Le livre de NICOLAS DUFOURCQ : la dette sociale de la France 1974-2024

Voici un livre comme on aimerait en lire plus souvent et qui donnera matière à réflexion à tous ceux qui s’interrogent sur la Bérézina budgétaire, économique et sociale dans laquelle s’est noyée la France dans les cinquante dernières années. Plus personne n’a de doute sur l’échec monstrueux qu’a connu la France et qui la met au bord extrême de la falaise.

Pour l’observateur extérieur, il est assez facile de se faire une opinion sur l’état du pays en étudiant l’information disponible et en tenant compte de ses propres expériences. Mais disposer du récit précis de ce qui s’est passé vu de l’intérieur est évidemment un enrichissement remarquable. Savoir que tel jour à telle heure telles options ont été prises par tels acteurs, avec quelle préoccupation en tête permet de vérifier les intuitions qu’on en avait de l’extérieur. Et de les corriger à l’occasion.

Évidemment, il est très difficile de réaliser la synthèse d’un tel livre qui accumule des centaines d’actes et de décisions et fait intervenir des dizaines d’intervenants divers. Assez curieusement, le livre ne tente aucune conclusion. Un seul point de synthèse parcourt le livre entier : la dette est principalement une dette sociale et sans reconstruire l’architecture des prestations sociales nous n’en viendrons pas à bout. Ce n’est pas tant l’État qui est en cause mais le colosse d’une sécurité sociale que nous ne maîtrisons plus et que nous essayons néanmoins d’étendre et de renforcer éternellement par compassion universelle, sans se rendre compte que nous n’en avons pas les moyens. Ce déni nous a entraînés à sacrifier toutes les autres politiques régaliennes qui sont à l’os au profit d’une politique de soutien à toutes les consommations qui est impossible à finançer, sinon par la dette massive et elle aussi incontrôlable. Pas un jour sans un droit acquisitif de plus, ou une gratuité nouvelle, ou une subvention heureuse à telle ou telle catégorie. Se faire élire impose de distribuer des avantages aux masses, et ensuite on doit faire face aux conséquences qu’on croit pouvoir maîtriser mais qui s’échappent régulièrement.

Dans le secret de l’État profond naissent des plans et des rapports qui n’ont rien à voir avec le discours public. Les nouveaux présidents élus veulent aussitôt mêler leur grain de sel. Les alternances socialistes détruisent systématiquement les solutions de leurs prédécesseurs. Personne n’a l’entièreté du secteur social dans sa main. L’incohérence dans le temps et dans les différentes politiques menées s’arbitre par la dette et les impôts, après avoir épuisé « les dividendes de la paix », c’est-à-dire avoir réduit nos armées à presque rien.

Ce qui frappe, à la lecture du livre, est la séparation presque étanche entre ce qui se passe au sommet et la « discussion démocratique ». Tout se passe entre technocrates, apparatchiks des syndicats et quelques élus, sous l’œil attentif (à leur image et chances électorales) des grands élus. Personne n’est responsable de rien. La place de l’Enarchie Compassionnelle et Bienveillante est exorbitante.

Pour l’observateur extérieur attentif, le livre révèle aussi les véritables biais qui sévissent au sein de ce petit monde.

Nous avons montré depuis 50 ans que ce qui a totalement faussé les dynamiques économiques et sociales sont deux événements majeurs et totalement mis sous le tapis : la dénatalité massive et les crises à répétitions provoquées par des systèmes monétaires défaillants (changes flottants et Eurozone). Le livre démontre page par page l’effet de ces deux phénomènes ravageurs, mais sans que les acteurs n’en tiennent compte ni même ne les évoquent. Les élites ont démontré sur ces deux sujets une inconscience collective absolument stupéfiante. Chaque récession est censée être la dernière. Le drame démographique n’existe pas ou se résume à un ratio technocratique : nombre de cotisants sur nombre de retraités. Évidemment, ils ne voient jamais venir la prochaine récession qui est toujours « imprévisible » et liée à un incident particulier et non pas à un défaut de structure. Nicolas Dufourq reprend malheureusement certaines de ces erreurs traditionnelles. Un exemple : la crise de 73 qui serait due aux exigences de l’Arabie Saoudite et donc une « crise du pétrole », terminologie que la technocratie dominante a imposée. Tous les économistes sérieux savent qu’elle a commencé aux États-Unis avec l’abandon des règles de Bretton-Woods en 71, avec une crise forte aux États-Unis seuls en 2012 et la généralisation au monde en 1973. Ce n’est qu’en novembre 1973 que le cartel pétrolier privé de ressources par la chute drastique 1973 du dollar va réagir en haussant de façon démente les prix, aggravant tout. Le choc du pétrole est une conséquence pas une cause. On retrouvera cette volonté d’associer chaque grande récession à une cause conjoncturelle foireuse montée en épingle alors que c’est le système même qui provoque les récessions.

L’élimination de la question démographique est également fabuleuse. On constate le vieillissement et on ne veut pas voir l’effondrement des naissances qui est évidemment le fait majeur. Le narratif né dans les années soixante-dix, « notre natalité est meilleure que partout ailleurs, circulez il n’y a rien à voir », persistera jusqu’en 2024 où il devient évident que le renouvellement de génération va cesser à court terme, en fait dès mai 2025. On laisse le COR, conseil d’orientation des retraites et l’INED travestir la réalité démographique pour ne pas avoir à affronter les forces montantes du féminisme et LGBT. On voit le rigolo Hollande, Bidochon pour les humoristes, casser le quotient familial et réduire les allocations familiales. On aggrave le problème en croyant le financer. C’est que les riches doivent payer ! Une sottise ahurissante !

Nos propres analyses reprises dans notre dernier livre montrent que le non-renouvellement démographique s’effectue dès le début 2000 pour les familles dont le nom était présent en France en 1 890. A aucun moment n’apparaît en 2013, dans le discours public et dans les réflexions au sommet de l’État, le fait que dans les dix ans à venir la population des 20-60 ans va diminuer et que celle des plus de 60 ans va littéralement exploser. Tout le système social va aussitôt sauter, d’autant plus qu’on multiplie les libéralités ciblées et les gratuités. Personne n’a encore voulu comprendre que la gratuité est une force de destruction massive. On en vient à parler de la gratuité de la vie… Les robots et l’IA ont bon dos !

De cela, le livre de Nicolas Dufourcq ne parle pas, ou marginalement, car c’est resté hors du champ politique pendant 50 ans et le reste encore largement aujourd’hui.

Ce qu’il faut dire également à notre auteur, c’est que la politique sociale de la France n’est pas la seule en cause : récessions et dénatalité touchent l’intégralité des politiques nationales. Évidemment beaucoup d’entre elles sont désormais déléguées à l’Europe et sont, de ce fait, sorties du débat national et le gouvernement des juges a beaucoup réduit l’indépendance du politique. Alors n’en parlons pas, puisqu’on n’y peut rien ! Telle est la pensée subliminale du corps politique en France.

Mondialisme déséquilibré permettant d’accumuler des excédents déments, Euro qui ne permet plus aucun ajustement sans récessions au sein de l’Euroland, Europe en déclin au sein d’un Occident en difficulté, socialisme débridé allant aujourd’hui jusqu’au communisme avec une classe politique dominée par les hauts fonctionnaires qui l’ont phagocytée, forment également le décor permanent de notre effondrement.

Le livre vaut donc à la fois parce qu’il dit et ce qui n’y est pas dit. Un joli miroir de l’impéritie volontaire et involontaire française des cinquante dernières années.

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
Alain P.'s Gravatar Il s'agit de Nicolas Dufourcq (cq). Les dates sont erronées (2010 et suiv. au lieu de 1970 et suiv.) dans le chapitre "Nous avons montré depuis 50 ans...". Merci pour vos analyses toujours pertinentes. Cdt,
# Posté par Alain P. | 19/11/25 16:17
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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