Le SMIG a 65 ans. Cette règle sociale fait encore discussion.
Les partisans du socialisme en font une conquête sociale marquante qu’il s’agit de conserver, perfectionner et étendre, parce qu’elle évite que le loup libre mange les poules libres dans le poulailler libre et qu’il y a quelque décence à ne pas faire travailler un citoyen à un salaire de misère.
Les économistes partisans des thèses libérales soulignent que le marché à un prix d’équilibre qui permet d’employer le plus possible de facteurs de production. Le travail est un facteur de production comme les autres. Forcer un prix au-dessus de la valeur d’équilibre du marché ne provoque que du chômage.
Nous reconnaissons un de ces faux-débats dont les Français sont friands. Tout est évidemment controuvé dans cette manière de voir les choses.
D’abord tout ce qui concerne le SMIGa été mis en place par la droite. C’est une loi Pleven qui créé le SMIG. Ce sera la droite qui unifiera les différents SMIG en 68 et qui créera le SMIC (on passe d’une indexation sur les prix à une indexation sur la croissance). C’est encore la droite qui initiera la politique des « coups de pouce » au SMIC.
Le Parti Communiste, sous la direction directe des soviétiques, mènera une lutte acharnée contre « cette ruse du capitalisme honni», la SFIO multipliant les réserves.
Il est vrai que Pleven a présenté cette mesure comme un moyen de lutter contre le communisme. Ce qui fait écrire aux communistes que sans leur pression, la mesure n’aurait pas été prise …
En vérité le SMIG avait une double fonction :
- Sortir des blocages de la guerre qui ont perduré bien après la défaite de l’Allemagne. Salaires eet prix étaient administrés.
- Eviter que l’inflation ne ruine les bas salaires.
Le salaire minimum inter-professionnel était fixé bas, parce qu’il appartenait aux acteurs sociaux de définir des minima par branche. Les conventions collectives proposaient obligatoirement des minima qui étaient différents d’un secteur à l’autre.
Les SMIG étaient régionaux (une vingtaine de zones) parce que le coût de la vie n’était pas les mêmes partout et parce que les niveaux de salaires historiques étaient trop divergents d’une région à l’autre. « Placer le SMIG en Lozère au niveau de celui de Paris n’avait pas de sens », selon l’expression de l’époque, « et serait désastreux pour la Lozère dans le cadre de la politique de décentralisation ». C’était l’époque où le livre ridicule d’un certain Gravier (Paris et le désert Français) était à la mode. Bientôt le Plan deviendra une « ardente obligation ».
Sagement, on avait créé un salaire minimum agricole plus bas que le SMIG général.
Une fois le « miracle français » réalisé et les « glorieuses » bien mûres, l’idée générale dans les sphères politiques et administratives étaient de « faire dépérir le SMIG ». Comme il n’était pas indexé sur la croissance mais seulement sur les prix, son importance relative par rapport aux minima de branche qui eux étaient révisés par la négociation chaque année s’accusait de plus en plus.
Preuve qu’un système de salaires minimum n’est pas en soi contraire au plein emploi si on le gère intelligemment.
Certains se demandaient même s’il ne fallait pas abroger les différents SMIG qui ne servaient pratiquement plus à rien sauf dans des cas très marginaux, du fait du quasi plein emploi. Le SMIG servait essentiellement à condamner les employeurs au noir un peu comme la législation sur la taille minimum des pièces à louer sert à coincer les « marchands de sommeil ». Avec à peu près les mêmes résultats.
Mai 1968 est arrivé, et « l’énarchie compassionnelle » a considéré que la paix sociale exigeait que l’on remette sur le métier un instrument d’affichage social de portée national permettant au complexe politico-administratif de montrer sa belle âme et continuer de régner comme avant.
On a donc commencé par supprimer les 20 zones de SMIG, sans grand dommage, puisque les minima par branche étaient tous supérieurs au plus haut des SMIG. L’ennui, c’est que l’instrument devenait national et permettait au politique d’agir facilement et globalement sans avoir à mener des discussions locales.
C’est donc Chaban-Delmas (assisté de Delors), qui va remettre en selle une institution sans danger et utile marginalement pour éviter des abus, dans le cadre de la « nouvelle société ».
On quitte alors le concept de « minimum vital » pour celui de petits salaires devant participer à la croissance générale. On est en pleine réflexion au Club Jean Moulin sur la politique des revenus. Les énarques commencent à croire que leur devoir est de régler la répartition des revenus créés par l’entreprise, qu’ils entendent également « réformer » (Le livre de Bloch Lainé, « Pour une Réforme de l’Entreprise », est aujourd’hui illisible sauf pour son comique involontaire).
On est à la fin des « trente glorieuses » mais on ne le sait pas. La crise du syndicalisme est manifeste en France où la négociation ne fonctionne pas ou très mal. La CGT refuse toute « collaboration » avec le capitalisme honni et tient les autres organisations syndicales sous sa pression.
Il est intéressant de noter que le passage au SMIC ne soulève pratiquement aucune objection dans les milieux patronaux. Il s’agit d’être « moderne » et de ne pas « injurier le futur ». La paix sociale d’abord.
L’histoire ultérieure du SMIC sera celui d’une catastrophe politique et économique. Une véritable leçon de chose de démagogie à effets pervers.
Disposant d’un instrument national à fort affichage politique (« le salarié pauvre » va faire son apparition dans le vocabulaire politique, au même titre que le chômeur comme objet de cadeau au peuple), les politiques vont commencer une saga qui, avec le recul, prend l’allure d’un délire.
D’abord, on va « charger » le SMIC. Progressivement les charges vont représenter plus que le net. Au sommet de l’évolution, quand une entreprise payait net 100 F au salarié, les prélèvements complémentaires étaient à 120-130.
Ensuite on va vicier le mécanisme de croissance du SMIC en le faisant croitre plus vite que le PIB. Cette démagogie va commencer avec Giscard d’Estaing et s’amplifier sous Mitterrand, et grimper sous Chirac jusqu’à un pic délirant sous Jospin.
Seulement voilà : les trente glorieuses sont mortes en 1971 avec le changement de système monétaire international. Dix années de « Stagflation », mise sur le dos du pétrole, et le programme Commun de la gauche, ont mis l’économie française par terre. Elle ne va plus se remettre.
Le résultat est radical :
Le SMIC dépasse puis laisse sur place tous les minima prévus dans les conventions collectives qui du coup laissent les partenaires sociaux sans « grain à moudre ». La négociation sociale perd tout contenu.
La hiérarchie des salaires s’écrase au point que l’essentiel des salariés est payé au SMIC.
Sous le double effet du chargement du SMIC et de la hausse de son taux, le chômage devient massif. On passe de quelques centaines de milliers à quelques millions.
Le SMIC aura été l’instrument privilégié de la préférence pour le chômage. Jospin complètera le dispositif avec les trente-cinq heures et le blocage administratif de la vie sociale dans l’entreprise.
On construit cette horreur au moment même où Delors et les Enarques de gauche considèrent qu’il faut faire entrer l’économie française dans une concurrence mondiale totale.
La contradiction entre des coûts d’emploi aggravés et une concurrence terrible des pays à bas salaires, est évidente, avant même les mesures Schroeders qui, elles, dopent la concurrence d’un pays exportateur du fait de la puissance de son industrie. La compétitivité des activités de main d’œuvre française s’effondre.
En 2000, le « manque à gagner » dans les effectifs salariés privés atteint près de 10.000.000 d’emplois, en dépit de la très forte hausse mondiale de l’emploi des années 97-99. Le chiffre est facile à calculer : il suffit de faire le ratio entre population totale et population salarié dans les 5 pays du monde les plus efficaces et de l’appliquer à la France. Pour 62 millions d’habitants on devrait avoir entre 25 et 28 millions de salariés. On en a entre 15 et 18 selon les chiffrages.
Face au désastre, on commence à revenir en arrière avec des mesures de plus en plus imbéciles.
On détaxe les bas salaires pour leur rendre un minimum de cohérence avec les valeurs du marché. Mais les charges globales elles ne baissent pas : le massacre fiscal des entreprenants peut commencer ; on tuera l’investissement après avoir tué l’emploi salarié.
On détaxe les heures supplémentaires, jolie démagogie Sarkozienne car il faut répondre à la question du consumérisme électoral :
- « Qu’allez-vous faire pour le (mon) pouvoir d’achat ? »
Mais qui paie cette libéralité ?
On détaxe les emplois familiaux. Même questions : qui paie ?
Qui paie, sachant que, déjà, il faut payer pour financer les trente-cinq heures ?
La France s’enfonce dans le chômage de masse, l’hyperfiscalisation, les artifices politiciens démagogiques, le sous-investissement, les déficits commerciaux.
Avec l’énarque Hollande, on passe à la dimension supérieure : l’asphyxie totale du pays.
La France passe au 7ème rang des pays pour le PIB. Elle s’enfonce dans la dette (près de 100% du PIB) et le chômage (plus de 5 millions). L’hystérie fiscale bloque tous les marchés : le bâtiment s’effondre, l’immobilier suit, l’investissement industriel est ridicule, les entrepreneurs fuient.
La totale.
Devant un désastre devenu indécent, un nouveau changement à 180% se produit. Voilà Macron, en majesté, une réforme microscopique et un « pacte » qui redonne en partie ce qui avait été pris mais sans toucher aux vaches sacrées : SMIC en folie ; blocage social ; hyper-fiscalité aggravée etc.
Que conclure ?
Un salaire minimum n’est pas une catastrophe si on respecte quelques conditions :
- Pas de gestion politique nationale
- Codécision patronat syndicat par branche
- Garantie de pouvoir d’achat (smig et pas smic) et valeur nettement supérieure aux garanties chômage minimales et aux minima sociaux.
- Nombreuses dérogations pour aider les populations fragiles à trouver de l’emploi.
- Filet de sécurité, certes, mais par zones géographiques en fonction du niveau des prix locaux. Paris n’est toujours pas la Lozère.
- Revalorisation négociée et tenant compte du cycle et du nombre de chômeurs.
- Révision de la notion de charges sociales pour un concept de salaire différé, avec baisse du salaire différé par rapport au disponible.
Le drame actuel c’est qu’on considère les salaires minima comme des variables globales d’ajustement international. On dit : l’Allemagne doit créer des salaires minima pour diminuer ses excédents. On demande à la Grèce de diminuer les salaires minima pour faire face à ses dettes.
Le SMIC devient un instrument global d’ajustement macroéconomique.
Alors qu’il doit être une valeur de contrôle des abus salariaux éventuels et géré dans la microéconomie au plus près des branches d’activité et des réalités régionales.
Tous ceux qui ont cru qu’ils pouvaient jouer au Monopoly avec les grandeurs essentielles de l’économie, soit par idéologie, soit par démagogie, soit même par l’effet de bons sentiments, n’ont commis que des catastrophes. L’effet pervers est quasiment automatique. Le progrès social passe par une politique macroéconomique qui favorise et une micro-économie qui enrichit.
On peut constater que les cadres macroéconomiques qui ont été mis en place depuis 1971 aussi bien dans l’organisation mondiale, qu’européenne et française sont dépressifs et que la micro-économie a été mise sous tutelle au point de l’étouffer, ou sous des tensions telles qu’elle a fini par craquer.