Economie et politique (2) : les socialistes
Toute l'histoire de la gauche de 1848 à 1989 a été celle de la colonisation de cette tendance par les différentes formes antagonistes de socialismes. La révolution de 1789 avait été bourgeoise. Ce n'était qu'une étape. Avec Babeuf, passons des libertés formelles aux libertés réelles et sus au bourgeois. L'URSS ayant finalement réussi, un siècle plus tard, à instaurer le « socialisme réel ». Il appartenait à toute la gauche de s'associer à la victoire pour faire triompher cette forme d'organisation sociale dans le monde entier. La droite honnie était ce mouvement de "réactionnaires" qui s'opposait bêtement aux conquêtes sociales. Le débat socialiste portait essentiellement sur le degré de violence à imposer aux sociétés pour rendre la révolution définitive. L'évidence des atrocités commises par les différents régimes communistes a créé, notamment en France et principalement dans les différentes communautés juives, l'idée d'un communisme un peu moins sommaire. Les partisans d'un socialisme respectueux de la démocratie libérale, plus ou moins fusionné avec le radicalisme, acceptaient le message marxiste de condamnation scientifique du capitalisme mais voulaient respecter les formes bourgeoises de la démocratie parlementaire. Le socialisme particulier que fut le national-socialisme, en concurrence et opposition directe avec le communisme, sera l'occasion d'une concurrence dans la violence destructrice, le crime et le génocide entre Staline et Hitler puis l'ensemble des régimes communistes, notamment la Chine. 100 à 150 millions de victimes assassinés du côté communiste et 40 millions du côté hitlérien (et des milliards de vies gâchées) plus tard, la séduction du socialisme violent s'est éteinte par effondrement interne de l'URSS, et conversion de la Chine au capitalisme d'Etat, motivée par la peur du nationalisme Han de voir la Chine devenir un nain économique par rapport au Japon ainsi qu’aux Tigres et Dragons à ses bordures.
Le socialisme, sous sa forme marxiste d'élimination de la propriété privée du capital et sous sa forme romantique de révolution, est mort en 1990. L'effondrement a eu pour conséquence d'installer des nationalismes plus ou moins virulents en Russie, en Chine et dans tous les pays anciennement communistes, y compris la bordure occidentale, rattachée à l'Union Européenne. L'indépendance retrouvée a provoqué des poussées nationalistes en Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Pays baltes etc. En Occident et plus particulièrement en France, la disparition de l'URSS a eu des conséquences plus ou moins étranges.
La première est la pénétration substitutive du "politiquement correct" radical en provenance des Etats-Unis qui est à la source de maints thèmes "sociétalistes" jusqu'ici étrangers au socialisme.
La seconde est l'effondrement d'une curiosité française : le trotskisme protéiforme et dominateur à gauche. Il y avait encore récemment plusieurs candidats trotskistes aux élections présidentielles. L'essentiel du mouvement s'est rangé en tant que faction au PS. Le reste périclite doucement.
La troisième est la perte quasi-totale du milieu ouvrier par les organisations « ouvriéristes ». Le socialisme français est un socialisme de fonctionnaires, de bobos des grandes villes et de petit peuple vivant d'allocations. La conversion du PS à une Europe de la libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, dans un cadre mondialisé, a mis sous tension le monde du travail concurrentiel et créé un ressentiment social anti-socialiste qui a fait fuir l'ancienne classe ouvrière vers d'autres extrémismes.
La quatrième est le manque de charisme des dirigeants socialistes de Guy mollet à Hollande, qui, pris dans les contradictions de l'évolution historique, oscillent depuis 50 ans entre un discours de socialisme radical décalé et une pratique de n'importe quoi.
Minoritaire politiquement en France, le socialisme a perdu sa base sociologique supposée et cherche à en reconstituer une autre avec la population immigrée. Mais l'Islam, qui en est une composante majeure, est largement incompatible avec "les valeurs de la République" et les classes populaires considèrent être victimes de l'arrivée massive d'immigrés. Les contradictions s'exaspèrent.
Du coup le PS ne vient au pouvoir qu'en cas de crise de conjoncture et après d'intenses campagnes de dénigrement d'un adversaire lui-même divisé. Mitterrand ne parviendra à ses fins qu'après que la crise de 73-74 ait profondément ravagé la France. Giscard avait perdu la confiance des Français par ses excès fiscaux et, à juste titre ou non, une partie de sa réputation après une campagne dominée par l'affaire des diamants. Le style très affecté de Giscard ne passait plus. Hollande ne viendra au pouvoir qu'à la suite de la crise de 2008, alors que les Français étaient bousculés par le chômage et une montée fiscale considérable, que la personnalité de Sarkozy en faisait la cible d'attaques ad hominem innombrables et que la division régnait à droite avec la dissidence du Modem.
Autant dire que l'économie qui était pourtant au cœur même du marxisme et donc au cœur du réacteur nucléaire du socialisme, n'a jamais été dominante dans les programmes de gouvernement de la gauche.
Le Programme commun de la gauche mettra fin au rattrapage par la France du niveau de vie américain et initiera la descente aux enfers progressive de l'économie française.
Rocard détournera la prospérité temporaire liée à la phase de haute conjoncture du cycle et créera les conditions d'un drame lors du retournement conjoncturel subséquent.
Arrivé par surprise, Jospin ne sait pas trop quoi faire. Il considérera que son rôle est de peser dans les contrats en faveur des salariés, des locataires etc. Cette lutte contre "la domination du capital" s'accompagne d'immenses "cadeaux au peuple" comme les absurdes 35 heures. La France y perd sa compétitivité et le chômage structurel explose dès le renversement de la conjoncture. Le clientélisme municipal et régional atteint des sommets.
En 2012, la campagne de François Hollande est du même tonneau :
- Promesses tout azimut de "droits à"
- Attaques ad hominem contre la droite honnie et "fascisante", et contre la personne de N. Sarkozy
- La crise est niée.
Ce sera une des pires campagnes électorales jamais connues.
Mais, comme Sarkozy, dont il est quasiment le clone, il est arrivé au pouvoir non seulement avec une tactique électorale très étudiée mais avec un schéma pour se présenter en bonne forme à l’élection présidentielle suivante.
Sa stratégie a été clairement annoncée et dès le départ:
- « Faire payer les riches » en début de mandat pour se sortir des obligations du traité Merkel-Sarkozy
- Tenir le terrain par des mesures symboliques et "sociétalistes" pour se garder à gauche (« ce n’est pas la droite qui aurait fait tout ça ! »)
- Se placer pour la réélection en multipliant les "cadeaux au peuple" et l'achat de vote en dernière partie de mandat.
Ce schéma ne s’est pas déroulé comme prévu. 2012,1013 et 2014 ont été des catastrophes économiques et sociales caractérisées. Le tableau est apocalyptique.
Pour Hollande, ces résultats dramatiques n’ont pas de réelle importance. Cela sera devenu lointain en 2017 et il a une excuse qui lui suffit : « J’ai trouvé la France dans un état catastrophique et une Europe bloquée par Merkel ». C’est la faute à Sarkozy ; c’est la faute à Merkel. « Grâce à moi, les choses ont évolué même si cela a été difficile ; Imaginez ce que cela aurait été si je n’avais pas été là ! ».
La seule question qui l’intéresse aujourd’hui, c’est la bonne manière de se placer dans les meilleures conditions possibles pour 2017 et de transformer son schéma stratégique initial en mesures tactiques ultimes efficaces. Ses adversaires auraient tort de croire qu’il a des doutes sur son succès futur. Il est totalement en état de grâce et pense désormais qu’il a gagné.
La gauche du parti ne lui fait pas peur. Il sait la manipuler par cœur. Tant d’années comme premier secrétaire, cela vous donne des réflexes. Comme il n’y aura pas de primaires, il ne risque rien. Les autres seront obligés de s’aligner. Une bonne partie du tapage fait à sa gauche était dû à la volonté de certains de sauver ce qui pouvait l’être aux élections locales. La présidentielle balaiera tout cela.
Les partis d’extrême-gauche ne lui font pas peur : la hauteur du FN dans les sondages lui donne un argument imparable. « C’est moi ou les fascistes ».
Restait à se cadrer à droite, c’est-à-dire dans le vocabulaire socialiste, au centre.
Il lui faut "extrêmiser" la droite, pour renforcer sa position centrale. La manipulation de la mémoire, déjà caricaturale du temps de Jospin, devient systématique dans les médias amis. Hypermnésie des crimes nazis, hypomnésie des crimes des régimes socialistes. Repentance généralisée vis-à-vis d'évènements passés considérés comme déshonorants, l'esclavage ou la colonisation ou la répression de l'homosexualité, attribués à la droite. La réaction contre les mesures « sociétalistes » attise le langage excessif à droite et permet de l’assimiler au FN. « La droââââte, tous des fascistes ! ».
En revanche, il faut passer pour « responsable ». Sa base politique est celle du « socialisme du possible » ou du « socialisme de gouvernement ». Autant associer l’opération à une « triangulation », c’est-à-dire une reprise massive du programme de l’opposition.
En chantant la survenue de l’âge de la social-démocratie en France, amoureuse des entreprises, et prête à faire en sorte que l’économie reparte grâce une stimulation des entreprises mais dans la justice sociale, en nommant Valls, le chantre de cette tendance, et en faisant voter une loi Macron qui permet de dire « nous avons fait des réformes de droite que vous n’auriez même pas envisagé de faire », Hollande considère qu’il tient son élection.
L’important, c’est de ne pas toucher aux corporations qui peuvent faire mal : les syndicats de la fonction publique et du secteur nationalisé.
Et l'économie, c’est-à-dire la prospérité à long terme du pays, dans tout cela ?
La question devient : les schémas électoralistes, évidents, ont-ils un contenu économique sérieux et utile ?
Doit-on considérer qu'avoir renvoyé sur les entreprises la responsabilité du chômage avec un "pacte de responsabilité" insignifiant et montrer sa bonne volonté réformatrice avec une loi Macron tout aussi insignifiante, il a fait son devoir ? Naturellement, en refusant toute réforme de structure, il met l'opposition dans l'obligation de les annoncer, donc de prendre le risque d'inquiéter des clientèles. Mais ces réformes de structure, n’étaient-elles pas indispensables ?
Il est bien clair que l’équipe Hollande se moque de la réponse économique car il pense que la posture politique suffira pour être réélu. Hollande croit au cycle. Il sait que la phase haute arrive. Rocard l’a connue ; Jospin l’a connue ; il la connaîtra, il en est sûr et il en voit les preuves dans les bonnes nouvelles statistiques qui s’accumulent. La seule inconnue est de savoir si elle durera jusqu’à l’élection. Jospin n’avait pas eu cette chance, ni Beregovoy.
Pour ceux que l’économie intéresse, la question est tout autre. Peut-on redresser un pays en fiscalisant à ce point les entrepreneurs tout en défiscalisant un peu les entreprises ? Cette schizophrénie a-t-elle un sens ? Peut-on maintenir en vie un système dont le secteur public dépense plus que ce produit les entreprises du secteur marchand, simplement en rognant un peu sur les dépenses ?
La réponse est non.
Mais le jeu économique de Hollande est tactique et politique. L’important est exclusivement électoral et à court terme : 2017. Les Français ne sont pas économistes, ne s’intéressent pas au long terme. Une apparence de succès peut suffire. Une hausse même minime du PIB accompagné d’un reflux même léger du chômage, même s’il n’a rien à voir avec la politique menée et dépends entièrement de l’extérieur, peut suffire.
Comme le quinquennat de Sarkozy, celui de Hollande aura été entièrement calculé en vue de la réélection pour un second mandat et guidé par des ambitions égotistes sans intérêt pour qui n'est pas partie prenante à la coterie présidentielle.
La campagne de 2017 sera entièrement livrée sur des thèmes politiques offensants pour « la droite honnie de l'immonde Sarkozy », et défensifs pour la clientèle de fonctionnaires et d'immigrés, tout en valorisant au maximum les avancées sociétales. Il sera facile d’inquiéter les Français avec les projets de réforme plus ou moins radicale portés par la droite.
Pour Hollande, l’affaire est dans le sac. Il a gagné. Il en rigole du matin au soir. Il en jouit. Il savoure déjà le retournement de la presse à son égard et son plan com’ est prêt qui intégrera sa dernière conquête, sa Carlita à lui.
Les besoins d’une prospérité économique durable seront escamotés une fois de plus, noyés dans les "cadeaux au peuple", "l'achat de vote" et les "opérations-image".
La seule perspective économique évoquée par le candidat hollande en 2012 était la réforme de la politique dépressionnaire de l'Europe. C'était un leurre vulgaire et on a vu ce qu'il en est advenu. On peut se demander s'il y aura seulement même un leurre économique en 2017. Le plus probable est que l'économie sera totalement évacuée, comme d’habitude, surtout si le rebond conjoncturel de fin de cycle perdure jusque là.
Et les beaux esprits continueront d’expliquer que l’économisme a gangrené le débat politique, alors que l’économie l’aura déserté une fois de plus !
Dommage !


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