excédents massifs et les Etats Unis des déficits à proportion ? Qu'est-ce qui garantit que le mécanisme de la double pyramide de crédits ne s'enclencherait pas à nouveau ? Absolument rien.
Le système actuel est intenable et tenter de le perfectionner en aggravant son irrationalité et sa dimension anti-économique fondamentale est une sottise.
La seule solution est une organisation monétaire stable et concertée, engageant les nations. Une nation qui ne respecterait pas ses règles devrait être exclue du jeu du commerce mondial. On verrait alors un certain nombre de disciplines se mettre en place qui éviteraient le gonflement démesuré de la masse monétaire mondiale et des monceaux de dettes qui en sont la contrepartie, et l'apparition de déséquilibres de balances de paiements parfaitement démentiels et ingérables.
Que les Etats Unis ne l'aient toujours pas compris en dépit de la crise qu'ils traversent et dont ils sont loin d'être sortis est un désastre intellectuel. Que les Européens ne leur fassent pas remarquer est la marque d'un nain intellectuel et politique. Que le Japon se taise est la preuve qu'il reste un pays soumis. Que la Chine se contente de gérer le rapport de force est dans la nature du régime. Rien de tout cela ne pousse à l'optimisme.
Le G.20 sera à nouveau une parade coûteuse de dirigeants qui n'ont rien compris et qui voient depuis deux ans la réalité fuir leurs espérances dans la plus totale impuissance. Obama a montré que malheureusement sur le terrain économique il en était resté au niveau zéro de ses prédécesseurs. Il suffirait qu'il dise : "Ok cela ne marche pas. Organisons nous. Revenons à un système stable de responsabilité des Etats en matière monétaire, avec une monnaie de réserve internationale indépendante et de garantie d'un jeu loyal en matière économique". On verrait alors dans l'instant tout le système se ré-emboiter. Il ne le fera pas. La crise la plus forte depuis 1929 n'aura servi à rien et n'aura dégagé aucune leçon.
Au prix du malheur des peuples.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
C'est à se demander si cela n'est pas souhaitable faute de prise de conscience au préalable.
L'effondrement va venir par l'épuisement-même que les acteurs du jeu de mensonge généralisé s'infligent à eux-mêmes. Les politiques de relance budgétaire et monétaire des pays développés a accru leurs dettes face aux pays émergents. L'euro est la première monnaie attaquée par la spéculation à cause des déséquilibres internes à la Zone. Le dollar va bientôt entrer dans la tourmente par la défaillance de débiteurs majeurs en dollar. Comme le dollar monnaie internationale ne peut pas être dévalué, les prix intérieurs étatsuniens ne peuvent pas s'ajuster pour réduire les déséquilibres financiers et commerciaux vis-à-vis du reste du monde. La croissance réelle ne repartira pas aux États-Unis. Le rééquilibrage des échanges financiers et commerciaux entre pays développés et pays émergents ne pourra se faire que par la non-croissance d'un coté et la réduction des exportations de l'autre. Les sociétés développées vont s'effondrer par le chômage de masse et la précarisation des classes moyennes et inférieures. Il faut attendre que les élites effrayées par la décomposition sociale se remettent à penser la réalité économique, c'est à dire l'impossibilité de la croissance sans un ordre international d'équité monétaire.