Les thèses du Pr. Antal Fekete

Singulière expérience que de retrouver dans un livre récent presque mot à mot les thèses que nous défendons inlassablement dans la blogosphère depuis 1996. Ce livre est "le retour au standard or" du Pr Antal Fekete.  

Il tient, comme nous, que les crises ont une source principale : des dérèglements monétaires.

Il signale, comme nous, que le début de la crise est la décision de Nixon de couper le cordon entre or et dollar, introduisant un cours forcé de la monnaie administrative sur sa zone  et des cours flottants entre les différentes monnaies administratives.

Il montre, comme nous, que le FMI a perdu progressivement tout son rôle statutaire.

Il critique comme nous la Doxa imposée aux Universitaires qui veulent enseigner et aux économistes de cour et de média. Il montre la quasi impossibilité de faire carrière sans soumission à cette doxa imposée par les banques et les Etats.  Il charge les économistes officiels d'être des taiseux intéressés quand ils ne sont pas "vendus" aux intérêts bancaires et étatiques.

Il est très clair sur le fait que la  crise qui s'est étendue depuis la chute de Lehman-Brothers n'est pas une crise des subprimes,  des règles comptables ou des bonus et qu'on n'a toujours pas pris la moindre mesure  correctrice utile ce qui explique la durée de la crise. Une thèse que nous serinons sans relâche et qui et une des vocations de ce blog.

Il démontre facilement, comme nous-mêmes,  que la production d'or aurait permis de garder le rythme d'une croissance équilibrée dans les 50 dernières années, sans les pénuries annoncées par les sectateurs de la monnaie administrative à cours forcé.  

Bref l'auteur est de ceux qui comme nous considèrent que nous sommes arrivés à une forme d'explosion du système de monnaies administratives, gérées par des gnomes,  et s'échangeant entre elles sur des marchés à cours flottants.

Bravo et merci !  On se sent moins seul. Peut-être ceux qui nous lisent auront moins l'impression que nos thèses sont trop personnelles et aventurées, malgré leur rigueur intellectuelle et leur adaptation aux faits . Des économistes regardant les faits et eux seuls arrivent aux mêmes conclusions, ce qui est plutôt réconfortant.

Quels sont les points où l'auteur va plus loin que nous et ceux où nous divergeons ?

Sur le passé, l'auteur remarque que le 19ème siècle a été pendant tout le temps où l'or a continué à circuler librement nationalement et internationalement, un moment de croissance régulière globale de 5% l'an.  Certains calculs aboutissent plutôt à 3%. L'auteur oublie le cycle et les crises récurrentes qui étaient à l'époque particulièrement forte. On pouvait subir des reculs de PIB de 30 à 40% !  

Il attribue la responsabilité de la guerre de 14 aux mesures de 1909 sur le cours forcé/cours légal des principales monnaies. En fait c'est la crise de crédit terrible qui touche les Etats-Unis un peu avant qui expliquent les mesures prises et la guerre a des causes externes à la question monétaire. En revanche il voit juste lorsqu'il signale que la monnaie administrative à cours forcé a permis de maintenir la guerre totale pendant très longtemps, alors que faute d'or, elle se serait arrêtée plus tôt.   

Il analyse l'échec du retour à l'étalon or de la fin des années 20 par le refus de recréer un marché des créances obligataires  ou d'escompte rattaché à l'or. Cette décision aurait été  secrète. le but était de dégager les Etats de leur sujétion vis-à-vis de l'or. Les états ne voulaient pas que l'épargnant privilégie les créances privées remboursables en or pour fourguer son papier monnaie.  Du coup la licence de création de monnaies administratives a créé un emballement des dettes qui a fini par exploser en 29, alors que les dettes de guerre restaient énormes et généralement irrécouvrables. Nous sommes plus nuancés : la crise est directement liée au gold exchange standard et aux doubles pyramides de crédit qu'il a permis. Mais il était à peu près impossible de revenir à un pur étalon or, ce dernier ayant été capté par un seul pays, les Etats-Unis.  

Il est vrai qu'il défend le rôle des effets-or (titre à trois mois gagés sur l'or et pouvant se négocier internationalement)  avec des raisonnements très clairs et démontre qu'en l'absence de ce mécanisme de produits dérivés de l'or, un système d'étalon or ne peut pas fonctionner bien. L'auteur croit au rôle indispensable d'une chambre de compensation de créances-or à 90 jours, sur une base nationale et internationale.

A contrario le développement des effets-or permettait de financer les salaires et le plein emploi. L'auteur associe chômage structurel et monnaies papier à cours légal exclusif.  "L'évidente porte de sortie est la résurrection du Fonds des salaires qui permettrait la circulation spontanée des Effets réels qui ont été utilisés pour la dernière fois en 1914". "Un vrai effet-or pour être utile doit mûrir en un instrument financier supérieur. Sinon il ne circule pas. Par conséquents la réhabilitation des effets signifie la réhabilitation simultanée du standard-or les deux allant ensemble comme une main et un gant".

Sans nier le moins du monde la réalité de ce raisonnement, il convient de noter que les trente glorieuses ont été possibles sans ce mécanisme. Mais il y avait une certaine forme de rattachement général des monnaies à l'or, même si c'était via le dollar lui-même rattaché, et les changes étaient fixes même s'ils restaient ajustables. Bien sûr comme nous l'avons expliqué dans différents billets  ce système finira par exploser. Mais, corrigé, il nous semble devoir rester un bon système, sans nécessairement passer par un étalon-or pur et dur.

Antal Fekete défends aussi l'idée que les taux d'intérêt très bas sont destructeurs de l'emploi et de la prospérité. Nous avons-nous-mêmes défendu cette thèse contre Alan Greenspan dans les années 90 et au début des années 2000. Une sorte de croyance populaire assimile  taux très bas à prospérité. En vérité les taux très bas anéantissent le capital  qui disparait. Pourquoi conserver du capital stérile ? Les taux d'intérêts trop bas ne peuvent que financer des bulles qui explosent au final.    On répète dans les cours d'économie que la baisse du taux d'intérêt fait hausser les cours d'action.  Il suffit de constater aujourd'hui que les taux sont historiquement bas EN MEME TEMPS que les bourses sont au plancher ! Paradoxe ? Non, normalité.  Les taux d'intérêt trop bas poussent les banques à enflammer le marché des prêts donc des dettes pour se rattraper sur la quantité. Les risques augmentent. Ensuite elles réclament des taux de refinancement nul ou même négatif pour refinancer leur dette, ouvrant un cercle vicieux mortifère.

D'où cette phrase à donner à méditer aux étudiants en économie : "Le secteur financier a siphonné les capitaux des comptes de production". Puis  : "La crise bancaire actuelle est le résultat du nettoyage des capitaux du secteur financier, par le même processus qui a anéanti les capitaux du secteur de production".

Au passage l'auteur aborde une question que nous avons également traitée : la vente au plus bas de l'or de la France par Nicolas Sarkozy. Cette mesure incompréhensible et dommageable n'a, pour l'auteur, qu'une raison : complaire aux Etats-Unis décidés à éviter que le dollar se fracasse sur le mur de l'or. " En vendant le patrimoine de la France , Sarkozy s'est exposé comme le petit caniche du gouvernement américain".  Un peu plus tard il voudra imposer les "subprimes à la française" sur le modèle américain… RIP !     

Point intéressant, notre professeur attire l'attention sur les conséquences d'une augmentation de la dette au delà de 100% du PIB en système de changes flottants de monnaies administratives.  Alors qu'en régime d'étalon or un accroissement de 1% de la dette entraînait un accroissement de 3% du PIB, ce chiffre est devenu de plus en plus faible pour devenir négatif en 2006, précédent et annonçant la crise. Au fur et à mesure que la dette globale dépassait  250 puis 300 puis 350% du PIB l'ajout de dette entraînait progressivement non plus une croissance du PIB mais un recul !  

Rappelons que pour nous l'observation du gonflement de la dette globale a été le moyen le plus simple de prévoir la crise. "la production marginale de la dette est un tyran sans imagination"."Les débuts discrets de la dette irrécupérable se sont transformés en un édifice colossal".  

Finalement comme en sortir ? La solution du professeur Fekete est moins simpliste que le simple retour à l'étalon-or.  Elle consiste à permettre d'ajouter à la circulation monétaire papier une circulation de monnaie d'or et surtout de papier commercial rattaché à l'or.

C'est là une question  majeure : faut-il par exemple en Europe où les défauts de l'Euro sont patents et étouffent certains pays ajouter une autre monnaie de papier, l'Euro jouant dans ces pays  le rôle de réservoir de monnaie forte et tenant en quelque sorte le rôle de l'or ?  Ou faut-il carrément mettre l'Euro en concurrence avec l'or permettant à la fois d'assécher une partie de la dette grâce à l'or monétisé, d'augmenter la liquidité disponible et de rétablir la confiance dans les transactions ?

On reprochera à ce livre une tendance à voir des complots et à traiter de voleur une partie des élites monétaires. Mais il met sur la place publique des réflexions fondamentales et qui, de surcroît, corroborent sur beaucoup de points notre propre réflexion publique, même si elle diffère sur d'autres.

Nous ne saurions donc trop en recommander la lecture.  

 



Commentaire
Brutus's Gravatar Ce professeur a autant de mérite que ceux qui paradent dans les médias. Sa dénonciation des monnaies que vous appelez "administratives" est pratiquement totalement reprise des thèses de Ludwig Van Mises dont le renom est plus assuré. Le bon Ludwig avait déjà démontré que l'élimination du Gold Standard n'avait pas été le fait d'un échec prouvé mais de la volonté des Etats de garder les mains sur la création monétaire. Ceux qui crient aujourd'hui "changement des statuts de la BCE" et Eurobonds veulent simplement retrouver le pouvoir de battre monnaie sans entraves. La crise de 29 a toujours été dans l'esprit de l'école autrichienne une conséquence indirecte de la guerre de 14 qui avait propulsé la "fiat money" à des sommets imbéciles et dérèglé tous les mécanismes économiques. La généralisation de la monnaie d'imprimerie à partir de 1971 sans aucun rattachement à une valeur de référence comme l'or ne pouvait qu'amener un gonflement massif de la création de monnaie de banque. On s'est fait un tas de dettes de type 14 mais sans guerre ! Il est vrai qu'on a mis un peu plus de temps. L'idée de Friedman que si les banques centrales étaient "indépendantes" et si elles maintenaient l'inflation sous contrôle, les changes flottants sous les forces libres du marché ajustant les déséquilibres, tout irait bien, était une utopie qui s'est révélée sans aucun fondement. La grande question reste la volonté absolue et impérative des Etats de conserver ou de restaurer leur pouvoir de création monétaire ad nutum. Les banques dont le bilan est entièrement fictif depuis longtemps (le cas de Bankia est tout de même assez illustratif) exigent le maintien de la potion magique de papier. Le traitement relève de la thérapeutique des addictions. Le malade veut de la "coke". On lui dit "tiens en voici" sans même que ce soit de la Méthadone. Le paradoxe est qu'on ne peut sortir d'une crise d'addiction que par un complément de drogue. La FED shoote les Etats Unis à coups de centaines de milliards de dollars-papiers. La BCE s'y est mise aussi. Le sévrage semble impossible. Mais il est nécessaire à terme et il faudra bien passer par quelques convulsions. Les placebo actuels reportent la question à plus tard. Mais il faudra bien que sonne l'heure de vérité. Et la vérité est qu'un système totalement libre de création de monnaie papier, même avec l'indépendance des banques centrales, même avec les changes flottants sensés faire pression sur les Etats, ne fonctionne pas. Delenda est !
# Posté par Brutus | 10/06/12 10:36
Bernard's Gravatar Excusez-moi par avance pour mes questions peut-être naïves ci-dessous n'ayant que peu de connaissances en économie, mais: peut-on considérer que les points de vue de A. Fekete seraient en somme une sorte de retour à la doctrine des "real bills" de A. Smith?
Cette dernière ne signifie-t-elle pas qu'on réfère une monnaie fiduciaire d'abord à une réalité physique (l'or ou tout autre type de bien matériel), et qu'on ne peut spéculer sur cette dernière ne pouvant spéculer sur des volumes de matière?
Est-ce que les crises actuelles seraient une manifestation de la notion de valeur "virtuelle", ou de la virtualisation des valeurs monétaires ayant pour origine une spéculation sur des monnaies qui donnent justement la référence aux montants des intérêts des opérations spéculatives —une sorte de paradoxe ou de cercle vicieux?
Est-ce qu'envisager une banque centrale comme une sorte de chambre de compensation entre les valeurs fiduciaires et certains types de biens matériels, établissant de fait des valeurs de références indépendantes des volumes d'échanges "papier", aurait un sens et serait alternatif au rétablissement d'un standard or?
# Posté par Bernard | 11/06/12 14:35
DD's Gravatar @ Bernard

Oui les théories de Fekete nous ramène à des discussions très anciennes et reprend pour l'essentiel des idées d'Adam Smith. En gros l'escompte à court terme de billets convertibles en or ne pose aucun problème. Il appartient à la banque de vérifier la solvabilité de ces billets. On sait que l'escompte d'effets de commerce entraîne extrêmement peu de litiges et de pertes. En gros l'entreprise demande l'avance de ce qu'elle sait qu'elle va recevoir sous 90 jours au plus tard. Cela lui permet de payer les salaires et les marchandises. L'entreprise peut se tromper ; la banque peut se tromper. Mais compte tenu des surveillances exercées par des organismes de contrôle comme en France la SFAC, les défauts sont extrêmement faibles et facilement couverts par le bénéfice de ces opérations.

C'est pour cela que les banques de dépôts avaient été spécialisées dans l'escompte des effets de commerce à l'exclusion de toute autre activité bancaire spéculative. Certes les déposants font un prêt à la banque mais ce prêt sert à des financements sans trop de risques. Ils sont donc théoriquement à l'abri.

Le banquier doit faire attention à son encaisse-or et ne peut enfler trop ses en-cours. L'or étant généralisé dans tout le système mondial les échanges se font avec des références stables. Les mouvements de capitaux sont associés à des éléments du commerce réel à court terme (commerce local ou international).

L'orthodoxie, rappellée par exemple par Maurice Allais était que les prêts longs eux devaient être financés par de l'épargne longue et qu'il ne devait pas y avoir de transformation. Les prêts longs ne doivent pas créer de monnaie. Les prêts purement spéculatifs non plus.

Dans le système actuel on escompte du papier avec une contrainte de monnaie banque centrale pour la compensation. La banque centrale peut créer autant de monnaie qu'elle le veut. Le jeu des changes flottants et des politiques diverses des banques centrales rend la lisibilité internationale des mouvements de capitaux pratiquement nulle. Tout le système quitte alors les échanges "réels" pour des échanges de valeurs de plus en plus abstraites, nominales et théoriques comme on voudra.

Le jeu des pyramides croisées de crédits peut alors prendre une ampleur dévastatrice.

Au bout du chemin la méfiance bloque tout le système.

Si on ne veut pas de rétablissement de l'étalon-or (pour des raisons qu'il importerait de préciser avec un minimum de soin et de sérieux, l'accusation de fétichisme étant un peu courte) , il faut que la communauté internationale fixe une valeur monétaire internationale que les Etats s'engagent à respecter, afin que les déficits et excédents puissent rester dans des limites raisonnables. Pour éviter un développement excessif d'une liquidité internationale nominale et artificielle, et il faut rattacher la valeur de la monnaie internationale à un étalon extérieur à la volonté des pays membres du système. Beaucoup de systèmes sont possibles et pas seulement l'étalon-or avec circulation effective de l'or dans la poche des citoyens du monde.

La seule chose qui soit parfaitement claire c'est qu'un système de monnaies administratives (fiat money) gérées par des gnomes issus de la finance avec un objectif d'inflation et flottant librement sur un marché des changes absolument libre n'a jamais marché, ne marche pas et ne marchera jamais.

Il conduit automatiquement au gonflement des encours de dettes, à leurs abstraction de plus en plus grande, à la formation de bulles géantes, à l'aggravation des corrections décennales, à la destruction du capital, aux déséquilibres mondiaux irrémédiables, à la baisse tendancielle du trend et à une dépression générale si personne ne prend les mesures correctrices, ce qui est le cas du G.20 depuis sa première réunion.

Etalon-or ou pas, Adam Smith ou pas, ce système doit être abandonné.



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# Posté par DD | 11/06/12 23:52
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