Ce qui frappe dans le désordre actuel, c'est la malfaisance de longue durée de mesures comme les 35 heures, la retraite à soixante ans, le pouvoir de blocage donné aux syndicats, l'abandon de la répression du crime, avec suppression de la Cour de sûreté de l'État et le laxisme généralisé devant la délinquance habituelle, le refus de la discipline et de l'effort dans les établissements scolaires, la surfiscalité, la renonciation à la nation, avec le double mouvement de décentralisation et d'intégration dans une zone européenne, la dévalorisation du travail et la surestimation de la fête et des loisirs, voire de la drogue, la dissolution de la France dans un ensemble où ses vertus n'ont plus de sens.
Le triomphe de ces lubies lors des deux septennats de Mitterrand a provoqué à la fois la démoralisation en profondeur du pays et sa déréliction économique de longue durée.
Sur un tel terreau, une caste s'est imposée, qui a compris qu'elle n'avait aucun intérêt à s'opposer à ce flot et qu'il suffisait, pour elle, "d'arbitrer la société" par la fiscalité et la réglementation. Sans se rendre véritablement compte des ruptures fondamentales que ces mesures de plus en plus invasives provoquaient dans la société.
Cet équipage branlant a été incapable de faire face aux trois évolutions internationales dangereuses qui ont été le délire de puissance américain, avec la destruction du système monétaire international et le retour des crises à répétition, l'effondrement communiste et l'arrivée massive sur le marché de centaine de millions de gens affamés de croissance, et la poussée islamiste, exaltée par la possession du plus gros des champs pétrolifères.
Sous-jacente à ces évolutions, la démographie s'est mise de la partie, avec un vieillissement majeur et une dénatalité suicidaire dans les pays développés, et une explosion démographique en Afrique et en Asie.
Tout aussi sous-jacente, l’emprise de la pollution et de la surconsommation de ressources non renouvelables, a fini par faire constater ses effets, entraînant une véritable hystérie.
La France qui avait réussi à tirer son épingle du jeu de façon remarquable, sombre désormais de la même façon remarquable. Le miterrandisme a été une porte ouverte sur le néant et ce pervers narcissique le savait pertinemment. Il savait qu’il faisait du tort au pays, mais cet habitué des cimetières y trouvait une sorte de satisfaction morbide. Les suicides de Grossouvre et Bérégovoy, tout autant que la manière dont il a traité sa femme, méprisée au point d’être chassée de sa tombe, donnent la tonalité de la mentalité qui animait ce politicien désastreux pour le pays : « qu’il meurt si je suis le dernier président de plein exercice ».
Depuis un quart de siècle, les dirigeants français essaient tant bien que mal de sortir du piège où Mitterrand a fourré le pays. Une retraite par répartition à 60 ans dans un pays qui vieillit et qui est confronté à des récessions périodiques, c’est injouable. Ce l’était déjà quand la mesure a été prise. Les 35 heures avec des charges massives sur l’emploi, en économie ouverte, c’était injouable. Ce l’était déjà quand la mesure a été prise. Les Français n’ont jamais voté pour devenir les champions de l’impôt, mais ils le sont devenus faute de pouvoir se décrocher de toute la démagogie post-soixante-huitarde, et pour avoir cédé le pouvoir à la bureaucratie. L’Euro était une option dangereuse, surtout si on cessait d’avoir une influence sur les erreurs d’organisation extérieures. La dissolution nationale dans un ensemble où l’Allemagne retrouvait son imposante intégrité était un risque majeur.
Les évènements en cours sont très révélateurs. On apprend qu’il y a à la SNCF une « social room » chargé de la com’ avec les réseaux sociaux. La « société nationale » parle anglais jusqu’au plus bas du trivial. Les Français ont pris leur RTT ! « Après tout qu’ils bloquent le pays pendant quelques jours, on s’en fout ! » Le commerce est en pleine catalepsie. C’est normalement le moment du chargement des stocks de Noël. Mais il y a Internet et les plateformes. Et les clients ne peuvent plus bouger. Entravées par les jaunes samedi, de nombreuses boutiques sont à deux doigts de la faillite. Tout le monde s’en fout : les vendeurs sont des immigrés et on peut acheter ailleurs. Les immigrés n’ont qu’à se faire livreurs. Ce qu’ils font. Une bande d'excités cassent des milliers de patinettes électriques en toute impunité. Leurs promoteurs, adeptes du « free floating disruptifs », avaient considéré que ces engins pouvaient squatter les trottoirs impunément. Les « circulations douces et apaisées » s'avèrent un champ de bataille où il n’y a plus de lois ni de civilité. Les syndicats eux, veulent prouver qu’ils sont plus puissants que les Gilets jaunes. Ces derniers ont obtenu 20 milliards. Nous, on en veut le double sans cela « gare » ! Enfin quand on dit « gare » ! C’est le moment de les visiter. Un sentiment étrange a envahi ces nefs vides.
Pendant ce temps-là, les taux d’intérêt sont négatifs, une curiosité légèrement anxiogène tout de même ; La crainte d’une chute économique imminente est partout. La peur du déclassement règne dans les profondeurs du pays. Le chômage structurel reste autour de 8 % de la population dite active. Tous les services publics, sauf le fisc, sont par terre. Le revenu de presque tous dépend d’un surendettement colossal.
Le président de la République qui a voulu se mettre en scène comme Jupiter passe pour un guignol impuissant, bavard et odieux. Il paie certes une situation largement héritée, mais aussi les erreurs majeures commises pour être élu. La hausse massive de la CSG, la suppression annoncée de la taxe d’habitation, la liquidation de la politique familiale, les projets de réforme qui se veulent habiles en noyant le poisson et qui ne sont que de lâches échappatoires bureaucratiques et politiciennes, c’est lui et lui seul. L'obsession de la réélection l’empêche de réellement gouverner.
Il fallait avoir le courage de dire : la retraite c’est 66 ans pour tous dans les cinq ans et la durée de travail légal hebdomadaire, c’est 40 heures tout de suite. Ceux qui veulent faire autrement le peuvent mais à leur compte et pas aux frais de la nation. Les régimes de retraites des fonctionnaires doivent s’aligner dans la mesure où les sujétions particulières le permettent, sur le régime général. La retraite des hauts fonctionnaires ne doit plus s être statutaires mais dépendre du prorata temporis de l’emploi dans la fonction. Cette bataille simple et directe aurait dû être menée en arrivant. Aujourd’hui on n’en parlerait plus. De même que la nécessaire réforme de l’indemnisation chômage vient de passer comme une lettre à la poste sans que personne ne s’en rende vraiment compte.
Le danger de la pensée macronienne est qu’elle est le fruit de quatre tendances, toutes dangereuses :
- La mise en scène de lui-même devenu le deus ex machina universel, bien calé derrière un politiquement correct sans faille (Tout le monde il est beau, il est gentil) ;
- L’énormité des affichages ;
- Le dévergondage législatif avec des lois kilométriques ;
- La préoccupation presque exclusive de la prise ou de la conservation du pouvoir.
Ce qui frappe, c’est la placidité et même l’indifférence des Français. Ils considèrent tout cela comme du théâtre. Du mauvais. C’est un pays de retraités, et de rentiers publics. On ne comprend pas qu’il n’y a plus guère que 10 millions de Français de souche qui travaillent effectivement dans le privé, contre 15 millions de retraités, 5 millions d'assistés divers et 5 millions d’employés du secteur étatique ou para-étatique.
Il est parfaitement normal que les deux tiers des Français soient d’accord avec la grève : c’est une pure conséquence de la sociologie. Mais ils ne veulent pas que cela aille trop loin, car si l’argent public vient à manquer, c’est la ruine, comme dans les pays socialistes.
L’analyse qui fait florès de « l’archipélisation » de la France, autour du livre de Fourquet, est trop fine par rapport aux noyaux durs de la réalité. La majorité des Français vit majoritairement à crédit et sur le dos des autres, dans un malthusianisme total. La spirale ne peut que finir mal, d’autant plus que le surmoi national a été détruit. Les « bénéficiaires » le sentent bien. Alors ils ont peur et en même temps ils sont blasés. Ils sont pleins de rancœurs, mais en même temps ils s’en foutent un peu. Ils en veulent à leurs dirigeants mais ils savent bien que qu’ils ont accepté tout ce gâchis.
Ils pensent majoritairement que le mol édredon du laxisme leur permettra d’absorber tous les chocs. Ils ne sont pas particulièrement inquiets de la grève en cours. Ils font des stocks. Ce sont les vraiment faibles qui paieront : le personnel de maison qui ne peut plus faire ses heures, alors que le revenu est au cordeau ; l’artisan ou le commerçant qui ne peut plus travailler. À terme ce sont les petits qui demanderont de l’ordre et qui voteront populiste.
Évidemment, il ne faudrait pas qu’une nouvelle récession s’enclenche. Là, les conséquences pourraient être sérieuses. Et dans tous les débats actuels, on ne trouvera rien, mais vraiment rien, sur le diagnostic des difficultés passées et sur les réformes collectives de la mondialisation, sinon des éructations.
Une nation fragile et vieillie dont les dirigeants ont perdu le contrôle dans pratiquement tous les domaines, peut casser.