En finir avec la banque universelle ?

La crise en cours, liée à l'explosion d'une accumulation monstrueuse de dettes déconnectées de la production, pose obligatoirement la question de la réorganisation bancaire. Même si, comme nous le pensons, le système bancaire a servi d'amplificateur d'une création monétaire provoquée par les défauts du système monétaire international, il n'en reste pas moins que le système bancaire est en faillite virtuelle depuis 2006 et ne donne une impression de vitalité que par des injections tellement massives de liquidité qu'elles en deviennent psychédéliques. L'économie baudruche a une composante bancaire extrêmement forte.

La position officielle des institutions internationales et du G.20 est celle des Etats-Unis : le système est parfait. Des vilains se sont mal comportés. On les sanctionne et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes. On encadre les crédits de façon drastique avec des conditions  en capital de moins en moins tenables et l'amplification cessera. Comme la caution des banques est nationale, on replie  le champs d'action des banques sur le pré-carré national.

La médecine est purement symptomatique.  La cause principale de la crise n'est pas traitée.

L'affaire de la Deutsche Bank est tout à fait symptomatique des conséquences. Comme la BNP et le Crédit agricole en France , l'UBS et le Crédit Suisse, et quelques autres, un peu partout, cette banque a essayé d'être universelle en regroupant tous les métiers.

Aujourd'hui elle est confrontée à la perspective d'une scission du métier de banque d'affaires de ses activités de réseaux  tout en payant une fois de plus des amendes vertigineuses pour avoir participé à des fraudes massives sur le Libor.

La question est intéressante car si on traitait réellement les causes de l'économie baudruche,  l'activité de marché serait réduite de façon drastique.  Le monstre actuel serait réduit à une banque d'affaire restreinte avec, de façon disjointe,  des activités de réseaux peu rentables et sous la crainte des peurs des déposants.  Alors les hésitations sont grandes. Les activités de marchés ayant été totalement relancées par les différents  QE, la tentation est de réaliser des gains majeurs distribués à un petit nombre avec la banque d'affaires et de se débarrasser des tristes activités de banques de dépôts. Vu le faible coût de l'argent, la collecte par les réseaux devient peu rentable et non critique.

Si on se place du point de vue de l'intérêt général, l'enrichissement d'une poignée de dirigeants et de professionnels sur des activités spéculatives de marché n'a strictement aucun intérêt. Si en plus cette activité menace les dépôts et les contribuables, elle est même nocive.

Un autre aspect est la nécessaire augmentation de la productivité des activités de réseau. La renationalisation d es réseaux empêchent des économies d'échelle.  Il ne reste que le renvoi sur le client du travail fait en agence, la suppression du chèque, l'élimination de la monnaie papier, et l'augmentation des tarifs  comme idée de manœuvre. Avec l'idée d'utiliser le parc existant d'agence pour vendre tout et n'importe quoi.  Le réseau cesse d'être une banque pour devenir un système local de services à la personne, dans la sécurité, l'assurance, la communication etc.

Sortir de cette situation suppose le démantèlement des banques universelles,  l'efficacité s'alliant à la morale publique puisqu'une banque universelle  est automatiquement le lieu obligée de conflits d'intérêts insurmontables.  Le Cas de HSBC est de ce point de vue plus que démonstratif. Les autorités britanniques imposent la scission des  métiers. HSBC menace. Mais HCBC n'a plus la main.  

La réforme du secteur bancaire doit se penser dans le développement de banques de métier spécialisées et capables de profiter des sources de productivité liées aux systèmes informatiques et des économies d'échelles liées à l'internationalisation.  

Les catégories de risques et les fonctions de contrôle et de garanties de l'Etat doivent être sériées par métier.

Premier échelon : les banques de paiement : elles ne sont là que pour conserver les dépôts et les faire circuler avec un coût minimum.  Ce sont des sociétés de services. Elles sont rémunérées par le paiement à l'acte avec une tarification soumise à la concurrence. Aux entrepreneurs de savoir s'il faut se "virtualiser" complètement (tout sur le net)  ou mélanger cette activité avec la rentabilisation des agences par de multiples services non bancaires.  Cette activité ne présente pas de risque systémique.  Elle peut s'internationaliser et accompagnera l'ubiquité qui marque l'esprit du temps. Du paiement sur le net à la mobilisation de son cash partout à travers le monde, de nombreuses révolutions techniques sont à inventer et à exploiter.

Ces banques n'ont aucune activité de crédit qui  devient  de la responsabilité des "banques de crédit".  La banque de dépôt traditionnelle est donc divisée en deux métiers différents : la banque de paiement et la banque de crédit.  La banque de crédit travaille uniquement sur argent emprunté. Les particuliers peuvent placer leur réserve en fonds à court terme porteurs d'un risque petit et d'une rémunération peu élevée.  Le profit provient pour la banque de la différence de coût entre l'argent emprunté et de l'argent prêté. Rien que de très classiques. Toutes les structures sont possibles, selon les types de financement.  La surveillance des risques de crédit se fait comme actuellement par les banques centrales.

Toutes les activités de marché sont externalisées vers des banques d'affaires qui, elles,  n'ont aucune couverture de risque publique. Si elles perdent c'est pour les actionnaires et les souscripteurs. Eventuellement pour les banques de crédits qui pourraient leur faire des prêts, si on les y autorise.

Les activités de placements et de gestion de fortune sont  également séparées du reste pour éviter les conflits d'intérêt.

Comment un tel système réagirait-il au maintien des sources d'une économie baudruche ? Les paniques bancaires seraient éliminées. Les dépôts dans les banques de paiements appartiennent au déposant pas à la banque. Si la banque de crédit connait des difficultés, cela touchera ceux qui ont mis de l'argent dans des bons de souscription. S'il y a équilibre entre les durées des bons et des crédits, le système sera plus stable (fin des paniques dues à une trop importante "transformation").  Au pire, les banques centrales refinanceront les banques de crédit si les particuliers thésaurisent dans les banques de paiement les avoirs précédemment placés dans les banques de crédit.  La peur n'est plus chez le déposant mais que le distributeur de crédit.   

Les pertes de la banque d'affaires ne sont plus l'affaire des états.  Qu'elles se débrouillent. !

Si, en plus, on met fin aux sources de l'économie baudruche, c'est-à-dire au flottement général des monnaies et des classes d'actifs, avec interdiction des grands déficits et des grands excédents, on retrouvera une situation saine  où chaque métier aura ses objectifs proches de la création de la valeur ajoutée de production au lieu de ne viser que des augmentations de valeur de spéculation.

Le système sera plus facile à superviser. Il pourra à nouveau s'internationaliser sur des bases claires.

Les échanges internationaux sont à l'heure actuelle à un étiage historiquement bas. Il suffit de voir où en est le Baltic Index pour s'en rendre compte.  

En France depuis le Front populaire puis Pétain, la banque est totalement cartellisée et vit en symbiose avec l'Etat qui lui fournit ses dirigeants, ses règles du jeu favorables et ses garanties. Elle adore le système de la banque universelle.  L'inspection des finances est trop intéressée à ce double jeu entre Etat et Banque pour que des réformes soient possibles. Les banques universelles sont tellement puissantes qu'elles musèlent la presse et le politique.

Une caractéristique nationale malthusienne et centrée sur une micro "élite"  se met une fois de plus en travers des nécessités supérieures.

Il faut mettre fin au système des banques universelles. La législation doit accompagner un mouvement qui de toute façon est inéluctable, comme le montre le dilemme de  la Deutsche Bank ou celui de HSBC.  La banque de papa c'est finie. Et cela doit finir en France.  

Retour vers le futur : 1987 !

Tout le monde l’a oublié. En octobre 1987 un tourbillon monétaire et financier ravagea la finance mondiale.  L’épisode montrait clairement que le système monétaire et financier mis en place par les accords de la Jamaïque conduisait au désastre. L’économie baudruche  connaissait sa première explosion entièrement endogène.

La crise décennale qui avait frappé le monde quelques années auparavant était de mode mineur  par rapport à celle de 74, sauf aux Etats-Unis où Volcker avait décidé de casser l’inflation et sortir de la stagflation.  Avec succès.  L’excès de liquidité restait manifeste globalement avec une poussée de la dette globale mondiale.  Mais les économies avaient commencé à se rétablir sauf en France où la politique désastreuse de Mitterrand avait provoqué le chaos, avant qu’une première reprise en main ait lieu avec Fabius.

La cohabitation théorisée par Balladur et mise en œuvre par Chirac permettait la mise en place d’une stratégie de rupture qui allait marcher du point de vue strictement économique.

Toute ressemblance avec la situation de 2015 n’a rien de fortuite. La folie Hollande des deux premières années a conduit à un revirement à 180° mais pas à une rupture.  La posture est entièrement politicienne.  Et la droite est confrontée à l’obligation de mettre en forme  un programme de rénovation nationale sévère, comme elle l’état en 1986.

En 87, le recul sur le Plan Devaquet de rénovation des universités avait entraîné une resucée de désordres sociaux, façon Mai 68, les syndicats du secteur public tentant d’exploiter la faiblesse du gouvernement.  La cohabitation avait permis à F. Mitterrand de jeter autant d’huile que nécessaire sur les braises.  La situation était à la fois politiquement et socialement fort difficile. Et voilà qu’une crise financière gravissime frappait le monde.

Pourtant, à la réunion du FMI de septembre 1987, l’optimisme est général.

En France,  la politique suivie par Balladur avait permis :

-          De réduire les déficits en dépit de baisses d’impôts importantes comme la suppression de l’IGF (paradoxe pour les étatistes) . Le budget de 87 faisait apparaître un gain de 10 milliards de Francs par rapport aux prévisions !

-          De rétablir largement la compétitivité (par une dévaluation)

-          De relancer l’investissement qui croissait désormais plus vite  en France que chez ses voisins

-          De réduire l’inflation grâce à la suppression du contrôle des prix (nouveau paradoxe apparent pour les étatistes qui pensaient qu’ils allaient s’envoler).

-          De relancer le dynamisme de nombreux secteurs grâce aux dénationalisations.

La rupture avec le socialisme semblait bien marcher.

En même temps, Edouard Balladur constatait l’étroitesse de ses marges de manœuvres :

«  Nous ne pouvions relancer l’économie sous peine de creuser les déficits de toute nature et de mettre en péril la monnaie ; nous ne pouvions diminuer la demande intérieure pour stimuler les exportations, sous peine de ralentir la croissance  et d’aggraver le chômage ».  

En régime de changes flottants avec liberté absolue des mouvements de capitaux, les relances se heurtent immédiatement à une crise financière et budgétaire qui impose de se mettre debout sur les freins. L’expérience de 1974 avait été retenue.

La politique de libéralisation et de retour à la confiance permettait néanmoins de progresser.

C’est là qu’il est intéressant de relire Edouard Balladur  (Passion et longueur de temps chez Fayard -1989).

« Les partenaires de la France ne voulaient pas prendre au sérieux les dangers de la situation monétaire ; dès le début septembre, les taux d’intérêt avaient augmenté aux Etats-Unis comme en Allemagne. Cela risquait de détruite le fragile équilibre né des accords du Louvres conclus six mois plus tôt.  A Washington l’Allemagne refusa de s’engager à baisser ses taux, et les Américains à qui revenait la présidence de séance, firent en sorte que la question ne fut que brièvement évoquée, comme si elle avait été réglée directement entre les Allemands et eux. Constatant la vanité de mes efforts pour faire entrer dans les faits la concertation internationale décidée au Louvre, je déclarai à mes collègues qui si le Japon et l’Allemagne ne renonçaient pas à augmenter leurs taux d’intérêt, nos accords risquaient de voler en éclats. Je n’eus aucun succès ».

On peut déjà tirer deux conclusions :

-          Dans un système global de changes flottants qui est structurellement fondé sur la non coopération, tous les accords multilatéraux sont des farces qui ne résistent pas à la volonté de confrontation des intérêts nationaux chez les pays forts.  Le G.20 est aujourd’hui exactement  la confirmation de ce fait. Les conférences annoncées à grand fracas comme démontrant la coopération de tous sont au mieux des alibis. Le plus souvent des tromperies.  

-          La France, si elle est seule, est incapable de faire entendre sa voix. Le "programme commun de gouvernement" avait fait perdre à la France tout crédit. Même si tout le monde se félicitait du nouveau cours des choses, la réputation et l’influence de la France avaient été durablement ratiboisées.

L’annonce, le 15 octobre 87, d’un déficit extérieur américain en forte hausse  provoqua une hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis et la baisse brutale  corrélative de la bourse (100 points  en une seule journée, le 16 octobre).  Le Secrétaire d’Etat au trésor américain commença à invectiver l’Allemagne menaçant de ne plus appliquer les Accords du Louvre.   Le climat s’alourdit à tel point que la bourse perdit 10% à Londres, 7% à Francfort et 5% à Paris. Le 19 octobre Wall Street perd 22.6% en une séance, Tokyo 14.6%, 24% à Paris, 31% à Francfort et 20.3 à Londres.

Pire que le Vendredi noir qui avait ouvert la grande dépression de 1929.

Edouard Balladur commente : « Dans les affaires économiques et monétaires du monde, la France compte peu parce qu’elle s’est laissée aller trop longtemps. Elle aurait la possibilité de faire aussi bien que l’Allemagne, de peser le même poids. Elle en a les moyens. Rien ne justifie d’avantage à mes yeux l’effort de renforcement économique de notre pays : il y va de son audience internationale, de son avenir même ».

Les  inepties économiques de F. Hollande aujourd'hui ont justement cette conséquence : nous sommes un pays ridiculisé et incapable de parler haut dans le monde, même lorsque nous avons des arguments forts à faire valoir. 

« La France n’avait aucune responsabilité dans la crise alors qu’elle en subissait durement les conséquences ».  On retrouvera exactement cette même situation en 2008.

E. Balladur continue : « Il fallait désormais s’attacher à créer un véritable système monétaire international, avec ses automatismes, ses sanctions s’imposant à la volonté des Etats».

Il écrit ce que nous nous égosillons à dire sur ce blog depuis des lustres.  Contrairement à ce que beaucoup croit, les grands politiques ont été capables de voir et d’anticiper les réformes profondes à faire du système monétaire international.    Aujourd’hui ce n’est plus le cas. La nullité et l’inconscience règnent aussi bien du côté socialiste que du côté de la droite.  

Depuis  que ce blog est ouvert, nous essayons de mettre les faits de notre côté, en espérant un effet pédagogique de la crise. « Les faits sont les meilleurs éducateurs » affirme lui aussi Edouard Balladur.

On peut craindre qu’il ne soit, comme nous,  un peu optimiste.  « Je crois que nous vivons dans un monde  où l’idée que les monnaies doivent avoir entre elles des parités aussi stables que possible n’est toujours pas acceptée ».  Cette faillite intellectuelle est toujours là.  Le retour à un vrai système monétaire international  est partout un « non sujet ».

On a choisi, en 1987, le secret d’accords cachés entre banquiers centraux et gouvernement pour sortir du coup de chaud boursier. Mais sans analyse des causes. Les mesures prises seront une inondation monétaire qui, renforcera l’économie baudruche et permettra de faire gonfler les valeurs boursières.

Une fois encore, tout rapport avec la situation actuelle ne saurait être que fortuite...

« Cela montre l’infirmité  du système monétaire dans lequel nous vivons : il n’évite un mal que pour tomber dans un autre ».

A part Maurice Allais aucun économiste n’a tenté de donner du corps théorique à ce constat indiscutable.

En 1992 se déclarait la crise périodique décennale, variante dure, qui toucha durement l’Europe et la France en 1993. L’explosion de la baudruche monétaire n’avait pas été plus prévue alors qu’elle devenait évidente.

Les économistes anglo-saxons mirent le coup de chaud boursier sur le compte des ordinateurs, et la crise de 92 sur le dos de la guerre du Golfe. Evacuer les crises pour qu’elles ne passent que pour des effets « exogènes » a été le leitmotiv des économistes, des politiques et des journalistes. Seul Maurice Allais relèvera le flambeau à pas d’âge. Et il sera moqué puis vilipendé.

Ce que montre la situation actuelle, c’est que rien n’a réellement changé depuis 1987.

Nous avons vécu la crise du dollar de 1998, appelée faussement mais opportunément « crise des pays émergents et des cronies », ajoutant l’odieux au ridicule, suivi par la crise périodique « douce » du début des années 2000, corrigée à l’aide d’un gonflement de l’économie baudruche jamais vu.   

Puis à nouveau une crise financière liée à l’explosion d’une montagne de dettes,  précédant un écroulement économique d’ampleur historique.

Et les sots croient toujours que la reprise est là, l’incident clos et la nécessité de réformer le système monétaire  international  peu évidente.

Revenir à 1987 est bien un retour vers le futur.

Les Etats-Unis, L’Allemagne et, désormais, le Japon et la Chine, sont toujours dans une perspective de guerres des monnaies, quoi qu’il en coûte au monde et à eux-mêmes. 

La France, elle, s’est ridiculisée un peu plus avec le drame de la gestion purement électoraliste et politicienne du Président Hollande.  Ce n’est pas les deux heures de spectacle politicien lamentable qu’il vient de donner sur Canal + qui rassureront.

En se lançant à nouveau dans l’achat de vote le plus grossier, il a démontré l’abaissement, on peut le craindre, définitif du niveau politique en France.

La France ne peut même plus tenir de discours sur les grandes questions économiques du monde.

Mitterrand avait été un pourrisseur. Ses inconséquences, son narcissisme et son cynisme économique,  ajoutés à sa fuite en avant européenne, ont, d’une part, stoppé définitivement  le rattrapage du niveau de vie américain par les Français et, d'autre part, leur a fait perdre tous moyens d’action sur leur destin. Hollande n’est qu’un continuateur.

Les Français n’ont aucune idée de l’ampleur de ce qu’il faudrait faire pour sortir de ce piège mortel.

Il est vrai que le climat général est en France à l’optimise béat : il fait beau ! Un si joli ciel  bleu ne saurait annoncer des tourmentes. 

Pendant la montée des périls, François Hollande croit qu’il a toutes ses chances aux prochaines élections présidentielles et la droite discute d’un nouveau nom du parti leader de l’opposition.

L’histoire sera sévère !

Quand Le Monde prend un bon virage

Jusqu’au livre de Péan, le Monde s’essayait à fixer le bien-penser à gauche.  Cet exercice lui donnait cet air sérieux qui le démarquait  des autres quotidiens qui servaient certes une clientèle mais qui pensaient que, plus que le prêche, la nouvelle et une certaine légèreté étaient le propre de la presse quotidienne.  Cette pose était souvent comique, comme tout ce qui est forcé. Le rire nait, dit le philosophe, lorsqu’on plaque du sérieux sur du vivant.  « Quand je veux rire, je lis le Monde »disait un homme politique qui n’avait pas pour Hubert  Beuve-Méry la révérence nécessaire.  

Les acrobaties d’Edwy Plenel  ont fait perdre au Monde cette stature de commandeur de la gauche.  L’odieux l’avait emporté sur le risible ce qui rendait le journal vulnérable. La flèche de Péan frappa.   

La tentation de guider fermement  le peuple de gauche n’a pas totalement disparu. Le garde rose, comme le taliban, a besoin de savoir sur qui taper et pourquoi il tape. C’est que la cause  évolue sans cesse sous la pression des réalités et de la simple morale.

Jean François Revel avait merveilleusement décrit  les contorsions rendues nécessaires par la chute de l’empire soviétique, après tant de soutien à toutes les révolutions provoquées par ce régime criminel.  La Grande Parade, au sens de parer un coup, est un livre à lire tous les jours. .

Comment garder son rôle de phare moral lorsqu’on a soutenu tous les régimes criminels de la terre pourvu qu’ils soient socialistes ? Cela demande du doigté dans le revirement.

Il y a peu, nous avons eu droit à l’immense hommage à Simon Leys, l’auteur de l‘indispensable « Les habits neufs du Président Mao ».  Quand on se souvient de la manière dont ce malheureux avait été traité dans le Monde ! Un véritable pestiféré !  Il aura fallu attendre 40 ans, mais le Monde a fini par reconnaître qu’il avait raison et que c’était un grand homme.  Patrice de Beer, qui considérait que la déportation des habitants de la capitale cambodgienne était une idée formidable, alors que c’était le premier acte d’un génocide, s’était égosillé dans le journal pendant des mois pour expliquer le formidable élan démocratique  que représentaient les Khmers rouges.  Jean Lacouture avait menti honteusement pendant toute cette période, expliquant qu’il n’y avait pas un seul soldat vietnamien dans le camp des opposants communistes au régime de Phnom Penh.  Alors que tout le monde savait que les Khmers rouges étaient considérés comme une clientèle par le Vietnam et que le retournement aura lieu lorsqu’ils feront montre d’indépendance. Le Vietnam liquidera les Khmers en quelques jours !  Ils avaient intérêt à criminaliser les Khmers rouges. On a su alors l’ampleur du génocide. Sinon, grâce aux journalistes partisans, tous les crimes auraient été niés, minimisés et évacués de mille façons.

L’affaire des Farc est tout aussi intéressante. Accusé les Farc était impossible dans les années 90 : c’était des Dieux vivants chargés de mettre à bas « l’oligarchie » bourgeoise et pro américaine qui aliénait le « malheureux peuple colombien ». Ces derniers étaient certes élus de la façon la plus démocratique. Mais un torchon démocratique n’est pas une serviette révolutionnaire socialiste ! Les Farc défilaient à Paris le premiers mai avec la CGT. La RATP, via son comité d’entreprise, fournissait aux Farc les bus réformés.  Gare à qui dirait que les glorieux guérilleros étaient d’infâmes criminels tuant, violant, volant, trafiquant sans vergogne , en utilisant le rapt comme moyen de financement habituel, et l’engagement des enfants dans ses rangs un moyen de recrutement prisé.  Les Farc  étaient pilotés par Reyes, un cadre communiste formé en Allemagne de l’Est, en liaison directe avec Moscou, même si la liaison quotidienne passait par Castro.  

Il était impossible de critiquer les Farc sans qu’un tombereau  d’injures vous tombe sur le dos.  Seul un vil fasciste pouvait croire que les Farc n’étaient pas l’incarnation d’un mouvement de libération sociale formidable dont la victoire serait un triomphe de la démocratie.

Pour avoir recopiée l’histoire parue dans un journal en langue espagnole d’un petit Armando  qui avait été massacré devant sa mère et son père lors d’une opération de « recrutement » dans les campagnes, dans des conditions horribles (un glorieux révolutionnaire conscientisé avait pris le bébé par les pieds et fracassé sa tête sur le chambranle de la porte d’entrée, en guise de salut révolutionnaire propriatoire), un flot ininterrompue d’injures emplit soudain le forum du Monde. L’histoire était horrible et vraie. Le second fils de la famille s’était caché à l’arrivée des barbus.  Pour le faire sortir, ils commencèrent à violer la mère. A tour de rôle. L’enfant se rendit. La mère se suicida. Le père tua ses quelques bêtes et mit le feu à sa ferme. Il partit oublier dans les banlieues de Bogota.  Plusieurs dizaines de milliers de paysans ayant connu ce genre d’histoire l’y attendaient, sans que jamais un journal français n’y ait fait jamais la moindre allusion.

Puis il y eut l’affaire Bettancourt.  L’opinion ne pouvait pas être tenue en dehors de toute information. Les crimes des Farc devenaient compromettants. La presse de gauche ne pouvait plus se contenter d’affirmer que tous les grands crimes étaient commis par les « fascistes » élus démocratiquement à la tête de la Colombie.  Les agents d’influence en Espagne et en Suisse commençaient à être inquiétés. Il fallut quelques années mais un beau jour Pagès au Canard Enchainé lança le mouvement : « la faucille et le narco ». Les Farc n’étaient plus de gentils guérilleros mais des trafiquants sans scrupules. Indéfendables. Le lendemain, le Monde, Le Figaro, le Soir en Belgique, publiaient des articles vengeurs ! C’était des « guérilleros en peau de lapin ». 

Défendre les Farc devenait hautement criminel. Le retournement fut  brutal. Un incident le montra bien. Une femme avait été kidnappée dans la banlieue de Bogota. On lui avait soudé un collier explosif autour du cou. Devant le tollé général les kidnappeurs décidèrent de faire sauter le collier et de penser à autre chose. Wikipedia imputa l’évènement aux Farc. Le Monde, qui n’avait pas annoncé ce crime immonde, passa le démenti des Farc.   Il avait raison. L’enquête objective de la justice colombienne  découvrit les auteurs : les voisins d’en face, qui s’étaient lancés dans le racket en pensant que cela serait mis sur le dos des habituels commanditaires de ce genre de crimes.  Il fut impossible de corriger Wikipedia de cette erreur. Les veilleurs de gauche l’empêchèrent !

De la même façon, Mmes Coencas et Chipaux, deux journalistes chargées au Monde de la propagande des mouvements révolutionnaires,  durent mettre un sérieux bémol à leur désinformation.

Le Monde avait définitivement viré sa cuti sur les glorieux révolutionnaires rouges.  On ne risquait plus de désespérer Billancourt : il n’y avait plus d’ouvriers.

Restait l’économie.  Quiconque expliquait en cette fin de 20ème siècle sur le forum du Monde que l’Etat était obèse, l’impôt excessif, la politique de Jospin étouffante, la dépense publique d’un niveau absurde,  était un fasciste et un néolibéral abject.  Le Monde veillait à ce que les bonnes idées triomphent. Jusqu’à ce que Hollande fasse son virage néolibéral  vers la politique de l’offre et le social-libéralisme.

C’est  Arnaud Leparmentier qui par un article en première page, conclu en dernière, , qui s’est collé au travail d’aggiornamento (« la France est une Grèce qui s’ignore » - Livraison datée du jeudi 9 avril 2015).

« Nous devons des précisions aux lecteurs », indique l’auteur. Il aurait pu aussi bien dire : nous devons la vérité aux lecteurs.  Ce devoir de vérité est ce qui distingue la presse de gauche vraiment de gauche de vils partisans.

«  Depuis 90 la croissance de la Grèce a été supérieure à celle de la France » et nous, Français trop prompts à nous glorifier de notre néant,  « nous sommes plus nombreux à nous partager un maigre gâteau ».  On part de 90 pour épargner le double septennat mitterrandien, soutenu par Le Monde, qui est largement responsable des résultats constatés.

Le Monde rejoindrait-il le clan des « déclinistes » ?

« L’avantage de tels rapports (celui de l’OCDE de mars 2015) c’est qu’ils permettent d’établir des séries longues, de sortir des querelles d’héritages « droite-gauche » et de s’extirper du « on fait dire n’importe quoi aux statistiques », gri-gri bien commode  pour nier une vérité dérangeante ».

Tous les lecteurs de ce blog savent que nous défendons inlassablement les séries longues et le développement de l’infographie dans la Presse,  que nous considérons les divisions droite-gauche comme de peu d’importance explicative  pour l’économie et que les statistiques, si elles doivent être bien interprétées, chantent des vraies chansons qu’il est malsain de ne pas écouter.

Bravo Le Monde !

Mais on se rappellera tout de même que celui qui disait tout cela en 97-98, sur le forum du Monde, était aussitôt vilipendé (il faudrait des pages entières pour recenser les injures, d’adeptes de Reagan-le-Clown et de Thatcher-la-salope,  à fasciste néolibéral invétéré).

« Quelle est la définition d’un fasciste ? » disait l’un : « c’est quelqu’un qui ne croit pas à la distinction droite-gauche », répondait l’autre.  L’économiste était nécessairement un faux prêtre de droite, nécessairement de droite, exploitant honteusement des statistiques truquées pour tromper le peuple. Ne disait-il pas avec les économistes classiques que si on charge les salaires le chômage monte ! Intolérable.

« Ce pays étouffe  sous l’impôt et la dépense publique ». Oui , oui, c’est bien cela ! Sauf que qui ne criait pas « Vive l’impôt » était précédemment  un être vil et asocial.

« Il faudra opérer une réduction dont Valls-Hollande n’osent pas parler pour l’instant ». Ce « pour l’instant » est miraculeux. Le bon chemin est tracé. Il suffira simplement de faire passer le message aux troupes à qui on affirme l’inverse depuis des décennies.  Lors qu’on écrivait EXACTEMENT LA MEME CHOSE en 97,98, alors que DSK et Jospin faisaient et disaient EXACTEMENT L’INVERSE,  vous initiez une émeute sur le forum du Monde.

Nous citions alors les efforts faits par toute une série de pays pour réduire la dépense publique de plusieurs points de PIB. C’était l’époque où Lionel Jospin tentait de ridiculiser Tony Blair et faisait rire à son détriment dans les instances socialistes européennes. On cite désormais les efforts réussis des autres  dans un article du Monde cité. Dix sept ans après !

« La direction est bonne et le ton juste depuis que Valls Macron ont mis fin aux erreurs du début de mandat ».   Il y avait donc des erreurs ? 

La question est de savoir si les réformes représenteront seulement 1%, 10% ou un tiers du chemin nécessaire.

« La question est décisive » affirme l’éditorialiste.  Elle l’était depuis longtemps et tout a été aggravé sans que le Monde ne s’en offusque.  Mieux vaut une prise de conscience tardive que pas de prise de conscience du tout.

« La France risque de devenir une grande Grèce à force de diverger ».  C’est bien vrai, çà !

Le Monde a enfin viré sa cuti économique, après sa cuti révolutionnariste.  C’est bien, c’est très bien ! Un peu tardif mais très recommandable tout de même.

Bientôt le fasciste attardé sera celui qui ne croit pas  aux nécessités du redressement économique, à la limitation des dépenses publiques, aux avantages catégoriels déments. D’ailleurs le mouvement est en cours : Marine Le Pen a repris le discours de gauche traditionnel !

Il est intéressant de noter que le terme de néolibéral  a été évacué opportunément du journal.

On a évidemment de la tristesse pour la masse des suiveurs de gauche qui se trouvent brusquement pris totalement à revers de leurs anciennes haines et vomissements.  Le Monde les aurait-il trahis ?

Mais non !  C’est sur tous les sujets que la gauche , depuis 60 ans, est obligée à tous les reniements, à tous les virages à 180%. Elle était contre la décolonisation et nous eûmes Guy la Tomate, contre le pouvoir personnel d’un général adepte du pouvoir personnel et du coup d’état permanent. Les institutions furent entièrement validées par F. Mitterrand qui ne s’écarta pas plus de sa diplomatie.  C’est la gauche delorienne qui amorça, bien plus que les anglo-saxons, la dérégulation financière générale et promut la liberté des mouvements d’hommes, de marchandises et de capitaux.  La chute du mur révéla l’énormité du mensonge soviétique repris par la presse en France.  Pierre George, qui sévissait au Monde, expliquait naguère que la RDA était « au niveau des meilleurs ». Il fallut constater qu’aucune de ses entreprises ne pouvaient survivre dans la compétition et que la pollution était effroyable, la qualité des produits misérables,  les équipements toujours au niveau de ce que les nazis puis les soviétiques avaient volé un peu partout.

Alors plaignons le garde-rose dans ses certitudes à géométrie variable et dans sa chasse au fasciste protéiforme.

Et réjouissons-nous que Le Monde rejoigne le monde des observateurs pour qui la vérité l’emporte sur les nécessités de l’idéologie.

Les infographies du Monde sont constamment meilleures. Les articles économiques de mieux en mieux fondés. L’ARTICLE RECENT SUR L’IMMOBILIER ETAIT MIEUX QUE BIEN : ABSOLUMENT EXCELLENT. Espérons qu’il s’agit d’un mouvement de fond et pas seulement une virevolte opportuniste nécessaire à la réélection de François Hollande. 

Nous, ici, on aime bien Le Monde, quand il regarde le monde avec des yeux ouverts sur la réalité. Pas quand il essaie de fixer le bien-penser d’un « peuple de gauche » mythique et le plus souvent mystifié par les politiques qui parlent en son nom.  Et nous trouvons « dulcis et decorum »qu’il reprenne par la plume d’Arnaud  Leparmentier tout ce que nous écrivons depuis 20 ans un peu partout et depuis 8 ans sur ce blog ! 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Après l’Argentino, l’Ellenikos ?

Les spécialistes se souviennent de la crise monétaire argentine.  Le pays avait choisi de mettre fin à un laxisme monétaire endémique en mettant en place un régime monétaire très particulier : « le currency board ».  Le Peso était aligné sur le dollar avec une parité de 1 pour 1.  Pour maintenir cette parité aucun peso ne pouvait être créé sans contrepartie en dollar. C’est l’excédent de la balance des paiements en dollars qui justifiait la création de monnaie banque centrale en peso. Toute demande de conversion d’un peso en dollar était donc d’une certaine façon garantie. La masse monétaire en Peso était équivalente aux réserves en Dollar.

Le système était possible parce que le Campo argentin était structurellement exportateur.  L’agriculture argentine alimente le monde.

Ce système a eu un résultat initialement miraculeux : l’inflation a aussitôt cessé. Jusque-là le pays vivait au rythme des poussées d’inflation à deux chiffres et des blocages de prix, avec des conséquences parfois farfelues : le prix des voitures importées était bloqué mais pas celui des volants. Le volant finit par coûter le prix de la voiture dont le prix officiel ne comportait pas de volant qui était en option mais obligatoire à l’achat du « package » !

Ce système de caisse monétaire très particulier revenait à une semi dollarisation de la monnaie nationale mais sans la honte d’utiliser en interne la monnaie d’un autre pays. Il était plus fragile que la dollarisation puisqu’il restait une monnaie nationale et une banque centrale. On sait depuis Copernic, repris par Gresham, que la mauvaise monnaie chasse la bonne et que tout reposait sur la solidité d’un lien administratif entre Peso et Dollar qui pouvait être dénoué par la politique.

Le « currency board » n’avait été utilisé que dans le cadre colonial ou par de petits pays vivant en symbiose avec un gros voisin.

Dans un système mondial de changes fixes mais ajustables, et pourvu qu’on soit structurellement exportateur, le système est viable.

Dans un système de changes flottants, l’initiative devenait autrement plus aventurée. Si les pays destinataires du Campo dévaluent, la compétitivité de ce dernier est entamée. La masse monétaire se trouve réduite et peut même se contracter violemment, entraînant une déflation problématique.

Lorsque le dollar s’est envolé après le tremblement de terre de Kobé, doublant à peu près contre toute monnaie, le Peso argentin a ipso facto été réévalué d’autant, ce qui a bloqué les exportations de l’Argentine, donc la création monétaire.

Quand le principal partenaire de l’Argentine, le Brésil, a dévalué massivement le Real, la situation monétaire argentine est devenue catastrophique. Il aurait fallu dévaluer le peso mais il était lié au dollar qui flambait.

Les Argentins ont commencé à craindre pour le Peso et ont demandé la conversion en vrai Dollar. La création de monnaie de banque avait été faite en pesos. La contrepartie en dollar de la masse monétaire globale y compris les dépôts créés sur le sol argentin par les banques n’existait pas. Les réserves de la banque centrale furent bientôt menacées puis le blocage est survenu.

Le gouvernement a cru un temps qu’il pourrait résister.  Puis les mesures d’exception commencèrent avec l’apparition du fameux « corralito ».  Les comptes en dollars furent partiellement gelés. Les comptes en peso devaient seuls fonctionner. On espérait que la course au dollar s’arrêterait  et que le pays fonctionnerait sur les pesos que les banques pouvaient éventuellement créer en développant le crédit. Mais la fuite devant le peso avait asséché la trésorerie des banques et le marché interbancaire s’était bloqué. On demanda au FMI de la liquidité. Mais la quantité de dollars à fournir était hors de proportion pour faire face à la fuite devant le Peso. Les gouvernements régionaux commencèrent à faire circuler des reconnaissances de dettes pour ne pas contracter leurs dépenses, avec des noms plus ou moins explicites. L’Argentino, fut une de ces reconnaissances de dettes circulantes. Pas la plus importante mais la plus symbolique.

Au bout d’un moment tout le dispositif craqua à cause des remboursements des prêts internationaux privés ou publics. Les créanciers voulaient de bons dollars pas de l’argentino.  La conversion forcée des comptes en dollar en peso puis le défaut vis-à-vis de l’étranger, puis le retour au peso seul, très fortement dévalué, s’ensuivirent. Le Campo recommença à exporter mais les dollars ne rentrèrent plus au pays. L’Argentine n’eut plus accès aux marchés de capitaux internationaux. Les investisseurs étrangers, grugés et spoliés, quittèrent le pays (notre EDF national y laissant de gigantesques plumes).  

Les derniers épisodes sont connus :

-          Mme Kirchner pillant la banque centrale

-          Les hedge funds qui avaient racheté de la dette bradée exigeant le remboursement auprès de la justice américaine et gagnant.

-          La déréliction générale de l’Argentine.

Un pays qui ne sait pas gérer sa monnaie est livré nécessairement ou à ses créanciers et/ou au chaos.

La Grèce se trouve dans une situation similaire, parce qu’elle n’a plus sa souveraineté monétaire et que l’émetteur de monnaie banque centrale et le superviseur des émetteurs monnaie de crédit est étranger.  

La trésorerie des banques grecques est à sec parce que les Grecs ont déplacé leur argent à l’étranger soit en Euro soit en devises étrangères (beaucoup en Franc suisse). La valeur des dépôts est passée de 220 milliards à 140 milliards ces dernières années. Ces sorties n’ont été possibles que parce que la BCE a accepté de fournir jusqu’à 140 milliards d’euros aux banques grecques. La loi de l’euro veut qu’on ne puisse pas refuser la sortie des capitaux en euro ! Il faut bien que quelqu’un intervienne.

L’affaire de Chypre, où la BCE a imposé le vol d’une fraction importante des dépôts,  inquiète naturellement les Grecs qui ne conservent en banque que le strict minimum.

Le gouvernement grec n’a plus la ressource de créer de la monnaie pour lui-même. Les banques ne peuvent plus lui prêter, faute de trésorerie. Il est donc à la gamelle et attend constamment des subventions européennes qui ne lui sont données qu’au prix d’un « assainissement de la dépense publique » qui tourne évidemment à l’assassinat économique. La dette dépasse le PIB et s’aggrave !

La tentation devient très forte  de recourir aux mêmes facilités que les gouvernements régionaux argentins : faire circuler des certificats de dettes et leur donner le pouvoir de payer les impôts.

Au passage notons que la monnaie est toujours de la dette !

Ces certificats s’appellent des IOU (I owe you) en jargon anglo-saxon, de simples reconnaissances de dettes.

Sur le modèle de l’Argentino parlons plutôt d’Ellenikos.

La question juridique du droit d’émettre de l’Ellenikos et de lui donner un pouvoir de règlement n’est pas si nette que cela. Imaginons que le gouvernement décide finalement d’émettre « provisoirement » des reconnaissances de dettes en Ellenikos à hauteur de ses besoins internes tout en conservant l’Euro. Est-ce que cela pourrait marcher ?

Les fonctionnaires n’auraient pas le choix : ils seraient payés en Ellenikoi et les commerçants seraient sans doute forcés par la loi de les accepter. La mauvaise monnaie chassant la bonne, les étrangers venant en Grèce seraient sans doute obligés de payer leur hôtel en Euros. Pour éviter que les  recettes ne repartent aussitôt à l’étranger, il sera nécessaire de mettre en place un contrôle des mouvements de capitaux, lui totalement exclu par les traités.

De même que faire des 100 à 200 milliards d’Euros déposés à l’étranger ? Difficile de ne pas imposer leur retour ou un contingentement façon « corralito » : montant en euro que l’on accepte de voir détenue par les Grecs en Grèce ou à l’étranger. Là encore, les traités seraient violés.   

Il est à noter que les Ellenikoi seraient libellés… en Euros. Ne pas confondre avec un retour à la Drachme.

La Grèce comme l’Argentine n’a de ressources extérieures que via le tourisme et l’agriculture. C’est la seule source d’euros.  

Les exportateurs recevront donc de l’Euro mais ne pourront pas l’utiliser en interne. Il faudra les convertir en Ellenykoi sur un par de un pour un.

En revanche pour convertir les Ellenikoi, il faudra passer l’office des changes de la banque centrale de Grèce qui ne donnera de l’euro que pour des motifs limités (licence d’importation).

Peu importe si le marché noir qui permettra de convertir de l’ellenikos en euro marque une décote par rapport à la parité.

L’émission d’Ellenikoi mettra fin à la déflation sans recourir à des prêts en euros. Les recettes extérieures en euros permettront de rembourser progressivement des dettes d’Etat en Euros.   

A terme le gouvernement pourra racheter contre euro les ellenikoi ; sur la base de la parité ou avec une décote.

En dix quinze ans l’affaire pourrait être réglée.

Cela éviterait tous les ennuis actuels, récession terrifiante, injures réciproques, tentatives de vendre les biens agricoles en Russie en profitant de la surprime de violation des règles d’embargo, etc.

Les banques grecques verraient leur bilan  en Ellenikoi enfler sans avoir recours aux prêts de la BCE. L’Etat grec ne serait plus asphyxié mais devrait rester extrêmement prudent. Evidemment les prêts en ellenikoi risquent d’être problématiques. Mais actuellement les banques grecques ne jouent pratiquement plus qu’un rôle de banque de paiement. Plus personne ne veut de leur papier sinon la BCE.

La banque nationale grecque n’émettrait pas d’ellenikoi sinon par conversion de tout euro en ellenikos. Seuls les déficits du gouvernement grec et les exportations créeraient de la monnaie. Une différence avec le cas argentin ; Il y aurait naturellement une certaine inflation en ellenikos des prix à la consommation. Cela vaut mieux que la déflation.

D’accord, toutes les règles de l’Euro auraient été violées. Mais que fait-on depuis sept ans, sinon violer toutes les règles absurdes mises en place après Maastricht ? L’expérience argentine ne laisse pas d’inquiéter. La double monnaie n’a pas résisté longtemps. Mais en fait c’était un système à monnaies multiples : dollar, peso et monnaies substitutives. Ici il n’y aurait pas de Drachme.

Dernière remarque : le dollar n’avait pas avant 1971 de valeur intrinsèque : il donnait accès à l’or sur la base de 35 dollars l’once. Comme les Ellenikoi donneraient accès à leur valeur faciale en Euros. De même, qu’un temps, les billets de banque donnaient accès à leur contrepartie en pièce d’or.

L’avantage du système est qu’il donnerait un certain espoir. Après tout il existerait une perspective de s’en sortir sans tout casser.

Mené avec intelligence et doigté un tel système pourrait conduire à un retour à l’Euro finalement assez vite.  La situation actuelle en revanche est sans issue.

Une autre solution serait que la BCE crée elle-même la monnaie nécessaire à l’état Grec et provoque dans ce pays une inflation en Euro. Certains commencent à envisager la solution. De toute façon il faudrait mettre en place un contrôle des changes.

Créer un Ellenikos serait une meilleure solution car elle éviterait le risque de contagion ou seulement dans des pays si petits (le Portugal) que cela n’aurait guère d’importance.

La France ne pourrait pas mettre en place ce système-là. Mieux vaut qu’elle se réforme  et restaure sa compétitivité.

Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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