En route vers le Mondio !

Lorsqu’on s’élève un petit peu au dessus de l’actualité chaude, on constate que la crise actuelle est, comme toutes les grandes crises, structurelle.

La monnaie et la banque ont toujours évolué par crises et tragédies.  Après  chaque désastre on a fini par s’apercevoir qu’on n’avait pas totalement maîtrisé une innovation.  
L’histoire de la monnaie métallique n’est qu’une longue suite de confusions, d’illusions, de tromperies jusqu’à ce que l’affaire se stabilise.

L’histoire des billets a commencé dans le bonheur de la spéculation jusqu’à ce que le système de Law s’effondre, à la suite d’une petite intervention étatique qui en a changé l’équilibre et contre laquelle Law s’était insurgé ! S’en est suivi d’autres malheurs comme les assignats de sinistre mémoire, mais nous utilisons tous aujourd’hui des billets de banque sans valeur intrinsèque sinon la croyance (modéré) que pour un temps plus ou moins long ils auront un pouvoir d’achat.

L’histoire de la monnaie de compte n’est également qu’une suite  d’ennuis. Des milliers de banques ont été créées et des milliers de banques ont fait faillite.  Les dépôts représentent 80% de la monnaie qui circule !  Mais il a fallu clarifier les conditions  de création de cet instrument indispensable et mettre une organisation farouche, piloté par l’Etat, pour en arriver là.

Toutes les solutions ont été trouvées jusqu’ici dans un cadre national.  L’ennui c’est que nous ne vivons plus dans des économies nationales mais dans un système complexe et ouvert de relations économiques internationales.  Toutes les économies nationales  sont clientes et fournisseurs. La nationalité des grandes entreprises n’a plus grand sens.  Quand on vend  20000$ de produits de la Général Motors en quasi faillite aujourd’hui, on sait que ce qui est gardé aux Etats Unis ne dépasse pas 1000 $. Tout le reste va en Corée, au Japon, en Europe, où on voudra.  Lorsqu’on prête à GM, on prête à qui ? A une entreprise américaine dont la banque sera américaine et surveillée par les autorités américaines ?  Bien sûr que non.  GM va chercher des financements partout de même que ses sous traitants.  Gare à la faillite !

Comme il n’y a pas de banques commerciales mondiales régulées par une banque centrale mondiale,  il a fallu bricoler avec une mosaïque de systèmes  différents avec des monnaies différentes, des taux d’intérêt différents, des règles différentes, des institutions de contrôle différents.   Les gouvernements ayant renoncés en 1973 lors de la conférence de Kingston   à gérer leurs changes de façon coopérative,  on laisse à chacun le soin de se débrouiller dans cette jungle.

Le résultat : les banques créent globalement de la monnaie par des prêts dont chaque état ne voit qu’une petite partie.  Les banques assurent leur liquidité internationale par des moyens de plus en plus complexes parce que l’affaire est de plus en plus complexe.  La conséquence depuis 1973, ce sont des crises financières à répétition à la mesure du tâtonnement  général.  L’absence d’une monnaie internationale régulée et  un régime de facto  de monnaies nationales flottantes,  nous mettent dans les mêmes conditions qu’au temps où les billets de banques étaient émis par des banques privées sans aucun système public  et national de garde fou.

Tant que le système des changes fixes et ajustables, avec des restrictions aux mouvements de capitaux,  dit système de Bretton Woods, était en place, il appartenait aux Etats de faire attention à leur émission monétaire pour conserver autant que faire se peut leur taux de change.  La mondialisation était un peu entravée mais plutôt régulière. On eut les trente glorieuses.

On a voulu supprimer toutes les entraves au commerce  et aux mouvements monétaires et financiers en instituant les changes flottants mais sans aucune régulation internationale, le FMI perdant une  vocation  qui était liée aux changes fixes.

On s’aperçoit des défauts structurels de la solution. L’Euro, c'est-à-dire une monnaie transnationale, a représenté une première forme de solution locale  qui permet à un vaste ensemble de disposer d’une banque centrale et d’un banquier de dernier ressort.   La dollarisation de facto a été aussi une autre forme de solution mais particulièrement incertaine du fait de l’indifférence des Etats-Unis aux problèmes de sa zone monétaire secondaire.   En un mot, on bricole.  Et les marchés libres des changes  ne permettent aucun ajustement. Le dollar fait le yoyo du simple au double de sa valeur  de change depuis 1971.  L’Euro aussi. Quant aux autres monnaies …

Le désordre étant structurel, il faut une réponse structurelle.  La vraie réponse pourrait être comme nous l’avions décrit en 1997 « le Mondio ».  C'est-à-dire une monnaie mondiale contrôlée par une banque mondiale qui ne pourrait être émise que par des banques au statut mondial.  Les autres monnaies seraient raccordées au Mondio d’une façon ou d’une autre.    Ce serait une reprise des idées keynésiennes du Bancor adapté aux exigences du temps.   Les entreprises mondialisées auraient accès à un crédit mondialisé et régulé de façon mondiale.  L’épargne se mondialiserait progressivement en Mondio.  

La Banque Centrale Universelle, BCU,  serait naturellement indépendante des Etats, notamment des Etats-Unis, dont les déficits extérieurs n’auront plus à fournir le monde en monnaie par des déséquilibres infernaux.  Chaque état serait libre de rendre ou non sa monnaie convertible en Mondio.  Mais la convertibilité aurait un prix : une stricte supervision par une instance internationale.  La BCU reprendrait toutes les fonctions de la BRI et du FMI tout en devenant une vraie banque centrale  avec une monnaie propre.

Pour les banques internationales, la liquidité n’aurait plus à être assurée par des produits complexes et peu compréhensibles. Les compensations se feraient à la BCU.
Tout cela représente un saut structurel dans la supranationalité.  On sent bien dans les conférences actuelles que le besoin de ce saut s’exprime : appel à une architecture financière mondiale ; chambre de compensation pour les CDS etc.  Mais personne n’ose aller jusqu’au bout.  A Bretton Woods,  White, l’américain honorable correspondant  soviétique, l’avait emporté sur Keynes, le farouche spéculateur.  Il était le seul vainqueur de la guerre ….

Il faut maintenant passer au stade suivant.  Rien ne laisse penser que les esprits n’y soit prêts.  Pourtant les solutions existent.  Et l’approfondissement de la crise fera valoir ses exigences…ou reportera la solution  à plus tard après une tragique période de troubles. 

Après l’âge des monnaies  abstraites nationales, nous entrons dans celui de la monnaie abstraite mondiale avec des institutions mondialisées.   Correction : nous devons entrer …

Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile



Commentaire
Zbig's Gravatar Dans les pays de l'Est, on a perdu toute notre forfanterie. Le cri unique c'est : l'Euro; l'Euro, l'Euro !

Zbig Brataniec
# Posté par Zbig | 09/11/08 14:08
Lew's Gravatar Aux Etas-Unis tout le monde se fiche du reste du monde. Ce qui est bon pour les Etats Unis est bon pour le monde. Le grand débat entre banquiers et commentateurs : crise de liquidité ou crise de solvabilité ?

Ceux qui pensent qu'il s'agit d'une crise de liquidité imaginent que le problème est désormais derrière nous. La cascade de dégringolades bancaire est interrompue et après une gentille restauration des marges bancaires tout reprendra comme avant.
Les tenants de la crise de solvabilité comptent plutôt les pertes et bien qu'ils se réjouissent d'en avoir transféré une bonne partie sur l'étranger s'inquiétent du crédit crunch obligatoire. Le bâtiment et l'industrie automobile par terre, les investissements en panne, les consommateurs obligés de retrouver une solvabilité avant d'emprunter à nouveau, cela signifie une crise longue et dure.

Personne ne prend en considération le reste du monde, zone de jeu et de non droits où les hedge funds doivent pouvoir s'en donner à coeur joie et où le big business doit pouvoir s'exercer sans entrave. Personne dans le monde économique et universitaire n'a la moindre perception des besoins mondiaux en tant que tels tout en prétendant au leadership.

En gros le message aux européens c'est : on a nos problèmes, ne nous en créez pas plus et laissez-nous faire et laissez nous passer sans nous opposer la moindre entrave.

Lewis Holden.
# Posté par Lew | 09/11/08 14:12
KingDom's Gravatar La "monnaie abstraite mondiale" : MAM.
Pourquoi pas Mamio, au lieu de Mondio, qui fait un peu foot, avec tous ses excès.

Bon, quand on y sera, on pourra toujours lui trouver un nom, ce n'est pas le plus dur ...
# Posté par KingDom | 13/11/08 12:58
DD's Gravatar MAM : Sarkozy ne voudra pas...

A noter : un livre marginal mais qui tente de nager sur le desordre actuel condamne toute solution de type mondio comme une fuite en avant de faux monnayeurs, et mettant l'accent sur des monnaies mondiales privees. Un interessant debat meme si l'auteur est tres marginal.
# Posté par DD | 14/11/08 13:42
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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