Deux leçons perdues des accords de Bretton-Woods

Il faut relire les minutes de la conférence de Bretton-Woods qui en juillet 1944 tenta de fixer les règles du jeu économique de l’après-guerre, sous la bienveillante férule américaine.

Quelles étaient les deux idées clés que tous les participants avaient en tête et qui ne faisaient aucune discussion, à la lueur des difficultés de l’Entre-deux-guerres.

La première était que le commerce ne pouvait aller sans la monnaie. Pas de prospérité sans bonne monnaie disaient les premiers économistes ; pas de prospérité internationale du commerce  sans un bon système international de paiement pensaient tous les délégués à la conférence de l’été 44.  

Aujourd’hui, les deux mondes sont disjoints. La monnaie est l’affaire des Trésors nationaux et des banques centrales. Le commerce est l’affaire de conférences et de traités gérés par d’autres entités.  

Cette disjonction est coupable. Aujourd’hui on négocie un traité transatlantique sans même se rendre compte que le commerce international a littéralement implosé en 2008 du fait des défauts du système monétaire international. Dans l’esprit des participants à Bretton-Woods cette attitude serait incompréhensible. L’expérience de 2008 nous démontre à nouveau qu’il faudrait associer un tel traité à une refondation du système monétaire puisque ce dernier a été la cause de la ruine récente du commerce international.  

La seconde idée clé est qu’il fallait proscrire les grands déficits et les grands excédents, cause des difficultés des deux décennies précédentes. On comprend facilement pourquoi : un gros déficit implique un replacement des monnaies reçues en excédent, tout en justifiant une hausse des crédits internes ; la double pyramide des crédits s’autoalimente jusqu’à l’explosion finale. Les plans proposés allaient très loin dans le sens de la pénalisation et des excédents et des déficits.

Ce n’était pas si facile à faire admettre aux pays excédentaires : l’excédent est vécu comme une vertu et la marque d’une supériorité, alors que l’excédent est en fait la prevue d’une valeur sous-évaluée de la devise du pays en excédent constant. Les Etats Unis se voyaient alors comme structurellement excédentaires, et refusaient jusqu’à l’idée d’être pénalisés. Les pays en déficit considéraient que la pénalisation de leurs déficits cumulerait leurs charges.

Tout le monde se mit d’accord sur un système qui interdisait les grands déficits et les grands excédents, qui permettait aux pays déficitaires de revenir dans les clous par une dévaluation contrôlée, mais n’imposait pas grand-chose aux pays excédentaires.  En même temps les Accords firent de la monnaie américaine le pivot du système, ce qui était une grave erreur. Cette dissymétrie finira par faire exploser le système de Bretton Woods.

Si on reprenait aujourd’hui un travail de concorde internationale autour du commerce et de la monnaie sur la base de la philosophie de 1944, on traiterait en même temps des balances commerciales et des balances de paiements, en même temps des ouvertures commerciales et de la stabilité du système monétaire, et on créerait un système qui interdise totalement les doubles pyramides de crédits.  

Un tel système aurait du être envisagé après la crise de 92-93. Le recul était suffisant pour bien mettre en lumière la croissance de l’endettement global par la double hélice de crédits alimentée par les déficits et les excédents majeurs, son effet sur la croissance et la gravité des crises périodiques de crédit. L’Allemagne dès 74 et le Japon, 20 ans plus tard, avaient vu leur encaisse accumulée ruinée.

Si les Etats-unis avaient compris à ce moment là que les conditions politiques d’un retour à un système monétaire organisé étaient réunies, et qu’il était indispensable à un moment où des centaines de millions de travailleurs potentiels sortaient de la géhenne communiste, nous n’en serions pas là.   Il était plus qu’indispensable que la Chine et les pays du bloc soviétique ne profitent pas de l’abîme des salaires entre eux et les pays non ruinés par le communisme pour accumuler des excédents de balance de paiement hors de proportion et accélèrent le mouvement de la double hélice de crédits d’une façon incontrôlable.

L’obligation de respecter certains maxima d’excédents aurait bridé l’excès sans empêcher l’essentiel.  Et si la Chine n’avait pas souhaité respecter ces limites, des droits de douanes auraient fait l’affaire. Les tenants des changes flottants ont totalement contredit leur doctrine : ils ont accepté que le Yuan soit fixé administrativement à la valeur du dollar, tout en ouvrant toutes les vannes des mouvements de marchandises et de capitaux. Ils affirment vingt cinq ans plus tard et une crise gigantesque sur les bras, que le Yuan va bientôt flotter comme toutes les monnaies et que cela va être parfait, niant toute l’expérience accumulée avec l’Allemagne et le Japon.

La seule vraie solution est de remettre au goût du jour les deux seules vérités économiques de base  que l’on a oublié depuis Bretton Woods. Les Etats doivent être responsables de l’équilibre de leurs balances commerciale et financière.  Des échanges de marchandises déséquilibrés, avec des monnaies déconnectée et rendues folles par les spéculations des capitaux flottants,  doivent être proscrits. Ce sont les seules idées utiles à la reconstruction d’un monde prospère. Croire qu’en accélérant encore toutes les ouvertures  économiques, dans un monde où les Etats ne sont plus responsables de rien, mais contrôlent tout, et suivent des politiques divergentes et non collaboratives,  tout en contraignant lourdement le système bancaire, afin d’étouffer l’amplificateur de crédits,  est une absurdité qui se paie d’un chômage massif et d’une stagnation générale sur fond de tensions belliqueuses en interne comme en externe.

Il faut remplacer le « consensus de Washington » par un « consensus de Bretton Woods », avec évidemment les modernisations et les améliorations permises par  la compréhension des difficultés cumulées depuis la guerre. Faute de l’avoir fait au bon moment, on eût la faillite de LTCM, la crise des pays émergents, la récession du début des années 2000, la rechute de 2003, la crise des subprimes puis l’explosion du système en 2008. Il n’a pas fallu 15 ans pour que toutes les illusions s’évaporent. Malheureusement les idées forces qui ont mené au désastre n’ont pas été remises en cause.  

Depuis on vit entre urgence et panique dans les mesures d’exceptions, en violant tous les jours la doxa, tout en ne changeant rien au système idéologique et organisationnel qui a créé la crise.

Il serait peut-être temps de sortir des conceptions fausses qui sous-tendent depuis 1973 une organisation clairement dysfonctionnelle et qui a mené au désastre.

C’est la période des vœux !

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.

L'Etrange Désastre -Presentation au Presse-Club de France

Après les "Européennes", quelles chances politiques d'un redressement économique ?

Quelles sont les perspectives d'une politique économique de redressement national, dans le sillage du résultats des élections régionales ?

Les élections régionales partagent avec les Européennes et, dans une moindre mesure, les départementales, le fait d'être des compétitions politiques qui n'imposent pas de véritables projets. Elles ne servent qu'à fixer des rapports de force entre les partis et à juger le pouvoir en place. Dans le cas des départementales, du fait du flou dans les réformes projetées, les électeurs ne savaient même pas pourquoi ils votaient. De même, les régions ayant changé de configuration, et n'ayant pas de compétences fortes (les transports et l'entretien des lycées ne sont pas des compétences fortes), ne présentaient pas un champ de différenciation majeure des projets. Aux Européennes, c'est pire, puisqu'il n'y a strictement aucun projet, ceux-ci étant définis après les élections et pas avant. L'électeur français y est représenté de façon tellement minoritaire que son vote n'a à peu près aucune conséquence prévisible. On compte les étiquettes et c'est tout.

Ces élections sont donc le lieu privilégié du vote protestataire, dans un cadre global d'abstention, et le moment des positionnements purement politiciens.

Avons-nous besoin de cela ? Pas sûr. On pourrait très bien se passer d'élections européennes et supprimer les régions. L'impact global réel serait nul. Les régions n'ont été l'occasion que d'un surcroît de dépenses : entre 15 et 20% % de plus que si on s'en était abstenu. L'Europe pourrait vivre avec des délégations des parlements nationaux. Les départements sont des survivances tenaces et ne vivent que comme machines à distribuer des subventions et des allocations.

Les régionales et les Européennes posent également un problème identitaire. Si 80 % des législations sont conçues par l'Europe, la dépossession démocratique des Etats est acquise, et le manque d'intérêt pour la classe politique s'en suit : pourquoi voter pour des zombies ? Si les régions doivent avoir une identité, elle est arrachée à l'identité nationale. On le voit en Corse avec le succès des "nationalistes" corses. Ces deux élections sont des ferments d'effacement de la nation française.

Si l'opinion publique telle que la révèlent les médias est aussi critique pour les "élites", mondialisées ou pas, c'est très certainement du fait du nombre d'élus grassement rémunérés pour siéger dans des assemblées dont le pouvoir est tout sauf clair. Elle voit bien qu'on leur parle de résoudre "leur problème au quotidien", mais que rien dans ces assemblées n'y contribue. Au contraire les électeurs voient les impôts et les subventions politiques s'envoler. Ces démembrements de l'Etat se vivent plus comme des machines à capter des postes et de l'argent public que comme des lieux fondamentaux permettant de traiter les difficultés économiques et sociales de façon positive. On multiplie les guichets clientélistes de proximité (pour ne pas dire la corruption), sans impact sérieux sur les vraies difficultés.

Si la rationalité de gestion imposait une restructuration de l'Etat, il fallait créer des super-départements et de supers municipalités. Avec des pouvoirs exclusifs et sans empiler les strates administratives, avec des règles de non-dépassement des volumes de dépenses. Les élections municipales et régionales auraient alors été synchronisées. Cinq régions et cinq mille municipalités faisaient très bien l'affaire.

Les leçons des régionales sont purement politiciennes, mais importantes.

La gauche ne représente pas plus du tiers des électeurs et le socialisme probablement moins de 20 %. Le gouvernement actuel et le Président gouvernent contre l'opinion majoritaire.

Le PS ne survit que là où le Front national prive la droite dite "de gouvernement" de majorité. Il disparaît lorsque cette politique de promotion du FN le force à se retirer totalement. On ne joue pas impunément avec le "diable".

Le FN a servi de catalyseur du ras-le-bol général vis-à-vis des impôts et de l'immigration, dans un contexte où l'irrédentisme musulman a fini par tuer des Français. Mais les Français ne veulent pas du FN dans un rôle de direction des affaires.

Les Républicains sont affaiblis au premier tour par la rage des électeurs de droite et au second tour par les triangulaires. Et les Français ne se souviennent pas du quinquennat de N. Sarkozy comme d'une réussite. Ils veulent toujours un vrai programme de rupture qui ne peut pas être porté par l'ancien président.

Le centre n'existe plus électoralement sinon comme force de nuisance. Les régions confiées à l'UDI Modem ont toutes été perdues, sauf la Normandie, gagnée d'extrême justesse, alors qu'elles étaient toutes gagnables largement par la droite. L'échec du couple Juppé-Bayrou est significatif.

Les partis marginaux restent marginalisés. L'espoir de Cécile Duflot de substituer les Verts au PS comme celui de Mélenchon  d'opérer le même siphonage que Tsipras en Grèce vis-à-vis du Pasok, sont liquidés pour un long moment.

L'élection présidentielle à venir est le seul levier à la disposition des citoyens pour sortir de tous les pièges qui les empêchent de s'arracher de l'ornière où se trouve le pays. Cela veut dire qu'il faudra qu'un homme incarne un vrai projet et qu'il parvienne à se débarrasser de ceux qui comptent sur la ruse politicienne pour s'imposer sans projet autre qu'opportuniste.

Nicolas Sarkozy représentait une réflexion et un programme de rupture en 2007. Sa volonté de réélection l'a conduit à intégrer des socialistes et à faire des demi-réformes, sans prévoir ni comprendre l'arrivée d'une dure récession. Il a perdu toute crédibilité. Il ne peut être présent qu'en réussissant des combinaisons politiciennes qui le mettraient en situation d 'être le seul candidat de la droite en 2017. S'il y parvient, sans crédibilité programmatique quelconque, ce sera désastreux.

François Hollande est dans la même situation. Il a gagné par la ruse en 2012 et depuis virevolte de zigzag en zigzag, sur fond de déréliction générale. Il ne peut être réélu que par des combinaisons politiciennes sordides et en particulier en tentant d'être seul au second tour en face du FN (en lui donnant du grain à moudre). Le jeu est extrêmement dangereux pour la France.

Certains, à gauche, voient le salut dans une restructuration complète du paysage politique avec une coalition sociale-démocrate, centristes, contre une droite plus à droite et divisée. Le PS changerait de nom pour faire oublier le concept de socialisme, mort avec la chute de l'URSS et la conversion au capitalisme d'Etat de tous les pays communistes sauf la Corée du Nord et Cuba. Cela ressemble furieusement à la situation de 1962 où une coalition de vieux partis décrédibilisés en voie de marginalisation avait tenté d'abattre le Général de Gaulle. Sauf qu'il n'y a personne à abattre et que l'urgence programmatique l'emporte sur le destin individuel des partis. Il n'y a pas d'espace politique au centre. C'est au moins un résultat clair des régionales.

Qu'on le veuille ou non, la clé du futur doit être cherchée dans les "primaires" de la droite classique.

Le couple Juppé-Bayrou est désormais très fragilisé. Juppé n'a été haut dans les sondages que pour marquer la volonté de ne pas voir Sarkozy revenir.

Bruno Lemaire est actif, mais il manque encore de beaucoup de bagage politique pour porter autre chose qu'une promesse de renouvellement des hommes, à terme . Il ne peut pas incarner un projet.

Reste François Fillon. Il a les talents et l'assiette politique pour porter un projet et effectivement il le construit sur les bases qu'il faut : une rupture lourde. Il lui manque une triple crédibilité : -

- La crise venant d'ailleurs, il doit proposer t une "diplomatie de la prospérité", ce qui implique d'avoir une vision très claire des voies et moyens de réformes dans la gouvernance des monnaies et dans celle de l'Europe. Fillon s'est engagé sur ce chemin avec des distances prises avec les Etats-Unis et notamment le traité transatlantique. Sur l'Europe et la souveraineté, notamment juridique, ce n'est pas encore très net.

- Il faut un leadership réel sur la question de l'inflammation musulmane, à l'intérieur et à l'extérieur. Là on en est aux esquisses de l'esquisse.

- Il aura à cadrer sa position sur les questions sociétales.

L'hypothèse Fillon est donc très sérieuse mais reste largement à conforter. Il a un an pour construire un vrai programme présidentiel et s'imposer comme un leader. Beaucoup n'y croient pas.

Au terme de ces élections régionales, on voit les cadavres politiques passer sous les ponts. Laurent, Mélenchon, Duflot, Huchon, Aubry, Bartolone, NKM ont coulé. Bayrou, Juppé, . Hollande et Sarkozy se débattent contre une noyade qui est presqu'inexorable. Pécresse, Bertrand,  Estrosi, Wauquier ont à s'occuper sans encombrer l'espace présidentiel.  Valls et Macron sont paralysés par Hollande.

La seule hypothèse qui remettrait à plat la situation politique serait que Hollande et Sarkozy annoncent l'un et l'autre qu'ils ne seront pas candidats.  Il est alors probable que les Centristes et les "Sociaux-démocrates"  tenteraient de s'unir, NKM, Bayrou et l'UDI venant rejoindre Valls et Macron., le tout accompagné d'un changement de régime électoral pour les législatives basé sur la proportionnelle. On aurait alors une triangulaire entre Fillon, Le Pen et probablement Valls annonçant un ticket avec Juppé ou Bayrou.  Rien de bon ne peut sortir de cette hypothèse qui ferait la part belle au Front National avec en prime  une assemblée ingouvernable.

Certains pensent, comme Alain Minc, que seule la candidature de Juppé peut empêcher ce mouvement déplorable dans la mesure où elle bloquerait la fuite de Bayrou vers une "troisième voie" introuvable. L'échec de Juppé en Aquitaine n'accrédite pas cette hypothèse.

La France est donc encore loin d'avoir rassemblé les conditions politiques de son redressement économique.

Une folie : la non garantie des comptes bancaires

L'Europe a décidé, dans la panique, d'essayer d'isoler les Etats des risques pris par les banques. Nous avons, sur le champ, protester contre une série de mesures visant à rendre les déposants et les souscripteurs d'obligations bancaires (la différence est ténue) responsables des pertes encourues par les banques.

Aujourd'hui quatre banques italiennes viennent de faire faillite. Les porteurs d'obligation de ces banques sont déjà ruinés. Mais à partir du premier janvier 2015 s'appliquent les règles nouvelles européennes qui risquent de ruiner les déposants eux-mêmes. La malfaisance des règles européennes commence à éclater et les premiers signes de paniques à s'épanouir.

Les mesures folles finissent toujours par montrer leur folie.

Lors de la crise de 29 aux Etats-Unis, les banques ont commencé à faire faillite à partir de 1931-1932, plusieurs années avant le déclenchement de la panique boursière. Des milliers de banques se sont retrouvées au tapis, ruinant à chaque fois les déposants et relançant à chaque fois la crise. On sépare souvent, pour les banques, les crises de rentabilité et les crises de liquidité. Elles vont rarement l'une sans l'autre. La crise de rentabilité provoque une panique qui crée une crise de liquidité. Éviter ce double mouvement est crucial. Les Américains l'ont compris à l'époque. Ils ont créé le FDIC, une assurance fédérale des dépôts, qui reprend les dépôts en cas de faillite de banque et les transfèrent à un organisme plus fort. La réaction en chaîne est stoppée. À l’époque le résultat a été époustouflant : pratiquement aucune faillite de banque après le passage de la loi. La panique a été stoppée, donc plus de risque de liquidité. Partout, depuis, les Etats ont admis leurs responsabilités dans la solidité du système bancaire et en premier lieu dans les banques de dépôts. Banque centrale, solidarité de place, spécialisation bancaire, nationalisation éventuelle, contrôle de l'Etat sur les masses de crédit, maîtrise des flux de capitaux internationaux, ont permis de prévenir tout risque systémique jusqu'en 71. Le système bancaire était national. Sous contrôle des élus de la nation. Sous la responsabilité fiscale du politique national.

Après avoir fait sauter le verrou monétaire international, en abandonnant les accords de Bretton-Woods et en violant tous les jours les statuts du FMI (qui n'ont même pas été changés, preuve qu'on avait un peu honte tout de même), on a fait sauter le verrou sur les placements des banques, qui pouvait s'effectuer partout, et déspécialisé les banques, permettant de tout faire avec les "dépôts", dans un environnement de plus en plus obscur.

Curieusement la même idéologie a été développée dans le monde et dans la zone Euro : seule la liberté totale des mouvements d'hommes, de marchandises et de capitaux permettrait aussi bien à un système de monnaie unique qu'à celui de monnaies flottantes, de fonctionner. Les marchés du travail, de la production et des capitaux permettraient de réguler les écarts éventuels de productivité et d'inflation au sein de la zone Euro. Les marchés libres d'entraves permettraient que les capitaux trouvent leur emploi optimal à travers le monde. Les économistes à la mode aux Etats-Unis, donc en Europe, du fait du panurgisme total qui a saisi la communauté des économistes européens non marxistes, ont tous expliqué doctement qu'il ne savait pas qu'elle était la valeur d'une monnaie, d'un intérêt, d'un investissement. Les marchés savent mieux que tout le monde.

S'est donc développé un système dual où les reliques du système précédent étaient encore en place, mais où la responsabilité résiduelle des Etats était privée de tout contrôle. Personne n'a jamais souhaité ouvrir ce débat de fond.

Le drame des marchés purement financiers est que le souscripteur ne sait strictement rien. Il est appâté par un taux de rendement et un effet fiscal éventuel. Et freiné seulement par l'absence de crédit, au sens large, des banques. Les molochs bancaires ont donc concentré les dépôts et utilisé à leur guise les sommes énormes collectées. De plus en plus en privilégiant les "actifs" internationaux, dont la valeur était de moins en moins gagée sur la production, et de plus en plus sur l'émission des banques centrales qu'elles ont amplifiée. Le déposant dans cette affaire n'avait strictement aucune information réelle sur la nature des placements faits. Malgré tous les textes visant à lui donner cette information, qui se sont transformé, dans les banques, en questionnaire ridicule sur les compétences financières des clients et en classification non moins ridicule des risques qu'ils sont prêts à prendre. La banque se protège des procès, mais ne protège pas le client !

Les marchés ayant toujours raison, même le FMI a cessé de s'intéresser aux interactions entre Etats. On a réputé que la comptabilité devait traduire la valeur de marché de tous les "actifs". La liquidité est devenue cruciale pour permettre à cette évaluation forcenée à court terme de fonctionner. La crise a commencé lorsqu’un des marchés s'est bloqué en juillet 2007 et que la BNP n'a pas pu "liquider" les parts de saucisson financier de trois de ses fonds.

L'effondrement du château de carte financier a forcé les Etats à intervenir, retrouvant leur rôle initial.

La question qui se posait était simple :

- les dépôts doivent-ils cautionner toutes les spéculations internationales des banques au risque de les voir disparaître et de créer un hiver nucléaire économique comme en 1939 ? Et l'Etat doit-il réassurer les dépôts ?

Notre position était qu'il fallait répondre non à la première question et oui à la seconde, les deux réponses étant parfaitement cohérentes.

Il fallait revenir à un système bancaire de proximité basé sur une vision étroite de leur capacité de crédit. L'activité de crédit des banques de dépôt devait se limiter à l'escompte d'effets de commerce nationaux avec la surveillance de l'Etat et sa garantie. Sinon, il fallait créer des banques de paiements où le déposant reste propriétaire de son dépôt et ne le place que s'il le veut.

On a choisi une solution différente. Les banques ont été tenues de garantir leurs prêts par des capitaux en volume adapté au risque pris. En période de taux d'intérêt nuls ou négatifs, cela revenait à étouffer toute l'activité des banques. Pour trouver ces capitaux les banques ont décidé de taxer leur activité de paiement et de dégonfler massivement leurs en-cours, empêchant la sortie de crise. Les petites banques ont été prises dans un casse-noisettes.

L'activité bancaire s'est renationalisée et concentrée juste au moment où l'Etat a choisi, du moins en Europe, de se désengager de ses responsabilités sur les dépôts.

Cette politique est folle.

La faillite des quatre petites banques italiennes en témoigne. On concentre le système bancaire tout en le ligotant, sans garantir quelque risque que ce soit pour les déposants. On va immédiatement voir revenir les comportements de paniques.

Comme l'Etat dirige fiscalement l'épargne vers ses propres besoins (via en France les systèmes d'épargne partiellement défiscalisés) et impose la bancarisation forcée, tout en désengageant des conséquences, le déposant est devenu une proie inquiète, prêt à toutes les paniques.

Les contradictions sont partout et l'inefficacité nulle part. Les dangers rodent. L'incohérence a ses limites.

On ne peut pas à la fois interdire la thésaurisation et ne pas garantir les "dépôts" forcés.

On ne peut pas à la fois vouloir maintenir les mouvements de capitaux internationaux en forçant les banques à revenir sur leur pré carré national par des réglementations malthusiennes.

On ne peut pas centraliser sur des organes européens le contrôle des banques sans donner une garantie européenne aux dépôts.

Lorsque les déposants auront assimilé que la loi qui se met en place le 1er janvier 2015 les laisse complètement entre les mains de banques dont ils n'ont aucun contrôle et qui recommencent à faire faillite, tout peut arriver.

Il est des sottises qu'on ne peut pas laisser faire.

Rappelons que la seule solution est :

- de revenir à la responsabilité des Etats sur la valeur de leur monnaie, donc sur la valeur des créances internationales. Une nouvelle forme d'accords de Bretton Woods dégagés des erreurs du premier système est absolument vitale.

- de revenir à la spécialisation bancaire avec une restriction de l'activité des banques de dépôts au crédit de proximité, avec la création d'un système de banque de paiement déconnecté du crédit.

- de maintenir la surveillance nationale des activités de crédits (en volume et en nature) avec garantie de l'Etat sur les dépôts.

L'ensemble forme un tout cohérent et parfaitement compatible avec une croissance réelle sérieuse.

Incohérence entre état nation et Europe, incohérence entre doctrine des libres marchés financiers et monétaires et réalités, banques centrales en pleine folie pour éviter que le tout s'effondre, tout cela est totalement irresponsable.

Il n'y a pas de banque sans responsabilité. Considérer le déposant comme le seul garant d'un système qu'il ne contrôle pas est la porte ouverte à une aggravation permanente de la crise.

Il faut changer d'urgence le système monétaire national, européen et international. Et à très court terme, suspendre la loi irresponsable qui se met en place le 1er janvier prochain.

L'urgence est là. La sottise et l'irresponsabilité ont leurs limites.

Ben Bernanke : Des "Mémoires de crise" sans aucun intérêt

Lire le livre de Ben Bernanke, l'ancien directeur de la FED, évoquant son action avant et pendant la crise la plus dure qui ait frappé le monde depuis 1929, est un double supplice. L'inconvénient de nommer des  universitaires à la tête d'organismes publics est qu'ils pensent tout de suite au livre qu'ils pourront écrire en quittant le poste et aux gains associés. Il faut bien penser à sa retraite dorée ! Alors ils prennent des notes. Frappé de ce syndrome, le livre de Bernanke est beaucoup trop long  et pourri d'anecdotes absolument sans intérêt compte tenu de la gravité de la situation à laquelle le monde avait à faire face. Savoir que le Président Bush lui a relevé le bas du pantalon parce qu'il portait des chaussettes beiges sur un costume sombre et lui a  rappelé, qu'à la Maison Blanche, il fallait aussi avoir un peu de tenue, est sans doute un événement crucial dans la vie de l'auteur. Et raconter que, a semaine suivante, tous les participants à la nouvelle réunion avec Bush avaient des chaussettes de la même couleur, marque certainement le début d'une véritable épopée. Mais tout de même. On n'achète pas ce type de livre pour lire ce genre d'anecdotes.

La crise, ce sont des milliards de dollars de pertes, des dizaines de millions de chômeurs, des milliers de suicides de patrons de PME ou de cadres supérieurs, des guerres meurtrières liées à la misère induite, comme dans les pays arabes, des millions de carrières arrêtées ou anéanties. Que viennent faire les chaussettes du directeur de la FED dans ce désastre ? Mais cela devait figurer sur une note que l'on a compilé à toute vitesse pour satisfaire l'éditeur. Grotesque. S'il n'y avait qu'une remarque de ce genre ! Mais non. Ce ton rigolard traverse tout le livre.

Plus grave, le livre montre l'incroyable incompétence qui noie la réflexion économique aux Etats-Unis. Ben Bernanke nous apprend que sa principale contribution à la science économique, en tant qu'universitaire tenant un des postes les plus prestigieux, dans une université des plus prestigieuses, est d'avoir expliqué que, sans doute, les banques jouaient un rôle dans les crises ! Il se trouvait que la vulgate universitaire américaine en économie était encore trempée dans l'idée que la monnaie était un voile sans importance. Prodigieux effort ! Les théoriciens des crises et du cycle avaient tous déjà décrit depuis au moins cent ans que les crises périodiques étaient d'abord financières. Une telle audace le qualifiait comme spécialiste "incontournable" de la monnaie et lui vaudra finalement son poste à la FED. Quand on sait avec quelle révérence les politiques, les médias et les économistes français écoutent tout ce qui vient des Etats-Unis, on se rend compte combien cette attitude de colonisé est inappropriée. La vérité et le savoir ne viennent pas, en économie, des Etats-Unis. Seulement un "prestige" sans fondement.

Déjà, en lisant DSK et ses analyses du pourquoi de l'inconscience du FMI et du comment de son incapacité à prévoir la crise, on se rendait compte que tout ce petit monde vivait sur des clichés et sous la tutelle américaine, deux maîtres particulièrement déprimants. Chacun regardait dans son petit domaine et personne n'avait vu que les relations déséquilibrées entre les grands Etats débiteurs et les grands états créditeurs avaient des conséquences effroyables sur la montée de la dette globale.

La lecture de Bernanke est encore pire. Pour le lecteur, une des questions clé est justement la question de la montée vers la crise. Les signes précurseurs étaient-ils perçus ? Avait-on un diagnostic global sur ce qui se passait ? Des alertes sonnaient-elles un peu partout ? Comment les organes de direction de l'économie mondiale réagissaient-ils à la montée des périls ?

Le lecteur sera bien déçu. L'auteur passe directement de très très longues digressions sur l'histoire de sa nomination (dont tout le monde se moque) et sur la manière dont il s’est installé dans son poste, à… la crise des subprimes de l'été 2007. On ne trouve aucune analyse ou témoignage sur la réflexion économique pré crise. Ce que consent à écrire M. Bernanke, c'est simplement qu'on réfléchissait à modifier la politique de la FED de remontée systématique d'un quart de point du taux directeur pour "faire face à l'inflation" et qu'on regardait la montée puis le ralentissement du marché immobilier. Sans grande crainte : l'immobilier marchait bien sous la pression de la hausse des revenus (on satisfaisait des besoins) et des facilités de crédit ; le marché ensuite régulait normalement quelques excès.

Aux Etats-Unis,  le reste du monde n'existe pas. Il s'agit de définir ce qui est bon pour les Américains. D'ailleurs aucune déclaration d'un "responsable" d'un organisme officiel américain quelconque se garderait de  ne pas préciser que les décisions sont prises "parce que c'est bon pour les Américains". M. Bernanke n'a aucune vision internationale. Aucune réflexion sur les tourments du système monétaire des changes flottants. Aucune idée sur la montée de l'endettement global partout dans le monde, ni sur ses conséquences. Aucun effluve de réflexion sur la signification pourtant assez "ominous" du passage à une économie baudruche, où les investissements n'ont plus un objectif de production mais de "création de valeur". Le vide intégral. Le "benign neglect", cette négligence volontaire des conséquences pour les autres de la politique du dollar n'est même pas perverse. Ignorance et indifférence en sont le moteur principal.

Alors que dès la mi 2006, notre Cercle s'interrogeait sur l'ampleur et la date de la crise périodique à venir, publiait des analyses semestrielles très pessimistes et lançait des alertes tous azimuts (notamment aux candidats aux présidentielles de 2007 en France), M. Bernanke se félicitait de retrouver machin ou chose qu'il avait connu dans une vie antérieure, s'inquiétait de bien parler aux médias et arbitrait l'immense question de savoir si l'inflation était bien sous contrôle ou s'il fallait s'en inquiéter, alors que tout le monde fêtait Greenspan, "le sorcier qui avait fabriqué la période de croissance la plus longue de l'histoire"…américaine. Inutile de rappeler à ces enthousiastes que depuis 1971 la courbe de la dette globale s'était inversée pour dépasser en moyenne 400 %. Cet indicateur-là n'est pas suivi par la FED. Inutile aussi de leur mettre sous le nez les courbes qui prouvent que la croissance n'a cessé de baisser de décennies en décennies depuis 1971. Inutile de leur rappeler que les crises périodiques ont été de plus en plus violentes. La psychologie collective aux Etats-Unis impose de penser qu'une crise provient toujours de vilains ou de vilaines choses. La crise de 72-73 ? Les vilains de l'Opep. La crise de 92-93 ? Les vilains de l'Irak qui ont imposé la guerre.

Les Mémoires de Bernanke devraient rappeler au monde que le dirigeant de la FED est un aveugle et un paralytique, enfermé dans une pensée économique inexistante et de plus monopolisé par le seul intérêt de Wall Street. Le seul drame dont témoigne son livre est une erreur de communication qui a fait baisser la bourse américaine ! "Ne pas merder" (c'est dans le texte) sa communication, voilà la vraie question.

Que la montée astronomique de la dette globale et notamment immobilière soit due à la double hélice de crédits permise par les énormes déficits et excédents de balances de paiement, l'explication aurait ahuri Bernanke, presque autant qu'un Indien voyant arriver Cortes. Que l'inflation dans les prix des produits soit éliminée par le transfert à une Chine industrieuse et radicalement pauvre de la production mondiale, alors que l'inflation délirante des moyens de paiements se concentrait sur les "actifs", financiers ou immobiliers, encore une idée qui aurait eu le même effet que la découverte par Mme Duflot qu'elle aurait prononcé par inadvertance une phrase intelligente.

L'ignorance et l'inconscience régnaient à la FED en 2005, 2006 et 2007. Comme au FMI, pour les mêmes raisons de révérence à la nullité américaine (sur le plan des idées) et à leur domination (sur le plan institutionnel).

Cette ignorance a une traduction concrète : pas une ligne, pas une page, sur les réflexions et les actions de ce M. Bernanke de mars 2006 à août 2007. En revanche, on ne nous épargnera rien sur les vacances qu'il pensait prendre pendant ce mois d'août 2007 et auxquelles il devra, par surprise, renoncer dans l'urgence. Le blocage des fonds gérés par BNPPARIBAS ("abrutis de Français, toujours à nous embêter") marquait l'effondrement du marché interbancaire, entièrement dominé par des produits frelatés en provenance des Etats-Unis !

Plusieurs conclusions sont à tirer de l'épaisse contine narcissique de Monsieur Ben Bernanke :

- D'abord qu'il est inutile de lire le livre. À part la révélation de l'ignorance et de l'inconscience qui règnent dans les plus hautes sphères américaines, dont nous avons tant de preuves par ailleurs, il n'apporte absolument rien (sinon une rente d'édition malvenue à son auteur et un ennui de lecture pesant).

- Ensuite que la science économique aux Etats-Unis est un parfait désastre et que sa domination sur le reste du monde a entraîné la discipline dans le trente sixième dessous. La déconfiture des économistes officiels français trouve son écho dans la vacuité de l'enseignement et de la recherche économique américaine.

- Enfin qu'il faudra bien de la persévérance et bien de la force pour forcer les Américains à revenir à un modèle monétaire international un peu plus coopératif et soudé. Aujourd'hui il n'y a qu'un moyen : bloquer le traité transatlantique jusqu'à ce que tout le monde s'accorde sur une réforme monétaire. Il n'y a pas de réflexions sur les échanges de biens et services qui ne doivent s'accompagner d'une réflexion sur la monnaie.

Les affaires économiques du monde sont bien trop importantes pour les confier plus longtemps à des universitaires américains.

Ce qu'on disait en 1947.

"L’Europe qui s’était relevé rapidement des dévastations de la guerre voit aujourd’hui les conditions de son économie dangereusement compromises. Les répercussions de cette situation s’étendent à tous les secteurs de l’économie mondiale. Le rapport que nous vous soumettons aujourd’hui prouve qu’un remède est possible au mal si profond qui, à des degrés divers, atteint toutes les nations européennes. Ce remède doit être recherché avant tout dans l’effort individuel et collectif de ces nations […]. Considérant cette situation grave, les 16 pays européens ont pris un certain nombre d’engagements de coopération mutuelle, compte dûment tenu des engagements de même nature pris par les autres pays participants. Ils visent notamment les trois domaines suivants : production, stabilisation économique et monétaire intérieure, coopération européenne."

 Ce texte est d'Hervé Alphand, un des maîtres d’œuvre des Accords de Bretton Woods (il en était le négociateur avec Istel), Pierre Mendès France venant représenter le pouvoir politique du Gouvernement provisoire que de Gaulle avait fini par présider après avoir éliminé le général Giraud contre l'avis des Américains. Il énonce les conclusions d'une conférence internationale préparatoire du Plan Marshall.

Il est symptomatique de plusieurs conceptions :

 - Le sentiment que l'urgence de la reconstruction est derrière la France et les pays européens en 1947. Ceux qui pensent que les trente glorieuses sont la conséquence de la reconstruction apprécieront.

- La certitude que l'économique et le monétaire vont ensemble. La conférence de Bretton Woods concerne la reconstruction d'un cadre économique et monétaire pour la reprise des échanges commerciaux internationaux. Ce n'est pas une conférence monétaire comme l'histoire en a simplifié les objectifs. Cette règle de concomitance a été perdue. Pas de commerce sain sans une monnaie saine.

- L'obligation de la coopération d'abord en Europe mais aussi dans le monde : le texte est préparatoire au plan Marshall.

- Le souci de la production et pas de la "création de valeur". On veut du pain et de l'acier, de l'électricité et des vaches, du logement et des voitures, de la productivité partout.

- La diplomatie de la prospérité est le fait des ambassadeurs, pas des gouverneurs de banques centrales.

 

Ces conceptions aboutiront aussi à cette certitude que les forts doivent aider les faibles. La politique de Roosevelt et Cordell Hull était de détruire les empires européens (l'empire allemand étant par terre, il restait à détruire les empires anglais et français, notamment en imposant la décolonisation). Le plan de Morgenthau et de son adjoint White (qui dominera la conférence de Bretton Woods) était virulent sur ces destructions. La haine de Roosevelt contre de Gaulle provenait d'abord de ce souci de ne pas revoir la France jouer un rôle quelconque sinon de vassal édenté. Cette posture finira par céder à la nécessité de la collaboration pour sortir le monde de sa géhenne. Bien sûr, il y a des zones intéressées dans le plan Marshall : les Etats-Unis ont compris que le commerce ne repartirait pas et serait "mauvais pour la nation américaine" si la concentration des richesses aux Etats-Unis était maintenue (75 % environ de l'or monétaire mondial était encore à Fort Knox en 1947).

 Ces leçons devraient être encore totalement actuelles.

 - L'organisation et la bonne gouvernance comptent.

- La coopération internationale compte

- Le monétaire va avec le commercial

- Les marchés ne peuvent rien dans des cadres financiers et productifs totalement désorganisés

- Prêts et dons vont ensemble pour sortir d'un mauvais pas.

- Il faut produire, d'abord produire.

 Elles ne le sont plus.

 Tout est désarticulé et non coopératif sauf pour s'enfoncer dans le malthusianisme anti-productif dont la COP21 est le symbole.

La banque de dépôt en pleine tourmente

La bancarisation, c'est-à-dire la généralisation du compte chèque en banque, est une innovation finalement très récente. En France la massification a lieu au début des années soixante. l’Etat français, toujours dirigiste, et où les hauts fonctionnaires dominent la banque (les banques de dépôts sont nationalisées), fera tout pour accélérer le phénomène, d'une part pour garder sous la main les avoirs liquides des Français et les convoyer vers le financement des besoins publics, d'autre part pour surveiller les transactions et faciliter le contrôle fiscal. La nationalisation a conduit à créer des oligopoles bancaires puissants. Une poignée de banques voient plus des deux tiers du revenu défiler dans leurs comptes chaque fin de mois. Sans que les électeurs français s'en rendent vraiment compte, on les a forcés à utiliser des comptes bancaires, en donnant aux banques un pouvoir coercitif délirant sur les déposants.

Avant la massification bancaire, le pacte entre le déposant et la banque était simple.

"Tu mets à ma disposition ta trésorerie gratuitement. Je l'utilise à ma convenance, tout en m'engageant à te la rendre à la première demande. En contrepartie tout est gratuit. Je fais mon affaire de la sécurité des fonds confiés (plus besoin de coffres et de bas de laine sous le matelas) ; J'assure à ta demande tous les paiements, par chèque et virement ; je mets à ta disposition des points de fourniture de liquidité un peu partout, gratuit sur le territoire national. Mon avantage en tant que banque : j'accède à une trésorerie récurrente à un coût inférieur au taux d'emprunt du marché monétaire. La marge que je fais sur mes activités de prêts gagés sur cette trésorerie me permet d'assurer la gratuité".

Pour simplifier, la justification, pour le déposant qui perd et la propriété et le fructus de son avoir en contrepartie d'une créance sur la banque ne portant aucun intérêt, est la gratuité des services bancaires courants.

Ce pacte est désormais complètement démoli. La banque dite de dépôt a conservé les privilèges extravagant de disposer du bien d'autrui à sa guise sans rémunération, mais de surcroît, elle a obtenu de l'Etat de mettre fin à la gratuité des services de paiements qu'elle assurait gratuitement précédemment.

On a d'abord vu la quasi-totalité des opérations bancaires devenir payantes, à l'exception du chèque, malgré un lobbying permanent, et tout soudain, on y a ajouté une disposition scandaleuse : la possibilité d'imposer une commission de tenue de compte. Le compte bancaire est rendu obligatoire par la loi, et on y associe une rente pour la banque à sa seule discrétion. Ce qui revient à rendre obligatoire une taxation sur ces avoirs liquides, un énième impôt sur le capital, cette fois-ci portant sur tout le monde y compris les moins fortunés. Oui, le forfait de tenue de comptes est aussi un impôt sur les pauvres.

La mesure est d'autant plus scandaleuse que les banques dites de dépôts ont été déspécialisées. On leur a permis toutes les opérations bancaires, y compris les plus risquées. on a déjà vu sur ce blog que cette déspécialisation, dans l'ambiance pétainiste d'organisation du "fascio" bancaire depuis l'Etat Français, a permis le développement ahurissant de tous les conflits d'intérêts au profit de la banque. Et une prise de risque de plus en plus grande, mettant en danger l'obligation des banques de restituer l'argent sur simple demande.

Il est vrai qu'on ne peut plus vider un compte que dans un autre compte ; il faut une carte bancaire pour sortir du liquide et les montants sont plafonnés. Les banques font souscrire une carte de paiement payante pour que vous puissiez accéder à une fraction de votre avoir ! Il faut hurler et attendre pour obtenir une carte gratuite. Vous ne pouvez plus transporter des sommes en liquides importantes, ni payer en liquide des achats importants. On a supprimé quasiment en France l'usage des coupures de 500 euros. Haro sur les billets "de banque".

Le fascio des banques tente par tous les moyens d'éviter l'usage du chèque, la dernière opération gratuite. Le télépaiement par terminal, fixe ou mobile, est le seul favorisé.

Au final, il ne restera comme opération sur les comptes bancaires que des virements électroniques dont le coût marginal est très faible.

Le coût de gestion des comptes bancaires est donc de moins en moins cher au moment où il devient entièrement payant. La gestion de compte (conservation, comptabilité des opérations, opérations d'encaissement et de paiement) devient une simple activité de service rémunérée et un centre de profit.

Pourquoi conserver à la banque le droit d'utiliser les fonds à sa guise et de récupérer le fructus des liquidités du déposant ? On ajoute un second centre de profit au second, tout en sachant que ce second poste de profit fait courir un risque aux fonds déposés. Ce risque et d'autant plus grand aujourd'hui que les accords récents sur le transfert de la surveillance des banques "systémiques" à la BCE se sont accompagné de la fin de la garantie d'Etat des dépôts. Rappelons que cette garantie d'Etat a permis, aux Etats-Unis en 1934, de mettre fin à la cascade des faillites de banques qui régénérait la crise économique de mois en mois. La création du FDIC (Federal Déposit Insurance Company) a arrêté la course sans fin dans l'abîme de la déflation.

Nous sommes donc en pleine contradiction.

L’Etat impose aux citoyens le compte bancaire et conforte toutes les exigences du fascio bancaire pour limiter et même interdire l'emploi de billets. Il transfère intégralement le fructus de la liquidité nationale aux banques tout en mettant fin à la gratuité. Il permet aux banques de spéculer à tout va, dans le monde entier. Et il supprime la garantie des dépôts ! Il a même fait mieux, puisque depuis 1973, merci Giscard, le Trésor public ne peut emprunter qu'auprès des banques.

Avec le QE mis en place par la BCE, les banques européennes empruntent gratuitement et prêtent avec intérêt au trésor. Le seigneuriage, privilège d'Etat, a été transféré aux banques, qui font un profit facile : il faut un gestionnaire et un comptable pour emprunter à la BCE à prêter à l'Etat. Qui dit que certains secteurs bancaires ne sont pas productifs !

Les banques ont donc réussi :

- à avoir le beurre et l'argent du beurre sur les opérations avec les citoyens

- à avoir tout le beurre sur les opérations avec l'Etat.

En prime, elles sont en faillite virtuelle, car l'endettement global est tellement supérieur à la production (dans un rapport de 1 à 4) fait que la valeur affichée des "actifs" contrepartie des crédits est largement imaginaire et dépends uniquement des injections de liquidité de la banque centrale.

Huit ans après le déclenchement de la crise (le blocage du système interbancaire en France en juillet 2007), la BCE est contrainte de relancer son QE, car la banquise de dettes est telle qu'elle continue de s'effondrer en provoquant une pression déflationniste catastrophique.

Juncker, le Président de l'Union Européenne (et non de la zone Euro) a déclaré vouloir prendre l'initiative d'une nouvelle garantie européenne des dépôts bancaires. Il a bien compris que l'accord précédent sur la centralisation du contrôle à la BCE était bancal, chose que nous ne cessons de dire sur ce blog.

Au total les contradictions internes, comme diraient les marxistes orthodoxes, se sont amplifiées à des niveaux inconnus jusqu'ici, pour aboutir au viol de tous les pactes antérieurs et à une situation ubuesque.

Il devient indispensable de mettre de l'ordre dans tout ce bazar, non pas en fonction des intérêts des lobbys, et notamment du fascio bancaire français, mais de la rationalité économique globale.

Trois mesures s'imposent immédiatement.

1. Il faut reconnaître l'autonomie de la gestion des comptes de liquidité. Le concept de banque de paiement que nous portons depuis des lustres, doit entrer dans les faits. Une banque de paiement est une société de services qui assure la tenue de compte et les services de paiement associés, en contrepartie d'une rémunération spécifique. Le déposant reste propriétaire des fonds déposés. S'il veut faire prospérer sa liquidité, il la prête explicitement à des banques de crédit, ou tout organisme de collecte de fonds à investir. La banque de dépôt, ce machin bizarre et dangereux, disparaît, au profit de deux types de banques distincts : la banque de paiement et la banque de crédit. Les gains de productivité permis par la numérisation des transferts bancaires, sont transférés aux clients via une concurrence saine. Les dépôts sont sécurisés, puisque non placés à la discrétion des banques. Il n'y a donc pas de garantie d'état à prévoir.

2. Les banques de crédit doivent être distinguées des banques d'investissement. L'argent servant à des opérations risquées doit être collecté dans des conditions spécifiques. Seules les banques de crédit sont bénéficiaires de la réassurance de la banque centrale.

3. Le seigneuriage doit être restitué à l'Etat.

Dans un tel cadre la logique des opérations est claire et leur dynamique est assurée.

Les banques de paiements étant des sociétés de services peuvent se globaliser sans difficulté, sous réserve des règles d'une concurrence sévèrement contrôlées. Le progrès technique peut jouer à plein.

L'activité de crédit peut se spécialiser et d'organiser dans la sécurité. On peut facilement vérifier que les prêts longs sont associés à des financements longs. On limitera ainsi une dangereuse transformation d'épargne courte en prêts longs.

L’Etat, fortement endetté, bénéficie du seigneuriage pour se désendetter sans frais abusifs.

En même temps on liquide, en France, le fascio bancaire voulu par Pétain et le fascisme français sous botte nazie.

On sort d'un n'importe quoi organisationnel et moral, aggravé par la crise, la mondialisation, l'évolution technologique, et les contradictions institutionnelles entre zone Euro et Union Européenne.

Didier Dufau pour le Cercle des Économistes E-toile

Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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