Le grand tournant de 1988 !

Nous faisons régulièrement des retours dans le passé. Il éclairent le présent. Prenons par exemple la campagne de Jacques Chirac en 1988. Elle est intéressante parce que nous sommes juste à la césure de l'histoire économique mondiale, européenne et française.

Mondialement :  La crise du début de la décennie 1980 a été sévère aux Etats-Unis du fait de la volonté de la FED et de son gouverneur de "casser" l'inflation. Thatcher et Reagan ont par ailleurs imposé un nouveau style à la gestion de l'Occident. L'Afrique et certains pays émergents comme le Mexique, sont encore dans les affres de la frénésie de prêts publics fondés sur la rente pétrolière recyclée, mais les Tigres et les Dragons asiatiques décollent. C'est le moment Japonais. Le monde entre dans la phase haute du cycle décennal.

En Europe l'idée de l'Euro comme monnaie unique s'est imposée et on la prépare. Ceux qui pensent que l'Euro date de la chute du mur et des accords entre Kohl et Mitterrand se trompent absolument. L'Euro monnaie UNIQUE est sur les rails dans les cénacles européens.

En France le gouvernement de cohabitation Chirac-Balladur a commencé à se débarrasser des pires dérives du désastreux Programme Commun de la gauche, avec des dénationalisations, la fin de l'IGF, l'ISF initial, et a commencé à stabiliser le chômage.

Nous sommes là réellement à un moment clé.

La croissance est là. Des réformes utiles vont devenir possible. La question monétaire internationale  est posée ainsi que celle de l'Europe.

Selon le diagnostic qui sera fait et en fonction des résultats électoraux, l'avenir sera très différent.

Si les Etats-Unis admettent de revenir à un système monétaire organisé qui proscrit les grands déficits et les grands excédents et assure la coordination des politiques économique dans le cadre d'un système de monnaies stables mais ajustables par consensus en cas de dérapage, l'économie casino qui s'est mise en place au milieu des années 70 cesse et une croissance régulière et équilibrée devient possible.

Si l'Europe dans ce cadre monétaire stabilisée, met en place un système de monnaies coordonnées avec des solidarités un peu plus serrées qu'à l'échelon international, elle évite le piège de la monnaie unique, qui interdit tout ajustement autre que par la déflation, sauf organisation fédéralisée des politiques économiques.

Si la France continue de se libérer des imbécillités du programme Commun et modernise son Etat, en stabilisant sa pression fiscale,  elle peut revenir dans la compétition internationale et réduire son chômage tout en améliorant sa croissance.

Quelles sont les propositions de Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 88. Il suffit de relire son livre "Une ambition pour la France", publié par Albin Michel.

"Où que nous regardions nous ne voyons que désordre :

- Désordre commercial entre les pays riches qui accumulent des excédents gigantesques  et d'autres pays, tout aussi riches qui vivent dans le déficit chronique,

- Désordre monétaire  depuis que l'erreur de quelques techniciens et la faiblesse de certains Etats  ont ait entrer le monde dans l'ère des changes flottants qui ne valent rien de bon à personne".

Chirac refuse également la transformation de l'Europe en simple zone de libre échange ouverte à tout vent.

"Rien ne serait plus dangereux que d'offrir à nos concurrents, asiatiques ou américains, l'espace désarmé d'une vaste zone de libre échange."

Mais il annonce la monnaie unique étayée par une Banque centrale Européenne.

"La Communauté doit être un système monétaire complété et achevé  où circule peu à peu une monnaie unique émise par une banque centrale commune".

Pour qu'elle fonctionne, il faut " reconstituer un ordre international avec les disciplines, les automatismes et les sanctions que cela implique dans la gestion des parités monétaires".

Déjà le programme présidentiel annonce qu'il faut que l'Etat se renforce sur ses missions régaliennes et se dégage du reste. Il faut réduire le chômage qui est à 2.500.000 grâce à la formation et à la recherche scientifique. La compétitivité de la France, mise à mal, doit être restaurée (déjà).  

Arrêtons-nous là. Nous pourrions, de façon plus ou moins comique, monter que tout le programme actuel de Valls est une resucée verbale, presque mot à mot, du programme du candidat de droite de 1988 sur le plan intérieur. Ce n'est qu'anecdotique

Plus intéressant : pourquoi les aspects les plus bénéfiques de ce programme n'ont-ils pas accroché l'opinion et pourquoi le monde, l'Europe et la France se sont-ils enfoncés dans un système qui ne pouvait qu'exploser ?

Le bon virage n'a pas été pris.

Nous sommes certes à la veille de la crise décennale de 92-93, qui sera pire que sa devancière de 74 et prendra le titre de pire crise depuis 1929, avant que notre crise actuelle ne lui reprenne le ruban bleu.  Elle aurait pu servir de déclencheur. Mais c'était trop tard : Greenspan venait de se lancer dans un programme d'inondation monétaire après la prétendue "crise des ordinateurs" qui avait fait chuter lourdement le Dow Jones. La guerre du Golfe était gagnée. Les Etats-Unis étaient triomphants. La campagne pour Maastricht était partie.  

La chute de l'URSS, la conversion de la Chine et de l'Inde au capitalisme internationalisé, le triomphe du consensus de Washington, l'extension rapide du champ de l'Union européenne ont créé un "momentum" de fuite en avant qui interdira toute réflexion jusqu'au blocage du système bancaire international en 2007 et son effondrement en 2008.

C'était bien en 1988 qu'il fallait agir. La France s'étant sortie du grotesque retour en arrière mis en scène par Mitterrand pour se faire élire en 1981, elle avait encore de l'influence. Elle pouvait peser.  

Les Français décidèrent cette folie que sera la réélection de Mitterrand. Perseverare diabolicum. Les Français ont considéré qu'il fallait purger le syndrome socialiste français qui s'était enkysté puis enflammé après 1968, en laissant toutes ses chances à une variante partiellement atténuée, comme on désactive un virus. Mitterrand comprendra le message et "lèvera l'hypothèque Rocard".  On en est  désormais à la social-démocratie et au social libéralisme… Encore un effort et le socialisme aura été évacué.  Mais le processus va coûter cher à la France;

Le gouvernement Rocard bénéficie de la phase haute du cycle qui le gorge de ressources fiscales automatiques. Aucune réforme n'est faite. On remet en place l'ISF. On crée la CSG. On troue la coque avec des prestations qui enfermeront une partie des Français dans une trappe à pauvreté. Avec Delors et Beregovoy, on débloque l'option "finance folle" et on crée le chemin d'une liberté totale des mouvements de capitaux, de produits, de services et de travailleurs  en Europe. Le Traité de Maastricht est voté sans aucune réforme préalable du système monétaire international et sans institution de pilotage. Que des sottises !

A la fin du second septennat de Mitterrand, toutes les causes de l'effondrement futur sont réunies :

- Plus de réforme du système monétaire international

- Europe ouverte à tout vent et libéralisme absolu des mouvements sous domination allemande.

- Français fiscalisés à mort

- Préférence pour le chômage et l'assistanat.

Chirac se résoudra au "ni-ni". La violence de la crise de 92 le conduira à "réduire la fracture sociale". La cohabitation Jospin ajoutera les 35 heures et l'étouffement de l'entreprise. Sarkozy évoquera la "rupture" sans la faire. Hollande finira le travail dans le n'importe quoi délirant. L'Europe de l'Euro sombrera dans les politiques de récession et de déflation. Pendant que le monde passera de 250 à 400% de taux d'endettement global et finira par succomber sous le poids de la dette imbécile accumulée.

C'était bien en 88 qu'il fallait agir en profitant de la volonté de Thatcher de ne pas passer sous les fourches caudines de l'Allemagne, de la présence de Schultz aux finances américaines, qui n'était pas un partisan des changes flottants en dépit des rodomontades de Reagan (qui parlait plus qu'il n'agissait) , et en profitant de la phase de croissance du cycle pour réformer en profondeur la France.

Est-ce que Chirac élu aurait eu la force de ce changement de perspectives, à la tête d'une France qui n'était pas encore "sortie de l'histoire" et effondrée dans la gaudriole, le "sociétalisme" politiquement correct, la fiscalité confiscatoire et la paralysie économique ?  

On ne le saura jamais. Notons tout de même que les idées que nous défendons ici, le retour au changes fixes et ajustables, l'interdiction des déficits et des excédents monstrueux de balances extérieurs, la réforme d'un pays qui a développé de façon exagérée et intenable le champ de l'action publique tout en bloquant les processus productifs par une fiscalité délirante et un enfermement administratif incontrôlé et suicidaire, ne sont pas des idées saugrenues, sorties d'un esprit embrumé ou d'un soliloque atterrant.

Elles étaient au cœur du débat français en 88, avant d'être évacuées du discours public devenu un exercice de communicants au service d'écuries présidentielles où la posture et les petites ambitions l'ont emporté sur la recherche du bien commun et d'un avenir français digne de son passé.    

Remarquons aussi que les risques d'une zone Euro sans organes de pilotage dans un système global de changes flottants étaient totalement ignorés.  Nous en sommes encore là avec le traité Merkozy, 25 ans plus tard.

L'histoire est éprouvante !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Pénibilité intermittente et intermittents pénibles

La pénibilité et l'intermittence sont deux concepts du même aloi. Ils sont économiquement ineptes et politiquement plombés. Ils n'ont mené et ne peuvent mener qu'à des sottises coûteuses.

Le caractère pénible d'un emploi est hautement discutable car tout est pénible dans le travail, par définition, puisqu'il s'agit d'une obligation de survie, et qu'il faut ce qu'il faut en fonction des circonstances. Tout travail pénible est toujours moins pénible que se priver des revenus correspondants.

Le caractère intermittent ou non d'un travail est tout aussi discutable. Tout est intermittent dans la vie : le jour, la nuit, les saisons, les âges. La vie économique est saisonnière. L'organisation du travail dans la journée, dans l'année, dans la vie,  n'est pas simple. Tout acte économique est un acte fini, délimité dans le temps. On lance des séries de production. On monte des projets. On rend des services périodiques. Dans tous les métiers, les temps de latence existent. De la boutiquière qui attend le chaland qui ne passe pas, aux intercontrats du conseil et de l'informatique, à l'attente du retour sur un investissement  lourd après la fièvre de la réalisation initiale.

La question de la prise en charge des tâches pénibles et du financement des temps d'inactivité baigne toutes les entreprises, pour l'ensemble des métiers. Depuis le début de la création et jusqu'à la fin des temps, l'activité humaine sera marquée par la volonté d'éviter la pénibilité contrainte et de se garantir des pertes de revenus liées à l'intermittence des gains.  

Isoler des tâches définies comme pénibles et en faire financer les effets par la collectivité, est tout aussi arbitraire  que d'essayer d'isoler des métiers intermittents dont la carence de travail et de revenu  serait couverte par la même collectivité. La couverture socialisée des périodes de non revenu ne peut mener qu'à une énorme complexité, mère de gaspillages et de fraudes grandioses. Couvrir financièrement par l'impôt la souffrance au travail entraîne mécaniquement une formidable organisation bureaucratique dont le coût ne peut que déraper.

L'idée fausse n'est pas qu'il y ait de la pénibilité et de l'intermittence. On l'a vu, toute l'histoire économique a pour but de se couvrir contre ces deux difficultés avec des solutions très variables, dont les meilleures ont toujours été de limiter la pénibilité et de réduire les temps de latence. L'erreur est d'en chercher le financement par "les autres".

Tout a été fait pour réduire la pénibilité des postes de travail ou l'aménager spécialement lorsqu'elle était d'une intensité potentiellement dommageable (vie raccourcie ou maladie).  Dès les années 70 en France, le travail réellement et sciemment dommageable à la santé a quasiment disparu dans les grandes entreprises, grâce à la mécanisation qui a supprimé les tâches les plus dures, l'organisation du poste de travail en fonction des considérations d'hygiène et de santé publique  et l'aménagement des temps de travail. Bien sûr, il y a eu des loupés, comme l'amiante. Nier les efforts entrepris seraient stupides. 

Tout a également été fait pour réduire les temps de latence entre deux périodes d'activité productive.

L'industrie, à ses débuts, proposaient des contrats précaires de louage de services pour la durée de la production d'une série de pièces. Cela créait une intermittence de revenus certaine pour les ouvriers. La massification des productions et la concentration des entreprises ont permis des séries plus longues et d'enchaîner les séries. On est passé du discontinu au continu.  Nous eûmes le salariat. Puis la mensualisation. Personne n'a heureusement proposé que les intermittents de l'emploi industriel voient leur période d'inactivité payée par la collectivité. Sinon il n'y aurait jamais eu ni diversification, ni massification ni concentration : seulement la ruine de l'Etat.

Ce qui est vrai de l'industrie l'est aussi de l'agriculture, de la pêche, du bâtiment, des transports.

On dira : tout cela est vrai, mais la CULTURE !

Certes, on n'y parle pas (pas encore) de pénibilité et pourtant il y aurait tant à dire :

- Les transports innombrables, dangereux, usant.

- Les hébergements de fortune.

- Le stress d'attendre que le téléphone sonne.

- Le travail de nuit.

- La déception et l'inquiétude après les "bides".

- Les tournages à pas d'heures dans des conditions parfois dangereuses et souvent accablantes.

- L'égo insupportable des vedettes…

Un Intermittent sur le WEB pose la question :

"Je sais très bien que je vais en faire RUGIR certains qui bossent ailleurs, mais ceux qui exercent le même boulot que moi comprendront aisément . Hé oui , je suis intermittent du spectacle depuis 30 ans et même si ça dérange qqsuns je voudrais savoir ce qu'il en est de cette nouvelle loi quant à la pénibilité dans notre métier , à savoir ....Les déplacements (souvent très longs) , le décalage des horaires (la nuit , le jour , manque de sommeil), monter , régler et démonter le matos , la longueur des prestations (surtout en BALS...entre 5 et 6H d'affilé), fait-on un distinguo entre Musicien sec et Musicien -chanteur (beaucoup plus pénible), le bruit et les conditions de travail (très souvent lamentables)...etc. Est-ce que tout ça est ou sera pris en compte ou pas un jour ? "

L'espoir fait vivre.

Revenons à l'intermittence.

Même pour les acteurs, des formes d'organisation fort anciennes ont permis de la gérer au mieux. Au théâtre, cela s'appelle une troupe. Pensez à Molière. Un entrepreneur de spectacle recrute pour une durée fixe ou indéterminée un certain nombre d'artistes . Au cinéma, tout Hollywood est d'abord fondée sur la contractualisation des vedettes et le salariat des techniciens dans des structures intégrées. A la télévision, les techniciens et les vedettes sont d'abord contractualisés, comme à la radio.

C'est l'entrepreneur du spectacle qui paie l'intermittence de l'activité des vedettes. En  cumulant les projets on mutualise les ressources.  Un Orchestre est aussi une structure d'accueil fixe pour les musiciens. Les architectes créent des structures pour faire face à des commandes qui permettent d'employer régulièrement des dessinateurs et des techniciens. Mêmes les peintres ont connu les ateliers qui étaient des structures d'accueil pour de nombreux artistes. Beaucoup de peintres ont des contrats avec des galeries qui assurent la continuité de la ressource en dépit de la périodicité et de l'intermittence de la production.

Ces modes d'organisation sont parfaitement viables et n'exigent aucun contrat spécifique.

Naturellement lorsqu'un professionnel (acteur ou technicien)  considère que sa notoriété permet de mener une vie professionnelle indépendante, il peut se mettre à son compte. Il gère son intermittence lui-même, en espérant que les ressources obtenues permettront  de vivre correctement lors des périodes d'inter contrats.

Quelle différence sur ce point entre un comptable, un informaticien, un podologue, un dentiste et un acteur ? Une femme de ménage qui fait des heures, un coiffeur à domicile ou une couturière sans boutique  sont-elles dans une situation si différente ?

Chacun peut exercer en libéral s'il se croit assez fort ou se salarier dans une structure ou un groupe de structures.

Ces considérations expliquent que partout dans le monde ce sont ces dispositions qui s'appliquent et qu'il n'y ait pas de statut des intermittents !

L'évolution des sociétés modernes expliquerait-elle la volonté de recourir à une plus grande précarité professionnelle dont les coûts devraient être socialisés ?

- La hausse du revenu permet certainement à des jeunes d'attendre avec le soutien de la famille le moment où une carrière artistique peut commencer.

- La montée de la consommation culturelle multiplie les offres et donnent des débouchés à des artistes cherchant une carrière individuelle. Chaque ville a désormais sa politique culturelle et ses festivals.

- La multiplication des offres : un artiste a la possibilité de s'exprimer dans de nombreux médias. Le tourisme a permis une activité de rue dont la qualité n'est pas l'essentiel. C'est l'animation qui compte.

- L'hyper-protection salariale et le coût du salarié : le coût de la non activité temporaire devient très élevé pour un employeur.

Ces facteurs, non limitatifs, poussent à une offre surabondante d'artistes isolés.  

De même la tendance à l'externalisation dans les entreprises conduit à limiter le personnel permanent. Les grands magasins louent leur sol à des enseignes et ne conservent qu'un minimum de personnel propre. Le nettoyage et l'entretien sont en général externalisés. L'hôtellerie en arrive à sous traiter le ménage des chambres, la restauration, et même le personnel d'accueil.   Les grandes entreprises informatiques qui avaient des services d'impression et d'édition internes considérables sous-traitent désormais presque tout. L'intérim est devenu la clé de l'emploi dans pratiquement tous les secteurs.

Les prestataires eux-mêmes, soucieux de ne pas se retrouver "collé" avec trop de personnel sous-traite à des individuels.

Pourquoi le spectacle n'irait-il pas dans la même direction, avec une organisation qui permet aux entrepreneurs de spectacles de mieux cerner leurs coûts et d'obtenir des prestations spécialisées ?

Dans bien des cas il s'agit de contourner des réglementations devenues trop tatillonnes ou  trop dangereuses juridiquement. Mais parfois ce sont les professionnels eux-mêmes qui souhaitent disposer de cette souplesse : meilleure facturation ; plus grande liberté.

Ce sont les stars qui ont cassé le système des grands "majors" hollywoodien. Elles voulaient travailler avec les meilleurs metteurs en scène indépendamment de leur rattachement et renégocier leur salaire film par film. Les compagnies ont rapidement vu qu'elles pouvaient limiter la bureaucratie et les frais fixes en acceptant de céder.

Il est exact que l'évolution de l'économie  d'innovation pousse à la multiplication des "projets" qui rameutent un temps un groupe de professionnels qui sont disponibles "sur le marché"  lorsqu'il est fini.  On veut les meilleurs rapidement et pour la durée nécessaire et suffisante. Pas plus.

Du coup  plus de secteurs économiques sont désormais basés sur l'emploi de professionnels indépendants ou de petites structures très réactives.

Est-ce que ces évolutions justifient que la latence inter-contrat, l'intermittence, soit financée par la collectivité, dans quelques domaines que ce soit ?

Une entreprise ne participe à des salons qu'un ou deux fois par an. Les monteurs de stand sont des professionnels intermittents comme les autres. Doit-on considérer que les électriciens, les menuisiers, les décorateurs doivent s'inscrire au chômage  dès la fin d'un salon, en attendant le prochain ? Les paysans ont une activité presque nulle en hiver. Doit-on les inscrire au chômage entre chaque moisson ? Les sociétés informatiques qui détachent des spécialistes  doivent elles les mettre au chômage pendant leur inter-contrat ? Idem pour les sociétés de conseil ? Les journaux doivent-ils vraiment fonctionner uniquement avec des pigistes dont les périodes de latence entre deux articles seraient payées par la collectivité ?  Les chirurgiens doivent-ils compter leurs heures de non opération et exiger le paiement par l'Etat des intervalles entre deux opérations ?    

Ou doit-on laisser les différents secteurs s'organiser afin de faire face le mieux possible et de limiter l'intermittence du travail sans recourir à des fonds publics?

Les chaînes de télévision doivent organiser des milliers d'heures de spectacles en continu. Il parait ridicule qu'elles ne puissent pas s'assurer des compétences techniciennes nécessaires en continu, soit par recrutement interne soit par sous-traitance à des structures extérieures organisées.

On dira : le "spectacle vivant" (horrible vocable qui pue la bureaucratie triomphante) a ses spécificités et c'est pour faire face à des difficultés spéciales que l'intermittence a été inventée. Après tout, ce sont les studios de cinéma  qui ont inventé l'intermittence  lorsqu'ils se sont aperçus qu'ils ne parvenaient pas à obtenir pour le temps d'un tournage les techniciens nécessaires, notamment pour fabriquer les décors.  L'intermittence aurait été inventée par les "patrons" pour assurer un revenu aux techniciens spécialisés entre deux tournages.

La vérité est un peu moins prosaïque. Le spectacle est depuis les années trente un enjeux politique. Celui qui tient l'image tient le cerveau du spectateur. La propagande par l'image est cent fois supérieure à la propagande par le discours. Le génial  Willy Münzenberg a théorisé et mis en pratique ce concept au profit de l'Union Soviétique. Il fallait noyauter le cinéma, et l'ensemble du monde culturel. Les mesures prises en 1936 ont d'abord eu un but politique. L'industrie du cinéma devait être une arme pour l'extrême-gauche intellectuelle et "antifasciste". Les nouvelles formes d'organisation mises en place en 1936 ont permis une très forte syndicalisation de tous les métiers techniques du cinéma, sous l'égide des syndicats communistes, en même temps que les acteurs étaient embrigadées dans des opérations de propagande. Ce mouvement sera amplifié à la libération avec le théâtre dit populaire  puis  la télévision française, où la CGT communiste a "tenu" les "merveilleux techniciens" pratiquement depuis le départ (ils venaient du cinéma). Les réalisateurs communistes comme Marcel Bluwal furent nombreux. En tenant les techniciens les communistes savaient qu'ils pouvaient faire chanter tous les présentateurs, acteurs et cadres. De même le PC voulait que l'art et la culture servent la cause.  Depuis Aragon les bons étaient glorifiés et les autres vilipendés et exclus. Picasso encensé, faisant des colombes de la paix pour le "génial Staline" qui méditait d'envoyer une bombe atomique sur Paris ; Bernard Buffet, dénigré comme témoin d'une peinture bourgeoise dégoûtante dès l'instant où il a refusé de se laisser embrigader. Un exemple parmi plusieurs centaines d'autres du même tabac.

Cette emprise a duré longtemps et le marxisme culturel n'est toujours pas résiduel, même si le PC est aujourd'hui en déroute et a perdu tout pouvoir idéologique. Le mouvement des intermittents actuels est considéré comme un élément d'une action coordonnée contre la droitisation de Hollande et l'arrivée comme premier Ministre d'un social-libéral autoritaire, menée par les anciennes forces communistes, réduites à la CGT.

La garantie accordée à l'intermittence dans le spectacle est donc, depuis le départ, totalement politique et ne correspond à aucune réalité technique ni économique.  C'est un jeu politique qui dure depuis longtemps. Les socialistes et la CFDT  ont essayé de capter l'affaire au détriment de la CGT avec Mme Aubry. On a abouti aux débordements qui ont provoqué la première réforme du début du siècle. La droite n'a pas voulu se mettre à dos la Culture et les artistes trop radicalement.  La réforme  Chirac n'a eu aucun effet sinon de bloquer certains festivals. Le système après la fausse réforme Sarkozy (encore une !) a continué à dériver.

Aujourd'hui le système est tellement fou que plus personne ne peut plus le cautionner. Faire payer par les salariés du privé un abus de droit est totalement indéfendable, même si la "paix sociale", c'est-à-dire la maîtrise de la CGT dans le cadre de pratiques complexes et protéiformes, principalement fondées sur des rentes abusives accordées à des séides, a encore un prix.

La statut des intermittents, comme les subventions à la SNCM, comme le statut des cheminots, comme les comités d'entreprise abusifs, comme le statut des dockers, comme les ouvriers du livre, sont des survivances de la guerre froide  qui doivent purement et simplement disparaître au profit de solutions égalitaires, économiques, et financièrement tenables.

De même qu'il faut éradiquer la pénibilité dommageable plutôt que de la faire prospérer en lui accordant des avantages, il faut réduire par des formes d'organisation adaptées l'intermittence de production. Pas la subventionner.  

C'est vrai pour toutes les productions y compris la production culturelle.

L'art de la politique est d'obtenir des résultats raisonnables. Pas de céder systématiquement à des maîtres-chanteurs qui ont perdu leur voix et leur voie.

Mais que Münzenberg avait de talent !

Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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