Martin Wolf et DSK

C’est toujours un plaisir de commenter un article de Martin Wolf : lorsqu’on est d’accord sa réputation donne du tonus aux thèses qu’on défend ; quand on ne l’est pas, on sait qu’on aborde une question importante où l’absence d’arguments sérieux serait dommageable.

Martin Wolf dans sa livraison au Monde du 24 mai 2011 rejoint le camp des thuriféraires de DSK. On sait que nous n’en sommes pas. Que  motive ses louanges extrêmes : « décideur audacieux », « politicien efficace », « économiste compétent » ?  Déception : il n’y a aucun argument à l’appui des qualificatifs ;  juste des affirmations.

Et des contradictions. Martin Wolf explique que DSK a été le grand architecte de l’aide aux pays du « Club Med ».  Et il ajoute aussitôt : le programme n’a pas donné les résultats escomptés ». Et que sa poursuite n’en aura pas. DSK aurait donc fourvoyé l’Europe dans une politique impossible ?

Comme nous l’avons mille fois répété, le FMI était une institution chargée de réguler les changes fixes. Lorsqu’un pays menaçait par ses déséquilibres la croissance générale, on lui prêtait les ressources de changes nécessaires le temps que des mesures de redressement soient prises. Le FMI disposait pour se faire de ressources mises en commun et du pouvoir de créer de la monnaie sous forme de DTS. Il s’était doté  d’experts en redressement de politique économique aventurée. Institution keynésienne, le FMI contraignait mais pour permettre la croissance globale la plus élevée, en évitant les guerres de monnaies.

Les changes flottants ont privé le FMI de tout rôle sinon d’acteur complémentaire de la Bird pour les pays sous-développés.  D’où la noria de directeurs temporaires démissionnant dès que leurs objectifs d’image avaient  été atteints et qu’il leur était permis d’atteindre d’autres postes prestigieux.

La chance de DSK est venue d’une crise que le FMI n’a pas voulu voir et dont il n’a toujours pas donné la moindre explication.  Cette cécité et cette absence de diagnostic sont  certainement à porter au passif de DSK. « L’économiste compétent » aurait dû se manifester. On l’attend toujours.

DSK est certes un politicien pragmatique : il saura flotter comme un bouchon sur les pressions des uns et des autres et en particulier des américains.  Mais il n’a pas su « impulser une réflexion ». L’opportunisme suffit-il ?

On le voit bien avec l’Euro. La zone euro n’est pas en crise de change. Le FMI n’a normalement aucun rôle à tenir en Euroland.  Les instances dirigeantes de l’Euroland ont toutes les ressources nécessaires pour faire face à une éventuelle crise de change. Et l’Euro est si fort que c’est sa force qui fait problème.

En intervenant à l’intérieur de l’Euroland, contre l’avis de Trichet, le gouverneur de la BCE,  DSK viole les statuts du FMI. Il prête non plus à une zone monétaire en difficulté mais, dans le cas de la Grèce,  à un pays qui a des difficultés budgétaires. Les pays non européens ont raison de s’indigner de l’emploi de leur contribution à cette tâche. Les politiciens européens ont été heureux de trouver des ressources disponibles et des compétences pour encadrer l’économie de pays surendettés. DSK s’est engouffré dans la brèche dès que les américains  le lui ont demandé pour faire céder Angel  Merkel.

Utiliser les réserves monétaires du FMI pour limiter les pertes des grandes banques mondiales qui ont fait des prêts excessifs et complexes à des pays sans rigueur budgétaire  n’est pas le rôle du FMI.  Martin Wolf a raison de rappeler que cet opportunisme est de surcroît inefficace.

Il appartient à l’Europe de corriger les défauts de la zone Euro (gestion par traité, aucune instance de coordination, aucune instance d’intervention).  Pas au FMI. Les Etats-Unis ont trouvé en lui un moyen diplomatique simple d’éviter l’éclatement de la zone euro qui aurait automatiquement fait remonter le dollar et ruiner un certain nombre de banques américaines. Contrairement à ce que beaucoup écrivent,  les Etats-unis n’ont strictement aucun intérêt à la rupture de la zone Euro dans les circonstances présentes même s’ils peuvent théoriquement craindre la concurrence de l’Euro comme monnaie de réserve.  En revanche la voir sous tutelle ne peut leur déplaire.

Il appartient au FMI de poser la question de la pertinence d’une conception qui voit des monnaies administratives concurrentes s’affronter dans le cadre de marchés dérégulés  sur une toile de fond de compétition féroce entre les grandes nations et notamment entre la Chine et les Etats unis.

Alan Greenspan a eu le courage de répéter il y a quelques jours : «  J’ai cru que cela marcherait ; je me suis illusionné sur les premiers résultats ; mais aujourd’hui la leçon est claire : cela ne marche pas et cela ne marchera jamais ».  C'est maintenant qu'il faut l'écouter : il parle enfin clair et, de plus, vrai….Une nouveauté !

Cette remise en question d'un système pervers  devrait être le rôle de son successeur.  Mme Lagarde n’est pas une économiste. Elle est une juriste et une « suiveuse » qui écoute d’abord et essaie de concilier les points de vue, travail qu’elle sait faire avec beaucoup de talents. Elle n’aura pas, sauf surprise, de rôle « proactif » dans la conception d’un nouveau système monétaire international.   Martin Wolf a raison de dire que personne n’a cette compétence aujourd’hui.   Ce que nous avons exprimé nous même  dans un post récent.
 
Or tout le monde voit bien qu’il va falloir s’élever au-dessus des intérêts divergents de la Chine, des Etats unis et de l’Europe. Cette élévation ne peut s’envisager sans la compétence économique et la capacité de poser un vrai  diagnostic de la crise et de  déterminer une politique de réforme audacieuse qui ne peut être que le retour à la responsabilité des Etats vis-à-vis de la valeur externe de leur monnaie et l’abandon d’un pseudo étalon dollar sur fond de changes flottants.

Sur ce terrain, c’est le vide. Martin Wolf a raison de le souligner.  Mais c’était déjà le vide avec DSK. DSK se contentait de servir les intérêts principalement américains et d’exploiter les  opportunités de renforcer le rôle de son organisation avec le dilettantisme de quelqu'un qui savait qu'il ne resterait pas. Martin Wolf aurait du s'en apercevoir.

Aujourd'hui près de 85% des ressources du FMI sont utilisées pour gérer les risques d'éclatement de la zone Euro, parce que les réformes institutionnelles nécessaires pour gérer une zone monétaire unifiée sont politiquement impossibles.  Sans doute faut-il louer un tel pragmatisme. Mais où est la cohérence de l'ensemble ? Une politique d'expédients est rarement efficace à long terme. Le jour de vérité finit toujours par arriver.  

 Il est arrivé pour DSK.

Commentaire
Léo Van Erpel's Gravatar Il est difficile de ne pas souscrire à cette analyse qu'on ne trouve malheureusement nulle part dans la presse européenne.
# Posté par Léo Van Erpel | 02/09/11 21:36
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