Faut-il réellement démanteler notre système social ?
La France est dépassée par les énormes dépenses imposées par un système social hors normes qui a dérapé dans une orgie de dépenses qu’on cherche un peu désespérément à couvrir que par une orgie de taxes et d’impôts. Avec un niveau de dépenses publiques proche de la valeur ajoutée des entreprises, on constate que si on voulait un impôt unique de type TVA son taux serait de 100 % ! Raisonnable ? Non, évidemment !
Condamner une classe politique qui depuis 1968 aurait ainsi multiplié les gratuités et les droits acquisitifs, en les généralisant à la terre entière, au nom des droits de l’homme, pour peu qu’elle débarque sur notre sol, est évidemment facile. Le spectacle lamentable donné à l’Assemblée nationale conforte ceux qui veulent mettre un terme à la course sans fin entre démagogie et impôts délirants.
Rien de bon ne sortira de cette confrontation oiseuse, avec un retour étonnant aux querelles de l’entre-deux guerres et la remise au goût du jour de mesures clairement communistes.
La vérité est que nous avons besoin d’un régime social de qualité et que certaines réalités entravent notre bonne volonté. Les hommes politiques de tous bords n’en ont jamais tenu compte. Les ignorer ne les a pas fait disparaître. L’aveuglement volontaire est évidemment le pire. D’où le résultat problématique que nous subissons.
Les deux causes principales de la situation désastreuse de la France et de la faillite de son système social sont l’effondrement démographique et les défauts structurels des systèmes monétaires dominants. Ne pas le comprendre éloigne de toute possibilité de solution.
Depuis la découverte de la pilule, et la loi Neuwirth en 1968, puis la montée vers l’avortement gratuit et sans contraintes, puis la remise en cause du mariage traditionnel avec le Pacs et le mariage pour tous, puis la dévalorisation de l’image de la femme au foyer et la promotion symétrique des bénéfices d’une carrière professionnelle, des voix se sont élevées pour avertir du risque démographique. Michel Debré, à droite, a été le plus incisif. Il a été affublé d’un entonnoir sur la tête, signe des fous. Alfred Sauvy, le grand maître de la démographie française, à gauche, a progressivement été évincé du système d’information. Un narratif s’est alors imposé : « la France fait mieux que tout le monde en matière de natalité, circulez il n’y a rien à voir ! ». Comme pour tous les narratifs de ce genre, il s’agissait d’expulser la question hors de la « discussion démocratique ». La vérité était évidemment différente. Des calculs très simples permettaient de s’en rendre compte dès les années quatre-vingt-dix et surtout dès le début de ce siècle. Le ratio naissances sur population totale après l’an 2000 montrait une perte de près de 500 000 enfants à naître par an, par rapport aux chiffres de 1971, dernière date non grevée par l’effet des récessions et des nouvelles lois et mentalités. Disons-le clairement : nous avons perdu entre 10 et 12 millions d’enfants à naître entre 2000 et 2025. L’effectif des moins de 20 ans est de 15 millions quand il était de près 30 millions en 1971. Un effondrement radical. Les tableaux fournis par l’Insee et l’INED le confirment désormais de la façon la plus nette : entre 2015 et 2025 la population des 21 à 60 ans a baissé. Celle des plus de 60 a augmenté de presque trois millions. Aucun parti politique n’a voulu prendre le risque d’annoncer qu’une population en âge de travailler déclinante allait devoir financer l’équivalent de la population de Paris, plus Lyon, plus Toulouse ! Plus de 2 000 milliards d’euros de dépenses cumulées à assumer ! Il faudra attendre 2 023 et l’évidence que nous allions vers le non-remplacement générationnel pour qu’enfin le drame démographique prenne sa juste place dans le débat public. Depuis mai 2025, les décès excèdent les naissances. Si rien ne change, les moins de 20 ans seront 5 millions en 2 100 ! En dépit d’une immigration massive ! Souhaitable ?
Une telle situation a évidemment fait sauter notre système social et obligé les « élites » dirigeantes à un grand écart entre la multiplication des démagogies pour se faire élire ou réélire, et la maîtrise de déficits de plus en plus abyssaux.
On retrouve à peu près la même attitude face à la seconde cause systémique de nos tourments : les défauts structurels des systèmes monétaires dominants. Depuis 1917, les monnaies sont devenues « administratives » et déconnectées des valeurs de référence, comme traditionnellement l’or. Il en est résulté les difficultés qui ont ravagé l’entre-deux-guerres. À l’initiative des Américains, une réflexion de longue durée a été entreprise au début des années quarante pour que l’après-guerre ne souffre pas des mêmes errements. Les Accords de Bretton Woods ont permis les « trente glorieuses » et ses « miracles économiques ». Jusqu’à ce que les États-Unis décident de les détruire en 1971, provoquant aussitôt le retour des désordres et des récessions. Les changes flottants sont une catastrophe économique. Depuis leur mise en place, nous avons connu trois récessions mondiales majeures de type 1929, toujours plus graves : 1973, 1993, 2008, et trois autres plus légères. Saisissons l’occasion de tordre le cou à deux légendes. La crise de 1973 serait une « crise du pétrole ». En fait elle commence aux États-Unis dès 1971, gagne le monde en 1972 et devient catastrophique en 1973. Le cartel pétrolier réagit par une hausse démente des prix du pétrole en novembre 1973. Elle aggrave tout, mais c’est une conséquence pas une cause. De même, certains pensent que la reconstruction d’après-guerre impliquait automatiquement une période de forte activité. Plus fortes les destructions, plus forte la reprise ! C’est évidemment totalement faux. Toutes les défaites militaires en France, et à peu près partout ailleurs, ont été suivies par des années de difficulté. Ne jamais oublier que celles qui ont suivi la défaite de Sedan n’ont été qu’une longue dépression. Il a fallu plus de 20 ans pour en sortir.
Quel est le vice interne d’un système de change flottant ? Il met fin à la condamnation des grands déficits et des grands excédents. Si un pays accumule d’énormes excédents qui se comptent en milliers de milliards de dollars ou d’euros, il ruine l’emploi de ses partenaires en déficit et ne sait pas quoi faire des sommes accumulées. Investir chez lui ? Il est déjà sur compétitif : Investir dans les pays déficitaires ? Et rétablir ses concurrents ? Que nenni ! On ne peut plus ni réévaluer ni dévaluer en concertation pour rétablir l’équilibre des échanges. . Alors que faire ? Tenter de placer le magot sans risque ! Le destin des monnaies administratives gérées par des gouvernements est de perdre régulièrement toute valeur. Le dollar évalué en or a par exemple perdu 99 % de sa valeur depuis 1971 ! Pour les détenteurs de milliers de milliards de dollars, le risque est crucial. L’Allemagne et le Japon ont pu le découvrir fin 1980 pour l’un, mi 1 990 pour l’autre. La Chine tremble aujourd’hui pour les mêmes raisons. Plutôt qu’investir dans la production, on essaie de placer ces sommes colossales en actifs plus sûrs : bourse, immobilier et financement de la dette des pays déficitaires. Cette financiarisation ne permet pas de rétablir les équilibres mais noie d’argent les Etats dispendieux et fait grimper à des hauteurs inaccessibles la valeur de l’immobilier. La France en a bien profité qui va sans doute réussir à accumuler près de 3 500 milliards d’euros de dettes publiques à la fin 2025. Ne parlons pas des dettes privées.
Cumulées avec les effets de l’effondrement démographique, ces récessions périodiques ont détruit tout l’équilibre de notre système social, nous laissant avec peu de solutions. Ne faire aucune réforme significative et sombrer dans la dette, avec un recul radical du PIB par tête est celle choisie depuis 1973 par la France, avec aggravation en 1981, 1 998 et 2 017 ; (nous sommes désormais au 28e rang des nations en attendant mieux pour le PIB par tête). On aurait pu aussi se lancer dans des réformes structurelles lourdes qui auraient remis en cause radicalement le modèle social, au prix d’une période de difficultés sociales importantes. Pensons à la Grèce, au Portugal, etc. Aucun président de la République n’a voulu assumer un tel risque.
Pour un observateur un peu sérieux, le système social est entièrement sous la pression des défauts structurels des systèmes monétaires qui permettent d’accumuler d’énormes excédents fauteur de crises périodiques et de la situation démographique qui nous prive de bras.
Ce qu’on doit reprocher aux hommes politiques ce n’est pas tant qu’ils ont voulu sauver ou même étendre le champ de la politique sociale, mais qu’ils ne se soient pas saisis des vraies causes qui en empêchaient le déploiement durable puis la survie. Sans politique nataliste majeure et sans réforme des systèmes monétaires défectueux, il est impossible de conserver le système social français actuel.
Donald Trump s’est attaqué aux déséquilibres commerciaux en passant par les droits de douane. Vrai problème mais mauvaise solution. C’est le système monétaire qu’il fallait réformer. Avec l’Euro, l’Union Européenne a pérennisé les excédents phénoménaux de l’Allemagne, de la Hollande qui a capté une part colossale des importations européennes libérées par la fin du tarif extérieur commun, et de l’Irlande, pour des raisons cette fois-ci fiscales. On ne peut plus jouer sur les changes pour rétablir les équilibres, ce qui nous auraient permis de sortir plus progressivement de la stagnation dramatique qui en résulte pour nous.
Non seulement nous sommes paralysés, mais nous acceptons que le paralytique soit attaqué de toute part. Si nous devions réagir comme Trump, il faudrait exiger des droits de douane de 80 % sur les importations Allemande…
La priorité en France comme en Europe devrait être de juguler les deux sources de la déréliction des régimes sociaux : l’effondrement de la natalité et les défauts écrasant des systèmes monétaires. Alors, on pourrait concevoir une réforme tranquille et généreuse de notre système social. Sinon ? Sinon, ce sera un effondrement soit dans la surimposition intenable soit dans la dette impossible à financer (nous y sommes presque). Eventuellement, le cumul des deux pourrait survenir, avec le pire au bout du chemin.
Évidemment, là où nous en sommes, une politique résolue de modération des excès de notre politique sociale doit être engagée. Trop d’aspects sont intenables. Mais son ambition doit être conservée. Sans une diplomatie de la prospérité et une politique déterminée de ré enchantement de la natalité, rien ne sera possible et nous resterons sur le chemin de la catastrophe sociale et nationale. Comme le disait Maurice Allais, dont les avertissements prémonitoires ont été si mal acceptés en 1997, « ce qui doit arriver arrive ».
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile
Dernier ouvrage paru : Les Malheurs de la Vérité


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