Deux mots à M. François Fillon

L'avantage d'une vraie campagne pour la direction d'un parti est qu'elle force les candidats à traiter des grandes questions du moment.  Nous devrions préciser : d'un parti d'opposition, car on voit bien que dans le camp socialiste, l'avenir de M. Désir a été réglé entre grands Mamamouchis loin de tout débat d'idées. Il est vrai que les "désirs d'avenir" socialistes avaient été satisfaits  lors de l'élection présidentielle. Enfin, certains.

M. Fillon donne donc dans le Figaro du 17 septembre un intéressant aperçu sur ce qu'il faut faire de l'Europe sous le titre "Dépasser le compromis de Maastricht". L'exercice est d'autant plus difficile qu'il fut un séguiniste anti-maastrichtien et qu'il dut subir comme Premier Ministre les difficultés liées à la mauvaise organisation de la zone Euro.

Au milieu d'intéressants développements , elle contient pas mal d'approximations qui méritent d'être relevées.

* "C'est pour s'en libérer [[de la pression lancinante de l'inflation et des crises monétaires NDLR]]  que les dirigeants de l'époque proposèrent aux peuples européens d'unir leurs destins en se donnant une monnaie commune".

- L'UEM a défini par un accord en 1969 ! Bien avant l'éclatement du système de Bretton-Woods !

- Le traité de Maastricht n'a pas proposé une monnaie commune mais une monnaie unique. C'est très différent et largement une des sources des difficultés.

- Chaque peuple n'a pas plusieurs destins ; cette faute d'orthographe est espérons involontaire : le communautarisme est un problème pas une solution.

"Faute d'une vision partagée de l'avenir…ils ne purent bâtir les institutions pourtant indispensables".

- Les européistes, Mitterrand en tête, décidèrent de mettre comme d'habitude la charrue devant les bœufs en sachant pertinemment  que les désordres consécutifs forceraient à une marche en avant institutionnelle supplémentaire. Il y a eu calcul pas désaccord. Les "institutions pourtant indispensables" n'ont jamais été évoquées à cette époque.

- L'Euro était nécessairement "une vision partagée de l'avenir". Sinon quoi ? Malheureusement tous les débats sur cet avenir ont été impossibles. Les européens découvriront les défauts sur le tas, pas dans les prévisions de leurs hommes politiques même si certaines voix s'étaient fait clairement entendre …dont celle de Seguin (voir son discours sur ce blog), mais plutôt orientées sur la question de l'indépendance nationale et de la souveraineté pas sur l'organisation heureuse d'une zone de monnaie unique. Toutes les autres ont été marginalisées ou ignorées dans le débat médiatique.

* "Protégés par leur monnaie unique, nombreux ont été les Etats  et la France en fit malheureusement partie, qui pouvaient sans risque laisser filer leurs déficits et creuser leurs dettes".

- Il est clair que la France sans Euro aurait du dévaluer sa monnaie dès que les effets des 35 heures sur sa compétitivité se seraient révélés patents.    

- Le choix a été fait par Chirac et…Sarkozy qui Ministre des Finances n'a pas cessé de moquer les contraintes budgétaires de Maastricht et de plaider pour …les subprimes à la française, avant d'être rattrapé par la crise.

- Parlons donc de "l'illusion de l'aspect protecteur de l'Euro", mais rappelons que tous les pays occidentaux ont depuis 1971 vu leur endettement global qui avait décru de 1945 à 71 jusqu'à passer en dessous de 200% du PIB repasser cette borne puis les 250, 300, 350%  etc. L'Euro n'est qu'une cause très indirecte de l'endettement européen. L'endettement se fera d'ailleurs en monnaie étrangère avec les conséquences que l'ont sait. Et la tentation dépensière des politiques n'a jamais faibli non plus que la pertinence des Lois de Parkinson et l'impudence des administrations.

* Il faut "plus de nation" et "plus d'Europe".

Parfait oxymore. Il faut dire que José Manuel Barroso qui est Commissaire européen et qui signe en dessous de l'article de Fillon dans la même livraison du Figaro  se révèle également un excellent spécialiste du genre avec son titre : "Vers une fédération d'Etats-nations". Vive la supra nationalité nationaliste  !

 *  Il faut "s'assurer que les politiques budgétaires de chaque Etat et la politique monétaire européenne marchent enfin d'un même pas".

- Il n'y a plus de politique monétaire nationale mais il n'y a pas non plus de politique monétaire européenne. On ne connait qu'une seule politique : celle de la BCE dont l'objectif unique est de maintenir l'inflation en dessous de 2% et qui est indépendante.  Avant de songer à synchroniser il faudrait d'abord faire exister. Où donc se définit et se pilote une politique monétaire européenne et avec quels objectifs ?  A demander à M. Juncker, Président, pendant la période,  de l'Euro-groupe. S'il veut bien car il a le sommeil discret, discret, discret.

- Au cas où on trouverait le moyen de mettre en œuvre une politique monétaire (les changes en font partie selon la théorie sauf qu'en pratique ils flottent sous la pression  tout aussi théorique des "marchés" tant les interventions des Etats non européens sont flagrantes), pourquoi y associer la seule politique budgétaire ?  Les 35 heures ont eu autant d'impact sur l'effondrement des parts de marché mondiales de la France que son seul budget même si celui-ci a été impacté par la mesure.  C'est toute la politique, le "policy mix" comme on dit à Bruxelles qui est concerné et tous les fédéralistes le savent bien.

- Fillon a expérimenté l'impuissance du premier Ministre qui ne dispose plus d'aucun levier sur la finance, le change et la monnaie. Qu'on veuille pardonner cette expression un peu outrée mais dans l'affaire c'est l'histoire d'un cul de jatte qui voudrait donner des jambes à un zombi.  

* Cette Europe politique se confond avec le patriotisme éclairé que j'appelle de mes voeux"  

- Hollande en appelle au patriotisme pour faire passer son coup de massue fiscale

- Fillon en appelle au patriotisme pour faire passer un abandon définitif de toute souveraineté. Le Président et son gouvernement n'auront plus aucun levier sur la monnaie, le budget, les changes, et ..le reste. Car une grosse partie des textes qui nous régissent sont écrit à Bruxelles. On sait que l'empilement des pages dépasse désormais le million    

En général quand on ajoute des adjectifs à un nom c'est pour lui faire changer de sens ; exemple : démocratie populaire.

Cela dit, retenons que François Fillon reconnait qu'on ne peut avancer sans détruire une partie de ce qui existe en Europe, en gros le système de la Commission peuplés d'européistes nommés qui n'en font qu'à leur tête, puisqu'ils ont le monopole de l'initiative des lois. Il faut pour construire une politique européenne mise en commun inventer de nouvelles institutions européennes et modifier celles qui existent. Le déficit démocratique de l'Union Européenne est aussi intolérable que l'inexistence d'une gouvernance de la zone de monnaie unique.  Sur ce constat là, s'il était précisé, nous serions pleinement d'accord.

J.M. Barroso, à l'article du dessous de celui de F Fillon,  parle, lui,  d'une coopération "véritable" entre le Parlement européen (avec majuscule) et les parlements nationaux (sans majuscule). C'est trop peu. Nous avions été beaucoup plus loin lors du débat sur la pseudo constitution européenne, suggérant soit que le parlement européen soit flanqué d'un Sénat constitué de représentants des parlements nationaux, (l'idée de Maurice Allais), soit que les députés européens soient une émanation de chaque parlement national.  Il faut également introduire la subsidiarité non pas sur les nouvelles mises en commun mais aussi sur le passé et supprimer le monopole d'initiative de la Commission.

L'Euro, Schengen, l'extension  excessive et trop rapide de la surface de l'Union Européenne ont été des actes d'Hubris et non pas de rationalité. Ne créons pas trop vite de nouvelles institutions sans réelles discussions sur la réorganisation des anciennes.

Les difficultés que F. Fillon a rencontré à la tête du pays n'ont pas pour cause principale l'Europe mais le système absurde et destructeur des changes flottants. Il n'en dit pas un mot.

Il est vrai que la stature présidentielle exige que l'on se taise sur les changes flottants et qu'on adhère au projet européen. Ce qui est navrant.

Nous n'avons pas besoin de postures mais d'idées justes. Surtout à la tête d'un parti d'opposition qui aura à reprendre un pays ravagé par la crise et les "mesures symboliques" du démagogue qui dirige actuellement la France. 

Cher François Fillon, le travail reste encore à faire. Oublier les opérations-images pour privilégier le débat de fond est un préalable à toute candidature présidentielle en 1917. Et cela évitera que M. Balladur trouve la campagne "terne".

Nous ne prenons naturellement pas parti pour M. Copé en le disant. Ce spécialiste averti de la langue de bois n'a encore rien dit sur rien, sinon sur la Burka et sur l'ampleur de son ambition politique. En matière d'opérations-image, ce n'est pas un débutant. Et comme apparatchick c'est un maître : le verrouillage du fichier des membres de l'UMP en est le plus parfait témoignage.

Nous espérons qu'il fera également un peu mieux. Une prise de position détaillée sur l'Euro et son avenir  ne serait pas de trop. On serait ravi de la commenter.

Commentaire
Julien L.'s Gravatar Malheureusement ce texte n'ouvre pas vraiment un débat ni ne fait de réelles propositions. M. Fillon se positionne. Il conforte sa stature d'homme d'état qui suppose, comme vous le dites très bien, qu'on fasse sa révérence à l'Europe et qu'on n'asticote pas les Etats-unis sur le système monétaire inique et désastreux qu'ils ont imposés.

On retrouve tout le vice d'une société devenue entièrement médiatique au mauvais sens du terme. Hollande n'avait rien dit pendant sa campagne et les Français découvrent le désastre au fur et à mesures des décisions spoliatrices ou laxistes prises. Copé ne dit rien à la façon de Hollande.

De toute façon il n'y a jamais eu de vrais débats à l'UMP. Ceux organisés par Copé étaient de simples prétextes et ne faisaient qu'amuser la galerie et éventuellement les militants. Il n'en est d'ailleurs rien sorti parcequ'ils ne concernaient jamais le fond et toute critique de N Sarkozy était interdite.

Si un parti doit avoir une pensée et pas seulement une posture, cela passe nécessairement par un droit d'inventaire des années Sarkozy. On voit bien que les deux candidats se cachent derrière l'ombre du battu. Fillon dit dans le Parisien du jour : "j'aurai besoin de Sarkozy pour rassembler le parti".

Les moments d'unanimisme de façade ne sont pas particulièrement propices à la réflexion. On se demande si dans les partis il y a d'ailleurs un seul moment propice à la réflexion...

L'inimitable Rocard confirmait récemment que Hollande était arrivé au pouvoir en totale ignorance de la situation et d'un programme possible. Il s'était concentré avec ses spécialistes en communication sur les phrases qui font tilt dans les congrès. Comme Sarkozy naguère.

Plus cela change plus c'est la même chose.
# Posté par Julien L. | 18/09/12 13:03
Strike's Gravatar « La situation politique est sans précédent depuis 1958. La droite a perdu tous les pouvoirs locaux et nationaux. Pour reconquérir dès 2014, il nous faut du renouveau et être clairs sur notre projet. Sans cela, les Français ne voteront pas pour nous ».

C'est Bruno Lemaire qui le dit. Il confirme votre propos sur la nécessité du débat. Peut-être pourriez vous vous intéresser à ses solutions.
# Posté par Strike | 18/09/12 15:30
SD's Gravatar @ Strike

"Les institutions européennes sont devenues au fil du temps une armée mexicaine logée dans un labyrinthe kafkaïen. Qui dirige ? Personne ne le sait. Qui assume les décisions ? Personne ne peut répondre. Les procédures ont pris le pas sur les choix souverains, les codes et les traités sur les impératifs du moment, le droit sur la politique. Il est urgent de revenir à la démocratie".

Ce constat est imparable. Mais les suggestions faites restent peu nombreuses et très en deça des attentes.
# Posté par SD | 18/09/12 15:41
Hector's Gravatar Qui dirige ? C'est facile de le savoir. Prenons la question ukrainienne et du traité d'association en cours de négociation. Ce n'est pas rien puisqu'il s'agit une fois de plus d'ouvrir les frontières de l'Europe. Qui parle de ces négociations en France ? Le Président ? M. Fabius ? Non. Pas un mot. La question n'est pas débattue dans la presse parceque gouvernement et opposition se taisent sur le sujet.
Mais dans le Herald Tribune d'hier on voir Mme Ashton ci-devant chef de la diplomatie de l'UE signer avec Mme Clinton un long article sur ce qu'il faut faire.
La position de la France est inexistante et c'est un couple anglo-saxon qui s'exprime.

Imagine-t-on le Général de Gaulle se laisser pièger d'une façon aussi caricaturale ?

Qui a autorisé Ashton à parler conjointement avec Mrs Rodham au nom de l'Europe ? S'agit-il d'une initiative personnelle ? D'une délégation expresse de pouvoir des chefs d'Etats européens ? Personne n'en sait rien.

La France n'existe plus.


Et ce n'est pas le bouffon haineux et paresseux avec sa bande de Shadoks qui pompent inlassablement (le revenu et l'épargne des Français) qui seront capables de la réanimer.
# Posté par Hector | 27/10/12 05:20
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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