Economie et médias : dix souverains poncifs.

Depuis que les journalistes laissent la parole à des experts universitaires officiels qui « décryptent » l’économie pour le bon peuple, l’à-peu-près mimétique règne en maître, avec son cortège d’arguments d’autorité, de banalités intéressées,  et de certitudes idéologiques calibrées. Ces experts sont choisis pour leur conformisme sécurisant, qui leur permet de survivre à toutes les erreurs de prévision, tous leurs commentaires controuvés et parfois leur absence totale de compétence (mais alors  le « look » doit être avantageux et le phrasé télégénique).

Voici les dix erreurs les plus fréquentes répétées à longueur d’antenne dans les médias, sans hiérarchisation.

  1. Les solutions écologiques coûtent cher : elles sont donc riches en emplois ! Il faut en particulier réduire drastiquement la productivité de l’agriculture (sauver la planète du « productivisme). Vive la décroissance aimée dans la frugalité heureuse !
  2. Les charges sociales, c’est bien, c’est payé par le patron ; la TVA c’est mal, c’est payé par le consommateur.
  3. La croissance de l’après-guerre est due à la seule reconstruction et les trente glorieuses du plein emploi s’expliquent uniquement par le triomphe de l’automobile. Maintenant c’est fini. Les nouvelles technologies ne créent pas d’emplois (elles en détruiraient même).
  4. Les changes flottants sont la seule solution mondiale et l’Euro peut être géré correctement dans l’état actuel des traités.
  5. Le cycle n’existe pas. La crise de 2008 était accidentelle, due aux « subprimes » et aux excès de la finance.
  6. Les marchés sont invincibles  et la liquidité est toujours bonne pour les marchés. La monnaie est une marchandise comme une autre. Que les grandes banques centrales en aient produit la contrevaleur de plusieurs années de PIB et permis un nouvel endettement de 57.000.000 milliards de dollars en six ans  est la preuve que le système est piloté. 
  7. Personne ne paie plus de 100% d’impôts en France.
  8. Les échanges de particulier à particulier favorisés par la facilité nouvelle des communications (peer to peer, ubérisés, numérisés) menacent la totalité des emplois existants.
  9. Il faut s’adapter à un monde prometteur mais très différent et qui change très vite (en abandonnant si possible notre système de protection sociale).
  10. On ira vers toujours plus de gratuité (ou : une déconnection toujours plus grande entre le travail et la consommation). Rien de collectif  ne coûte cher, c’est l’Etat qui paie !

La subsidiarité : un faux concept et un vrai évitement.

Nous assistons à une crise violente de la construction européenne. Pour avoir mis la charrue avant les bœufs de façon systématique, les européistes, qui voulaient forcer leurs thèses en créant des déséquilibres dont il n’aurait été possible de se sortir qu’avec plus d’Europe, ont finalement cassé le système.

Le principe même d’une union Européenne est remis en cause par le Brexit. On constate que des mouvements politiques puissants souhaitant la fin de l’Union ou de certains de ces mécanismes existent partout.

L’Euro est en danger du fait de la faillite virtuelle des banques de la zone. On découvre avec « surprise » que les banques italiennes ont 360 milliards de dettes douteuses dont on craint de ne jamais pouvoir récupérer plus de 200 milliards alors que la capitalisation boursière bancaire ne dépasse pas 52 milliards. C’est exactement la même chose partout en Europe, mais chut !

Schengen a été tué par l’afflux incontrôlé de plus de 1.800.000 migrants arabes et africains en cinq ans.

Une telle situation conduit les journaux à se tourner vers les grands Ministres de Affaires Etrangères pour esquisser des solutions. C’est ainsi qu’Hubert Védrine, qui parvient à conserver une bonne opinion à droite, tout en présidant aux œuvres de feu Mitterrand,  a pu s’exprimer sur une pleine page du Figaro. Que dit-il ? Pour simplifier : mettons en œuvre la subsidiarité. L’Europe ne doit pas s’occuper de détails et laisser passer l’essentiel.

L’argument parait solide. Qui ne serait pas d’accord pour que des nations qui font l’effort de dépasser leurs particularismes nationaux  s’entendent d’abord sur les questions d’importance où la force de l’union peut avoir un effet ?

Malheureusement, lorsqu’on creuse un peu, l’argumentation est plus que branlante et n’ouvre pas vraiment les portes d’un meilleur avenir européen.

La subsidiarité est un mot rare et confus, dont le sens n’est évident pour personne. Issu de la pensée religieuse, utilisé en droit civil, il n’avait aucune vocation à entrer en politique.

La tentative aventurée de faire voter une prétendue « constitution européenne » a conduit à donner des gages  aux anti-fédéralistes en leur lâchant un mot comme on lâche un os à un molosse menaçant. Il s’agit d’une astuce politicienne  qui utilise un faux concept adjuvant et lénifiant pour faire passer la pilule. On trouve de nombreux autres exemples de cette technique de gouvernement. Par exemple la « pénibilité », concept correspondant à une réalité introuvable, qui a uniquement pour but de donner l’apparence que  les salariés publics renonceront aux régimes spéciaux alors qu’ils conserveront leurs privilèges sous un autre nom.

On eut donc droit à ce chef-d’œuvre de rédaction faux-jeton dans la fameuse « constitution »

-          « La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

L’analyse de ce texte est assez simple : l’Europe a tout pouvoir, sans « subsidiarité » dans ses compétences exclusives, et dans tout le reste, elle aura la grande décence de ne se mêler uniquement de ce qui serait mieux traité en s’y mettent tous ensemble, sachant qu’en cas de conflit sur le qualificatif ce serait la Cour de Justice qui trancherait. Ayant toujours tranché en faveur du pouvoir fédéral, conformément à son objet même,  on peut penser assez légitimement que tout aurait été considéré comme mieux traité à l’échelon européen.

En clair, et j’avais déjà souligné ce point à l’époque : rien n’est subsidiaire dans ce qui a été accordé en propre à la Commission, et pour le reste, tout le reste,  les Etats membres devront justifier, à leur bas niveaux, que ce qu’ils font ne pourrait pas être mieux fait par la Commission !

Cet article n’avait pas pour but de brider la Commission mais les Etats.

Il en aurait été autrement si le texte avait dit :

-          « La Commission n’exerce son pouvoir que dans les domaines où elle a une compétence explicite ; elle ne le fait que sur des questions importantes pour lesquelles l’Union est une force nécessaire et suffisante ».   

Historiquement la Commission a eu pour rôle de donner un sens et une matérialité à l’idée que les Etats membres renonçaient à faire du tort aux pays associés et à leurs résidents pour protéger leur bien propre. On sait le nombre incroyables d’obstacles mis par chaque Etat pour « protéger » tel ou tel de ses intérêts, si possible au détriment de « l’étranger ». La Commission s’est vu attribuer le monopole de l’initiative, afin d’éviter les défenses nationalistes d’intérêts particuliers. Et elle s’est lancée aussitôt dans un travail de fourmi pour éliminer une à une les particularités inventées pour gêner les voisins. Le marché unique libre et non faussé imposa plus tard encore plus de rigueur dans le détail. L’Europe aura été une usine à normes de plus en plus microscopiques pour enserrer la créativité passée ou à venir des Etats pour défendre leurs petits intérêts.

C’est pour cela que des textes régissent la taille des cucurbitacées, le drapeau bleu sur les plages,  les  règles de fabrication du camembert ou le format des disques horaires.

Aussi ridicule que puissent paraître les décisions prises, elles ont toujours eu pour but de définir un espace commun où tous les Européens pouvaient agir, sans se trouver piéger par une astuce ou une particularité gênante.

On peut donc aller et venir, s’installer, contracter, partout dans l’Union, sans que le fait qu’on ne soit pas natif du pays vous expose à des difficultés particulières. Le droit européen est individualiste. Pourvu qu’il soit européen membre de l’Union, chaque individu aura pratiquement les mêmes droits qu’un national. L’Europe n’est pas supranationale mais co-nationale.

La Commission était une machine à faire cela et l’absence de subsidiarité était consubstantielle à ce travail. Il n’y a pas de « subsidiarité » dans l’égalité concrète des « droits de ».  L’adjonction d’un Parlement Européen n’était pas nécessaire. C’est une erreur grave de Giscard. L’apport démocratique est nul, puisque les électeurs ne savent pas pourquoi ils votent et n’ont aucune capacité de modifier ce qui se fait à Bruxelles (qui est défini par la Commission). Il n’y a donc jamais aucun programme formulé lors des élections européennes. Et donc de moins en moins d’électeurs et un mépris de plus en plus grand pour les « élites » qui vont se goberger dans les instances « démocratiques » européennes.

Dans la pratique cet abandon progressif des règles de défense nationaliste au sein de l’Union n’a aucun inconvénient réel et favorise une concurrence utile sur le plan commercial et des libertés utiles sur le plan personnel et familial. Que les négociations avec des pays tiers, sur tous ces sujets, se fassent à l’échelon Européen est également totalement légitime, sous réserve du contrôle final des Etats.

L’Europe du « je ne te crains pas ami européen et je concours à éliminer tous les obstacles à tes droits » est à la fois originale et nécessaire. Elle n’implique pas la création d’un Etat fédéral.

La subsidiarité n’ayant aucune place dans ce processus et un gouvernement gardant la possibilité de bloquer une décision inutilement dommageable ou marquant un excès de zèle, tout allait bien dans la meilleure union européenne possible. C’est à cette Communauté là que le Royaume-Uni s’était agrégé.

On peut parler de mauvaise foi quand on prétend améliorer l’Europe en mettant en avant la subsidiarité sur des questions où depuis 58, il n’y en a pas. La taille des cucurbitacées n’est pas le problème.

Les vraies questions sont plus précises que cela. Offre-t-on les « droits à » au même titre que les « droits de » ? En un mot les dépenses de solidarité sociale nationale sont-elles offertes gratuitement à tout membre de l’Union qui les solliciterait ? Sachant que tous les pays européens ont développé des systèmes différents et que l’harmonisation n’est pas dans le champ de la Commission, le problème est très concret, surtout depuis les extensions récentes aux pays pauvres du sud et de l’est. Offre-t-on un droit de vagabondage et de mendicité, voire de délinquance habituelle, à tout clan qui se trouve dans l’espace européen ou qui parviendrait à s’y trouver ?

Ici encore, le concept de subsidiarité n’a aucun sens. Il faut savoir si oui ou non une nation peut se débarrasser d’indésirables qui ne sont pas là pour contribuer mais pour bénéficier d’avantages sociaux ou de trafics douteux ou illégaux.  Et de répondre enfin à la question : est-ce l’immigration incontrôlée ou spécifiquement nationale offre les mêmes droits que la nationalité d’un pays de l’union ? On ne voit pas ce qu’apporte le concept de subsidiarité dans ces débats.

Pour la gestion de l’Euro, la subsidiarité n’a pas plus de sens. La question est de savoir comment on coordonne l’ensemble des politiques qui conditionnent la valeur de la monnaie unique. Le choix est entre maintenir le système actuel (les règles constamment violées du traité de Maastricht corrigées par le traité Merkozy, qui, pour nous, deviennent un frein tragique à la croissance), créer un poste de coordinateur (pour nous un Chancelier de la zone Euro)  ou une Union fédérale budgétaire sociale et fiscale (à notre avis, une nouvelle mise de charrues avant les bœufs).   

On a donc envie de dire à Hubert Védrine : Compte tenu de votre position et de vos qualités, appliquez-vous le principe de subsidiarité ; n’attaquez que les questions européennes dures sur lesquelles une réponse précise doit être trouvée sous peine de voir l’entreprise capoter définitivement.

Michel Rocard : l’enterrement d’une illusion

Il est toujours délicat de commenter l’enterrement d’un homme politique. Derrière le politique pleurent des proches qui ont des raisons de s’affliger et qu’on aimerait laisser à leur chagrin. Mais derrière l’homme disparu demeure le sillage politique et, dans notre cas, un extraordinaire concert de pleureuses médiatiques, transcendant les clivages habituels, qui pousse à s’interroger : au-delà de la dépouille d’un homme politique, plutôt gai et assez sympathique, de type Turlupin, mais marginal, puis marginalisé, de quoi fête-t-on, en si grande pompes, les funérailles ?

En politique, on ne juge que des actes.

En 1958 la grande question était la décolonisation, avec une guerre en cours en Algérie. Mendès France avait raté la décolonisation en Indochine. En annonçant qu’il se donnait cent jours pour forcer un arrangement avec les communistes du Vietminh, il avait offert à Giap l’occasion d’infliger une défaite majeure à la France à Dien Bien Phu. Le rusé général concentra toutes ses forces sur un point d’appui français secondaire. La défaite fut terrible et la France négocia en situation de faiblesse. Le résultat fut le démarrage de… la guerre d’Algérie. Edgar Faure s’était bien mieux sorti de la question marocaine, en évoquant « l’indépendance dans l’interdépendance ». Puissance du verbe et de la contorsion. Mais le Maroc était un protectorat qui n’avait plus besoin de protecteur.  Guy Mollet et Robert Lacoste étaient confrontés à une difficulté bien plus grande. L’Algérie était un département français avec une population d’origine métropolitaine importante. Les soviétiques et leur affidés du PCF chauffaient les braises et alimentaient une trahison permanente, comme au temps du pacte germano-soviétique.

Il était impossible de sortir les mains propres d’une situation aussi difficile. La SFIO en était incapable. La Quatrième République, où le PC représentait entre 25 et 30% de l’électorat, ne l’était pas plus. La seule solution pour ceux qui croyaient en l’impérieuse nécessité de l’indépendance de l’Algérie (nous en étions) était de soutenir l’action du général de Gaulle. On savait, depuis Bayeux, qu’il souhaitait remettre tous les mandats coloniaux, dans l’ordre et le respect de la France, et depuis la guerre, qu’il avait, seul, le prestige et l’autorité nécessaires pour faire assumer à son camp  la séparation algérienne. 

La bonne solution, pour la décolonisation, c’était de Gaulle.   Naturellement le jeune Rocard fut contre. Pendant que son père faisait péter des bombes atomiques à Reggane, le centre atomique français au fin fond du Sahara algérien,  il portait, selon ses propres dires, des valises de billets au FLN. Même Jospin, qui était frappé du même tropisme d’engagement marxiste, tendance Trotsky, avait refusé la trahison. Il le dira lors de la sinistre affaire Boudarel, un traître communiste qui avait persécuté dans les camps Vietminh les soldats faméliques qu’Ho Chi Minh y faisait crever de faim et de mauvais traitements, jamais jugé et honteusement recyclé comme « spécialiste » de l’Asie à l’Université. On peut ne pas croire à cette affaire de porteur de valises. Michel Servet, le pseudo qu’il utilisait, jouait au dur avec un physique minuscule de Lou Ravi de la révolution, mais on voyait bien que ce fils de notable de la République s’engageait surtout dans la jactance. Pas question, comme Régis Debray, de finir à Camiri !

Dans cet exercice, il donna toute sa mesure au PSU, un groupuscule sans importance dont la doctrine première était le dépassement du capitalisme et du socialisme par l’autogestion « à la yougoslave ». Quiconque avait fait un saut en Yougoslavie savait à quoi s’en tenir : des peuples ruinés, hagards, violents, mangeant à peine à leur faim, habillés comme des clochards, sans espoir, démotivés dans le travail mais pas dans la haine de tout et de rien, prêts à en découdre avec la terre entière et surtout à fuir ce paradis autogestionnaire.  Elu représentant d’une conférence à Sc Po, je cherchais à organiser des rencontres avec tout le spectre des forces politiques du moment. Je contactais le PSU (dont Rocard-Servet n’était pas encore secrétaire général). On m’indiqua une conférence où un jeune prometteur allait faire un tabac. J’y allais. J’écoutais Rocard expliquer de sa voix incompréhensible de l’époque tout le bien qu’il pensait du modèle titiste. On disait, à l’époque, que son cerveau reptilien de droite empêchait son cerveau acquis de gauche de s’exprimer correctement. J’intervins pour témoigner de la misère, la colère, la violence rentrée que l’on trouvait en Yougoslavie. Le péremptoire affirma que l’autogestion à la française ne serait pas contaminé par les difficultés historiques qui avaient assaillis la Yougoslavie et qui, seules, expliquaient sa situation actuelle. Toujours cette vieille rengaine socialiste qui veut que tous les défauts du socialisme réalisé ailleurs n’apparaîtraient jamais en France. Pourquoi ? On ne savait pas. C’était à prendre ou à laisser. Je laissais, privant sans doute mes camarades d’une exposition féconde à une pensée politique transcendantale. Quarante ans plus tard je rencontrais fortuitement Rocard en Corse dans le meilleur restaurant de l’île. Il entamait les visites protocolaires liées à son prochain mariage avec la charmante Sylvie, une fille plutôt giscardienne mais très bien. Je lui rappelais notre débat sur l’autogestion. Il prit le souvenir avec la bonne humeur qui ne le quittait pas souvent et répondit : « Les Yougoslaves ont eu tort d’abandonner l’autogestion ». Il n’est pas sûr que ce fût de l’humour.  

Michel Rocard qui a toujours vécu la vie nationale, à chaque tournant majeur, comme sous son influence directe, s’est beaucoup vanté de son rôle en mai 68. En vérité, à cette date, il était déjà une vieille barbe. Il se retrouva avec Mendès-France à Charléty, croyant venu le moment du coup d’Etat. Hélas pour lui c’était déjà la fin de la récrée. Le général « factieux » et « venu au pouvoir sur un putsch » venait à nouveau de lui donner une leçon de démocratie.

Le PSU intégra le PS, comme tous les mouvements marginaux, notamment trotskistes, en minorité bavarde mais sans pouvoir. Le nouveau maître était un homme de droite à Francisque particulièrement cynique qui avait compris que son destin s’accomplirait en s’appuyant  sur le rassemblement des hommes de gauche bien décidés à grimper au cocotier du pouvoir. « Laissez-moi être président – je vous permettrais d’accéder au pouvoir et à la richesse ».

La ringardise et les dangers du programme Commun de la gauche était tel que personne de sérieux ne pouvait croire une seule seconde qu’il pourrait faire mieux que de casser la croissance durablement. Mitterrand s’en fichait. L’élection d’abord. La sériosité de Rocard l’emporta sur la totale docilité. Il regimba. Un tout petit peu. La question des nationalisations n’était pas de savoir si on volait 51% ou 100% du capital des entreprises nationalisées. Mais s’il était sérieux de se lancer dans un tel massacre industriel et financier. Que reste-t-il des nationalisations de 81 : rien !

Mitterrand s’offrit le luxe de « lever l’hypothèque » d’une mythique « deuxième gauche » lors de sa réélection contre Chirac. On allait voir ce qu’on allait voir. On ne vit rien du tout. La déception partout fut grande. La parole est une chose. Les actes, une autre. Le « Grand Pourrisseur » qui régnait en « Dieu » chassa le « Petit Mec » comme un valet. Réduire ses collaborateurs, épouse, amis et amies, à leur triste condition et un peu plus bas encore, était sa spécialité. Ce pervers narcissique aimait ces abaissements. Cela fit quelques morts dans son entourages et combien de blessés. Dont Rocard.

La bonne idée de lui-même qu’avait Rocard n’en fut pas le moins du monde affectée. Bien que la pire déroute électorale socialiste, en attendant la prochaine, fût la conséquence directe de sa gestion, il a toujours considéré qu’il avait été le « meilleur Premier Ministre de la Vème République ».

Les faits ne confirment pas cette autocélébration.  Les deux ans de gouvernement Chirac-Balladur, lors de la première cohabitation, avaient assaini la situation économique et la conjoncture mondiale entrait dans sa phase bouillonnante de croissance. Le cycle existe. Comme Jospin plus tard, Rocard a bénéficié d’une conjoncture mondiale incroyablement favorable sans y êtes pour quoi que ce soit. Que faut-il faire pendant ces périodes de vaches grasses qui voient les recettes fiscales prendre l’ascenseur pendant que l’économie prend l’escalier ? Evidemment assainir, réformer, guérir des plaies béantes dans les comptes publics. Les réformes douloureuses se font mieux quand la conjoncture est élevée. La dette se réduit mieux quand la croissance rapide est là. La dette était déjà préoccupante. Les retraites entraient dans une séquence intenable après la démagogie intenable de la retraite à soixante ans. L’investissement proprement français avaient été tué par la fiscalité excessive sur le capital. Il fallait, en souplesse, grâce à la bonne conjoncture, calmer le jeu fiscal, redonner du souffle à l’économie, dégonfler la dépense publique. Rocard va faire tout l’inverse. Il remet en marche l’ISF et crée la CSG. La pression fiscale, déjà mécaniquement aggravée par la croissance (si les impôts sont globalement progressifs, ils grimpent plus vite que la croissance surtout si elle est rapide : une croissance de 3.5% du PIB entraîne une croissance de 7% de l’impôt sur le revenu) est poussée à l’extrême. La dépense publique coule à tout va. Le RMI est à la fois un trou dans la coque du navire et un enfermement durable pour ses bénéficiaires. En acclimatant l’idée qu’on pouvait vivre aux crochets de la nation sans jamais travailler, Rocard a rendu le pire service au pays. Aujourd’hui 2 à 3 millions de familles et près de 7 millions de personnes sont ainsi enfermées dans une pauvreté subventionnée qui gâche leur vie possible tout en ruinant les comptes nationaux.  Lorsque la conjoncture se retournera avec la crise de 92-93, la France se retrouvera ruinée. Bérégovoy prendra la balle. Mais c’est Rocard qui avait chargé le pistolet.

La seule action réellement positive qui peut être mis à son actif est la paix en Calédonie. Mais, là encore, il oublie de dire que l’extrême fermeté montrée par Chirac avait ouvert la possibilité d’un dialogue plus serein en bloquant toute tentation de violence de la part des Kanaks. Sans ce préalable, il est probable que de violence en violence, la situation aurait évolué bien moins favorablement. La méthode Rocard se serait apparentée à la méthode Guy-Mollet-le-honni. Il est plus facile de panser des plaies que de bloquer à la source et par le dialogue  une rébellion qui se dynamise par ses propres crimes.

Finalement, Mitterrand flinguera Rocard en une rouerie, lorsqu’il se croira quelque chose à la tête du PS, en envoyant le missile Tapie dans sa nurserie. Rocard n’a jamais rien pesé.

Il était en phase avec une partie des Français qui ne voulaient plus d’Histoire ni d’histoires. Plus de volonté. L’altérité sacralisée en bandoulière. «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». La France qui pleure est celle d’une génération de fils de petits bourgeois récemment enrichis par les trente glorieuses qui ont tenu à être fonctionnaires et à ne pas se salir les mains dans des  boulots de « prolbacs », qu’ils ont laissé sans pitié aux immigrés, en lisant Libé et en trouvant l’humour de Canal Plus sublime. La France qui gémit est celle qui ne voulait pas avoir les mains sales, ne pas diriger, tout en ayant le confort et les plaisirs du pouvoir et de la richesse, payés par les autres, tout en vilipendant les « négriers » cupides qui croyaient en l’entreprise. Pleure en bloc toute l’Enarchie Compassionnelle,  qui s’est épuisée à ruiner le bourgeois et à effacer la France,  tout en vivant des vies de rêve, sans risque, en brassant la moraline, mais sans avoir à souffrir des vœux pénitents du clergé traditionnel. Pleurent en bloc tous ceux qui ont cru que Hollande et Valls allaient faire une politique « à la Rocard », c‘est à dire qui serve le portefeuille de droite et le cœur de gauche. Pleurent en bloc les Gracques et tous ceux qui ont cru qu’il pouvait y avoir un « socialisme intelligent », magnifique oxymore, pourvu qu’il soit médiatisé par des hauts fonctionnaires.

Ceux-là comptent désormais sur Juppé, qui a souvent répété que le RMI et l’ISF étaient deux réformes que la droite aurait dû faire et qui a beaucoup fricoté ces derniers temps avec Rocard.  Nouveau paradoxe, car Juppé s’est tué à tenter de faire, en période de vaches maigres, les réformes indispensables que Rocard auraient dû faire en période de vaches grasses. L’Enarchie Compassionnelle tente de survivre. Elle n’a pas encore compris qu’il n’y a plus de place pour aucun socialisme, même délayé et défendu par la haute fonction publique,  dans la France déclinante et subvertie d’aujourd’hui.

Rien à faire : le « socialisme intelligent », c’est-à-dire qui n’étouffe pas peu ou prou la société et l’économie, n’a jamais existé et n’existe pas. Les trois expériences françaises (Mitterrand, Jospin, Hollande) l’ont assez prouvé. Ne parlons pas de Mugabe et de Chavez.

Sur la fin, Rocard s’était mis à accuser les dirigeants socialistes de tous les maux, pour sauver l’idée qu’il se faisait d’un socialisme qui ne soit pas intolérable. Il suffit de lire  ses dernières interviews, toutes impitoyables pour Hollande et la « sinistre » galerie des ténors du  socialisme « vraiment de gauche ». Ces attaques ad hominem  auront été son cri ultime d’impuissance. Imprécation n’est pas raison. La France n’est pas social-démocrate, comme J. Julliard, pendant catho du rocardiste protestant, le prétend, prenant ses rêves des années soixante pour la réalité.

Une génération s’évanouit.  Une pierre tombale de plus vient d’être posée sur cinquante ans d’illusion d’une partie du journalisme et du militantisme politiques de gauche français, dans un flot de fleurs de rhétorique fanées et de larmes de crocodile.

RIP.

La fin de la vision rooseveltienne du monde ?

Roosevelt avait une grande ambition : créer les conditions d’un monde meilleur d’où les guerres seraient bannies, où le droit remplacerait les exactions et les conflits entre  Etats nationalistes et autoritaires, où un système collaboratif basé sur la liberté dans les domaines monétaires et économiques empêcherait les crises. Le multilatéralisme serait la règle. Les Etats-Unis avaient raté le coche de la SDN. Ils se attraperaient avec l’ONU, la charte des droits universels, le FMI, la Banque mondiale, …

Une des conditions, dans l’esprit de l’équipe de Roosevelt, était de mettre à bas les « empires » européens et asiatiques, sources de conflits à répétition et de faire disparaître leurs colonies. L’Empire Britannique et l’Empire Français, bien qu’alliés aux Etats-Unis, devaient être dissous, l’Allemagne et le Japon étant définitivement déclassés dans un statut de nains politiques et diplomatiques qui ne leur laisserait que l’échappatoire de la sphère économique et commerciale. Le Plan Morgenthau initial, à l’initiative de son adjoint Harry White, était de renvoyer le clos germanique à une exploitation bucolique de ses ressources agricoles…

Bien sûr, il ne s’agissait pas de laisser les intérêts américains à l’encan. Les Etats-Unis deviendraient le leader du monde. Mais Ils assumeraient leurs responsabilités. Ce qu’ils feront  notamment contre l’URSS, vu comme le dernier « empire du mal », même s’il n’était pas considéré comme tel par nombre de collaborateurs de Roosevelt et était encore, Roosevelt vivant, un allié.

Ce plan était assez noble, et les Etats-Unis assez forts, pour qu’il s’impose longtemps encore après la mort de son géniteur.

Que deviendrait l’Europe ? L’objectif était d’aboutir à la création d’une union européenne fédérale faible, entre anciens empires démembrés à l’intérieur (décentralisation voir scission de régions) comme à l’extérieur (décolonisation), avec des bases militaires américaines partout. Jean Monnet, agent des Etats-Unis en Europe, sera chargé de mener à bien le projet et d’y amener les Européens. Il s’appuiera, partout en Europe,  sur la Démocratie Chrétienne et une partie des socialistes, avec le soutien financier et politique de la puissance américaine.

L’Empire britannique deviendra le Commonwealth. La France sera contrainte à une décolonisation totale. L’Allemagne divisée, sera occupée pour longtemps.

Restait à mettre en place le projet des Etats-Unis d’Europe, structure fédérale sur le modèle américain et alliée inconditionnelle des Etats-Unis…

Aujourd’hui, il ne reste en Europe que les reliquats nerveux d’anciens empires. En dépit de la réunification allemande, les grandes nations européennes d’antan sont édentées et subverties de l’intérieur comme de l’extérieur par les mouvements libres et massifs d’hommes, de marchandises et de capitaux. Les Etats-Unis sont la seule grande puissance.

Roosevelt aurait-il  gagné ?  

On peut se tapoter le menton. Surtout si on pose les deux questions clés : 

Question 1 : L’objectif du « projet européen » est-il toujours de créer l’Europe supranationale de Jean Monnet dans le cadre d’un fédéralisme mou et d’un régionalisme fort, chargé d’achever l’éclatement des anciennes grandes puissances européennes et les noyer dans une nuée de micro-états afin d’obtenir une soumission totale à l’impérium américain ?

Question 2. : Si la réponse à la question 1 est non, quel est l’objectif de l’Union Européenne ?

Evidemment des questions aussi directes ne sont jamais posées. Et les réponses ne sont jamais apportées. Si les dirigeants européens ne veulent pas s’embarrasser d’une vision explicite, exprimée, expliquée et assumée, le travail se fait en souterrain dans la conscience des peuples avec des « surprises démocratiques », en même temps que les attitudes des uns et des autres deviennent des contorsions de plus en plus paradoxales et que les organes européens se grippent les uns après les autres.

Considérons simplement ce qui se passe en ce moment même.

Le premier ministre britannique, Cameron, avait considéré qu’il fallait absolument exclure le Royaume-Uni du « toujours-plus » fédéral européen. Il a obtenu l’accord des autres pour ne pas souscrire aux clauses « d’approfondissement » vers plus de fédéralisme. L’honnête courtier des Etats-Unis en Europe, rôle qui le valorise dans sa relation « spéciale » avec les Etats-Unis, voulait bien continuer son chemin européen mais sans l’aboutissement fédéral qui était inscrit en pointillé (sans tapage médiatique de la part des négociateurs) dans la plupart des traités. Sacré paradoxe tout de même.

Les Britanniques, consultés par referendum, ont été plus loin : ils veulent rester ce qu’ils sont et quitter l’appareil institutionnel de l’Union Européenne. Du coup les Américains sont inquiets, d’abord parce qu’ils perdent un réseau d’influence au cœur même de l’Europe.  Le retour de flamme national des britanniques met à mal l’espérance rooseveltienne.  Kerry sera envoyé dans la minute en Allemagne pour vérifier si la soumission y restait totale, en dépit des effets moraux et politiques de sa réunification. Si l’Allemagne décidait de retrouver un rôle autonome, après le départ du RU de l’UE, l’impérium américain serait fortement endommagé. Il semble qu’il ait reçu tous les apaisements nécessaires.

 

Il ne faut pas oublier que le Brexit vient après le rejet du projet de « constitution européenne » par des nations fondatrices de la première Europe des 5 (La France et la Hollande ont dit non) et l’absolue volonté des anciens Pays de l’Est de ne pas se diluer à nouveau dans une structure fédérale. Ils veulent l’aide européenne et la souveraineté nationale, le beurre et l’argent du beurre, plus les beaux yeux de la fermière sous la forme de la sécurité de l’Otan vis-à-vis de leur ancien colonisateur. La domination soviétique y a toujours été vue comme une domination russe.  Poutine fait tout pour leur donner raison.

Certains partisans de l’Europe de Monnet et de Schumann regrettent finalement le traité de Lisbonne. En passant de la Communauté Européenne à l’Union Européenne, les peuples se sont retrouvés trop violement dans la lumière de l’élimination programmée et définitive de leur nation. Le Conseil Européen a finalement pris le rôle principal, remettant en cause les « coups d’état » (selon Giscard) successifs de la Commission et du Parlement Européen désireux de s’autoproclamer respectivement « gouvernement » et « assemblée législative » d’une union fédérale. 

Il est vrai qu’un Conseil Européen des chefs d’Etats et de Gouvernements, à 28 ou 27, est une structure difficile à faire vivre, qui met en valeur  le rôle des grandes puissances tout en énervant les petites, le tout s’accordant pour diminuer le rôle du Président de la Commission, lui-même tenté de se croire chef suprême du « gouvernement » fédéral  européen.

Juncker, qui poursuit les rêves de Delors et se veut le pivot de l’Union Européenne, se retrouve en conflit ouvert avec les chefs d’Etat. Mme Merkel qui ne voulait déjà pas de Barnier, ne supporte plus Juncker et ne se fait pas prier pour le faire savoir. Elle veut le mettre à la « retraite anticipée ».  Déjà, lors des discussions avec la Grèce, certains participants avaient demandé : « Que fait là le Président de la Commission ?». Ajoutons que la Slovaquie qui prend la tête de la présidence tournante des 28 entend « mettre fin aux tendances fédéralistes et restaurer la souveraineté des Etats ».

Tout le monde a compris que le Brexit mettait fin aux tractations pour un traité transatlantique et peut-être même au traité en fin de négociation avec le Canada. Le Brexit a donné un coup sévère à l’Atlantisme.

Du coup, on peut se demander ce qui reste de la grande pensée mondiale de Roosevelt.

L’organisation multilatérale économique mise en place à Bretton Woods a été détruite en 1971 par les Etats-Unis eux-mêmes qui pensaient qu’ils s’en sortiraient mieux avec un étalon dollar de fait dans un système de changes flottants. Ce système délirant s’est partiellement effondré en 2008 et personne n’a encore cherché à en rebâtir un meilleur.  

L’organisation fédéralo-européiste atlantiste initiée par Monnet est en train de s’effondrer à son tour. Le mouvement vers un système fédéral à l’américaine en Europe est arrêté. Partout le nationalisme ou ses formes dérivées repartent.

L’ONU tourne à vide, incapable de mettre un terme à la violence arabe stimulée par le ressentiment des défaites face à Tsahal et aux méthodes de l’occupation israélienne, et totalement dépassée par l’inflammation du monde musulman contre l’Occident. La conquête par la Russie de la Crimée et la guerre artificielle alimentée par Poutine en Ukraine laisse l’ONU impuissante. La Chine réarme, après que les Etats-Unis en ait fait bêtement l’usine du monde,  et conduit le Japon à chercher à se doter de l’arme atomique. Obama a eu le prix Nobel de la Paix avant même de prendre les rênes des Etats-Unis et il a largement désengagé les Etats-Unis de leurs responsabilités mondiales.

Le Royaume-Uni a quitté le vaisseau européen à la dérive après trop d’extensions et trop d’erreurs d’organisation. L’après-guerre est bien fini. L’ère rooseveltienne aussi.

Nous sommes dans un monde multilatéral à reconstruire, un système monétaire et financier international à reconstruire, une alliance occidentale à reconstruire, une Europe à reconstruire.

La guerre et la puissance américaine avaient permis  d’imposer des schémas multilatéraux globalement bénéfiques mais contenant des biais en faveur des Etats-Unis ou d’alliés privilégiés qui ont créé des faiblesses qui ont fini par les faire éclater un à un.

Un monde globalement en paix, malgré les quelques incendies qui demeurent, et globalement interconnecté,  peut-il se reconstruire sur une base multilatérale sans leader et sur un principe de parité et non plus de soumission ?

Dans cette nouvelle architecture à créer que doit et peut être le « projet européen » ?

Ne cherchez pas dans les programmes des candidats potentiels à l’élection présidentielle française ni dans les déclarations du Président français, du Premier Ministre ou du Ministre des Affaires Etrangères (si, si, il y en a un !).

L’état du monde ne permet pas d’affronter de face ces défis colossaux, dans le cadre de l’ONU, pratiquement complètement marginalisé.

Que faire ?

La priorité est de refonder la zone Euro. Elle ne peut pas fonctionner sur les bases actuelles et si on ne fait rien elle explosera entraînant de très fâcheuses conséquences. Rien n’est plus urgent que de créer un coordinateur des politiques économiques et sociales européennes, que nous appelons un chancelier de la zone euro, indépendant des structures de l’Union Européenne actuelle. Au sein de cette zone, il est indispensable qu’une chambre de compensation veille à l’équilibre des échanges et que les grands excédents comme les grands déficits soient sanctionnés. Les pénalités saisies sur les balances excédentaires permettront d’alléger la charge de redressement des pays déficitaires. Ce serait une sorte de plan Keynes sans la possibilité de dévaluer et avec une monnaie unique déjà en place.

 

La seconde priorité est de reconstruire un système monétaire international basé sur la responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs grands équilibres. La seule vraie solution est un système de changes fixes  et ajustables et une organisation de surveillance et de coordination, qui, comme celle proposée pour la zone Euro, pénalise à la fois les pays à grands excédents et les pays déficitaires.

Dans les deux cas, l’obstacle principal n’est pas intellectuel ou technique. Il tient à l’omnipotence de l’Allemagne en Europe et des Etats-Unis dans le monde. S’ils veulent bloquer, alors la seule réponse est de tout bloquer. Vous ne voulez pas jouer le jeu collectif, ce dernier s’arrête. Et on attend.

Si ces deux restructurations sont faites, on y verra plus clair pour la suite. La nécessité d’équilibrer dans la durée les balances des paiements  réduira automatiquement la nuisance des certains mouvements de capitaux et de marchandises. Il n’est pas si difficile de rendre positifs les mouvements de personnes : libre circulation réservée aux nationaux en Europe ; reconduite à la frontière automatique avec demande de visa ultérieure pour les personnes se livrant à des trafics et à la mendicité (re pénalisée comme le vagabondage) ; renforcement des contrôles extérieurs à la zone ; impossibilité de bénéficier de la « gratuité de la vie » avant au moins cinq ans de contributions à l’économie du pays ; détachement de personnel à l’étranger dans des conditions plus précises ; réforme de la définition et des modalités du droit d’asile. Négociation collective éventuellement forte, avec les pays d’émigration systématique (l’Europe ne peut pas accueillir les 400 millions d’Africains en surnombre qui sont anticipés d’ici à 2050). .

La Commission ne doit plus se prendre pour le gouvernement de la future Europe fédérale subliminale. Elle ne doit avoir aucune influence sur la zone Euro qui ne concerne qu’une fraction de ses membres.  Elle doit être une structure légère chargée d’assister le Conseil Européen et non pas une structure lourde chargée d’étudier des lois dans pratiquement tous les domaines et de les faire appliquer. Le Parlement Européen devrait devenir un Conseil économique et social européen chargé d’étudier des questions européennes et de donner des avis.  Le  champ d’action de ces institutions européennes est purement économique : marché unique,  agriculture et aides structurelles hors zone Euro.

La Commission ne doit avoir aucun rôle spécifique ni aucune relation avec les régions, qui dépendent de leur état respectif.  

L’extension de la zone Euro sera retirée du pouvoir de la commission.  Les impétrants ne seront acceptés que s’ils entendent s’intégrer à la zone euro et feront l’objet d’une décision d’opportunité par le Conseil Européen et lui seul.

Les modalités d’associations de pays étrangers avec l’Europe Unie seront simplifiées et unifiées, au bénéfice de la zone. Elles seront  ajustées en fonction des intérêts de la zone Euro notamment en matière de stabilité monétaire globale et de traitement des déséquilibres commerciaux. Les pays ayant d’énormes excédents de balance de paiement avec la zone seront interdits d’investissement direct dans la zone Euro. 

Et on reprend la marche en avant, pas à pas.

Evidemment cette démarche met en cause quelques principes : liberté absolue et totale de tous les mouvements de capitaux, de personnes et de marchandises ou services ; abandon au moins temporaire de l’optique fédéraliste. Limitation du regroupement familial. Limitation du gouvernement des juges.

Mais c’est le seul moyen de redonner un pouvoir de décision aux dirigeants et de retrouver la confiance des peuples.

 Si on ne fait rien, en refusant de lever les ambiguïtés fédéralistes, en se détournement de réfléchir aux causes des crises financières extérieures à répétition, en refusant de voir que le plan « Merkozy », utile à court terme, ne mène à rien dans la durée, en s’interdisant de canaliser et d’organiser les libertés fondamentales,  gare à la prochaine crise décennale (qui arrive) et au caractère explosif des forces de désagrégation en mouvement.

L’ère rooseveltienne est morte, même si nominalement les institutions globales sont toujours là ainsi que l’esprit général de liberté. Elles sont devenues inefficaces parce qu’elles étaient déséquilibrées, ou parce qu’elles ont été vidées de leurs substance ou parce que l’esprit de collaboration a purement disparu sous l’effet des rapports de force.

Un énorme travail attend, en temps de paix et sans le soutien d’un hégémonisme, les hommes de bonne volonté pour retrouver le fil d’une vision positive de l’organisation de l’Europe et du monde, fil qui est actuellement emmêlé et en grande menace de se rompre.

France et Royaume-Uni : des situations similaires

Quiconque suit les affaires britanniques ne peut que constater la très considérable identité des difficultés qui assaillent les deux pays. En fait, les situations politiques, économiques et sociales sont similaires.

Le cœur de l'affaire est l'incapacité des politiques à expliquer le ralentissement permanent du trend de croissance et la gravité des crises périodiques qui touchent de plein fouet non pas seulement "le quotidien des gens", mais l'esprit public général. Aucun citoyen n'aime être confronté à un déclin, même relatif, de sa nation, sans comprendre pourquoi et sans que des réactions ne se fassent jour. Perdre sa foi en l'avenir et celui de ses enfants au milieu d'un discours toujours lénifiant qui explique que les mesures prises sont géniales et le cadre général créé est le meilleur possible, est insupportable.

Quelles que soient les politiques d'ajustement suivies, dont certaines n'ont pas de résultats comme en France, et d'autres en ont, mais au prix de contraintes nouvelles et fortes, la perte de confiance dans les "élites dirigeantes" est la même. Quand on perd confiance, on devient craintif et nerveux.

La politique tourne à l'aigre, avec comme toujours, des victimes expiatoires.

Charles Moore dans le très conservateur Daily Telegraph souligne que jamais le Royaume Uni n'a été confronté à autant de difficulté "sans jamais les traiter au fond". Le Royaume a subi la même crise qu'en France, pire même au départ du fait de sa place dans la finance mondiale. Comme en France personne ne s'est précipité pour expliquer pourquoi cette crise avait eu lieu ni comment on en prévenait le retour.

Le rôle des politiques n'est peut-être pas l'expertise mais ils doivent lui demander de se manifester. S'il n'y a aucune explication sérieuse, prise en charge par les hommes politiques avec une vision de ce qu'il faut faire, rien ne peut se passer bien. Tous les dossiers deviennent contentieux. L'hystérie s'installe.

Le référendum a vu se créer une situation d'hystérie au Royaume Uni, comme la France vit avec hystérie la loi El Khomry et les affaires de zadistes.

L'hystérie commence quand la raison faiblit.

Cameron n'a pas joué sa carrière et l'avenir de son régime à la roulette. Il a refusé de s'attaquer à la question centrale : pourquoi la crise de 2008 ; comment on en sort ; comment on évite d'y retomber. Du coup toutes les questions annexes se sont infectées. Comme la gangrène gagnait, il a eu recourt à des remèdes de chien, d'abord sur la question écossaise puis sur la question européenne. Il a gagné puis perdu. Tant va la cruche à l'eau…

Hollande a de la même façon refuser de prendre partir sur les causes réelles de la crise et les moyens de la traiter. D'abord il n'y avait pas de crise, simplement un terrible héritage ; ensuite on allait voir ce qu'on allait voir. Il en est à 12 % de satisfaits de son action et on démolit les hôpitaux dans la rue à coups de barre de fer , là où il se voyait en "pacificateur".

L'Union Européenne n'est pas la cause de la crise. Mais certains de ses dysfonctionnements en ont aggravé les effets et compliqué la solution.

La bonne politique, au Royaume Uni comme en France, était de partir sur une analyse objective de la situation économique et la recherche d'un diagnostic et de solution, marginalisant les autres préoccupations.

Sinon, compte tenu de la gravité des conséquences de l'effondrement de 2008, on ne pouvait aboutir qu'à ce que l'on voit : les gouvernants sont déjugés et la rue s'en donne à cœur joie.

La Général de Gaulle avait dit à l'école de guerre (de mémoire) : "dans une bataille, le chef doit avoir une idée claire de l'essentiel et y concentrer toutes ses forces de conception et d'exécution".

Quand le chef s'investit dans des batailles secondaires et laisse sans réponse les grandes questions stratégiques, la défaite est assurée.

Cameron, comme Hollande, se sont concentrés sur des aspects fantomatiques de la crise larvée qui conduit l'Occident à la stagnation, en attendant pire. La question de l'Union Européenne, comme celle de la préséance des sources de droits sociaux, sont des arroyos totalement secondaires. L'immigration et le"red tape" européen sont des irritants, (islamisme et terrorisme à part) mais n'ont pas d'effets réels sur la marche de l'économie.

Quand on combat dans les buissons pour ne pas avoir à affronter les dangers de la grande route, il ne faut pas se plaindre des conséquences.

Réformer le droit de grève en France

En démocratie, la grève est un droit dont la modulation est un exercice ouvert puisqu’Il n'y a pas de droit sans limite.

Ces limites concernent les motifs de grèves, les modalités de la grève et l'indemnisation des conséquences pour des tiers non concernés.

Que dans le cadre d'une entreprise privée, on permette une action collective basée sur la suspension du travail n'a rien de choquant. Ce droit de coalition existe depuis des décennies en France (1 864) et son fondement n'a pas à être justifié. Depuis que les économies sont ouvertes, ce droit a du mal à s'exercer dans les entreprises privées. La grève signifie, dans la compétition mondiale, la mort de l'entreprise quand elle est chargée, comme en France, d'une part très supérieure de la charge publique globale. Dans des PME, le cumul des droits individuels et collectifs de nuire à l'entreprise, s'ils sont mis en œuvre, n'aboutit pas à un renforcement du pouvoir de négociation des salariés mais à l'arrêt de l'exploitation. Le conflit ouvert ne peut plus s'ouvrir que sur une base individuelle (avec extorsion de fonds en utilisant les prud'hommes) ou, collectivement, en fin de vie de l'entreprise (en essayant d'arracher ce qui reste de richesses au moment de partir et en ruinant totalement l'entrepreneur).

Depuis les lois Auroux et les compléments Jospin, le droit de grève en PME ne s'exerce pratiquement pas, parce que l'entreprise est paradoxalement trop faible et le rapport de force trop en sa défaveur. Certains salariés cherchent à être protégés par un statut syndical mais l'aspect individuel domine. Provoquer la mort de l'entreprise n'est pas dans la tête des autres salariés.

En un mot, le fait d'avoir donné aux salariés des moyens de tuer leur entreprise, fragilisée dans le cadre de la mondialisation, a liquidé l'usage effectif du droit de grève dans tout un pan de l'industrie et du commerce.

Pour les grands groupes de tout temps privés, l'affaire est à peine différente. La direction est de plus en plus à l'étranger (merci l'ISF et la chasse aux patrons) et les délocalisations sont un risque prouvé. Là encore les conflits portent sur des filialisations avant vente ou des fermetures de site. Pas pour obtenir des avantages nouveaux dans le cadre de la vie courante de l'entreprise. Les très grands groupes font désormais l'essentiel de leurs bénéfices à l'étranger et ne craignent plus les grèves locales. On l'a vu avec les lois sur les 35 heures en fin de siècle dernier. On cède, on engrange quelques bénéfices d'opportunité, puis on vend. Les salariés sont passés directement des 35 heures au chômage. Céder puis partir, telle est désormais la règle des grands groupes. Ou imposer leurs règles.

La grève aujourd'hui est donc en France réservée aux monopoles publics, dont "la paix sociale" a été confiée au Parti Communiste à la Libération. L'énergie, le transport, la mécanique ainsi que le culturel, ont été laissés à la bonne grâce de la CGT, sous direction soviétique jusqu'en 1990. Il a fallu Jules Moch pour mater les grèves insurrectionnelles de 47. L'aspect purement politique de la grève, dans un contexte géopolitique gravissime, exigeait une réponse extrêmement ferme. L'industrie mécanique a quasiment disparu en France, du fait des exactions syndicales. Elle n'est plus qu'un souvenir, avec quelques PME survivantes, où le syndicalisme n'existe pratiquement plus. La Presse est en voie de disparition. La PQN parisienne a été tuée autant par les ouvriers du livre que par Internet. Elle ne survit que de la charité publique, du soutien conditionnel des banques et de l'argent de quelques milliardaires. Le "Culturel public" ne survit plus que par la menace permanente et dans une ambiance de chantage délétère. On ne peut plus parler de droit de grève mais d'actions qui visent à interdire toute remise en cause des régimes extravagants mis en place aux dépens des autres Français.

Après s'être essayée, en vain, à un retour à un syndicalisme à peu près normal, la CGT se voit menacée de marginalisation. Elle se lance aujourd'hui dans un combat qui n'a strictement aucun sens national ou syndical, puisque les secteurs où elle a du pouvoir ne sont pas concernés par les mesurettes de la loi El Khomry. Tout le monde a compris qu'il s'agit d'une opération électorale en vue des grandes élections syndicales imminentes et d'une intimidation visant non pas tant Hollande et le PS que les futurs réformateurs du pays. Pas un commentateur qui ne s'en donne à cœur joie dans les interviews des candidats à la primaire de la droite et du centre : "Le pays est à l'arrêt quand on propose des mesures minables qui ne changent rien ; imaginer ce qui va se passer lorsque vous allez proposer votre programme radical. Votre théorie des cent jours appuyée sur le légitimisme de l'élection volera en éclats. Ah ! Ah ! Ah !".

Une telle situation exige de redéfinir le droit de grève.

La négociation sociale et l'arme ultime de la grève sont absolument nécessaires. Mais les conditions d'exercice doivent être profondément revues.

Première règle : les droits collectif et individuel de nuire à l'entreprise impunément doivent être réformés en même temps. Ils forment un tout.

Seconde règle : la TPE, la PME, la grande entreprise peuvent ne pas avoir les mêmes règles.

Troisième règle : l'intervention de l'Etat doit être sur le cadre pas sur le détail du contenu des relations du travail. Le grain à moudre doit être laissé aux partenaires sociaux. Les actions globales d'inspiration électoraliste, sur le SMIC et le temps de travail ont été des catastrophes dont l'emploi et l'économie ne se remettent pas.

Quatrième règle : dans une économie entièrement ouverte, les conventions nationales et de branche sont en difficulté. Les conventions européennes et de branches européennes étant de facto impossibles, une solution "par le haut " est impossible. Il faut conserver une réglementation nationale et des accords de branches mais, qu'on le veuille ou non, les accords doivent pouvoir être modulés au sein de l'entreprise dans une certaine mesure par rapport à des règles nationales ou de branche. On n'a pas besoin d'une inversion des règles, mais de souplesses.

Cinquième règle : le juge ne doit avoir qu'un rôle exceptionnel et n'intervenir qu'en cas de violation manifeste des droits individuels et collectifs. Il faut lui enlever effectivement le droit de tuer une entreprise, soit en emprisonnant le patron sur des prétextes variés, soit en ruinant les finances de l'entreprise, soit en imposant des mesures impossibles (des milliers d'exemples de jugements imbéciles  existent). Il appartient au contrat individuel et à la convention collective éventuellement adaptée à l'entreprise, de fixer les règles.

Sixième règle : la grève est un conflit entre la direction de l'entreprise et son personnel. Toute motivation extérieure à ce cadre (grève politique, grève de solidarité, etc.) doit être interdite et engager la responsabilité des syndicats qui y appellent et des grévistes qui s'y livrent. La violence doit être interdite et le respect du droit au travail garanti.

Septième règle : la grève est interdite ou fortement contraintes dans le secteur de l'Administration et dans les monopoles publics confiés à des personnels à statuts en position de monopole. Le service public l'emporte sur le droit de coalition. Sinon on donne le pouvoir politique à des syndicats d'étrangler la République. Dans les secteurs d'importance stratégique, qui conditionnent le succès d'opérations d'ampleur nationale, les conditions de déclenchement et d'achèvement d'une grève doivent être extrêmement réglementées.

Huitième règle : l'occupation ou le blocage de bâtiments publics ou servant à l'exercice d'un service public est strictement interdite et la non application de la loi par l'exécutif ou les juges sanctionnée.

Il suffit d'analyser les règles au Royaume Uni, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon, en Suisse, pour constater que ces principes y sont pratiquement tous appliqués, même si les formules sont un peu différentes à chaque fois.

Réformer le droit de grève en France n'est donc pas une fantaisie" fasciste" imposée par le grand capital ou autre diable convenu.

La situation française, liée d'abord aux conditions de la Libération qui ont imposé des accommodements ruineux avec les Communistes, puis aux délires soixante-huitards, puis aux étouffements socialistes sous Mauroy, Rocard et Jospin, est clairement anormale.

Un retour à ce qui est  la règle partout ou presque, dans les pays avec lesquels nous sommes en compétition économique totale, n'est pas une entreprise gratuite et secondaire. Elle ne débouchera sur aucune conséquence néfaste pour personne. Un abus n'est pas un droit. La suppression d'une anomalie n'est pas l'amputation d'une liberté.

Hollande et ses gouvernements n'étaient évidemment pas armés pour entreprendre les réformes nécessaires.

En revanche, il appartient à ceux qui ambitionnent de devenir Président et d'exercer de grands pouvoirs, lors du prochain quinquennat, d'avoir sur ces sujets une doctrine ferme, élaborée, exprimée, expliquée et si possible capable d'obtenir la compréhension du pays. La grande politique est de rendre possible ce qui est nécessaire. Cela suppose d'en exposer les principes dès maintenant et, s'agissant d'une condition fondamentale et préalable à toute action de redressement économique et social d'envergure, il faudra agir effectivement au plus près du succès électoral.

Malheureusement, c'est le grand silence dans les rangs des candidats.

Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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