Brice Teinturier et les noirs reflets de la démocratie française.

Anatomie du désengagement politique des Français

Brice Teinturier est bien connu pour ses passages sur la TNT où il commente la vie politique à la lumière des sondages.  Il fait paraître un livre qu’on n’attendait pas et qui frappe dur dans un secteur peu médité par les politologues : le repli désenchanté d’une partie importante et croissante de l’électorat qui trahit une « crise de la démocratie ».  La revendication de la reconnaissance du bulletin blanc est une des traductions  de cette volonté active de ne plus élire. Ce n’est plus le slogan « élections piège à c… ». Mais selon l’auteur : « Plus rien à faire, plus rien à foutre ». Le livre s’arrête fin 2016 et l’auteur doit regretter qu’il ne couvre pas les trois derniers mois  qui a fait monter le phénomène à une hauteur astronomique avec le risque d’une élection présidentielle peu significative. Il est probable que le président nouveau sera élu avec une adhésion personnelle de moins de 15% des inscrits.

L’auteur constate l’apparition d’une classe de Français qui ont accepté de céder à la défiance radicale, au mépris et à la colère, au point de se désengager totalement du processus électoral. Les primaires, malgré le fort score de la variante à droite, aura été un échec « qui ne change rien au malaise démocratique ». S’il avait connu la suite au moment d’écrire son livre,  il est probable que ce n’est pas le mot « malaise » qu’il aurait employé. La France électorale est nerveusement à plat, alors que le monde politique, médiatique et judiciaire est entré dans une phase d’hystérie maladive et sinistre qui lui vole l’élection présidentielle.

Au lieu d’être le moment où les Français choisissent une ligne politique pour cinq ans et les objectifs et moyens d’une action collective, le déchaînement de l’ignominie bien au-delà des habituelles nécessités de la catharsis politicienne nationale,  l’élection est devenue un égout à ciel ouvert. Les électeurs consternés se pincent le nez et refusent le spectacle. Ce n’est pas qu’ils n’ont « rien à faire » de ces outrances. Ils sont simplement choqués jusqu’à la moelle.      

Pour l’essentiel, l’extravagance sordide et dangereuse de cette situation trouverait sa cause  dans la double crise « du résultat » et de « la vacuité », dans un contexte marqué par l’effondrement du monde médiatique.  

La dénonciation  des deux crises du résultat et de la vacuité, avec tentative d’y suppléer, est une des missions de ce blog. La question nous intéresse.

La crise du résultat est tout entière dans le déni d’explication de ce que nous appelons La Crise : une baisse continue du trend de croissance depuis 1971, avec une aggravation du poids de la dette globale et des crises périodiques de plus en plus graves. Les crises extérieures ont, en France, fait venir régulièrement au pouvoir des gouvernements socialistes qui ont aggravé les choses tout en trahissant leurs promesses abusives.  Au final, la France est gravement frappée par le chômage et la partie qui ne l’est pas sommée de partir pour ne pas être ruinée par les impôts. Une situation ubuesque qui désespère le pays et qui justifie en effet son mépris des élites administratives et politiques, devenues identiques,  depuis la prise du pouvoir par l’Enarchie Compassionnelle. L’Europe, vue comme une solution magique, s’est développée contre l’avis du peuple, et justifie des politiques de coercition et de déflation dont le monde croyait s’être débarrassé en 1944.

L’auteur, naturellement, ne donne aucune explication de la crise du résultat. Il se contente d’en mesurer les conséquences.  Ce qui fait la jointure avec la seconde crise : celle du sens, qu’il nomme « crise de la vacuité ».

Nous l’avons illustrée ici à de nombreuses reprises (Voir par exemple : http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2016/1/8/C-dans-lair--lart-de-commenter-sans-jamais-expliquer)  .

L’auteur en donne une double explication :

-          Une première, globale, que n’aurait pas désavouée Eric Zemmour, sur le consumérisme débridée qui entraîne le citoyen consommateur dans la bassesse commerciale et la perte de valeur et de transcendance.   

-          Une seconde, spécifique, qui est l’effondrement du monde médiatique dans le néant vulgaire.

La crise médiatique est bien analysée. La sondagite, admet-il, peut être malsaine et manipulée. La religion du buzz conduit à l’hypertrophie de l’émotion et du n’importe quoi, pour attirer une part d’audience dans un PAF désarticulé où personne ne parvient plus à disposer d’une part réellement significative et rentable.  La « juniorisation » trahit « une industrie où les gains de productivité ne sont pas à la hauteur de la baisse des prix ».  Les outrances conduisent à la « délégitimation » de tous et de tout. Et en particulier des politiques, qui sont devenus des objets de dérision et d’attaques grossières dans une sorte de défoulement facile justifié par la « crise du résultat ». Pas besoin d’écouter longtemps les médias pour constater qu’au fur et à mesure qu’ils n’expliquent plus rien les « journalistes »  et les animateurs d’émission se transforment en Savonarole au petit pied et en moralistes de pacotille.

Pourquoi se lancer dans un travail de fond qui ennuie quand on peut se contenter de quelques injures et de quelques propos démagogiques encadrés par des applaudissements provoqués pour se donner la stature de chevalier du bien ?

Le monde politique ne sait pas comment se dégager de cette tourbe. On voit donc s’épanouir  des herbes politiques fofolles qui croissent un temps sur la bonne volonté des gogos. Et qui pourrissent aussi vite qu’elles ont poussé.

Comme souvent, l’analyse, dans ce livre,  est meilleure que les propositions.  Comment éviter que le citoyen écœuré ne se désengage totalement devant la malhonnêteté, l’insignifiance et la malfaisance d’une vie médiatico-politique à ce point déjetée ? Les quelques esquisses de participation citoyenne évoquées sont tellement loin du quantum de changement qui serait nécessaire, qu’on peut craindre qu’elles ne conduisent qu’à plus d’accablement encore.

La vérité profonde est que la capacité de faire, en France, est totalement inhibée par les dysfonctionnements du système global et de la zone Euro, que la France, faute de souveraineté, ne sait plus dégager de véritables élites,  que la capture du monde politique par la haute fonction publique, qui tient par ailleurs la finance et les médias, crée un blocage qui tourne maintenant au pronunciamiento,   que les solidarités nationales ont été dissoutes par une immigration excessive et se sont perverties en confiscation fiscale, que le politiquement correct a fini par tuer la liberté d’expression, que le vieillissement est tragique,  que nous assistons à l’évacuation de la génération-68 à bout de souffle, que le marxisme léninisme qui avait infesté l’université et l’école se meurt dans les convulsions et que plus personne n’a confiance en l’avenir.

L’image la plus précise de la France est celle des clochards bunueliens de Viridiana qui se masturbent  en picolant dans des robes de mariées : le sordide de la dérision et du désordre  de la part de déclassés.   

Oui, les élections actuelles sont sordides.  Sordides, les manœuvres du Président sortant empêché de se représenter par sa propre médiocrité, ses mensonges et ses échecs. Sordide l’hystérie médiatico-judiciaire qui empêche le déroulement serein de la campagne électorale. Sordide le pronunciamiento des énarques de toute obédience qui ne veulent pas perdre un pouvoir abusif et qui se retrouvent tous derrière un inspecteur des finances astucieux et qui joue délicieusement de la flûte.

Le tableau noir mordoré  dressé par Brice Teinturier, malheureusement, n’est qu’un tout petit bout de la toile à la Breughel qu’est devenue la scène politique, économique, sociale, judiciaire et médiatique française.

Requiescat in Pace ?  « Plus rien à faire, plus rien à foutre » ?

Jamais !  

Commentaire
DvD's Gravatar Cette campagne est en effet un puissant appel au boycott massif des élections présidentielles et législatives qui vont suivre !

Car nous voilà bientôt au terme d'une nouvelle campagne électorale qui n'aura toujours pas permis de dégager un diagnostic fondé sur la stagnation économique et sociale dans laquelle le pays s'enlise depuis 1974, et encore moins de dégager la moindre conviction sur les mesures à prendre pour amorcer le redressement.

Rappelons qu'il manque 8 millions d'emplois marchands en France et que l'enjeu majeur des dirigeants politiques est donc de mettre en place rapidement les conditions permettant l'émergence d'une activité économique supplémentaire d'environ €700 milliards annuels (soit la taille de l'économie suisse ou suédoise) dans un délai raisonnable (disons 15 ans), de façon à résorber ce sous-emploi massif qui mine le pays. Et ce de façon auto-financée, c'est à dire avec une croissance de la dette totale inférieure à la croissance de l'activité, de façon à faire baisser la dette relative totale qui atteint un niveau insupportable. Cela implique nécessairement une hausse de l'épargne nationale pour financer ce surcroit de production sans recours important à la dette, ce qui passe obligatoirement par une résorption des déficits extérieurs vis à vis du reste de l'Union Européenne (si possible dans le cadre de l'Euro puisqu'il existe, sinon en dehors de l'Euro si son existence s'avère un obstacle au ré-équilibrage des balances courantes intra-zone), par une résorption des déficits extérieurs vis à vis du reste du monde, par une résorption du déficit public, et de façon générale par une moindre emprise fiscale sur la valeur ajoutée nouvellement créée. Enfin, cela implique une amélioration du niveau général de qualifications de la population. Tel est l'enjeu majeur du pays et la tâche que doit amorcer le prochain président. Bien sûr, c'est l'exact inverse de ce qu'on fait les dirigeants successifs ces 43 dernières années, détruisant avec persévérance l'emploi marchand pour le remplacer par des chômeurs (+5 millions depuis 1974, soit 50% de la population active supplémentaire), des emplois précaires (interim, CDD, stage, emploi aidé, +3 millions depuis 1974 soit 30% de la population active supplémentaire) et des emplois non-marchands qui n'auto-financent pas leur masse salariale par une production de valeur ajoutée au moins équivalente (+2 millions depuis 1974, soit 20% de la population active supplémentaire). En net, pas un seul emploi marchand de qualité créé depuis 1974. Ce désastre étant financé par une fuite en avant insoutenable de la fiscalité et de l'endettement public, les dépenses publiques captant et redistribuant près de 95% de la valeur ajoutée marchande incrémentale produite entre 1974 et 2015. En clair, depuis 1974 : 95% de la valeur ajoutée marchande incrémentale taxée et redistribuée et 50% de la population active incrémentale au chômage. Ce terrible constat d'échec est accablant pour la classe politique et la haute fonction publique (en France, c'est la même chose) à l'œuvre depuis 1974. L'expression de "suicide français" est malheureusement justifiée. Il y a toutes raisons d'écarter du pouvoir la classe politique et la haute fonction publique responsable de ces mauvais résultats.

À voir la cacophonie confuse qui s'est immédiatement emparée du plateau lors du débat du 20 mars 2017 entre les 5 principaux candidats dès que le thème du chômage a été abordé, il est malheureusement très clair qu'aucun des principaux candidats n'a la moindre idée de ce qu'il convient de faire. Aucun n'est à la hauteur de l'enjeu qui est de créer €700 milliards de PIB marchand supplémentaire en 15 ans permettant l'emploi de 8 millions de personnes aujourd'hui au chômage ou dans un emploi précaire ou non productif à la charge du budget général. Très loin s'en faut.

Il est également très clair que les partis dits de gouvernement n'ont toujours rien appris de leurs échecs. Hamon nous ressort les 35 heures, actualisées à 32, sans tirer aucune leçon de l'échec des 35h à créer le moindre emploi. Fillon nous refait le coup de la rupture sans tirer aucune leçon de l'échec de Sarkozy auquel il est associé, en particulier sans comprendre le poids des déséquilibres européens et internationaux dans la situation française. Macron s'emploie avec beaucoup d'opportunisme à renouveler l'ère du vide dont on désespère de sortir un jour. Sa vision, du reste très floue et imprécise, est celle de "l'énarchie compassionnelle" au pouvoir depuis 1974 et qui a mené le pays dans l'impasse actuelle en poursuivant des objectifs internes et externes totalement incompatibles, tout en élargissant constamment son pré carré. Les trois représentants des partis dits de gouvernement n'ont donc aucun intérêt, autre que celui de prolonger ce qui a spectaculairement échoué depuis 1974.

En dernier recours, on nous sort donc l'argument qu'il faut tout de même voter pour l'un de ces représentants des partis dits de gouvernement pour "ne pas faire le jeu de extrêmes". Bien sûr que les "gardes rouges" et les "gardes noirs" ont le vent en poupe. Qui ne le voit ? Bien sûr qu'il y a un risque que l'un ou l'autre des partis extrémistes passe : 43 ans de montée invraisemblable et quasi-ininterrompue du chômage, du sous-emploi, de la précarité, de la pauvreté, de la pression fiscale, des inégalités, de la dette, leur ont ouvert un large boulevard orné d'un magnifique tapis rouge ... ou brun. Quelle chance inouïe pour un parti extrémiste d'avoir des partis dits de gouvernement aussi incapables ! Si un parti extrémiste gagne, ce sera bel et bien grâce aux partis établis qui ont recruté pour eux des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs chaque mois pendant des décennies. Il est en effet très probable que si nous ne pouvons résoudre le problème du chômage structurel de masse dans le cadre d'un système politique et économique qui reste malgré tout relativement libéral, une solution finira par être tentée dans le cadre d'un autre système. Nous n'en sommes peut être plus très loin. Raison de plus pour ne surtout pas prolonger le pouvoir de ceux qui, par leur incompétence et leur incapacité à apprendre des échecs répétés de ces 4 dernières décennies, ouvrent la voie aux extrêmes.

En conclusion, on aimerait beaucoup pouvoir voter en cette période critique pour le pays et pour amorcer la fascinante tâche de redressement. Hélas, l'inadéquation des candidats ne le permet pas. Il faut donc trouver les sources du rebond en dehors des représentants officiels qui font décidément plus partie du problème que de la solution. L'issue est de BOYCOTTER MASSIVEMENT L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2017 ainsi que les élections législatives qui suivent afin de leur ôter toute légitimité et de réclamer à la place la seule forme possible de "gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple", c'est à dire la démocratie directe dans laquelle les politiciens et la haute fonction publique (en France, c'est la même chose) ne font que proposer, soumettre au vote populaire et mettre en œuvre ce qui est accepté, le peuple restant seul décisionnaire de toutes mesures. Si les politiques et les hauts fonctionnaires savaient vraiment mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, on s'en serait aperçu. Or, on s'est constamment aperçu du contraire depuis 43 ans. Ôtons leur donc la capacité de décider de tout à la place du peuple et remettons les à leur vraie place, restreinte aux seuls rôles de proposition et d'exécution des mesures approuvées.
# Posté par DvD | 28/03/17 23:46
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