Le livre d’Aude Lancelin : plongée profonde chez les journalistes morts-vivants.

Par atavisme familial, nous sommes attentifs au destin des femmes de lettres ayant réussi à monter au plus haut de la hiérarchie de la presse pour s’en voir débarquer sans ménagement par des mâles expéditifs lorsque des évènements trop grands pour eux venaient ébranler leur fragile empire. En général, rode toujours dans le décor une histoire de relation amoureuse inappropriée. Aude Lancelin a choisi de s’unir à Frédéric Lordon. Elle a risqué une position assise à passer ses nuits debout. Ils ne l’ont pas raté.

Il est toujours dangereux d’être indélicat avec les belles plumes. Nicolas Sarkozy en a fait la preuve avec Patrick Buisson. Xavier Niel le découvre à son tour avec Madame l’Agrégée de Service.  « Le Monde Libre » (Les liens qui libèrent - ISBN 979 10 209 0460 7) est bien plus qu’une dénonciation, bien plus qu’un règlement de compte. Exactement comme l’est « La Cause du Peuple ».

Dans un cas comme dans l’autre les auteurs décrivent  une plongée documentée dans le néant. Pour Patrick Buisson, l’effondrement dans le n’importe quoi de Nicolas Sarkozy portait jugement  sur les tourments d’une droite fonctionnant comme un canard sans tête et qui se serait tiré, de surcroît plusieurs balles dans les deux pieds.  Chez Aude Lancelin, on exécute aussi un mort : le socialisme moralisateur de média, dont le mausolée fissuré a été acheté par un pornographe enrichi naguère par le Minitel Rose, et où ne s’agitent plus  qu’une bande d’opportunistes toujours plus serviles.

Autres éléments communs :

-          Tous les deux étaient bien nourris dans le fromage, avant qu’on les en extirpe.

-          Tous les deux ont mal vécu d’être éliminés sans égards particuliers, avec même, de la part des anciens employeurs, une volonté de tuer pour longtemps voire pour toujours.

-          Tous les deux ont une dilection particulière pour les extrêmes. Aude trouve des qualités de la délicatesse aux manières et à la pensée d’un Badiou, dont les deux pieds sont bien plantés dans la mare de sang des 100 millions de victimes du communisme. Patrick Buisson a une vision nationale catholique et pré-républicaine affirmée dont il est d’usage d’affirmer qu’elle tient plus de Maurras que de Barrès, à moins que ce soit l’inverse.  Que ces deux mondes soient morts pour de bonnes raisons n’influe pas sur ces engagements.

-          Tous les deux sont effarés par une mondialisation qui s’est faite sur le dos du peuple et en particulier d’une classe ouvrière nationale qui se trouve privée et d’emplois et de symboles.   

Patrick Buisson décrit un pouvoir d’apparence dirigé par un nain politique qui cherche des slogans démagogiques  et virevolte en fonction de l’idée qu’il se fait de l’état de l’opinion (et de la presse de gauche).

Aude Lancelin décrit un monde médiatique « de gôôôche » qui s’est éloigné du monde ouvrier depuis des lustres et qui s’est mis au service de la « globalisation atlantiste » et d’un PS complètement vidé de la moindre substance, où l’entre-soi  rigolard de pseudo journalistes compromis avec l’argent et le pouvoir est le véritable jeu. Ces social-traîtres ontologiques ont besoin d’un FN diabolisé pour faire semblant d’avoir un rôle moral, ajoutant l’indécence de l’imprécateur à la ruine des idées ouvriéristes, et se flattant d’avoir pris la France intellectuelle en otage, au nom d’un anti-fascisme fantasmé autant qu’intéressé.

Il va de soi que l’arrivée de la triplette tragique, formée du fameux milliardaire du sexe, d’un homosexuel argenté, enrichi dans la vente mondialisée d’objets d’un luxe parfaitement bourgeois, et d’un espoir de la grande banque juive, converti au rockabilly et poussé par l’inévitable Alain Minc, n’est pas pour rien dans l’effondrement de la presse écrite de gauche. Les milliardaires de la presse ne cherchent pas à trouver les nouvelles formes utiles de journalisme à l’heure d’Internet. Ils veulent conserver le pouvoir de nuisance nécessaire à leurs entrées dans les allées du pouvoir.   

On peut contester le roman à l’eau de rose qui voudrait qu’Hubert Beuve Méry ait été ce véritable Saint de référence  qui aurait créé une presse « libérée des corruptions de l’argent et des intrusions de l’Etat ». Après tout l’aventure avait commencé par un vol… cautionné par l’Etat d’alors.  

Mais comment ne pas être d’accord avec la phrase d’après : « le Monde Libre (nom de la coquille vide chargée d’agir au nom de la triplette -Ndlr)  c’était en fait le « monde free », du nom de l’entreprise de télécoms discount grâce à laquelle l’ogre avait bâti toute la fortune profuse qui lui permettait de racheter la presse nationale. Un monde réputé pour son insensibilité achevée au sort de ses salariés. Un monde où ces derniers n’existaient que comme variable d’ajustement  dans la course à l’optimisation des coûts qui était l’unique doctrine de l’ogre une fois retiré le vernis de sa saga entrepreneuriale enchantée ». « Il y avait désormais deux catégories  de journalistes à Paris. Ceux qui travaillaient pour le Monde Libre et ceux qui travaillerait un jour pour lui. Aussi, rares étaient les enquêteurs qui prenaient le risque de se fâcher avec l’ogre et de rappeler les différentes tâches qui figuraient sur son CV. Avant les parrains du CAC 40, l’ogre avait en effet surtout côtoyé les propriétaires de sex-shops de la rue Saint Denis et évolué dans le monde sans lustre des peep-shows. Le futur maître du Monde Libre avait été lourdement condamné en 2006 par le juge van Ruymbeke. Il souhait à toutes forces oublier ce passé qu’un océan d’argent entier n’était pas encore parvenu à laver». « Ce n’est que bien des années plus tard que l’on s’aperçut que l’ogre avait placé de l’argent dans la quasi totalité de la presse en ligne « indépendante » et que de fait celle-ci l’était rarement  dès lors qu’il s’agissait de publier le moindre renseignement gênant sur lui. »

Pour finir, la Reine Aude (dans ce milieu les femmes qui réussissent deviennent aussitôt des « reines », et Madame Lancelin eût un temps le même titre que la Reine Christine que son mariage avec un ex coco reconverti d’abord dans l’humanitaire bobo puis  dans la recherche frénétique d’une retraite élusive, avait porté au sommet de la presse télévisée avant de finir dans le discrédit) tient à mettre les derniers fils bien à nu. « Pour l’ogre qui œuvrait sur ce marché entièrement régulé par l’Etat, la qualité des rapports avec la puissance publique était primordiale. Une location de réseau non renouvelée et c’était toute son affaire de téléphonie mobile qui se serait écroulée ». Voici donc la presse devenue « un simple décor occultant de déshonorantes coulisses » et le journal «une de ces maisons centrales où l’on écrivait le mot liberté sur la grille d’entrée pour chaque jour mieux la saccager ». Voici le journalisme réduit à la seule fonction « de conforter les mensonges grégaires ».  Les rédacteurs en chef intouchables  sont « les hommes de paille de clans ministériels ou d’hommes d’affaires, exécuteurs scrupuleux des intentions de ceux-ci, propagateurs des bruits qu’ils souhaitent voir courir ». L’ogre ne se faisait pas prier pour fanfaronner à ce sujet assurant que depuis que ses associés et lui avaient pris la tête du groupe Le Monde, « il n’avait pas à attendre une demi journée pour être reçu à l’Elysée ».  Il faut dire qu’avec François Hollande le concubinage avec la presse était plus qu’un passe-temps, comme un livre récent et passablement dérangeant l’a si bien démontré.

Ma licence téléphonique contre ma complaisance à illustrer tes éléments de langage et soutenir tes ambitions mêmes totalement utopiques. Voilà le « deal » implicite. Mais il ne faut pas que cela coûte trop cher non plus sur un fond de social libéralisme atlantiste et pro-européen où le patriotisme devient un gros mot et le social une occasion de bien rigoler entre copains à chaque réunion du Siècle. La presse française n’est pas devenue muette. Mais elle accompagne le vide de slogans utiles à la promotion du capitalisme le plus vil ou la candidature d’ « hommes- sandwich »  dans le mépris de toute idée, de tout débat, de toute pensée.

Le livre d’Aude Lancelin mériterait d’être lu en même temps qu’un autre, à écrire, sur les chaînes de la TNT et leur mise au pas par un certain Drahi dont les capacités d’endettement sont aussi surprenantes que ses ambitions ne le sont pas : d’abord chasser de toute tribune la racaille socialiste pro-palestinienne. Contrôler le tuyau pour canaliser le contenu en fonction d’intérêts ou personnels ou propices à certaines influences est le maître mot de l’évolution vers le pire d’une presse ruinée par l’Internet. La puissance des grands intérêts mondiaux et leur capacité à vassaliser le forum interdisent tout débat. Et pousse sur le pavois politique des nullités commodes, heureux d’une carrière en apparence illustre mais qui s’apparente à l’art du ventriloque.

Du coup la France ne parle plus au monde. Sans idées ni débats, elle s’enfonce dans l’auto destruction, la régression économique accélérée, les séries américaines, la substitution de population,  la fiscalité confiscatoire, le chômage de masse, le n’importe quoi diplomatique, les attentats, la régression de la natalité, l’incapacité à résister aux forces étrangères et la soumission générale.

Malheureusement, chère Aude, l’avenir n’appartient pas aux Badiou, à Attac et aux nostalgiques du « socialisme génocidaire ». L’asservissement de la presse de gauche a été précédé par cinquante ans de servitude idéologique vis-à-vis du communisme et de ses mensonges, condamnés à la condition expresse « de ne pas faire le jeu de la réaction », contradiction qui s’est transformée en moralisme anti-fasciste mécanique et en affrontement sans cause entre un camp des bons autoproclamés et des vilains indéterminés. On est passé d’un faux semblant à un autre. D’un théâtre d’ombres à un autre. La réalité a cessé d’être l’objet des réflexions et des analyses au profit de la valorisation de camps fortifiés où devaient régner l’ordre de gardes roses capables d’adorer le lendemain ce qu’ils brûlaient la veille, pourvu que la meute puissent conserver son écu de chevalier du bien. Bien aussi incertain et capricieux que le sens de l’histoire.

Vous avez raison de constater, « aussi inouï que la chose paraisse », que l’Obs n’a réagi «ni à la ruine à grand spectacle du communisme, ni à la reddition  intime du socialisme, non plus qu’aux dérèglements désormais évidents de la mondialisation». C’est vrai de la totalité de la presse de gauche qui depuis longtemps ne se contente plus que d’affirmer sa supériorité morale autoproclamée  sans rien voir de la réalité, le tout grassement subventionné par de l’argent public, avec larges rétributions et honneurs pour les journalistes de cour et de réseaux qui régnent à sa tête.

Mais qu’a dit l’Obs quand les terribles avertissements de Maurice Allais sont venus expliquer « l’horreur économique » qui commençait à s’installer. Silence ou mépris, tels furent les réponses alternatives. Pas question de relayer des propos qui laissaient entendre que la libéralisation totale des marchés provoquerait du chômage de masse, ou que les changes flottants et l’abolition de toutes les règles prudentielles au profit d’une spéculation sans limite aboutiraient d’une façon nécessaire et mécanique à une nouvelle grande dépression suite à effondrement bancaire.  Déjà la transformation de l’éditorialiste en simple curé, Savonarole  d’autant plus excité que le dogme était plus incertain, s’était produite. Le roi du Minitel rose, des sex-shops et des peeps-show n’était pas encore dans la boucle.

Votre livre, chère Aude,  est des plus justes. L’asservissement de la presse de gauche est bien ce que vous en dites. Mais sa décrépitude avait commencé bien avant « la décadence du métier » et la « greffe néolibérale ». Les « opérations de police intellectuelle » y étaient déjà de règle depuis longtemps, de plus en plus loin de l’observation des réalités, de plus en plus loin des vrais débats, de plus en plus loin des questions qui fâchent.

L’avenir du journalisme n’est certainement pas dans le culte servile de parvenus de la pornographie et de la tuyauterie téléphonique associées, il ne l’est pas non plus dans la restauration d’un politiquement correct aigri de la religion communiste.  

Comme Patrick Buisson, vous cherchez l’avenir dans d’improbables restaurations qui n’auront pas lieu. « Le Monde Libre » comme « La Cause du Peuple » sont deux livres dont la lecture est indispensable en ce qu’ils nous donnent à voir l’incroyable décrépitude, et même la trahison,  des grandes institutions médiatiques et politiques françaises. Mais ni l’un ni l’autre ne proposent les métamorphoses nécessaires.

Le travail reste à faire.

Le CETA c'est assez !

Rien n’illustre mieux la dérive des institutions internationales depuis la fin des accords de Bretton Woods que le CETA, le traité de libre échange élargi entre l’Union Européenne et le Canada.  On dira : « que viennent faire ici des Accords qui ont été mis par terre par les Etats-Unis en 1971 ? ». La réponse et toute simple.

Les Accords de Bretton Woods avaient deux faces intimement mêlées : une face monétaire et une face commerciale. Comme la tête de Janus, ces deux faces formaient un tout. Pas de bon commerce sans bonne monnaie. Pas de bonne monnaie sans progrès des échanges.

Lorsque le pan monétaire s’est effondré en 71 et qu’on a abandonné au n’importe quoi le système monétaire international, tous les fonctionnaires internationaux et les économistes associés ont eu un peu honte. On entrait par soumission au Maître, dans un monde inconnu et probablement malsain puisque tous les manuels d’économie à cette date ridiculisaient les changes flottants comme un dispositif d’urgence, intrinsèquement dangereux et à n’utiliser que faute de mieux.

Les lois de l’évolution ont leur logique et la volonté de survie des organisations qui n’avaient strictement plus aucun sens, comme le FMI, créé pour réguler les changes fixes et empêcher les comportements récessionnistes, les a conduit à approfondir le contraire de ce qui les faisaient vivre jusque là. Adieu l’idée que la croissance et le plein emploi soient des responsabilités d’Etats responsables ! Adieu la surveillance des grands déséquilibres ! Après quelques années d’incertitudes, le marché est devenu une forme de bible et la globalisation l’évangile. Créer des marchés « libres et parfaits » est devenue  la mission dirimante

On a concédé aux banques pratiquement tous les bénéfices du seigneuriage, en interdisant aux Etats d’être financés directement par les banques centrales dont  la fonction de régulation  est devenue critique, toute récession ou menace de récession devenant une crise du manque de liquidité banque centrale. Tous les marchés financiers et monétaires ont été libérés, intégrés dans la stratégie de création monétaire des banques, et mondialisés. La suite était prévisible : les énormes déficits et excédents commerciaux ont provoqué des flux spéculatifs massifs et le développement incontrôlé d’énormes masses de dettes spéculatives ; les effondrements périodiques de plus en plus graves et l’arrêt progressif de la croissance, les investissements utiles étant éliminés au profit de l’alimentation d’une économie baudruche constamment plus proche de l’auto destruction. Celle-ci s’est produite en 2008.

Pour le commerce, il ne restait qu’à perfectionner les trois libertés de mouvements des marchandises, des capitaux et des personnes.

Les Etats-Unis n’avaient pas besoin du mouvement des personnes. C’est l’Europe qui s’y est collé, à l’initiative des fédéralistes européens, et d’abord de Delors et des siens. Le Brexit, principalement fondé sur le dégoût d’une immigration incontrôlable, a marqué l’échec définitif de cette utopie.

Restaient à mettre en œuvre les libertés financières et commerciales.

La crise de 2008 et son origine purement financière ont bloqué désormais tous les processus d’ouverture. Les Chypriotes se sont vus voler leurs dépôts. Les Grecs se sont retrouvés avec quelques dizaines d’euros accessibles sur leurs comptes. Aujourd’hui ce sont les contrats d’assurances vie qui sont menacés, l’Etat français se préparant à bloquer toutes les ventes si nécessaire. Il n’y a plus de liberté financière. Tout est cadenassé. Les banques à qui on avait concédé tout le seigneuriage ont en plus été dotées du moyen de taxer l’usage de comptes bancaires dont on imposait l’usage. C’est ainsi que la BNP ose envoyer à une association qui a 800 euros de cotisation par an, un courrier par lequel elle indique qu’elle prélèvera 40 euros de tenue de compte par mois. Pour le seul service d’encaissement des chèques  de cotisations, elle engouffrera la moitié des recettes de ladite association !    Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite. Tout cela pour compenser les taux d’intérêts négatifs de la BCE sur les dépôts obligatoires des banques ! Mesure prise pour essayer de sortir des effets délétères des milliers de milliards de pertes des banques emportées dans le maelstrom d’une économie baudruche !

Que reste-t-il à faire aux institutions internationales après l’abandon de Bretton Woods en 71 ? A perfectionner encore et encore le libre-échange des biens et des services, tout en évitant les sujets qui fâchent en se donnant les moyens de soigner leur image en reprenant tout le politiquement correct des ONG. A « l’énarchie compassionnelle » française correspond une « élitomanie compassionnelle » internationale.   

Au terme du processus et alors que les économies occidentales sont par terre, voici donc le CETA, le TAFTA, fariboles diplomatiques convenues  destinées à pousser les avantages de la massification commerciale et culturelle  au format américain.

Si l’Etat Français était encore debout avec un minimum de respect de lui-même, il aurait défini une doctrine sur ce que devrait être sa diplomatie économique extérieure et le Président de la République l’aurait exprimée à haute et intelligible voix.

Pas un mot. Ni des instances politiques, ni encore pire de la presse. Les Français ont découvert le CETA parce que les Wallons se faisaient insulter pour avoir demandé à voir si leurs exigences, formulées naguère, avaient été respectées.  Quand on dit qu’ils ont découvert le CETA, on veut dire l’enveloppe des accords. Parce que, pour le contenu, il n’y a pas de place dans les médias. Les candidats à l’élection primaire de la droite et du centre ne savent même pas ce qu’il y a dans l’accord. Il faut dire qu’il était interdit de le savoir pendant tout le cours des négociations. Et que de toute façon il est trop tard pour faire quoi que ce soit. L’accord est juste à enregistrer. 

Comme pour tous les textes européens, tous, absolument tous, une fois qu’ils ont suivi le processus plus ou moins secret, plus ou moins opaque, qui mène à une décision obscure, s’y opposer devient un acte d’hostilité à l’Union Européenne et assez rapidement  un retour à Hitler. Pas de politique ; pas de technique ; rien ! Sinon un torrent de moraline amorale qui vise à subjuguer et à interdire d’autorité toute réaction.  

La seule chose que l’on sache, c’est que des accords ont été pris dans le dos des peuples  et qu’ils les empêcheront de réagir aux conséquences. Car une fois signés, les accords sont définitivement hors du champ de la politique. Il faudrait l’unanimité des pays de l’Union ! Les Eurolâtres expliqueront que rien n’est la faute de l’Europe et que tous les maux  proviennent de l’attitude indécente des politiciens nationaux qui se dédouanent sur l’Europe de leurs propres péchés. Les souverainistes affirmeront qu’il faut retrouver tous les pouvoirs pour que simplement les problèmes soient posés officiellement et les solutions discutées au fond avant de laisser des négociateurs explorer quels sont les compromis possibles.

Aucun homme politique français ne sait si les accords du Ceta sont bons ou mauvais. Comment pourraient-ils le savoir ? Si le Président de la République se tait, ce n’est pas seulement parce qu’il est pris par ses conversations privées sur tout et rien avec des journalistes, mais aussi parce qu’il ne sait pratiquement rien d’un processus qui s’est joué dans son dos.  

Pour notre part, la vérité est ailleurs. On ne peut pas négocier des accords bilatéraux dans des matières commerciales sans discuter monnaie en même temps.

Ni Tafta, ni Ceta, sans réforme préalable du système monétaire international et sans diagnostic réel de l’effondrement des taux de croissance depuis 1971.  Cette attitude est l’acte fondateur d’une diplomatie de la prospérité. On ne peut parler de libre échange, qu’en précisant ce qui se passe si des déséquilibres majeurs se produisent et les moyens que l’on consent de mettre en œuvre pour les corriger. A quoi rime de baisser de 1 point des droits de douane lorsque le change de la monnaie d’un des pays peut perdre 10 ou 20% de sa valeur en un demi-milliardième de seconde ? A quoi sert d’ouvrir le négoce libre et sans entrave avec un pays ou une zone en très grand excédent ou déficit courant ?

Ce préalable levé, il faut comprendre que certaines formes de production et de consommation, voire d’activités ludiques  touchent à l’identité nationale, et que les règles ne sont ni techniques ni définies pour bloquer les produits étrangers, mais parce qu’elles comptent pour la nation, souvent depuis des lustres et n’ont aucune incidence européenne ou mondiale. Elles forment un corpus inentamable par des négociateurs apatrides. La pêche, la chasse, la tauromachie, les fromages ont été successivement en première ligne européenne et ont provoqué des traumatismes. Les gouvernants nationaux se sont retrouvés à découvert  à chaque fois et dans l’obligation de justifier des décisions qu’ils n’avaient jamais ni discutées ni même connues, les processus européens chevauchant parfois plusieurs  majorités successives.   

Avec le CETA comme le Tafta, les grandes entreprises notamment anglo-saxonnes et plus particulièrement américaines, entendent pouvoir, par des arbitrages extra-nationaux, vaincre en dehors des parlements des législations vues comme des obstacles à leur expansion. On n’est plus dans le libre échange, mais dans l’interdiction de légiférer dans des sphères où la législation nationale peut être considérée comme absolument légitime.

Ajoutons les attitudes ouvertement agressives comme l’autorisation donnée aux entreprises américaines de ne pas rapatrier leurs bénéfices mondiaux et de laisser leur trésorerie dans des paradis fiscaux, pour mieux vaincre leurs concurrents étrangers, en profitant de l’opportunisme de certains petits pays, et la mondialisation devient un objet de crainte et de mépris de la part des nations.  

Dans un pays comme la France où les pouvoirs du Président sont les plus étendus de la sphère démocratique,  son silence sur tous les sujets qui fâchent et son évaporation sur tout ce qui dépend de l’Europe et l’international,  revient à un véritable abandon de poste. Les candidats à la « présidentielle » devraient prendre la mesure de leurs futures responsabilités et avoir une claire conscience des difficultés que leur abstention peut provoquer.  La campagne électorale doit faire apparaître ce que sera la « diplomatie de la prospérité » de la France.

Plus largement, il faut que les institutions internationales se rendent compte que leur rôle n’est pas l’organisation du « village global » loin des peuples, dans le secret de leurs propres ambitions et dans la soumission aux lobbies américains.

Il faut associer les Etats, piliers des politiques économiques, dans un système structurellement coopératif, plutôt que d’essayer de dissoudre les Etats à demi ou totalement vassalisés par les Etats-Unis par des accords de libre-échange poussés jusqu’au sein du cœur de la légitimité nationale et  arbitrés par des tribunaux privés dans un système monétaire structurellement non coopératif.

Il faut ancrer à nouveau la politique internationale, en permettant une coopération multilatérale organisée sur la base de l’égalité des droits et des devoirs.

L’ancre la plus importante est la monnaie. Il faut revenir d’urgence à un système coopératif en matière monétaire internationale, basé sur les changes fixes et ajustables avec responsabilité des Etats sur leurs déficits et excédents. C’est la seule vraie priorité mondiale.

Un président de la République française digne de ce nom devrait avoir en tête cet article pivot de toute diplomatie de la prospérité. Et refuser tout nouvel accord international économique avant que ce précédent ait été levé.

C’est comme si c’était fait !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

En écoutant Christine Lagarde

Mme Lagarde, fraîchement réélue à la tête du FMI a présenté les résultats et les projets du FMI  en Séance plénière de l’Assemblée annuelle 2016 du FMI et de la Banque mondiale, à Washington, le 7 octobre 2016.

Rappelons que, peu avant, ses services ont produit un tableau fondamental démontrant que depuis 1971 le taux de croissance par tête s’était effondré progressivement partout pour atteindre désormais un niveau que l’on peut qualifier de stagnation durable.

Ce tableau dont nous avions donné différentes illustrations sur ce site depuis des années et finalement dans notre livre « l’Etrange désastre », justifie notre définition de la « crise » : phénomène durable qui voit la croissance s’effondrer peu à peu, les crises devenir de plus en plus dures et la dette globale s’envoler à des niveaux incontrôlables. Il est clair que le rôle du FMI est d’abord et avant tout de donner une explication de cette crise, préalable à toute suggestion de solution.  

On pouvait penser qu’en réunion plénière, la directrice générale du FMI allait donner enfin et cette explication et les mesures correctrices que le fonds propose.   Après un long délayage sur des questions secondaires, elle en vient en effet à la question clé : La coopération internationale et le rôle du FMI.

Et nous entendons ceci :

« Supposons que nous réussissions à réduire les inégalités économiques au sein des pays. Comment ferons-nous alors pour réduire les inégalités entre les pays. »

Il n’y a rien dans les statuts du FMI qui lui donne mission de lutter contre les inégalités internes ou externes. On retrouve la dérive « sœur Theresa » de l’institution depuis qu’elle a perdu son rôle initial : gérer les changes fixes en permettant des ajustements sans déflation.

« Les pays à faible revenu doivent disposer de recettes publiques plus abondantes et plus stables pour pouvoir investir dans les infrastructures, la santé et l’éducation. Renforcer les capacités dans ce domaine est pour eux une priorité. C’est aussi une priorité du FMI. Chaque année, nous aidons plus de 100 pays à accroître leurs recettes intérieures et nous répondons à une demande croissante. »

On comprend que le nouveau rôle du FMI est d’organiser la collecte des recettes publiques des pays en voie de développement. Là encore, on ne voit rien dans les statuts qui concerne ce sujet. S’il est vrai que  le FMI s’est fait une spécialité de mettre des camisoles de force fiscale en place dans les pays en difficulté de changes, c’était pour accompagner des prêts généreux évitant la déflation.  Le FMI n’est pas une société de conseil en prélèvements fiscaux.  

« Réduire les inégalités signifie aussi créer un dispositif mondial de sécurité financière plus solide pour aider les pays émergents et les pays en développement à mieux faire face à la volatilité. Il sera utile à cet égard de renforcer les instruments de prêt du FMI, et d’intensifier la coopération avec d’autres institutions régionales. »

 On ne voit pas le rapport en inégalité et la volatilité et le rôle du FMI sur ces sujets. Le meilleur moyen de mettre fin à la volatilité est de supprimer les changes flottants et de revenir à un système de changes fixes et ajustables par consensus. Là, pas un mot.  

« Nous avons intensifié nos travaux sur d’autres questions essentielles sur le plan macroéconomique telles que l’inclusion financière, la parité hommes-femmes, la corruption, les migrations et les changements climatiques ».

Aucun de ces sujets ne sont au cœur de la mission du FMI qui a pour but de faire respecter les grands équilibres de balances de paiements et de balances commerciales, en aidant les pays défaillants à revenir dans les clous. L’inclusion financière est du verbiage. Le bon mot est pauvreté. Et la pauvreté est l’affaire de la Banque Mondiale pas du FMI.  

Evidemment quand on se fait prendre en photos sur papier glacé comme la femme la plus puissante du monde et après avoir été nommée « parce qu’on était une femme », on comprend que la préoccupation de la « lutte des genres » soit prégnante dans son esprit.Mais en quoi cela concerne-t-il le système monétaire international ?  

La seule conclusion que l’on peut tirer de ce discours étrange, est que le FMI est toujours en perte totale d’identité et qu’il se cherche un rôle dans le politiquement correct, très ONG onusienne. Faute d’avoir un chef capable de diriger les réflexions vers la seule question qui compte, qui est l’explication de la crise globale et le moyen de la surmonter, nous avons une femme qui cherche à obtenir des effets d’image : le FMI devient une nurserie sympa, dirigée par une femme compassionnelle, pétrie d’humanisme ou mieux de gendrisme,  d’égalitarisme  et d’écologie.

« Voyez comme je suis belle en ce miroir ».

Quel économiste sérieux et quel homme d’Etat peut-il éviter de considérer cette farce comme totalement sinistre, alors que, justement, la Crise, elle, s’approfondit et que partout les sociétés se délitent et que les institutions multilatérales explosent à cause de la durée de cette crise ?  

En écoutant Claudia Buch

"Le comité scientifique consultatif du Comité européen du risque systémique a relevé de nombreux signes de surcapacités dans le secteur bancaire européen, en particulier une forte hausse du volume de crédit par rapport à la performance macroéconomique. En fin de compte, un secteur financier surdimensionné peut avoir une répercussion négative sur la croissance économique réelle."

Cette phrase, énoncée par la vice-présidente de la Bundesbank est tout à fait intéressante. Elle aurait pu être répétée tous les ans depuis 1971, c'est-à-dire depuis que l'on a dynamité tous les contrôles macroéconomiques des balances extérieures (commerce et paiements). L'économie mondiale est devenue une" économie baudruche" comme nous en avons fait la théorie pendant des lustres. De crises en crises, de baisse de croissance en baisse de croissance, d'endettement massif en endettement insoutenable, la baudruche a fini par exploser. Nous vivons dans un système non réformé et mis à plat par la dernière crise, entre perpétuation des anciens maux et épongeage des effets du collapsus de 2008.

Alors oui, chère Claudia, la baudruche recommence à se remplir, tout en fuyant de toute part. Mais là n'est pas l'important. Ce qu'on attend de vous c'est d'indiquer les causes au long cours de la situation. Et là vous êtes muette comme une carpe allemande par grand froid.

Votre constat serait important si vous ajoutiez : les excédents allemands alimentent une création monétaire malsaine par recyclage dans des circuits financiers non directement connectés à la production, des gains qui proviennent d'un excès de compétitivité prix. Alors vous pourriez ajouter qu'il faut prévoir en zone Euro des mécanismes de pénalisation de ces excédents. Les excédents seraient taxés et enlevés du système financier au profit de l'investissement productif dans les pays en perte de compétitivité. L'Allemagne aurait alors intérêt à relancer sa consommation, relever ses salaires, pousser ses importations intra-européennes, perdant en compétitivité mais faisant croître la prospérité générale sans imposer de lourde récession à ses partenaires.

Que Claudia Buch se souvienne des suggestions allemandes de chambre de compensation faite en été 1940. Bien sûr, c'était de sales nazis qui voulaient mettre en place un système dont ils espèrent tirer parti par la force en ne régularisant jamais leurs positions. Mais "une variante honnête" comme disait Keynes serait sans doute la meilleure solution aujourd'hui.

Pour couvrir le dispositif, chère Claudia Buch, il faudrait même aller un peu plus loin : imposer un système de ce genre à l'échelon mondial en proposant de taxer les grands déficits et les grands excédents. Du coup la politique européenne d'ajustement n'entraînerait plus de risques globaux.

Il ne faut pas seulement dire que le roi économique est nu. Il faut l'habiller.

Et la "fashion week" doit commencer au plus tôt aussi bien au sein des banques centrales que des grandes instances économiques internationales.

Qui peut ne pas être lassé de voir que le seul courage autorisé dans les instances dites "de régulation" est de dénoncer un fait sans jamais voir l'image globale ni proposer de solution.

D'accord si vous vous lanciez dans ce travail vous seriez virée dans la minute de votre poste. Mais vous êtes universitaire. Vous avez l'indépendance. Cela vaut tous les honneurs. Sans doute préférerez-vous une carrière du type de celle qu'a connu votre prédécesseur, Beatrice Weder di Mauro, dont la carrière a été éclatante mais entièrement dans les jupes américaines et n'a, pas plus que vous, osé s'attaquer aux questions qui fâchent et notamment celles qui mettraient en colère les maîtres de Washington.

Au-delà de son énoncé, la phrase de Claudia Buch met en lumière la manière dont les économistes sont soumis aux diktats américains. Le but de ces déclarations n'est pas de promouvoir les réformes nécessaires mais de contrer Mario Draghi qui est considéré par les Américains comme dangereux puisqu'il fait baisser l'Euro par rapport au dollar. Elle permet également de se valoriser par rapport au board de la Bundesbank qui prône un certain rigorisme, tout en admettant les énormes excédents allemands. le tout sous couvert d'examiner les risques systémiques pouvant toucher la finance.

Tout cela finit toujours par des invitations au Groupe Goldenberg, rassemblement des "élites politiquement compatibles avec l'idée américaine de la globalisation" et tremplin pour les plus belles affectations.

Il faudrait qu'en matière économique l'opportunisme atlantiste cède un peu la place à une réflexion de fond et des études de réformes un minimum sérieuses. Les nominations sur la base du "genre" et non de la compétence, aggravent encore les phénomènes traditionnels de soumission. On l'a vu avec la nomination de Mme Lagarde à la tête du FMI, "parce que c'était au tour des femmes". Aussitôt tout risque de pensée non conforme est bloqué pour des années.

Et l'économie baudruche perdure indéfiniment avec des discours de régulation qui, au mieux, ne servent que de cache-misère pour masquer le vide de toute réflexion approfondie sur des réformes de structure.

Vous avez dit "libéralisme" ?

Un des tics les plus agaçants de la presse française est l'emploi à tout bout de champ du qualificatif "libéral" pour déconsidérer toute tentative de redressement de l'économie française. Le qualificatif se veut péjoratif. et l'effet répulsif est souvent poussé par l'ajout de complément : néo libéral, libéral thatchérien, hyper libéral, libéral sans concession, libéral assumé, libéral antisocial, libéral revanchard  etc.  La marxisation des réflexes  en France est telle, du fait d'une dominance idéologique de cette composante de la  gauche dans l'enseignement public et dans les médias que libéral y est devenu une grossièreté.  Il et intéressant de creuser un peu ce phénomène.

Le libéralisme, au sens économique s'oppose au marxisme, au socialisme et à l'étatisme. Il est normal que les promoteurs des trois idéologies lui en veulent. Il peut prendre des formes très diverses. La constante de toutes les conceptions libérales est que l'entreprise capitaliste est la forme la plus efficace de production de richesses et que ce sont les choix individuels de consommation qui forment la valeur des produits en s'exerçant sur des marchés organisés.

En ce sens le monde entier est aujourd'hui libéral. Personne ne compte plus sur la collectivisation permanente de l'ensemble des moyens de production pour espérer un minimum de prospérité. Les expériences socialistes ont été suffisamment "pédagogiques", pendant suffisamment de temps, avec suffisamment de dégâts.

Une autre acception du libéralisme est la défense des trois libertés de mouvements de capitaux, de marchandises et de personnes dans le cadre national et international. Ces libertés sont assurées depuis longtemps dans le cadre national et n'y font plus problème de principe même si la réglementation et les taxes peuvent en modifier fortement l'exercice jusqu'à l'étouffement. Les instaurer entre les nations est la question de l'époque.

C'est le mantra récurrent de l'Union Européenne depuis l'origine.

Au FMI, les trois libertés sont devenues la doctrine de substitution, une fois son rôle initial (gérer les changes fixes et permettre des ajustements monétaires sans drame) abandonné avec l'instauration des changes flottants.

L'OCDE a remplacé sa mission de répartition du plan Marshall depuis longtemps éteinte et a muté également en officine de promotion des trois libertés.

En France comme en Europe cette optique de libre-échanges et de libre migration est celle des partis socialistes tout autant que des partis centristes et de la droite classique. Le PS, avec Delors, Rocard, Lamy et cie ont été en flèche notamment pour la liberté de mouvement des capitaux.

Les droites et les gauches de gouvernement se retrouvent toutes dans le libéralisme des trois libertés de mouvement. Seuls les extrêmes, à droite comme à gauche, contestent au moins une des trois libertés de mouvement.

Le libéralisme est donc partout dans la politique internationale et les traités et n'a pas été contesté par les partis de gouvernement dans les trente dernières années en Occident. Faire du mot "libéral" une injure a donc tout du paradoxe.

Aujourd'hui les esprits évoluent fortement. Contrairement à la question du capitalisme qui est désormais tranchée, l'affaire des trois libertés internationales de mouvement ne fait plus l'unanimité On peut même dire qu'elle devient de plus en plus empoisonnée.

La liberté du commerce des biens et des services, sans cadrage des déséquilibres, aboutit à des excédents et des déficits majeurs qui déstabilisent l'emploi, les marchés, la qualité des produits.

La liberté des mouvements de capitaux dans un système de changes non régulés et compte tenu des déséquilibres précédents, provoque des crises à répétition et la stagnation générale.

La liberté des migrations conduit à des substitutions de population considérées par les autochtones comme injustes, dommageables et déstabilisatrices.

Les effets de submersion dans les trois secteurs provoquent des réactions de plus en plus vives.

Les réactions ne sont pas seulement économiques. Elles touchent le social, c'est-à-dire les formes d'organisation, les lois et les mentalités, construites dans la durée par les Etats pour satisfaire les besoins de solidarité. Elles sont balayées et les personnes déstabilisées priées de "s'adapter". Elles touchent également le culturel : choc de civilisation ; rejet de l'envahissement ; abaissement des niveaux d'engagement dans la société ; soumission culturelle aux divertissements américains avec tout ce qu'ils charrient… Et voici désormais les attentats terroristes !

Le libéralisme des trois libertés de mouvement commence à être considéré de plus en plus largement comme une aliénation consentie par des "élites mondialisées" qui trahiraient allègrement la "cause du peuple".

C'est la liberté de migration qui la première a cédé. La Suisse a voté contre l'immigration. Les Français ont cru que les Helvètes visaient les minarets. Ce sont les frontaliers français qui trinquent. Le Royaume-Uni sort de l'Union Européenne principalement pour faire cesser ce que les Anglais considèrent comme un envahissement dommageable. Les Français sont aussitôt consternés de constater qu'ils n'y sont plus bienvenus et même parfois injuriés, au même titre que les Pakistanais, les Afghans ou les Africains anglophones. Le candidat Trump fait frémir quand il annonce une barrière anti Mexicains payée par les Mexicains. Mais les étudiants français aux Etats-Unis constatent déjà depuis plusieurs années un resserrement drastique des conditions d'emploi aux Etats-Unis à la sortie de leur cursus américain. Un étudiant ayant fini ses études perd son visa de séjour presque immédiatement après avoir eu son diplôme s'il ne parvient pas à trouver un employeur motivé.

Il y a peu de chance que les choses s'arrangent. La montée incontrôlée de la démographie des pays africains, avec un pays comme le Nigeria annoncé comme plus peuplé que la chine dès 2050, laisse craindre une vague africaine à ampleur de tsunami : si les prévisions sont justes, il faudrait que l'Europe absorbe 300 à 400 millions d'Africains et de Maghrébins. Les questions d'espace vital vont redevenir criantes. Le besoin de défense des civilisations, des cultures et des cultes va exploser et avec lui l'intolérance de masse.

Le commerce international, compte tenu de ses déséquilibres massifs, est vu comme la destruction de secteurs économiques patiemment aménagés par un déferlement de produits à bas coûts et de mauvaise qualité. La durée de vie d'un PC est passée de 10 ans à peine trois. C'est aussi le cas des téléphones, des machines à laver etc. Va-t-on avaler des poulets au chlore ou aux hormones ? Les traités transatlantiques sont tous au point-mort avec un refus catégorique des peuples tenus soigneusement à l'écart des discussions et soumis à des "éléments de langage" diffusés à gogo dans les médias. Du genre : "l'accord permettra de créer des millions d'emplois". Le rejet est total et touche les médias vus comme complice des élites mondialisées et les fonctionnaires internationaux vus comme traîtres à leur pays.

La liberté totale des mouvements de capitaux commence à faire mauvais genre. La crise dite faussement des "pays émergents" en 97-98 a fait perdre toute crédibilité à ceux qui prétendaient que la "hot money" était un mal nécessaire. L'effondrement de 2008 a montré que la mobilisation anarchique de capitaux uniquement tournés vers la spéculation conduisait au désastre. La gestion de l'Euro avec liberté totale des mouvements de capitaux et régulation par la BCE a montré ses limites : la déflation à répétition et la stagnation générale. Les banques sont désormais étranglées parce qu'on a voulu étouffer l'amplificateur des désajustements sans toucher aux causes.

Au total, si personne ne conteste plus vraiment le caractère capitaliste de l'organisation de la production, la défense des trois libertés de mouvement à l'international est dans la tempête.

Cette situation crée de graves contradictions dans chaque pays. Les finances publiques et l'emploi sont tellement chahutées dans les pays qui ont fait de la dépense publique et de l'emploi public le cœur de leur action au long cours, que des remises en cause massives deviennent nécessaires. Tous ceux qui veulent réduire la dépense publique lorsqu'elle est insoutenable, se voient traiter de "libéraux à la Thatcher", alors même qu'ils contestent l'orientation des organisations internationales qui privilégient les trois libertés de mouvement. Ce sont des libéraux antilibéraux. À l’inverse les antilibéraux promeuvent la liberté quasi-totale des migrations. Ce sont des antilibéraux libéraux.

Les mots, et en particulier l'adjectif libéral, ont perdu tout sens.

Au-delà des mots, quelle est la situation ?

Un pays comme la France qui s'est laissé glisser dans le déficit public permanent et la montée exorbitante de la dépense publique, se retrouve piégé : il ne peut plus supporter une dépense publique supérieure à la production des entreprises du secteur marchand et une dette qui représente entre 400 % et 800 %, selon les calculs, de la même production. Sortir de ce piège n'a rien de libéral. Toute "diplomatie de la prospérité" passe nécessairement par une canalisation des trois libertés de mouvement. Par rapport au laxisme actuel cette attitude est nécessairement "antilibérale", si on conçoit le libéralisme comme une concurrence sans entrave d'individus indifférenciés où les Etats n'ont qu'à se taire.

La stagnation, le chômage de masse, le blocage de la finance, les déficits abyssaux ne peuvent laisser indifférents les Etats. Ils devront nécessairement lutter encore longtemps sur deux fronts : contre une mondialisation basée sur des libertés incontrôlées et contre les dérives insoutenables d'un état providence qui laisse une part minoritaire de la population payer pour les autres, tout en détournant une part déraisonnable de la richesse produite à son seul profit.

Toutes les formations politiques sont déchirées par ce dilemme. François Fillon milite à la fois pour réduire drastiquement la dépense publique et contre le Tafta, le traité transatlantique. Comme Hollande. Voici deux libéraux, tendance antilibérale. Dans deux camps opposés. Les écologistes se veulent pro migration et anticapitalistes comme une partie de la gauche, dont le Front de gauche. Le FN se veut nationaliste et socialiste.

En fait il n'y a pas de purs libéraux qui seraient pour un capitalisme débridé en interne, en Europe et dans le monde.

Il n'est pas si difficile de dépasser ces contradictions.

À l'international, les libertés doivent être organisées et les flux d'hommes, de capitaux et de marchandises encadrés. En interne il faut en finir avec les excès d'encadrement de l'activité économique et de dépenses publiques. Deux mouvements d'inspiration exactement inverse mais également nécessaires.

Les échanges de marchandises ne sont pas dangereux si les échanges restent balancés entre les pays. Au final on échange des produits, contre des produits, et du travail contre du travail. Il faut donc mettre des mécanismes qui permettent ces équilibres. Ce n'est pas une question de principe mais d'organisation et de gestion des libertés.

La liberté d'établissement reste extrêmement sympathique, à la condition d'éviter les phénomènes de masse et les risques de chocs culturels insoutenables, tout en limitant la possibilité pour les pays ayant supprimé leur frontière commune de conduire des politiques différentes d'immigration. Ce n'est pas une question de principe mais d'organisation et de gestion des libertés.

La liberté d'investir son capital comme on l'entend est très utile et profitable, à la condition que l'on évite de transformer l'économie mondiale en baudruche incontrôlable. Ce n'est pas une question de principe mais d'organisation et de gestion des libertés.

On peut donc chérir la liberté dans le monde mais en organisant précisément les libertés.

De même qu'on peut développer les solidarités nationales sans tomber dans le socialisme prédateur, l'anticapitalisme primaire, le blocage des relations sociales, l'asphyxie fiscale et la dette à outrance. Il faut chérir la liberté et la propriété, qui est de la liberté frappée, tout en organisant de façon raisonnable et soutenable la solidarité. Le redressement français n'est donc pas une question de plus ou moins grand libéralisme. Il faut réduire le socialisme et l'étatisme à l'intérieur pour la simple raison qu'on ne peut pas justifier une dépense publique supérieure à la production marchande, deux allocataires à la charge d'un seul salarié du secteur marchand, et une dette sans rapport à la production marchande. À l’extérieur Il faut rechercher un meilleur contrôle des flux d'hommes, de marchandises et des capitaux.

Le seul adjectif que devraient utiliser les journalistes est : pertinence. Quel programme a quelles chances d'atteindre quels résultats ? Si les fins et les moyens sont pertinents, il y a toutes les chances que la liberté y joue un rôle fondamental même si elle est enchâssée dans des organisations plus contraignantes à l'extérieur et moins à l'intérieur.

Le débat national devrait être sur les fins et les moyens, à court, à moyen et à long terme, à l'intérieur comme à l'extérieur. Pas sur des étiquettes ni sur des adjectifs.

Acteurs et commentateurs publics sont encore assez loin de le comprendre.

Trois conseils aux candidats qui sont trois avertissements aux électeurs

1. Vous criez tous à la baisse des charges. La baisse des charges n'a pas de sens en soi. Elles financent des besoins. C'est la baisse des besoins de financement qui comptent. Sinon ce n'est pas une baisse mais un transfert et il faut dire vers qui et selon quelles modalités on effectue ce transfert. On ne peut abaisser les besoins de financement qu'en retardant drastiquement l'âge de la retraite, en réduisant certaines gratuités, en freinant l'immigration sociale, en augmentant la durée de travail nécessaire pour avoir droit à la solidarité nationale pour les étrangers, en réduisant les coûts de transport et les subventions au logement, en rendant les indemnités chômage dégressives  etc.

2. les charges patronales sont un impôt sur une partie de la valeur ajoutée. La TVA est un impôt sur la totalité de la valeur ajoutée. Il est donc faux de dire que dans le premier cas c'est payé par le patron et dans le second par le client. Les deux sont payés par le patron et entrent dans la formation des prix. Le transfert des charges patronales sur la TVA euro pour euro ne change rien pour les produits français. Il rétablit l'équité pour les produits importés. On ne doit donc pas laisser dire que la TVA dite sociale est contre le revenu des Français. Dans l'ambiance déflationniste actuelle le risque d'une hausse des prix liés à la TVA est nul.

3. Dire aux Français de faire des sacrifices pour s'adapter aux nouvelles conditions du monde n'a de sens que si le système européen et le système global ne sont pas dysfonctionnels. Ils le sont. Les trois grandes récessions 73-74, 92-93, 2008-2009 sont venues de l'étranger. Le traité Merkozy provoque la déflation et la dépression. Il faut donc dire aux Français : je ne vous demande pas de vous adapter à un système déficient ; je vous propose déjà de faire aussi bien que les meilleurs mais surtout de vous remettre en position d'influence pour corriger ces systèmes déficients. Il faut une diplomatie de la prospérité dont la solidité française est la condition préalable. Et je vais vous dire où sont les déficiences et comment on peut les corriger.

La droite de gouvernement au feu des primaires

Quel projet économique ?

On peut discuter de l'intérêt d'avoir mis en place des "primaires" pour sélectionner le candidat d'une coalition. Après tout le rôle d'un parti est de dégager les grandes lignes d'un programme d'action et de choisir le meilleur candidat pour le faire gagner. Le fait qu'il faille recourir à une présélection publique pour déterminer à la fois le candidat et la ligne politique témoigne d'une désagrégation idéologique profonde et de la prégnance de la compétition des personnes sur toute autre préoccupation. Si celui qui tient l'appareil d'un parti prétend à tout sans autre considération que d'éliminer des concurrents potentiels et y parvient, il se moque en général de comprendre les mouvements de fond de son électorat et ne se préoccupe plus guère que du scénario de conquête présidentielle qui s'étiole très vite en plan de com'.

Le parti devient alors un fan's club, avec groupie. La réflexion cesse.

Au début des années quatre-vingt-dix, l'effondrement du socialisme comme doctrine, avec la chute de l'URSS avait laissé le PS en panne d'idéologie, ses échecs l'ayant de plus laissé en panne d'électeurs. Il a fallu l'énorme erreur des élections anticipées pour faire venir au pouvoir une coalition hétéroclite, appelée par antiphrase "dream team" d'une "majorité plurielle"qui n'avait aucun réel programme. Jospin profitera d'une très bonne conjoncture internationale et aurait pu engager quelques ruptures utiles. Il se contentera d'asphyxier l'économie avec les trente-cinq heures et les relations sociales par des lois étouffantes et porteuses de comportements inadmissibles. Quand le renversement conjoncturel se produira, il sera éliminé du second tour des élections. Il est à noter que le premier secrétaire du PS pendant toute cette période n'a tenté aucun aggiornamento idéologique. F. Hollande n'avait aucun programme sérieux ni d'ailleurs aucun sérieux. Sa présidence démagogique du PS a été une catastrophe sur tous les plans, comme il pouvait être anticipé. Les tensions de ligne et de personnes sont devenues terrifiantes. Revoici donc les primaires également dans une "gauche" éparpillée façon puzzle, sans aucun programme économique unitaire perceptible.

La droite a connu le même mouvement avec Nicolas Sarkozy. Favorisé par l'absence d'un adversaire crédible, il a gagné facilement en 2007. Le plan qu'il a mis en place était purement électoraliste et ne visait qu'à sa réélection. Il fallait cocher des cases pour satisfaire toutes les clientèles tout en grillant l'opposition par une triangulation de petit malin. La crise, non anticipée malgré les avertissements, balaiera tous ces petits calculs. Il sera battu. Il fera semblant de sortir de la politique. Après avoir bloqué l'appareil de l'UMP, avec la complicité de F. Copé, pour empêcher tout renouvellement des hommes et des idées, il en a repris la présidence en pensant pouvoir recommencer le coup précédent. Et cela ne marche pas, parce que les tensions internes dans un parti sclérosé par sa transformation en claque personnelle sont top vives. Les tensions de lignes politiques et de personnes sont devenues tout aussi terrifiantes. Voici donc les primaires.

Dans les deux cas, la crainte de ne pas être au second tour interdit pratiquement les candidatures de division au premier. Le FN, qui conteste une gestion qu'il juge identiquement catastrophique de la part de la droite comme de la gauche, est en embuscade.

Le mécanisme des primaires est-il réellement bénéfique ?

Le premier débat public télévisé des primaires " de la droite et du centre" donne une première réponse.

Bien sûr, ce n'était qu'un moment de présentation. "Voilà qui nous sommes".

Alain Juppé le favori des médias a paru vieilli et incertain. Légèrement voûté, la voix voilée, visiblement épuisé sur la fin, il s'est voulu le promoteur d'une politique consensuelle. Les médias qui le soutiennent outrancieusement, comme BFM-TV et I-tele, RTL et Europe 1, le Point et l'Express, le Figaro et Ouest France, l'ont vu aussitôt gagner le débat. Il est à craindre que lorsqu'on passera aux choses sérieuses, probablement dès le prochain débat et surtout dans la course à l'élection elle-même, sa forme hésitante deviendra un réel problème. D'autant que sa ligne consensuelle l'empêche d'avoir des idées fortes sur les grandes questions nationales et internationales.

Nicolas Sarkozy a paru terriblement crispé et plus soucieux de jeter en pâture les "éléments de langage" pondus par ses communicants que d'élever le débat. On lui a dit : les Français pensent deux choses : "on ne veut plus des musulmans" et "marre des impôts". Alors il baisse tous les impôts et il arrête les personnes dotées d'un fichier "s" quitte à s'excuser si le soupçon était injustifié. Le petit peuple qui se lève tôt retrouvera les heures supplémentaires défiscalisées et sans charges, d'autant plus sympathiques que c'est l'entreprises qui décidera du seuil des heures supplémentaires. D'ici à ce que les heures supplémentaires commencent après une heure de travail ! C'est du simple et du brutal. Et ne forme en aucun cas un axe de gouvernement et encore moins une vision d'avenir.

Bruno Lemaire s'est plutôt décrédibilisé par une absence de programme centré et fort, une attitude méprisante et quelques imprécisions gênantes. Le renouveau par le changement des personnes, c'est un peu court.

Nathalie Kosciusko-Morizet a été égale à elle-même : rien à dire et un grand art de mal le dire. Elle a été incompréhensible. Le choix du rouge de la robe semble avoir été sa préoccupation exclusive.

J. F. Copé était hilare d'être là et de pouvoir tirer à boulet rouge. Cela ne fait pas un candidat réel.

Restait François Fillon : un programme économique construit et longuement médité dont tous les rouages s'emboîtent parfaitement ; un calme souverain ; une élocution claire ; une vision hors de l'économie plutôt claire, aussi bien en matière de terrorisme, que de sécurité et d'école. Mais un handicap d'image pour avoir voulu contester trop tôt le président battu et n'avoir pas réussi à triompher d'un simple Copé. On aime bien les traîtres en France pourvu qu'ils deviennent des chefs de bande dominants. François Fillon n'est certainement pas un chef de bande capable de tout pour être élu, à l'instar de Jacques Chirac, qui n'a pas hésité une seconde à faire élire F. Mitterrand pour assouvir à terme son ambition.

Au total le mécanisme de la primaire aura permis un énorme travail de construction de programmes, comme l'UMP n'en avait pas connu depuis longtemps. Des lignes de fracture sont clairement apparues. Ce qu'on voit moins, c'est comment le travail d'arbitrage entre les programmes et de réduction des fractures va pouvoir se faire.

Sur le plan économique, l'ajustement d'un programme unitaire peut se faire autour du programme Fillon, le plus construit, le plus cohérent et probablement le plus efficace.

Sur le plan sécuritaire, l'état de droit est obligatoire et les élucubrations sur les attitudes belliqueuses en dehors de ce cadre sont déplacées et ne visent qu'à un effet de com'.

Tout cela aurait dû se faire au sein du parti. La publicité du débat n'apporte pas grand-chose. Cela aurait été différent, si, comme dans certaines émissions de télé réalité, on éliminait au fur et à mesure les candidats marginaux. Un débat à quatre entre le dénommé Poisson, qui mérite une chance d'expliquer ce pourquoi il combat (ce que personne n'a compris), et les trois candidats principaux, Fillon, Juppé, Sarkozy, aurait été plus utile qu'un nouveau débat à neuf. Il aurait eu pour but de réduire le débat suivant à deux.

Quand on va au fond des choses, le grand débat de la droite est l'affrontement entre la ligne Juppé et la ligne Fillon.

Juppé en tant que haut fonctionnaire ayant abusé de tous les privilèges de son état, est très mal placé pour mener une politique de restriction du champ de l'action publique, de réduction massive des dépenses publiques, de réformes des retraites, et de productivité. L'entrée dans le monde économique nouveau qu'annoncent les différentes ruptures technologiques est incompatible avec les fatigues de son âge qui sont apparues très nettement lors du premier débat. Son attitude vis-à-vis de l'islam radical est incertaine. Son européisme est inconditionnel. Sa vision des rapports de force dans le monde, inconnue.

La faveur des sondages tient essentiellement à l'idée qu'il est capable de bloquer Nicolas Sarkozy et que face à Marine Le Pen, sa candidature peut rassembler tout le monde, y compris les socialistes. Il a donné des gages en expliquant qu'il ne ferait pas comme Chirac après la divine surprise d'une élection de maréchal soviétique : il gouvernerait pour la gauche aussi. Pour beaucoup de Français, c'est celui qui empêchera et Sarkozy et Hollande et Le Pen. Il n'a donc pas besoin d'un programme affûté. Il lui suffit de multiplier les symboles et d'éviter les erreurs.

L'ennui, c'est qu'on ne voit pas trop ce que sera l'action du ou des gouvernements qu'il nommera. On gommera quelques excès fiscaux. Mais il n'y a aucun moteur de redressement véritable de la France. En s'étant mis sous la dépendance du politiquement correct centriste et socialiste, il en sera prisonnier.

La ligne Fillon est bien plus claire aussi bien en matière économique qu'en matière sécuritaire.

La grande question économique est de savoir si son plan économique est réellement efficace et si son plan politique permettra de gagner et le premier tour et le second tour des présidentielles.

Nous sommes convaincus de l'efficacité de la TVA dite sociale dont nous promouvons la nécessité publiquement depuis presque 20 ans. La TVA est un impôt payé par l'entreprise qui touche l'ensemble de la valeur ajoutée. Les charges patronales sont un impôt payé par l'entreprise qui ne touche que la partie salariale de la valeur ajoutée (entre 35 et 65 % selon les secteurs). Il n'y a aucune différence de nature. La seule différence est que les produits importés n'ont pas connu les charges patronales françaises et ont donc un avantage comparatif indu. Le seul moyen d'éviter cela est de reporter sur la TVA l'ensemble des deux impositions. Pourquoi ne le fait-on pas ? Parce que le taux de TVA est extrêmement haut en France et que la fusion des deux prélèvements aboutirait à des taux tellement élevés qu'ils ne seraient pas acceptés. En cachant aux yeux des consommateurs le prélèvement sur les entreprises, l'Etat sait ce qu'il fait. Le basculement suppose donc simultanément une baisse simultanée assez drastique de la dépense sociale, notamment pour la maladie, le chômage et la retraite. Associé à une hausse du temps de travail (dans le public notamment mais aussi dans le privé) sans hausse correspondante de salaire, le trépied revient à une dévaluation qui peut être conséquente, en fonction des paramètres choisis et à la restauration de la compétitivité française. Si on ajoute un ajustement de l'impôt sur le capital (suppression pure et simple de l'ISF et forfaitisation des prélèvements sur les intérêts), l'investissement redevient possible. Le plan Fillon peut marcher. Et il est le seul dans ce cas.

Ce qu'il manque au plan Fillon, c'est la dimension extérieure. Il faut absolument réformer le système monétaire international et la gestion de la zone euro, sans destruction. Cette diplomatie de prospérité n'est pas dans son programme, malgré tous nos efforts pour qu'il rajoute cette dimension dans sa démarche. Imaginons un système monétaire international basé sur les changes fixes mais ajustables sans possibilité d'excédents ou déficits majeurs, et un mécanisme automatique de sanction des grands déficits et des grands excédents au sein de la zone Euro. La réforme de la zone euro prendra son sens. La réforme française sera incroyablement facilitée. Le monde s'en trouvera mieux et pourra envisager de liquider en 20 ans l'endettement diabolique qui l'empoisonne.

On rêverait d'un second tour des primaires entre Juppé et Fillon, avec son programme ajusté. Il n'est pas du tout sûr que Juppé gagnerait. Le duel permettrait un vrai choix :

- La continuation des demi-mesures avec une chance de victoire de Mme Le Pen face à l'UMPS.

- Un vrai plan de redressement évitant les aléas d'une sortie inconsidérée de la zone euro et une démagogie socialiste revue et corrigée nationale.

Malheureusement, ce n'est pas l'hypothèse la plus probable, même si, d'un point de vue économique c'est la plus souhaitable.

L'économiste "mainstream" et le garde rose

Quiconque a fréquenté les forums, puis les réseaux dits "sociaux", sait qu'il est impossible d'échapper à la frénésie d'une nouvelle race de moralistes électroniques : le garde rose. Son rôle ? Chasser le "fasciste" et en purger le Web. Pour déterminer le fascisme supposé de l'interlocuteur, l'important n'est pas tant ce qui est dit mais l'appartenance supposée de celui qui le dit. Les arguments n'ont aucune importance. La réalité non plus. La seule question qui compte : renforce-t-il notre camp, qui est celui des bons, des justes et des "conscientisés", ou est-il un obscur crétin égaré dans la bêtise de droite, ou découvre-t-on  un "vrai fasciste" qui s'attaque, au nom du mal absolu, aux valeurs du camp socialiste dominant ? Au pauvre débile non encore formaté, on condescend à montrer son erreur qu'il doit vite concéder. Sinon il entre dans le camp des irréductibles. À ceux-là, la "reductio ad hitlerum" est immédiate et assortie de toutes les techniques de mises au pilori. S'il persiste encore : appel à la meute des partisans pour lui passer une correction par le nombre plus que par la qualité des arguments. Cette bêtise de dévots violents est symptomatique d'une "lélinosphère" débridée qui a besoin d'une "fachosphère" pour se sentir à l'aise. L'effet Godwin est devenu la base du non-débat.

En France en particulier la mouvance socialiste n'admet pas que l'économie puisse lui donner des leçons. L'échec du régime communiste soviétique a créé une sensibilité particulière, en ne laissant vivante qu'une seule branche de l'alternative idéologique entre capitalisme et socialisme. Tout économiste qui se situe dans la sphère du capitalisme est donc potentiellement un ennemi et rapidement un "fasciste". Impossible de discuter du poids de la fiscalité, de la malfaisance des réductions autoritaires de temps de travail, de la judiciarisation excessive des relations contractuelles, de la nocivité des grèves politiques, de l'efficacité des aides sociales, des effets de l'immigration sur la vie sociale et économique. Seuls ceux qui ont fait la preuve absolue de leur appartenance ont le droit d'échapper aux plus sinistres condamnations. Mais si votre visa est validé alors vous pouvez suivre tous les méandres de la bonne conscience de gauche même dans ses révolutions à 180°. L'important est de ne pas remettre en cause le primat moral de la gauche socialiste et intolérante. Peu importe ce qui est admis à tort éventuellement par le groupe à un instant donné, l'important est de ne pas attaquer le groupe et de bien lutter contre un diable extérieur à vouer aux gémonies. On peut garantir alors qu'on est bien campé aux yeux de l'Oumma socialiste dans le formidable camp du bien.

Pour le chercheur scientifique, cet esprit partisan de masse n'impose pas seulement de supporter les flots d'injures "social racistes" de partisans grotesques, mis aussi de résister à des chasses à l'homme et de lutter contre des exclusions. Lorsque les syndicats politisés du secteur public s'y mettent, les carrières tremblent. On se rappelle le sort du cameraman qui avait osé filmer le "mur des cons" du Syndicat de la Magistrature. On se souvient moins que l'auteur d'une étude de l'Insee sur l'absence d'effet réel des 35 heures sur l'emploi a subi une campagne de la CGT interne d'une violence inouïe et a vu sa carrière mise en danger.

Cette dictature des esprits, construite sur le vilipendage, les piloris et les pressions syndicales, relayée à l'occasion par les politiques et toujours par les médias de gauche ou sous dépendance morale de la gauche, explique en partie la faiblesse des études économiques en France et la quasi-nullité de l'expression économique des économistes officiels. "L'économiste mais" est devenu l'équivalent du "patron mais" de Neuschwander, dont le succès chez Lip est bien connu. Il y avait déjà rue Saint Guillaume dans les années soixante une librairie dont la devanture n'affichait que des livres d'économie "anticapitalistes". L'OFCE rattachée à Sciences-po est devenue l'officine de la béatitude socialiste. Les interventions permanentes de ses membres dans les médias (Eric Heyer et Henri Sterdyniak en particulier) ne sont qu'un long panégyrique de la politique de M. Hollande, quand elle est clairement socialiste, une critique acerbe, dans le cas contraire, une défense idéologique des réductions de durée de travail, une illustration des beautés et bontés de la dépense publique, de l'innocuité de la dette, et la solidité cachée de la conjoncture, en dépit de la vilaine Merkel. Tout changement de direction à la tête de l'OFCE crée une mobilisation contre le risque de "dérive droitière" ou "néolibérale", comme on l'a vu avec la nomination récente d'un conseiller… d'Arnaud Montebourg. Les divisions du PS y sont plus importantes que la science économique. Il n'est pas étonnant qu'Éric Heyer ait été en tête de gondole pour s'opposer à la prétention de Jean Tirole à faire valoir des "lois économiques scientifiques" parce que vérifiées par les études publiées et les chiffrages sérieux. Pour lui, il n'y a pas de sciences économiques "dures". Seulement un discours à coloration politique. Il s'agit de pulvériser celui du camp du mal avec des arguments qui appartiennent plus au registre du café du commerce socialiste qu'à celui de la science. Mais puisqu'on vous dit qu'il n'y a pas de science économique !

L'amour fou des journalistes, des éditeurs et des politiques pour les économistes américains "de gauche" témoigne de cette même réalité politico-psychologique. Paul Krugman et Joseph Stiglitz sont "nécessairement" des Prix Nobel d'Économie à entendre et à écouter. Le premier se signale dans les colonnes du New York Times, depuis des lustres, comme le contempteur intraitable et officiel du Parti Républicain  ; Le second est un théoricien de l'inefficacité des marchés, milite contre l'Euro au nom de Tsipras, et a injurié, en prime, quelques membres du FMI. Il fustige à longueur de livres le "néolibéralisme". Le passeport est suffisant pour leur concéder toute la place dont ils sont dignes dans les médias français. On a vu Sarkozy faire un pont d'or à Stiglitz pour essayer de se faire accepter, comme le lui recommandait la douce Carla, par les milieux socialo-bobos qu'elle fréquente. Les économistes atterrés, Alternatives économiques, sont d'autres exemples du goût français pour une économie propagandiste et partisane assumée.

On comprend l'énervement des économistes qui cherchent à établir des lois économiques solides par des méthodes scientifiques classiques et qui se font "conchier", désolé, il n'y a pas d'autre mot, lorsqu'ils établissent un résultat qui fâche les thuriféraires des politiques "vraiment socialistes" et donc, glorieusement  "anticapitalistes" et "antilibérales".

Le livre de Pierre Cahuc et d'André Zylberberg est exemplaire de cette révolte. Le titre peut en paraître choquant au départ."Le négationnisme économique". Le négationnisme est un concept qu'on retrouve plutôt sur les questions de génocide que dans les combats pour une réflexion libre en économie. Le début du livre trouble aussi quand il ne s'applique qu'à rechercher dans l'action de Jean Paul Sartre les ferments d'un goût pour l'engagement politique marxisant poussant à une prégnance antiéconomique purement idéologique. Les auteurs constatent que l'économie socialiste engagée, dominante dans la France universitaire, n'est qu'une application à leur domaine de l'action de Lyssenko dans celui de l'hérédité. Ce n'est pas gentil. Mais suffisamment près de la réalité pour susciter un tir de barrage de tous ceux qui se sont sentis visés et qui ont voulu moucher le livre dans la presse qui assure depuis toujours le conditionnement de "l'opinion",  du moins telle qu'on la juge convenable dans le microcosme germanopratin de gauche.

Le Monde a ainsi publié un article réactionnel d'un certain Hautcoeur expliquant que le scientisme était l'ennemi de la science et que l'anthropologie, c'est-à-dire, pour lui, la description orientée par l'esprit partisan, était un devoir. Pour conclure, on l'aurait parié, que l'économie était chose trop sérieuse pour la laisser aux économistes et que l'esprit scientifique contribuait "à la montée des violences" (sic). Un paragraphe de plus et on atteignait le point Godwin. Les auteurs répliquèrent avec raison dans la colonne d'à côté que "faire croire que seuls les autoproclamés hétérodoxes ont un regard critique sur leur profession est une escroquerie qui empêche tout débat serein et informé sur un grand nombre de sujets essentiels pour notre avenir". "La mise en scène d'une coupure "scientifique" entre les soi-disant orthodoxes et les autoproclamés hétérodoxes n'est qu'une arme stratégique dans le champ des confrontations politiques" clament avec raison Cahuc et Zylberberg.

La vérité à laquelle les auteurs n'accèdent pas,  est que l'incapacité des économistes officiels à prévoir la crise et à en juguler les effets pose une double question.

- L'une est le poids politique et idéologique qui pèse sur les médias pour empêcher tout débat sur des questions où les pressions sont très fortes. Aucun économiste officiel ne peut espérer une carrière à la Commission européenne, à l'OCDE, au FMI, sans se soumettre aux thèses pesantes que les Américains souhaitent faire valoir dans la durée. Impossible d'y critiquer les changes flottants par exemple ni les grands déficits et excédents. En France, l'expérience de la révolte de Maurice Allais a montré qu'on ne pouvait s'insurger contre la pensée dominante dans les instances européennes et françaises qu'à son détriment, même quand on a eu raison.

Oui la réflexion économique est bâillonnée de toute part. La création de ce blog est une des manifestations de ceux qui veulent pouvoir alimenter le débat sans être constamment bloqué, paralysé, inquiété. Il faut faire entrer le réel dans le débat. Il faut des débats.

- L'autre est que l'économie est une science en souffrance compte tenu des nombreuses difficultés théoriques et pratiques qui lui rendent la vie difficile. Il n'y a plus d'orthodoxie parce que les grandes questions sont ignorées et qu'il n'y a pas de volonté commune de trouver les réponses. Les exemples de résultats scientifiques donnés par le livre de Cahuc et Zylberberg sont microbiques. Ils touchent des domaines secondaires. Cela ne remet sans doute pas en cause la méthode mais certainement le champ d'application. Le macroscope est aussi utile que le microscope.

La pensée économique n'a besoin ni de la tutelle américaine ni des piloris des "gardes roses", ni même les anathèmes d'un Buisson et de la droite intégriste contre" l'économisme", prétendument triomphant. Science sans indépendance ni liberté d'expression n'est que ruine de l'âme. Mais une science sans résultat global probant est un sujet d'inquiétude. La Reine d'Angleterre a raison.

Si les chiens se déchaînent, c'est que le grand corps de l'économie est malade, donc à merci. Mais ils risquent d'en faire un cadavre pas vraiment exquis.

La réflexion économique est indispensable. Il est faux d'affirmer qu'elle ne permet aucune prévision. Nous avons pris le risque sur ce site de toujours associer une réflexion à une prévision raisonnée. Nous avons prévu la crise de 2008 et dit quand, quelle intensité et pourquoi. Nous avons annoncé à l'avance l'échec du RMI ou de la RGPP et même de l'optique retenue en 2009 par le G20. Nous avons montré pourquoi la campagne présidentielle ignoble de 2012 déboucherait sur le n'importe quoi et l'absence de résultat. À chaque fois, la prévision a  été assise sur un raisonnement et l'observation des faits. Nous regrettons d'avoir été largement les seuls a faire cet effort d'exposition publique. L'économie officielle en France, en Europe et dans les instances officielles se montre sur presque tous les sujets incroyablement taiseuses ou se contente  de rétro-analyses sans danger. La plus grande difficulté est aujourd'hui l'autisme économique, qui se traduit par l'évitement des grandes questions et la soumission aux groupes de pression et pire encore à l'air du temps. Et qui laisse le champ libre au n'importe quoi politicien et idéologique. Les auteurs ont partiellement raison d'invoquer les mânes de J. P. Sartre : le Garde Rose vit entre le paraître et néant.

L'économiste et le garde noir

C'est entendu. Dans la France de Voltaire, version an 2000, la proscription existe. Certains livres sont à ignorer car ils sont la production du diable. La grosse étude de Patrick Buisson, serait de la bassesse, de l'outrance, de la trahison, de la fiente de charognard, au mieux un vague brûlot dicté par le ressentiment, ou la vengeance d'un éconduit. Tous ces qualificatifs, qu'on avait déjà entendus au temps de la sortie des livres de Mme Trierweiler et de M. Zemmour, sont extraits des médias des deux derniers jours. Le résultat sera un triomphe en librairie, comme pour les deux autres. Les interviews-dézinguage s qui interpellent l'auteur avec les mêmes injures cent fois répétées n'abordent jamais le contenu lui-même de l'ouvrage et vous forcent à la lecture. C'est heureux, car le livre révèle certains aspects très actuels de l'opinion vis-à-vis des grandes questions économiques.

Buisson propose une réflexion conservatrice très proche des auteurs du dix-neuvième siècle qui voient dans l'apparition de la République une rupture avec les affinités supérieures qui forment la vraie France et les finalités nationales supérieures qui seules justifient le sacrifice de soi. "La postdémocratie avachie et déracinée, étrangère à l'héritage comme au patriotisme, n'a rien à opposer au double péril que représente la finance globalisée et l'islam radicalisé". Pour l'auteur la "cause du peuple" est celle d'une population marginalisée pour qui le supplément d'âme religieux et national était essentiel. À partir du moment où l'assistanat est ouvert sans distinction à tous, les "bénéficiaires" perdent la notion de lien national. Que peut bien encore signifier être français si le "capital d'autochtonie se trouve galvaudé et les droits attachés à la citoyenneté étendus à l'autre sans distinction". Ce sont, au sein du peuple, ceux qui sont sans capital qui réagissent le plus à la perte du capital particulier qu'est la solidarité nationale. Comme Zemmour, comme Villiers, un trio d'amis, Patrick Buisson plaide pour la restauration d'une mystique nationale française en phase avec les aspirations profondes du peuple mais en rupture avec les élites gouvernantes soucieuses d'électoralisme à court terme et de communication compassionnelle, dans un monde globalisé où l'argent est roi.

Pour l'économiste, le livre est une ordalie. Il se voit chargé de promouvoir "l'économisme", cancer avancé des sociétés libérales elles-mêmes avancées, de tomber amoureux d'une courbe de croissance, de vouloir l'instauration d'une vulgaire société de consommation qui pousse à de nombreuses formes d'aliénation, de servir l'état nounou qui fait disparaître les attachements fondamentaux au profit d'un clientélisme odieux et mortifère, d'avoir choisi le mondialisme dévorant et indifférencié qui tue le peuple et l'asphyxie de faux besoins et qui l'abaisse, tout en le ruinant par la concurrence. Le livre est une longue vaticination contre l'idée de progrès en général et de progrès économique en particulier.

Arguant de sa parfaite connaissance du peuple analysé dans ces profondeurs par les techniques sondagières, il cherche à prouver que les trois libertés fondamentales de circulation des hommes, des produits et des capitaux sont refusées par le noyau dur du pays et que les limiter sert "la cause du peuple". L'Union Européenne qui a fait de l'indifférenciation en son sein sa règle fondamentale, a détruit les protections indispensables au bonheur du peuple et plus particulièrement de ses pauvres. La globalisation a achevé le travail en créant, de surcroît une guerre des civilisations.

Du sondage au conseil du prince, du conseil du prince à l'action, on voit se dessiner un projet : si vous voulez être élus, il faut récuser les trois libertés fondamentales et s'écarter du capitalisme libéral.

Ce projet a raté. Sarkozy n'était finalement pas le bon cheval. Marie-France Garaud avait déjà dit cela de Chirac. C'est le drame des conseillers. Ils essaient de remplir des outres vides ! Mais la sonde mise au sein de l'opinion des classes populaires fait jaillir un fond de ressentiment qui est bien réel et pose problème.

Depuis des lustres nous avertissons qu'il faut prendre garde à la colère des peuples. Quarante ans de baisse de la croissance, de crises périodiques plus violentes, de gonflement inouïe de la dette et du chômage mettent nécessairement en branle des réactions dures dans les tréfonds. Le livre de Buisson montre qu'à côté d'un anticapitalisme de gauche se constitue un anticapitalisme de droite, tout aussi virulent, et qui était très présent dans les années vingt et trente. C'est la crise de 1929 qui avait permis à toute une série d'auteurs constamment cités par Buisson, d'émettre sur le capitalisme des jugements aussi accusateurs que péremptoires.

De ce point de vue, le livre est d'une lecture nécessaire. Le consentement au capitalisme n'est acquis ni à droite ni à gauche. Le consentement au libéralisme est facilement rejeté et à droite et à gauche.

À côté du garde rose milite le garde noir. L'un et l'autre attendent la faute du capitalisme pour avancer leurs propres solutions qui les unes et les autres sont anti-croissance et propagent des idées antiéconomiques. Il faudrait ajouter à notre galerie les gardes verts qui théorisent la décroissance heureuse. Pour tous ces gens l'économiste est un pelé et un galeux en ce qu'il cherche à accroître la richesse globale sans trop s'occuper du reste : la protection de la terre, la souffrance sociale, la déperdition du sens profond de la vie. Le daltonien n'y voit que des nuances de gris. Le sage des nuances de vert-de-gris.

La seule réponse est la croissance équilibrée. Elle seule permet de dégager les ressources techniques nécessaires pour lutter contre certains maux écologiques, les ressources matérielles pour lutter contre la pauvreté et les réserves nécessaires pour donner du sens à sa vie en toutes circonstances. La croissance économique est quoi qu'on en dise chez les militants des trois couleurs un facteur de paix et de civilisation. La "politique de civilisation" promue par Patrick Buisson ne peut se fonder sur un anti-économisme primaire.

Il reste évident que la vie ne se résume pas à l'économie, que les relations humaines ne sont pas qu'économiques, que le potentiel électoral n'est pas exclusivement dans la production de richesses et d'emplois. La politique économique n'est pas le tout du politique. L'économie n'est pas une religion et ne forme pas le creuset des nations. L'intérêt n'est pas l'alpha et l'oméga de l'existence individuelle ou en groupe.

Ce que montre le livre de Buisson, comme l'ensemble des glissements mentaux, politiques et diplomatiques actuels, c'est le danger d'avoir fait disparaître la coopération entre états dans le domaine des changes et de la monnaie en refusant férocement de voir les conséquences pendant quarante ans, tout en poussant dans le moindre détail l'élimination de tous les mécanismes permettant à une forme de surmoi national de limiter les conséquences sociales et culturelles d'une compétition micro-économique des libertés individuelles débridées et macroéconomiques d’État jouant la relation de puissance.

Curieusement, le livre d'Henri Guaino, l'autre conseiller de Sarkozy, arrive, par d'autres voies, à la même conclusion.

Plutôt que de diaboliser le livre, les politiques devraient plutôt le méditer. Ce sera d'autant plus facile qu'il est plutôt drôle et bien écrit, si l'allitération est la littérature.

Certains diront que la dénonciation d'une attitude où la promesse électorale n'a pas vocation d'être tenue mais simplement affichée pour gagner, où le court terme l'emporte sur le temps long, où l’expédient est préféré à la réforme de structure, où la conviction est liée à la validation par les sondages d'opinion, où le vote et finalement utilisé à contrer la volonté du votant, forme l'essentiel du livre.

Pour nous, c'est surtout la condamnation implicite de la nécessité d'une politique de la prospérité qui fait le livre. Il traduit la volonté politique explicite d'assujettir la consommation et la production, et par extension, toutes les relations contractuelles individuelles à un sur moi national. Il faut s'opposer à ce scénario "noir".

Pour nous l'affaire est claire : empêcher que la force des libertés individuelles contractuelles ne s'exerce au sein de la communauté nationale ou au dehors est un mauvais projet. Mais, si la Liberté se chérit, les libertés s'organisent. Si on le fait mal ou pas du tout, c'est l'ensemble des libertés qui sont exposées.

La France, pays d'idéologie, voit s'agiter des gardes rouges, noirs et verts. Au nom d'idoles qui sont la révolution créatrice de l'homme nouveau, la cause du peuple fondamental mythifié, ou celle d'une terre martyrisée. Ce bouillon moléculaire s'active en même temps que le désastre économique fait monter la chaleur des "passions tristes".

Il y a urgence à faire baisser la pression.

OMC : une erreur tragique de diagnostic

L'OMC a enfin donné les chiffres clé d'un désastre que nous annonçons depuis longtemps : la contraction de la croissance du commerce international qui perd son rôle de leader de la croissance mondiale :

- Le commerce international croîtra très faiblement (1.8 %) en 2016 moins vite que la croissance globale des PIB qui est elle-même très faible (entre 2 et 3 %). La croissance moyenne du commerce avait été de 6 % depuis la chute de l'URSS

- L'investissement transfrontalier a été multiplié par sept pendant la période pendant que le commerce n'était multiplié que par trois.

Ces indicateurs racontent toute l'histoire : l'économie "baudruche" est bien installée en 1990 et s'amplifie après avec des croissances de mouvements de capitaux sans rapport avec la production proprement dite. Elle a explosé en 2008.

Mais l'OMC va faire une erreur de diagnostic magistrale. Certes, l'effondrement de la croissance du commerce internationale est lié à la crise de 2007-2009, mais il est totalement faux d'affirmer qu'il s'agisse de la "première crise de la mondialisation".

La myopie est singulière.

Son premier inconvénient est d'éviter tout diagnostic de la crise de 2008. D'où serait venu cet accident ? Uniquement des "excès de la finance dérégulée". En catimini voilà revenir l'explication bécassine de la crise par les "subprimes". Rappelons que les subprimes, c'est 600 milliards de dollars d'en cours problématique dont 400 ont été peu ou prou récupéré, alors que le trou global était quelque part entre 12 mille et 15 mille milliards de dollars et qu'il a fallu le combler en faisant monter la dette globale des Etats à plus de 60 mille milliards de dollars (soixante fois le niveau de l’économie marchande française annuelle pour donner du corps à ces chiffres monstrueux).

La récession de la fin des années 2000 est de même cause et nature que celle du début des années quatre-vingt-dix et que celle du début des années soixante-dix. Les difficultés de la Chine sont de même cause et nature que celles du Japon après 92-93 et de l'Allemagne après 73-74.

La baisse tendancielle du trend se fait décennie après décennie depuis 1971, en même temps que la bulle de dettes enfle à proportion., avec des crises financières périodiques de plus en plus graves pour digérer les pertes financières des spéculations hors sol.

La situation actuelle est la queue d'une comète dont la tête est l'abandon des disciplines de Bretton Woods et le flottement généralisé des monnaies. En imposant au monde que des excédents et des déficits extérieurs monumentaux soient possibles, les Américains ont enclenché les mécanismes de double hélice de dettes décrite par Jacques Rueff avec une telle continuité et une telle ampleur qu'une récession majeure ne pouvait que se produire. Maurice Allais nous avait prévenus avec une grande précision et une parole prophétique : "ce qui doit arriver arrive".

Ce à quoi on assiste est l'effondrement du système des changes flottants. La liberté absolue des mouvements de capitaux, de marchandises et de personnes, sans gouvernement mondial ou sans actions coordonnée des Etats pour les canaliser est une erreur majeure qui se retourne contre ceux qui l'ont imposée au monde. Crise financière, crise migratoire et crise du commerce international nous rappellent une loi fondamentale : la liberté se chérit mais les libertés s'organisent.

Monnaie et commerce vont ensemble. Pas de bon commerce sans de bonnes monnaies. Unifier le système monétaire dans un schéma de devise dont la valeur est défendue par les Etats, avec des possibilités exceptionnelles de dévaluer par consentement mutuel, avec interdiction des grands excédents et des grands déficits, et interdiction des attaques spéculatives massives contre la valeur des monnaies, est la seule solution. Si cela implique un certain niveau de contrôle des flux financiers, pourquoi pas.

Les déplacements de population doivent être tout autant contrôlés. Si les prévisions des démographes sont justes, l'Afrique va devenir si peuplée qu'il faudra vers 2 050 que l'Europe accueille environ 400 millions de migrants maghrébins et africains. On ne peut pas laisser chaque Etat laisser sa démographie exploser tout en attendant des autres qu'ils supportent les conséquences. Chaque Etat doit être responsable de lui-même dans le cadre d'une responsabilité partagée et surveillée par tous. Comme pour les monnaies.

L'intégrisme des marchés, sous domination américaine, a conduit, comme tous les intégrismes, à dévaluer les principes sur lesquels ils se fondent. Il n'y a pas de marché monétaire sain. Le marché des capitaux est dans un état lamentable. Le marché des produits est à l'arrêt. le marché du travail est en lambeaux.

Le libéralisme n'est pas un djihad ! Mais une forme collaborative de créer de la richesse et de la liberté. Où et la liberté si, comme en France, des dizaines de milliers de citoyens sont obligées de payer les impôts en cédant leur capital après avoir donné tout leur revenu ? Où est la liberté quand le nombre de personnes payées par la collectivité est de deux fois le nombre de ceux qui travaillent ? Où est la liberté quand certains maires prétendent imposer la présence des immigrés "jusque sur le palier des riches". Où est la liberté quand la masse du peuple n'a plus d'espoir autre qu'un tirage de loto heureux ? Où est la liberté lorsque les élites d'un pays doivent s'expatrier pour faire leur vie, avec tout ce que cela implique de renoncement ? Et s'il n'y a plus de liberté, ni de propriété (cette liberté en dur) comment espérer la prospérité.

La bataille mondiale actuelle n'est pas celle de la finance et des subprimes. Mais le retour à un système monétaire et financier sain, coopératif et organisé, qui ramène la finance à l'investissement et non à la spéculation sur des bulles artificielles, qui ramènent les échanges à l'équilibre sans brider la hausse, qui interdisent les déficits et les excédents majeurs (dans le monde mais aussi dans la zone Euro), ainsi qu'une cogestion de la démographie. Un pays peut être contraint par la collectivité, pour le bien commun, à limiter ses déficits financiers, commerciaux et démographiques. Un pays peut être contraint par la collectivité, pour le bien commun, à restreindre ses excédents commerciaux, financiers et démographiques.

Tout l'enjeu de la décennie à venir est de trouver les bonnes modalités de cette organisation volontariste et collaborative, entre Etats réputés égaux en droit et souverains, des grands équilibres fondamentaux. Alors que la grande erreur collective, à l'instigation des Américains, une fois le système monétaire de Bretton Woods mis par terre, aura été de démanteler toute organisation concertée de canalisation des libertés et de tenter d'affaiblir les Etats autres que les Etats-Unis.

Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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