Un début de révolte des économistes officiels ?

La présente réflexion est née d'une remarque entendue sur une chaîne de télévision. Un économiste qui monte dans les médias, un certain Daniel Cohen, expliquait doctement que la grande différence entre la crise de 29 et la récession actuelle tenait au fait qu'à l'époque on ne comprenait pas la crise, donc on faisait n'importe quoi, alors qu'aujourd'hui on connait les causes de la crise et que malgré tout on persiste à ne pas faire ce qu'il faudrait.

De même qu'on a les "motards en colère" il va bientôt surgir  du côté de l'économie officielle des "économistes en colère".  Comme nous le sommes nous-mêmes quelque peu devenus, en colère, cela pourrait nous aller très bien.

Sauf qu'on sait que les économistes tenant des postes universitaires n'ont pas prévu la crise et certains ont même nié qu'elle fut en train de se former. Il faut y regarder à deux fois, lorsqu'ils s'expriment. Il apparait alors que la phrase en question est sujette à caution et n'est confortée par rien.

Il n'est pas du tout vrai que la science économique ait, maintenant, compris les causes de la crise de 1929.  Pour avoir dépouillé toute la littérature correspondante lors de la rédaction d'une thèse de doctorat, je peux même affirmer que la crise de 1929 est une grande incomprise. Comme aujourd'hui où les sots croient avoir tout dit de la crise  en évoquant les subprimes et les contrats bancaires compliqués, les analystes de l'époque ont réagi à des aspects symptomatiques mais ont rarement été jusqu'au bout de l'explication.   

La vulgate keynésienne est venue bien plus tard de même que les critiques de Milton Friedman sur le comportement de la FED. Elles n'ont pas permis d'apporter une explication de la crise mais souligné des erreurs de politiques économiques. Keynes a montré que l'inaction donnait du champ à un mécanisme auto entretenu de récession. Milton Friedman a expliqué que la FED aurait du lâcher la création monétaire au lieu de la restreindre. Toute le monde a compris que les dévaluations compétitives entraînaient l'ensemble du monde dans une guerre économique stérile. Bref, on a tiré les leçons de la crise : importance de ne pas étouffer la demande ; offre de monnaie abondante ; coopération internationale ; stabilité monétaire  avec quelques souplesses. Cela donnera le système de Bretton-Woods et les trente glorieuses, jusqu'à ce qu'on le démonte à partir de 1971 pour un système dangereux qui montre tous les jours sa nocivité.   

En revanche pourquoi la crise de 1929 avait-elle pris initialement cette ampleur dépassant les effets habituels du cycle ? Là, c'est le grand silence.

Peut-on avancer une explication ?  La nôtre est simple : la guerre de 1914 avait fait sauter le système de l'étalon-or, le seul dont la vulgate soit connue et dominante dans le monde des dirigeants (du moins une petite partie)  et des économistes. Des masses de dettes immenses avaient été émises. La planche à billets avait fonctionné à plein régime. Partout. Les Etats-Unis avaient centralisé la richesse du monde. Les empires français et britannique étaient frappés au cœur, même si personne n'en avait conscience.

Les tentatives de restauration d'un système monétaire international avaient toutes échoué. On vivait dans une espèce de n'importe quoi avec un Gold exchange standard à deux monnaies. La France avait, avec Poincaré, établit sa monnaie sur une base dévaluée très profitable. Winston Churchill et les conservateurs anglais avaient fait l'inverse : la Livre était surévaluée. Les Allemands avaient connu une hyper inflation destructrice qui avait provoqué la révolution spartakiste puis la montée d'Hitler. Ils ne payaient plus leurs dettes.  Les capitaux étaient drainés vers les Etats Unis. Un phénomène de double hélice de crédits, très bien décrit par J. Rueff s'était mis en place. Au bout d'un moment la bulle de crédits a explosé, entraînant le monde dans la récession.

Les erreurs sont alors venues. La théorie économique correspondant à une système monétaire de Gold exchange standard n'était pas disponible (elle ne l'est toujours pas). On raisonnait avec la théorie du système d'avant qui n'existait plus. On a de ce fait commis des erreurs qui ont en effet transformé une crise systémique mais maîtrisable en drame mondial de longue durée.

Quelles différences avec la situation d'aujourd'hui ?  Il suffit de lire les écrits des uns et des autres pour constater que les causes de la crise ne sont pas comprises, à l'instar des racines de celle de 29.  Si la totalité des économistes officiels, dans les agences économiques de l'état ou à l'université, a oublié de prévoir la crise, ce n'est pas sans raison. Ces économistes n'ont pas voulu comprendre malgré les avertissements, notamment de Maurice Allais (et des nôtres…) , que le nouveau système monétaire international fondé sur des monnaies internationales de papier, gérées par des organismes "indépendants", et dont le change flotte au gré des pulsions de mouvements de capitaux totalement libérés, ne marchait pas et conduisait à l'abîme.

La focalisation des raisonnements sur des artefacts secondaires comme les subprimes, les contrats complexes, les bonus,  au lieu de se concentrer sur les mécanismes essentiels, prouve que contrairement aux affirmations de M. D. Cohen, les économistes en charge officielle n'ont toujours rien compris. Comme en 1929.

Et comme en 1929 les erreurs s'enchaînent parce que la vulgate appliquée est en contradiction avec la nouvelle réalité. Dès la crise de 74 il était clair, notamment en France, que la double solution d'une relance "keynésienne" et d'une ouverture des robinets de la Banque de France était devenue inefficace.  En système de changes flottants, cela ne marche pas. On a tenté le coup à nouveau en 2008-2009 : on voit le résultat.  

Oui, on peut-être en colère. D'abord contre les économistes taiseux qui refusent de voir les réalités et de fournir des éléments permettant de mettre en place des correctifs. Ils n'ont pas vu s'accumuler les nuages noirs ; ils ont été surpris par l'ouragan ; ils ne comprennent toujours pas la situation et ils réagissent par réflexes ou par postures.

Grâce à leur incompétence la crise dure depuis 2007 sans que les grandes mesures utiles ne soient prises faute d'une explication rationnelle et fondée des défauts du système monétaire international.

Sans surprise on a vu le gros de ce troupeau d'incapables se regrouper dans des coteries politiques pour survivre professionnellement et financièrement  aux risques que leur fait courir leur propre carence. Les voilà cachés sous le parapluie Hollande, après avoir cueilli pendant des années les grasses rétributions que leur offrait le secteur bancaire. "Vive l'Europe ! Vive l'impôt ! Morts aux riches" ! Mais que les banques étaient sympas !

Ce petit marigot n'est pas à la hauteur de la crise. Mieux vaut mépriser et regarder la "big picture" : comment faire bouger les instances internationales et notamment le G.20 ? Comment faire comprendre que la poursuite et l'aggravation de la crise 5 ans après son démarrage fin juillet 2007, provient de l'énorme erreur de diagnostic faite lors des G.20 de 2008 et 2009 ? 

Qu'on ne dise pas que nous sommes devenus clairvoyants  après la bataille : nous ne faisons que répéter les mêmes choses depuis 5 ans.  On lira avec profit  sur ce blog par exemple ces trois articles du premier trimestre 2009, trois ans déjà :

* Le faux précédent de 1929  ou comment gagner la guerre d'avant en perdant la guerre en cours.

 http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/1/7/Le-faux-prcdent-de-1929-ou-comment-gagner-la-guerre-davant-et-perdre-la-guerre-en-cours

* La crise s'approfondit : pourquoi ?

http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/2/26/La-crise-sapprofondit--pourquoi-

* Un pari très dangereux

http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/4/3/G20--un-pari-trs-dangereux

Le nouveau traité européen nous mène nulle part. Certaines de ses clauses sont carrément intolérables. Le rythme de remboursement de la dette est absurde ; l'obligation de passer sous les fourches de la Commission une grave erreur (il fallait de la souplesse et une organisation ad hoc). Tout cela est tellement rigide et attentatoire à la plus élémentaire souveraineté que cela ne peut mener qu'à des désordres encore plus graves. L'objectif "de rassurer les marchés" est inepte.

On ne gère pas une telle crise avec des traités de ce genre. Il faut un pilote et qui sache conduire une politique monétaire de longue durée en agissant sur toutes les manettes, changes, monnaie, budget, contrôle des capitaux et capable de négocier une réforme du système monétaire international.  

Nous avons toujours affirmé qu'il y aurait une crise sévère mais nous avons inlassablement refusé d'utiliser le mot dépression. Nous ne la pensions possible qu'en cas d'erreurs répétées des gouvernants.

Les erreurs sont là. La dégelée fiscale et le très clivant discours anti-riche de Hollande, associés à son absence de toute réforme d'envergure de la dépense publique et à son choix de laisser filer les dépenses régionales et locales jusqu'aux élections municipales,  a arrêté net l'économie marchande du pays tout en laissant filer l'économie publique, rendant impossible l'atteinte des objectifs affichés.  

Le vol du patrimoine des Français en capacité d'investir est une voie sans issue sinon d'autres vols encore plus radicaux. Le capital ne sera plus disponible au moment d'une éventuelle reprise mondiale. Tout paysan sait qu'il ne doit pas manger ou vendre ses semences s'il veut une récolte dans le futur. En quatre mois l'espoir d'une sortie de crise a disparu et le risque d'une vraie dépression apparu.

Mettre à la tête de la France un énarque fonctionnaire qui, étudiant, était membre de l'UNEF-Renouveau, communiste (pas socialiste, communiste), et aux finances, un énarque fonctionnaire fils d'une famille d'Europe centrale baignant traditionnellement dans le communisme (pas le socialisme, le communisme), avec comme premier ministre un prof d'allemand falot dont la pointure économique est ce qu'on imagine, était la garantie d'une grande politique économique.

On est passé en quatre mois du discours électoral si intelligent : "Il n'y a pas de crise, seulement le sous-Le Pen Sarkozy, président des riches" au si intelligent  programme de gouvernement : "La crise existe ; c'est la faute à la droite fascisante, on va faire payer les riches et les entreprises".

On aura donc une année 2013 sinistre avec un décrochage définitif des opinions publiques. Une situation qui n'est pas sans risques.

Ce n'est pas la colère des économistes officiels  qu'il faut craindre et notamment pas celle des économistes universitaires qui n'ont rien vu venir. Mais le désespoir de la Nation.  

Cercle des économistes e-toile

Commentaire
Philon's Gravatar Remarquable analyse qui montre sa valeur six mois plus tard. Ce qu'on aurait aimé savoir c'est la nature des institutions que vous proposez de créer, les principes d'organisation qui vont avec et la politique à suivre.

Très bon site que je découvre avec un grand intérêt.
# Posté par Philon | 10/02/13 12:17
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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