Un grand discours de campagne ? Presque !

Le discours de Nicolas Sarkozy à Villepinte est, enfin, un grand discours de candidat aux présidentielles.

La phrase clé :

 

"Entre les scènes nationale, européenne et mondiale, il n'y a pas de cloison".

 

Nous ne cessons ici de répéter que les crises françaises, européennes et mondiales sont strictement emboîtées et qu'il est totalement vain d'essayer de résoudre l'une sans s'attaquer aux autres.

Ce n'est pas par l'électoralisme, l'attitude politique qui consiste à acheter des clientèles électorales avec des promesses qui parfois risquent d'être tenues, et l'accumulation d'opérations "image" ou de catalogues de mesurettes que l'on pourra dessiner un chemin de sortie de crise aux Français. Ce n'est pas non plus en stigmatisant des boucs émissaires.

Tout candidat crédible doit tenir un discours qui dégage des politiques permettant de traiter en même temps les difficultés apparues dans les trois sphères.

Oui, l'absence de système coordonné en matière monétaire permet à quelques grandes puissances de commettre des abus dangereux qui ont été à l'origine de la crise et qui demeurent, faisant courir les plus grands risques pour bientôt.

Oui face à ces abus et leurs conséquences, une gestion européenne par la norme en fonction d'une idéologie simpliste n'est qu'une impuissance dangereuse. Il faut des organes exécutifs et un pilotage très proches des gouvernements et des parlements nationaux capables de réagir vite. La zone Euro est actuellement un déni d'organisation sérieuse.

Oui la France ne peut pas être empêchée de mener des politiques adaptatives par des organes de contrôle européen qui laissent jouer les autres grandes puissances à leur guise en Europe. 

Le monde doit coopérer, l'Europe doit revoir sa gouvernance, la France est impuissante à agir seule si les deux préalables ne sont pas levés mais garde encore quelques leviers qu'il importe d'actionner avec la vigueur nécessaire.

Une personne intelligente et sympatique étant celle qui pense comme vous, nous aurions la plus grande mauvaise foi à  ne pas saluer ce passage là du discours de Nicolas Sarkozy.

Celà dit, il reste à savoir si le  Nicolas Sarkozy qui "a appris", a compris dans le détail ce que cette triple politique implique.

Il voit bien que la crise est mondiale, mais où sont les causes ? En parlant de plusieurs crises successives, il masque l'unité fondamentale des évènements qui viennent de se produire et suggère qu'il n'a pas vraiment compris ce qui s'est passé. La ficelle de propagande est un peu voyante (le héros a terrassé plusieurs Gorgone ; il est plus fortiche que s'il en avait terassé une seule). Mais l'impuissance intellectuelle est flagrante.

Il remet en cause les manipulations monétaires. Mais il ne dit pas l'essentiel : il faut aller vers un système de changes fixes et ajustables étalonnés sur une valeur externe indépendante des banques centrales. Mais à ce moment là la taxe sur les mouvements financiers n'a plus d'intérêt technique et apparait pour ce qu'elle est : une pompe de plus dans la poche des Français.

Il remet en cause la gestion par la règle qui prévaut en Europe avec des politiques confiées à Bruxelles qui les exerce contre les Etats et de façon idéologique, avec la complicité bienveillante de la Cour de justice.  Mais il faut dire quels organes on veut mettre en place pour obtenir quels résultats avec quels moyens. Là c'est le silence.

Peut-être que la fin de la campagne nous éclairera-t-elle...

Pour la France le candidat est singulièrement muet. Certes on vise l'équilibre budgétaire en 2016, en continuant les réformes.  Très bien. Mais jusqu'en 2016 les budgets vont continuer à être déficitaire et la dette va arriver aux 100% du PIB que nous craignons depuis le début.  On voit qu'il va y avoir un tour de vis fiscal. Mais la réduction de la dépense publique est évacuée. Où sont les nécessaires "commissions de la hâche" ? On note avec plaisir qu'une des voies que nous avons évoquées sur ce blog (la réduction du coût des institutions démocratiques notamment par réduction des postes d'élus)  apparait dans le discours. Mais il en faudrait 20 comme cela.

La nécessaire réconciliation de l'Etat avec les "forces vives" qui nous parait indispensable n'est même pas évoquée.

Monsieur Sarkozy voit bien les têtes de chapitres. Son problème est la déclinaison qu'il en fait ou qu'il n'en fait pas. Sa candidature, dans le contexte sondagier hyper négatif, est peut-être la manifestation ultime du "complexe de Zorro" diagnostiqué par M. Allègre. Mais son approche va au fond des choses. Les solutions aux difficultés qui nous assaillent  sont presqu'exclusivement collectives. Un plan français interne ne suffit pas.

Pour avoir une crédibilité internationale il faut s'appuyer sur un corps d'analyses extrêmement solides qui puissent être partagées.  Quand on n'a pas le pouvoir suprême d'imposer il faut convaincre. Faute de proposer avec l'appui des experts un corpus indiscutable et partagé, Nicolas Sarkozy en est réduit à menacer :" je ferai si vous ne faites pas".

 

L'ennui avec le candidat François Hollande est qu'il a choisi une tactique du silence, où des catalogues de mesurettes catégorielles d'inspiration électoraliste jouent le rôle de cache-sexe troué d'une stratégie pour la France non exposée sinon inexistante.  Pas un mot sur la mondialisation, pas un mot sur l'Europe. Et sur la France, malheureusement, une mesure symbolique qui va directement à l'encontre de ce qu'il faudrait faire. 

Il sait avec Mitterrand, qu'on ne sort de l'ambiguité qu'à son détriment. Il devrait aussi remarquer que le silence est peut être d'or mais pas le vide, même s'il est tactique. Le Président de la 5ième République est nécessairement un stratège.  "Tactique sans stratégie et stratégie sans tactique  ne sont que ruine de l'armée" disait Bonaparte.  

Hollande a gagné jusqu'ici la vaine bataille de la tactique électoraliste. Mais il n'a développé aucune idée claire sur sa stratégie pour la France dans les trois domaines mondial, européen et français. Il serait bon qu'il le fasse désormais. On peut craindre que bien installé avec près de 10 points d'avance dans les sondages au second tour, il trouve astucieux de n'en rien faire.  Dommage ! Avant dommages.

Sarkozy gagne actuellement la bataille stratégique mais risque de tout perdre par une tactique incertaine, brouillonne et parfois révulsive.  Il serait bon qu'il réagisse dès maintenant. Va-t-on contre son tempéramment ?

La campagne a fait à Villepinte un saut qualitatif. Espérons que  ce n'est qu'un début. Pour être au niveau des exigences, il reste encore bien du travail. 

Aux deux candidats principaux, il reste à définir dans leurs grandes lignes  à la fois une tactique et une stratégie gagnante pour la France (pour eux mêmes on s'en fiche un peu, il faut bien le dire !) dans le monde où nous sommes.

Avec un degré de précision qui permet l'analyse et le pronostic du succès.

On est loin du compte.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

 

 

 

 



Commentaire
digpan's Gravatar Bravo, excellente analyse
# Posté par digpan | 13/03/12 10:27
Gloups's Gravatar Il est clair que NS a réussi à faire passer le message qu'il avait bien résisté à la crise et qu'il avait un plan de sortie de crise crédible.

Il est tout aussi clair que FH est embourbé dans un souvenir qu'il a du mal à gommer : ent ant que premier secrétaire du PS il n'a pas réussi à faire la mue de l'institution et à construire une sociale démocratie moderne. Toutes les tensions internes se sont exaspérées : européisme ou nonisme ? socialisme ou sociale démocratie ? mondialisme ou repli sur la France ? Comme toujours au PS cela a donné des conflits de personnes insurmontables entre coteries et éléphants.

Aujourd'hui c'est à la France qu'il parle et de nouveau on retrouve cette incapacité à organiser une vision, à actualiser une tradition, à dépasser les contradictions. Le oui mais non mais oui bien sûr ponctué de propositions démagogiques et un arrosage pointilliste des différents électorats sur fond d'injure permanente de la "droite honnie" et Sarko-bashing ne fait pas une politique nationale.

On ne sait rien de ce que serait une République Française dirigée par Hollande. Vous dites qu'il est tacticien mais pas stratège. C'est vrai si on s'en tient à sa petite personne. S'il est élu il aura tous les pouvoirs (présidence, Sénat, Assemblée, régions, départements, grandes villes, Conseil constitutionnel, Conseil d'état, Cour des comptes...) , mettra la mère de ses enfants au perchoir et une ancienne bonne amie à la tête de la Mairie de Paris. Bravo l'artiste. Mais Grands Dieux, pourquoi faire ?

NS est certainement comme vous le dites très incertain sur un plan strictement technique et vous avez raison de le souligner. Mais FH est incertain sur tout et ne peut s'imposer que si le débat continue d'être purement en trompe l'oeil.

Le PS ne peut être une alternance valide qu'à partir du moment où il fait son aggironamento. Hollande ne l'a pas fait comme premier secrétaire et n'a donné aucune indication qu'il le ferait en tant que Président de la France. Personnellement je ne crois pas qu'il puisse le faire en fin de campagne comme vous le lui suggérez. On restera dans le pointillisme électoraliste et dans l'antisarkozisme primaire.

Merci pour vos analyses lumineuses.
# Posté par Gloups | 13/03/12 14:28
Stéphane's Gravatar Merci pour vos analyses lumineuses.

Mais aujourd'hui, voilà que NS fout tout en l'air en évoquant un impôt lié à la nationalité, afin de taper sur les exilés fiscaux....

Quelle déception, quel niveau lamentable, il reprend même des idées à Mr Mélenchon ...

Pourquoi le vote blanc n'est-il pas comptabilisé ???
# Posté par Stéphane | 13/03/12 15:52
DD's Gravatar La fiscalité est une névrose en France. Sarkozy utilise la fiscalité comme révulsif pour essayer d'arracher la tunique de Nessus du "président des riches". De la cellule de dégrisement à l'exit tax et maintenant à l'impôt national indépendant de la résidence "à l'américaine" on va finir par une remarque à la Poutine comme quoi on ira chercher le contribuable jusque dans "les chiottes"de l'étranger.

Nous avons essayé de traiter au fond cette question du "français multiple" dans l'article : Mondialisation fiscale genre "Fatca" : refuser la tentation "totalitaire" !

Les Etats-Unis ouvrent la voie à des solutions impossibles à terme. Sarkozy s'y plonge avec délectation électoraliste, comme il s'était précipité sur les "subprimes à la française" en 2007. Avec la pertinence que l'on sait.
# Posté par DD | 14/03/12 10:13
Julien L.'s Gravatar Tout cela est confus et contradictoire.

L'Exit Tax devrait avoir comme contrepartie l'Entrance Tax.

Nous avions déjà eu un étrange débat sur l'identité française, nous en voilà avec un autre sur la nationalité française, bien structurellement taxable. Pourquoi pas l'évaluer et le mettre dans les bases de l'ISF ?

Vous dites vous mêmes que les surenchères électoralistes et la recherche de boucs émissaires sont deux attitudes lamentables.

En sombrant dans un justicialisme fiscal à la petite semaine, Sarkozy a perdu les élections.
# Posté par Julien L. | 14/03/12 13:09
Micromegas's Gravatar 64% des Français n'ont pas été convaincus. Sans doute ont-ils compris que la tchatche ne suffit plus et qu'il faut être tout de même un peu plus attentif aux détails des mesures prises et des attentes de son camp. A force de vouloir tourner la gauche sur sa gauche (les caresses à Mélenchon), de montrer son rigorisme vis à vis des expatriés, de taxer les "possédants" et de créer une incertitude fiscale permanente (150 textes ont modifié les lois de finances) il a écœuré la droite sans convaincre la gauche.

Aurait-il les meilleurs "plumes" il ne peut plus gagner même s'il fait de beaux discours. Hollande ne fait pas peur. Mais il sera certainement pire.

Vous n'avez pas envie de vous présenter ?
# Posté par Micromegas | 14/03/12 18:51
Le blog du cercle des économistes e-toile

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