Les changes flottants sont morts. C'est l'heure d'un nouveau Bretton Woods.

Certes une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais l'article d'un certain Anatole Laletski,  notre alter ego, chief economist d'une institution de Hong Kong, sur quatre colonnes de la page Editorial Opinion du New York Times du 28 septembre 2010 marque plus qu'une inflexion vers les thèses que nous ne cessons de défendre ici.

Que dit-il ?

Que désormais les changes ne sont plus fixés par le marché mais par les Etats.

Que la domination intellectuelle de l'idéologie des marchés financiers internationaux libres et sans entraves est terminée.  

Que cette réalité est irréversible.

Qu'il y a un avant et un après Lehman brothers et que plus aucun Etat notamment en Asie ne fait confiance  aux spéculateurs internationaux pour offrir une rationalité économique  quelconque. Si les marchés sont incapables de régler la petite question du marché hypothécaire aux Etats Unis, pourquoi voudrait-on qu'ils soient à même de résoudre les mille difficultés de la croissance mondiale ?

Donc les Etats sont là pour intervenir et ils le font en masse. Et ils continueront à le faire en masse. Ce n'est pas la Chine qui cessera de "manager" la valeur externe de sa monnaie. Mais l'ensemble des autres qui s'y mettront.

La preuve : après la Corée qui a (dès septembre 2008 NDLR ) dévalué massivement sa monnaie, après Singapour qui a une politique monétaire très précise, voici que le Japon n'hésite plus à braver les interdits américains et vient de faire baisser sa monnaie en mettant en ligne des moyens colossaux.

Nous avons écrit nous même il y a déjà quelques temps que les Etats seraient très naturellement au cœur des nouveaux processus économiques extérieurs ( voir http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2010/5/16/Crise-mondiale--pas-de-vraie-solution-sans-les-Etats.).  Nous voyons bien que la valeur de l'Euro est entièrement entre les mains des différents Etats qui mettent des moyens colossaux pour éviter son éclatement avec comme résultat une nouvelle hausse, d'ailleurs totalement contreproductive. Nous constatons que les Etats-Unis laissent à nouveau filer leur monnaie.

En un mot, la monnaie et le change sont des réalités trop importantes pour faire semblant de croire qu'on peut les laisser aux seules forces de la spéculation.

L'ennui c'est que l'auteur, après avoir justement décrit les nouvelles attitudes et les nouvelles pratiques, oublient de dire  que ces actions de pure guerre économique ne peuvent conduire qu'à un renouvellement du drame de 1929.  Oui les monnaies sont et seront managées mais elles doivent l'être de concert.

Les Etats-Unis avaient imposé un non système par voie de fait : je laisse flotter ma monnaie, je suis le plus fort, adaptez vous, moi je m'en fiche.  Finalement la Chine a répliqué en imposant sa politique mercantiliste : "tu fais ce que tu veux mais moi je m'aligne sur toi à un niveau de dumping".  Le "benign neglect" fait boomerang et les Etats Unis se retrouvent sans compétitivité internationale et sans emplois industriels avec des dettes colossales et  un chômage jamais vu depuis la crise de 1929.  La Chine ne sait plus quoi faire de ses réserves et commencent à prendre peur. Elles réagit en puissance et non pas en économie mondiale diversifiée dont les entreprises travailleraient leurs différents marchés. Elle achète des immensités agricoles ; elles verrouillent ses ressources rares ; elles paye la corde du futur pendu.

En même temps l'Europe s'est enfermée toute seule dans une pseudo doctrine qui voudrait que la monnaie est le fait d'une banque centrale indépendante chargée uniquement de veiller sur les prix de consommation, les Etats étant là comme caution bourgeoise et étant priés de pratiquer une politique de sous emploi pour crédibiliser l'affaire.

Nous avions écrit dès janvier 2008 qu'il fallait d'urgence stabiliser le système monétaire international avant que cette effroyable machine à fabriquer des déséquilibres n'entraine le monde vers la panique et la dépression (voir par exemple http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2008/10/1/Panic-will-be-the-rule-and-depression-the-only-result). Nous avons suggéré dès l'explosion du système en septembre 2008 qu'une des première mesure à prendre était de réunir d'urgence une vraie conférence de type "Bretton Woods".

Les Etats n'ont voulu jouer que sur leur propre sphère de pouvoir : manipuler leur monnaie et leurs budgets.  Résultats tous les Etats sont en déficits incontrôlables exigeant des mesures correctrices d'urgence. Le commerce mondial n'a toujours pas repris sur une base saine et dépends des plans de relance des uns et des autres, avec des pénuries et des hausses spéculatives partout, car la spéculation n'a pas été jugulée.  Pratiquement partout on craint pour sa monnaie. La Suisse et le Japon ne veulent plus de leur super monnaie qui tue leur économie.  L'Euro craint sa dislocation et l'Europe se maintient dans un déséquilibre de sous emploi massif pour le sauver.  Les américains fuient à nouveau en masse le dollar qui s'effondre à nouveau.

En un mot le front monétaire international est au centre de la poursuite de la crise mondiale. Nous ne sommes pas des partisans farouches des comparaisons historiques. Mais on notera tout de même que c'est exactement ce qui s'est passé en 1932-33. Le jeu de quilles sur les devises allait faire sombrer l'économie mondiale.

Il faut acter que la théorie bidon des changes flottants ne marche pas. Les changes flottants ne marcheront jamais. Ils ne l'ont jamais fait. Ils sont à la source de la majorité des difficultés que l'on connait. La praxis  ignore désormais ses recettes.  Le système de devises flottantes gérées par les marchés sous la houlette de banques centrales  prétendument indépendantes est mort comme modèle.   

Il faut accorder le droit à la pratique. S'il n'y a plus de marchés libres de devises, c'est qu'il faut créer autre chose. Car la guerre des Etats via leur monnaie n'aboutira à rien de bon. Seule la coopération des Etats autour d'une système de changes fixes mais ajustables remettra l'économie sur les rails.

Dès que les Etats partageront les même objectifs (croissance et emploi d'abord, pas de déséquilibre monstrueux, par de politiques mercantiliste, pas de benign neglect, nulle part)   et des principes sains (pas de déséquilibre des droits dans les institutions, pas de politique bonne pour, les uns et pas pour les autres, sanctions identiques pour tous), alors le commerce mondial reprendra une direction, alors les produits s'échangeront contre des produits et non contre du papier toxique,  alors les politiques seront au service des économies et de l'emploi et non pas de la spéculation.  

Le 13 juillet 2008 nous écrivions sur ce blog :

"Nous répétons aujourd’hui : la conjonction du retournement cyclique et du pourrissement des institutions financières et monétaires internationales  créent une situation explosive.
On ne peut en sortir qu’en RECONSTRUISANT  le système monétaire international. Et en s’accordant sur d’autres schémas de développement que la capture de l’industrie mondiale par la Chine et symétriquement  de la consommation par les Etats-Unis,    en faisant fondre le couple monétaire dollar-Yuan.  Espérons que la leçon sera comprise avant qu’une crise majeure force la réforme au prix de grandes souffrances dans le monde entier.  Il faut mettre fin au système des changes flottants, au dumping chinois et à la folie financière des Etats-Unis. Un nouveau « Bretton-Woods » est nécessaire. Maintenant. Pas dans dix ans."

Oui, vous avez bien lu. Ces recommandations datent du début de l'été 2008. Elles ne faisaient que reprendre avec une intensité plus grande et un sentiment d'urgence plus aigu  des avertissements répétés depuis le début de 2008. Elles n'ont pas été faites après  coup. Les prévisions sont tout de même plus sérieuses quand elles sont faites avant ! Autant pour ceux qui nous expliquent  comme dans Le Monde de ce Lundi via plusieurs articles que la crise était vraiment imprévisible. Quelle ignorance ! Quelle nullité !   

Nous sommes en septembre 2010. Les idées qui justifiaient (pour les peu exigeants) le système ancien sont mortes. Mais la reconstruction n'a toujours pas commencé.  Les réunions du G.20 ne devrait pas avoir d'autre objectif que cette reconstruction. Le FMI ne devrait pas avoir d'autres ambition que d'en être l'architecte.  La France présidente du G.20 ne devrait avoir qu'une seule obsession :  construire une concertation économique mondiale via les changes et le respect des grands équilibres.  Et pour cela il faut éviter d'affirmer en déclaration liminaire  : "Je n'ai pas dit que je voulais des changes fixes " !   

Ces réformes auraient du être faites dès septembre 2007 lorsque le marché interbancaire s'est révélé bloqué. On a raté l'étape cruciale de 2008, provoquant des désastres sociaux évitables. Alors que l'on agisse maintenant : tout est désormais clair ! Les peaux mortes du non système actuel flottent à la surface. Il faut les arracher définitivement et refaire l'habillage de l'économie monétaire mondiale. Le ridicule de la politique qui a simplement consisté à toiletter  les agences de notation, les primes de banquiers, et les règles comptables est achevé.  

Il faut aller à l'essentiel.  Maintenant. Que le G.20 recrée un système de changes fixes et ajustables sur les bases nouvelles requises par la situation ! Il n'y a rien au monde de plus urgent !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

Commentaire
LH's Gravatar Il est maintenant de p^lus au plus clair qu'aux Etats-Unis les économistes ne croient plus au modèle des changes flottants et à la vertu des marchés financiers libres dans le monde des échanges internationaux et des devises.

Ils n'ont pas encore formulé une nouvelle doctrine mais l'ancien ne Doxa est bien morte.

Lewis
# Posté par LH | 29/09/10 13:04
KP's Gravatar Les variations monétaires sont tellement fortes et tellement peu spontanées qu'il a fallu que DSK, le directeur du FMI, prenne la parole pour dire que tout allait bien, Madame la Marquise. Il est tout de même stupéfiant que le responsable d'une institution qui a normalement dans son rôle de réfléchir aux conditions monétaires optimales, non seulement ait laissé faire les plus incroyables déficits et excédents, les pires variations de change et maintenant que tout le monde n'en fait plus qu'à sa tête, déclare que tout et parfait.

Son rôle aurait été de dire que ces variations monétaires parasites empêchaient une reprise saine, qu'elles s'assimilaient à une guerre commerciale, l'effet des variations monétaires étant strictement identique à celui des barrières douanières, et qu'un système falli qui tournait au vinaigre devait être radicalement réformé.

Mais tel un bouchon, DSK flotte sur le vagues, en prenant bien soin de ne pas en faire.

Karl
# Posté par KP | 30/09/10 09:52
jean-marc's Gravatar J'ai cette impression que nous allons vers une période d'inflation, pour éteindre " la dette "

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=254...

Ne serais-ce pas une période nécessaire avant de pouvoir agir sur la régulation des changes ? à la fin de l'article il y a une phrase tres juste : "Ce qui a été commencé nous hôte l’initiative de l’agir et les faits accomplis que le commencement a crées s’accumulent pour devenir la loi de sa continuation"
# Posté par jean-marc | 30/09/10 11:47
DD's Gravatar Sur l'inflation, toute la question est de savoir si la monnaie détruite par destruction ou épuisement de crédits non remplacés est supérieure à la création de monnaie de banque centrale. La difficulté en change flottant où la valeur respective des monnaies changent tout le temps et où la dette n'a donc pas de valeur fixe (on peut toujours la convertir dans autre chose dont la valeur évoluera différemment) c'est qu'on ne connait que très imparfaitement les chiffres correspondants.

Nous avions écrit que nous étions en plein credit crunch et quelque soit le niveau des mesures "non conventionnelles" il n'y aurait pas d'inflation importante en 2009 et 2010. Il semble bien qu'on n'ait utilisé la planche à billets que pour refinancer les banques aux abois pour leur permettre de faire rouler encore un peu de temps leurs portefeuilles abimés. Les banques sont encore en plein credit crunch et il y a des accès de crises sur les marchés de refinancement.

Mais il est vrai que ce sont les Etats qui crient famine et pour lesquels on commence à créer de la monnaie gagée sur rien. Le débat est entre efficacité des reprises en main budgétaires et financements de ce type. Il est possible qu'il y ait en 2011 une phase d'inflation plus élevée que ces deux dernières années. Tant que les salaires sont verrouillés il n'y aura pas de grands débordements. L'impatience des peuples étant ce qu'elle est, s'il n'y a pas de résultats dans les deux ans qui arrivent, il se passera ce qui s'esst passé à partir de 35 : des changements de majorité et l'ouverture de toutes les vannes. On n'y est pas encore tout à fait. Et cela pourrait être éviter, notamment si le G.20 construisait un nouvelle ensemble monétaire structuré.

Les hausses rapides de prix que l'on connait sont plutôt le fait de spéculations ponctuelles, alimentées soit par la fuite devant la monnaie soit par des accidents de production (comme pour le blé), soit par l'action de cartels.

Les devises jouent un rôle dans tout cela : les dévaluations enchérissent les importations, l'argent mis dans des comptes en devise ne se retrouve pas dans d'autre placement de précaution comme le bâtiment. Mais on notera que ces mouvements sont auto compensés et n'ont d'impact que localisé, pas pour le monde entier.

Croire qu'on doive attendre d'avoir écopé toute l'eau embarquée pour commencer à réparer la coque du navire est une grossière erreur. La réforme des changes sera bénéfique à tout moment où on s'occupera de la faire. En revanche les tiraillements monétaires perpétuels retarderont d'autant la solution.

On ne soigne pas un alcoolique en lui demandant de boire ses réserves jusqu'à la lie. Ni d'aleer acheter d'autres bouteilles...

DD
# Posté par DD | 30/09/10 13:33
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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