Tuez le chèque gratuit ? Pas seulement...
L’inlassable offensive des banques contre la gratuité du chèque a repris avec de bonnes chances d’ aboutir, dans le climat iconoclaste qui entoure la prestation du banquier Macron, chargé, au Ministère de l’économie, de redonner les couleurs du sérieux économique à une Présidence française qui ne connait que les combinaisons politiciennes et les joies de la communication.
Les associations bancaires, constamment à l’affût de l’occasion favorable pour tuer la gratuité du chèque et qui relancent chaque année leur offensive sans jamais se lasser, vont donc faire la peau du chèque gratuit et peut être même du chèque tout court.
Au nom de la modernité, concept creux sil en est un, qui n’a jamais justifié quoi que ce soit. Le prétexte nouveau est l’émergence de nouveaux moyens de paiements sécurisés utilisés sur les réseaux informatiques et notamment Internet.
Désormais toutes les opérations concernant la gestion d’un compte dit encore «compte-chèques », seront payantes. Frais d’ouverture de compte, frais de tenue de comptes, frais de fermeture de compte, frais de consultation de compte, frais de versement sur le compte, frais de paiements à partir du compte (chèque, virement ou carte de paiement ou terminaux de paiements), frais d’incidents sur le compte, tout sera l’objet d’une facturation.
Tout cela serait bel et bon si on en profitait pour mettre fin au statut bizarre de l’acte de dépôt bancaire. La fourniture gratuite de la propriété d’une liquidité en contrepartie d’une créance sur la banque, n’a plus aucune raison d’être. Le « déposant » en fait ne fait pas un dépôt. Il perd la pleine propriété de son argent : et l’usus et le fructus. En contrepartie de cet abandon, l’usager bénéficiait de la gratuité de la gestion de son compte. Si on supprime cette gratuité, le statut juridique du « dépôt » n’a pas de sens. L’acte de « dépôt » rendu obligatoire par l’Etat pour des raisons de traçabilité fiscale des transactions, devient une prédation sans cause économique sérieuse.
La fin de la gratuité de la gestion de compte bancaire implique, en toute logique, la disparition des banques de dépôts au profit de deux types très différents d’établissements :
- Les banques de paiement
- Les banques de crédit
La banque de paiement reçoit un dépôt mais n’en acquiert ni l’usus ni le fructus. Pour des raisons de sécurité elle doit déposer l’argent reçu à la banque centrale. Dans la pratique, c’est comme si toute l’encaisse des agents économiques se retrouvait à la banque centrale. Les banques de paiements sont des sociétés de services qui doivent effectuer au moindre coût, dans un univers concurrentiel, toutes les fonctions de tenue de comptes, d’encaissement et de paiement. A elles de mettre en œuvre les technologies de pointe et de faire baisser le coût des transactions. La seule chose qu’on leur demande c’est d’effectuer les fonctions basiques de la façon la plus économique et la plus commode possible, sachant que chacun peut souhaiter avoir un service qui lui convienne et qui soit différent de celui voulu par un autre client.
La justification du coût payé par l’usager est la sécurité de conservation (par rapport à la lessiveuse remplie de billets) et la tenue de compte (encaissement, paiement, position).
Une banque de paiement ne fait aucun crédit et ne crée aucune monnaie. Elle stocke et fait circuler l’encaisse des agents économiques.
Si une banque de paiements fait faillite, l’argent des déposants n’est pas perdu, puisque toute liquidité est dans les comptes de la banque centrale, au nom du client. Seul le capital des actionnaires est perdu en tout ou en partie si le prestataire fait de mauvaises affaires.
Il est strictement inutile de prévoir une garantie quelconque des dépôts.
De même, il n’y aurait aucun inconvénient à voir se créer d’immenses banques de paiement multinationales. Au contraire cela n’aurait que des avantages pourvu que la concurrence soit rendue constamment effective.
Actuellement, par une inversion morale totalement stupéfiante, l’accélération de la baisse du coût des transactions grâce à l’interconnexion généralisée de systèmes d’information décentralisés et miniaturisés sur les autoroutes de l’information, est considérée par le groupement des banques comme une occasion de frais supplémentaires pour l’usager. Déjà en 2002 elles avaient obtenu du juge de ne pas être condamnées par la Direction de la Concurrence pour entente illégale alors qu’elles avaient entrepris de taxer les usagers pour « compenser » la perte sur dates de valeur dues à une meilleure organisation de la compensation.
Le jeu normal de la concurrence devrait permettre aux gains de productivité de bénéficier in fine au consommateur. Pas seulement aux banques. En France le « fascio » pétainiste marche encore impeccablement. Non seulement les banques doivent gagner sur l’utilisation de l’argent déposé mais aussi sur tous les actes qu’elles entreprennent, et si des gains de productivité apparaissent, ils doivent leur bénéficier et à elles seules.
Une parfaite économie politico-administrative, où les liens incestueux entre haute administration, finance et politique permet, en France, une gestion protégée et monopolistique contraire aux intérêts des particuliers et des entreprises, tout en étant sans aucun risque pour les dirigeants. D’où la « surprise » de la première banque de France lorsque ses dirigeants furent condamnés à l’étranger pour des comportements douteux. Ce n’est pas en France que cela arriverait. On a vu avec l’affaire du « crazy Lyonnais » qu’on pouvait ruiner une banque sans grande conséquence, pourvu qu’on soit de l’Inspection des Finances.
La banque universelle, qui multiplie tous les conflits d’intérêts, et qui se fait sauver par l’argent public ou les libéralités de la banque centrale lorsqu’elle se fourre dans un guêpier, est le prototype du système intolérable, source de tous les mauvais procédés.
Nous suggérons de séparer complètement l’activité de banque de paiement, de banques de crédits, de banque d’affaires et de banque de gestion de fortune.
Les banques de paiement n’auront qu’une activité : gérer les comptes et les transactions de paiement de façon concurrentielle, sûre et productive. Elles n’ont pas le droit de faire de crédit ni de créer de la monnaie.
Les banques de crédits sont là pour étudier les opportunités de crédit. Elles travaillent non pas avec les « dépôts » des agents économiques mais avec l’argent qu’elles recueillent sous forme de placement. La correspondance entre la durée des placements et des ressources est assurée, afin que la « transformation » de placements courts en financement longs ne soit pas trop importante. Ces banques sont spécialisées dans le crédit et seulement dans le crédit. Les opérations de banques d’affaires leur sont interdites. Elles ne travaillent pas pour compte propre dans des opérations hyper spéculatives. Leur capital sert à couvrir les erreurs d’appréciation sur les prêts. Il est à noter que les banques de crédit gardent la possibilité de créer de la monnaie, puisqu’il peut y avoir un décalage entre les besoins de trésorerie et l’encours de dette. Le multiplicateur existe toujours. L’ampleur d’une crise de liquidité est réduite puisqu’aucune ruée de déposants n’est possible. En revanche le refinancement peut venir à manquer si les épargnants préfèrent thésauriser dans leurs comptes dans les banques de paiements plutôt que de souscrire aux instruments de prêts de trésorerie à court terme.
Les banques d’affaires travaillent sur leur argent propre et l’argent emprunté mais ne peuvent pas faire d’opération de crédit. Elles ne peuvent qu’investir dans des classes d’actifs et venir en support d’opérations financières spéculatives.
Les banques de gestion de fortune, elles, ne peuvent faire ni crédits, ni opérations de banques d’affaires, ni opérations de paiements. Elles produisent et distribuent des instruments de placements, agissent pour le compte de leur client sur les marchés d’actifs, et tiennent leur comptabilité titre.
Cette organisation aurait l’avantage de la clarté et imposerait les distinctions indispensables entre les différents métiers.
Il n’y a aucune raison qu’un déposant risque de perdre son avoir simplement parce que son banquier s’est servi de son liquide pour faire des opérations dangereuses pour son intérêt propre. En revanche il prend un risque dès lors qu’il souscrit à un titre de placement émis par le système bancaire. Le risque est donc déplacé, pas supprimé. Le déplacement reste utile, justement parce qu’il met tout le monde devant de justes et claires responsabilités.
Il est sûr que la division en quatre du monde bancaire a une conséquence macro-économique sérieuse : la thésaurisation sera renforcée. Actuellement, lorsque les particuliers ne gèrent pas leur solde de compte courant, la banque le fait pour eux… Il apparait un stock mort de liquidité dans les comptes des banques de paiements. En cas de crise, les particuliers peuvent rapatrier tous leurs placements courts vers leur compte courant. Mais les liquidités étant déposées automatiquement en temps réel dans les banques centrales, celles-ci ont tous les moyens nécessaires pour faire face aux obligations des banques de crédits, si nécessaires.
Au total le système bancaire sera plus solide. Le risque d’emballement des crédits sera limité par la plus grande facilité de thésaurisation et l’obligation de trouver de la ressource, non pas automatiquement, mais en convaincant un souscripteur. Le risque de ruée est limité. Le meilleur ajustement entre longueurs de ressources et d’emplois est bénéfique. L’internationalisation serait facilitée, notamment pour les banques de paiements.
Le coût pour l’usager d’un système de banque de paiement, financé explicitement par des commissions ad hoc, serait-il très supérieur au système hybride actuel ? Rien n’est moins sûr, vu l’importance des progrès techniques en cours. Ce serait le client qui choisirait le support de paiement en fonction des coûts encourus, pas le banquier en fonction de son seul intérêt. Les accords anticoncurrentiels seraient condamnables. Si le chèque est trop cher et qu’il existe d’autres alternatives, il n’y aurait aucun inconvénient qu’elles triomphent sur le marché. Alors que le forcing règlementaire intéressé des banques universelles actuelles pour forcer le consommateur est simplement « fasciste », au sens propre et historique du mot. Et il lui appartiendrait de compenser les coûts supplémentaires éventuels en plaçant le solde de son compte courant au mieux.
Bref, en lieu et place du système littéralement pervers qui est en place actuellement, on verrait s’installer une organisation plus productive, mieux équilibrée et plus maîtrisable.
Tuez le chèque gratuit ? D’accord. Mais en réorganisant totalement le système bancaire.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile.


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