Deux leçons perdues des accords de Bretton-Woods
Il faut relire les minutes de la conférence de Bretton-Woods qui en juillet 1944 tenta de fixer les règles du jeu économique de l’après-guerre, sous la bienveillante férule américaine.
Quelles étaient les deux idées clés que tous les participants avaient en tête et qui ne faisaient aucune discussion, à la lueur des difficultés de l’Entre-deux-guerres.
La première était que le commerce ne pouvait aller sans la monnaie. Pas de prospérité sans bonne monnaie disaient les premiers économistes ; pas de prospérité internationale du commerce sans un bon système international de paiement pensaient tous les délégués à la conférence de l’été 44.
Aujourd’hui, les deux mondes sont disjoints. La monnaie est l’affaire des Trésors nationaux et des banques centrales. Le commerce est l’affaire de conférences et de traités gérés par d’autres entités.
Cette disjonction est coupable. Aujourd’hui on négocie un traité transatlantique sans même se rendre compte que le commerce international a littéralement implosé en 2008 du fait des défauts du système monétaire international. Dans l’esprit des participants à Bretton-Woods cette attitude serait incompréhensible. L’expérience de 2008 nous démontre à nouveau qu’il faudrait associer un tel traité à une refondation du système monétaire puisque ce dernier a été la cause de la ruine récente du commerce international.
La seconde idée clé est qu’il fallait proscrire les grands déficits et les grands excédents, cause des difficultés des deux décennies précédentes. On comprend facilement pourquoi : un gros déficit implique un replacement des monnaies reçues en excédent, tout en justifiant une hausse des crédits internes ; la double pyramide des crédits s’autoalimente jusqu’à l’explosion finale. Les plans proposés allaient très loin dans le sens de la pénalisation et des excédents et des déficits.
Ce n’était pas si facile à faire admettre aux pays excédentaires : l’excédent est vécu comme une vertu et la marque d’une supériorité, alors que l’excédent est en fait la prevue d’une valeur sous-évaluée de la devise du pays en excédent constant. Les Etats Unis se voyaient alors comme structurellement excédentaires, et refusaient jusqu’à l’idée d’être pénalisés. Les pays en déficit considéraient que la pénalisation de leurs déficits cumulerait leurs charges.
Tout le monde se mit d’accord sur un système qui interdisait les grands déficits et les grands excédents, qui permettait aux pays déficitaires de revenir dans les clous par une dévaluation contrôlée, mais n’imposait pas grand-chose aux pays excédentaires. En même temps les Accords firent de la monnaie américaine le pivot du système, ce qui était une grave erreur. Cette dissymétrie finira par faire exploser le système de Bretton Woods.
Si on reprenait aujourd’hui un travail de concorde internationale autour du commerce et de la monnaie sur la base de la philosophie de 1944, on traiterait en même temps des balances commerciales et des balances de paiements, en même temps des ouvertures commerciales et de la stabilité du système monétaire, et on créerait un système qui interdise totalement les doubles pyramides de crédits.
Un tel système aurait du être envisagé après la crise de 92-93. Le recul était suffisant pour bien mettre en lumière la croissance de l’endettement global par la double hélice de crédits alimentée par les déficits et les excédents majeurs, son effet sur la croissance et la gravité des crises périodiques de crédit. L’Allemagne dès 74 et le Japon, 20 ans plus tard, avaient vu leur encaisse accumulée ruinée.
Si les Etats-unis avaient compris à ce moment là que les conditions politiques d’un retour à un système monétaire organisé étaient réunies, et qu’il était indispensable à un moment où des centaines de millions de travailleurs potentiels sortaient de la géhenne communiste, nous n’en serions pas là. Il était plus qu’indispensable que la Chine et les pays du bloc soviétique ne profitent pas de l’abîme des salaires entre eux et les pays non ruinés par le communisme pour accumuler des excédents de balance de paiement hors de proportion et accélèrent le mouvement de la double hélice de crédits d’une façon incontrôlable.
L’obligation de respecter certains maxima d’excédents aurait bridé l’excès sans empêcher l’essentiel. Et si la Chine n’avait pas souhaité respecter ces limites, des droits de douanes auraient fait l’affaire. Les tenants des changes flottants ont totalement contredit leur doctrine : ils ont accepté que le Yuan soit fixé administrativement à la valeur du dollar, tout en ouvrant toutes les vannes des mouvements de marchandises et de capitaux. Ils affirment vingt cinq ans plus tard et une crise gigantesque sur les bras, que le Yuan va bientôt flotter comme toutes les monnaies et que cela va être parfait, niant toute l’expérience accumulée avec l’Allemagne et le Japon.
La seule vraie solution est de remettre au goût du jour les deux seules vérités économiques de base que l’on a oublié depuis Bretton Woods. Les Etats doivent être responsables de l’équilibre de leurs balances commerciale et financière. Des échanges de marchandises déséquilibrés, avec des monnaies déconnectée et rendues folles par les spéculations des capitaux flottants, doivent être proscrits. Ce sont les seules idées utiles à la reconstruction d’un monde prospère. Croire qu’en accélérant encore toutes les ouvertures économiques, dans un monde où les Etats ne sont plus responsables de rien, mais contrôlent tout, et suivent des politiques divergentes et non collaboratives, tout en contraignant lourdement le système bancaire, afin d’étouffer l’amplificateur de crédits, est une absurdité qui se paie d’un chômage massif et d’une stagnation générale sur fond de tensions belliqueuses en interne comme en externe.
Il faut remplacer le « consensus de Washington » par un « consensus de Bretton Woods », avec évidemment les modernisations et les améliorations permises par la compréhension des difficultés cumulées depuis la guerre. Faute de l’avoir fait au bon moment, on eût la faillite de LTCM, la crise des pays émergents, la récession du début des années 2000, la rechute de 2003, la crise des subprimes puis l’explosion du système en 2008. Il n’a pas fallu 15 ans pour que toutes les illusions s’évaporent. Malheureusement les idées forces qui ont mené au désastre n’ont pas été remises en cause.
Depuis on vit entre urgence et panique dans les mesures d’exceptions, en violant tous les jours la doxa, tout en ne changeant rien au système idéologique et organisationnel qui a créé la crise.
Il serait peut-être temps de sortir des conceptions fausses qui sous-tendent depuis 1973 une organisation clairement dysfonctionnelle et qui a mené au désastre.
C’est la période des vœux !
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.


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